Les déplacés de Chenalhó : faibles espoirs de retour
29/12/1998SYNTHÈSE : Actions recommandées
31/05/1999ANALYSE : Chiapas, un pas en avant… un pas en arrière
Summary
A la fin novembre, alors que le climat était toujours à la tension et à la violence, 3 000 représentants de la société civile mexicaine se sont réunis au Chiapas pour discuter des moyens qui permettraient de réactiver le processus de paix toujours interrompu. C’était la première rencontre entre l’EZLN (Armée zapatiste de libération nationale) et la société civile mexicaine depuis plus de deux ans. Le principal résultat de cette réunion a été un accord pour organiser la consultation nationale convoquée par l’EZLN et programmée pour le 21 mars 1999. L’objectif de cette initiative est d’interroger les Mexicains sur la reconnaissance des droits des peuples autochtones, et plus spécifiquement, sur leur soutien ou non à la proposition de loi de la COCOPA (Commission pour l’accord et la pacification) élaborée pour permettre l’intégration des Accords de San Andrés à la constitution mexicaine. Ces accords ont été signés par le gouvernement mexicain et l’EZLN en février 1996. Plus tard, les zapatistes avait accepté la proposition de la COCOPA, mais le gouvernement l’avait rejetée. L’EZLN avait dès lors insisté pour que le respect des Accords de San Andrés soit une condition nécessaire à la reprise des négociations. Durant la rencontre avec la société civile, quelques dirigeants zapatistes se sont réunis à deux reprises avec la COCOPA, commission constituée par des représentants du Congrès et chargée de faciliter le dialogue entre l’EZLN et l’administration Zédillo. Les réunions furent utiles pour rétablir un contact direct entre l’EZLN et la COCOPA après presque deux années, mais elles n’ont pas permis d’avancer vers la reprise des négociations.
Quatre semaines plus tard, le 22 décembre, 7 000 personnes se sont réunies à Acteal pour commémorer le premier anniversaire du massacre de 21 femmes, 15 enfants et 9 hommes, massacre perpétré par un présumé groupe paramilitaire. Au même moment, le bureau du Procureur général de la République (PGR) a publié son Livre Blanc sur Acteal. Dans celui-ci, les autorités locales sont accusées de ne pas avoir agi de manière adéquate. Le PGR indique qu’il s’agissait d’un différend local et accuse également l’EZLN d’être une cause indirecte du massacre, mais il ne prête pas beaucoup d’attention à une autre cause clairement plus directe: l’existence de groupes paramilitaires, comme celui à l’origine du massacre d’Acteal. Le rapport suggère qu’une autre cause du massacre fût l’absence des institutions responsables de l’administration de la justice, et minimise le fait que la police était présente à Acteal durant le massacre. Le rapport informe également du procès pénal en cours pour les quelques cent personnes accusées d’avoir été impliquées dans ce massacre.
Cependant, en apparente contradiction avec la signification que paraissent avoir de telles poursuites, de nombreux groupes paramilitaires continuent à agir en toute impunité dans différentes parties du Chiapas. Cherchant à répondre à cette situation, le gouverneur du Chiapas, Roberto Albores Guillen, a présenté au Congrès de l’État une proposition de loi d’amnistie. Son intention déclarée est de démanteler les « groupes civils » et de limiter l’amnistie aux charges de possession, port et entreposage d’armes à feu. Cependant, cette proposition a été critiquée par quelques chefs d’entreprise et par Paix et Justice, une organisation identifiée comme groupe paramilitaire. Selon eux, le texte devrait inclure l’EZLN qui se trouve protégée par la Loi du Dialogue. Parallèlement, les partis d’opposition et des groupes des droits humains ont critiqué cette proposition dans la mesure où elle pourrait renforcer l’impunité et l’anonymat des groupes paramilitaires.
Pendant ce temps, alors que ces groupes continuent à opérer dans de nombreuses zones du Chiapas, la police de l’Etat et l’armée fédérale continuent à pénétrer dans les communautés où vivent des sympathisants zapatistes, de nombreuses communautés sont divisées et entre 15 et 20 000 personnes sont toujours déplacées. À cinq ans du soulèvement zapatiste, les niveaux de pauvreté sont encore très élevés, les indices de violence et de conflit social sont des plus préoccupants et l’on voit peu de perspectives d’avancer à court terme pour réinicier un processus de paix actuellement au point mort.
Au cours des dernières semaines, le gouvernement mexicain a lancé une nouvelle campagne de harcèlement contre les étrangers voyageant au Chiapas. En janvier, l’Institut national de l’immigration a imposé la sanction d’interdiction d’entrée dans le pays durant deux années à deux personnes visitant le Chiapas avec l’organisation des Etats-Unis, Global Exchange. Celle-ci a alors déclaré: «Dans aucun autre pays du monde, nos activités éducatives n’avaient suscité des réactions aussi fortes et aussi agressives.»
Au niveau national, le gouvernement mexicain doit faire face à une série de difficiles problèmes: une économie détériorée, une diminution des revenus du fait de la chute des prix du pétrole, d’importantes diminutions du budget alloué aux programmes sociaux, une controverse autour des scandales du système bancaire mexicain, le trafic de stupéfiants et les groupes armés, aussi bien paramilitaires qu’insurgés. Les élections présidentielles qui se profilent à l’horizon de l’an 2000 constituent une autre source de pression qui paraît bloquer plutôt que faciliter les efforts pour résoudre les problèmes sociaux. Dans ce contexte, le Chiapas n’est qu’un thème dans une longue liste de défis qui paraissent plus urgents les uns que les autres.
En décembre, dans une action sans précédent, 50 officiers dissidents ont défilé dans la ville de Mexico pour protester contre le système de justice militaire. Ils ont également critiqué, pour son inconstitutionnalité, l’extension du rôle de l’armée, par exemple dans des activités qui normalement relèvent du travail de la police. L’ampleur du soutien que ces officiers pourraient trouver au sein des forces armées n’est pas très claire. Cependant, le fait de rendre public des dissensions internes rompt avec la tradition militaire mexicaine et inéluctablement engendre des questions sur l’avenir du rôle de l’Armée au Mexique.
De nombreux groupes internationaux de droits humains, incluant Amnisty International, Human Rihts Watch et la Commission inter-américaine des droits humains de l’Organisation des États Américains ont publié des rapports contenant de fortes critiques à l’encontre de la politique du gouvernement mexicain en matière de droits humains. Cependant, il est important de mentionner la résolution du Sénat mexicain qui a reconnu la compétence de la Cour inter-américaine des droits humains de la OEA dans les cas de violations des droits individuels.
La consultation nationale programmée pour mars a pour objectif de mobiliser la société civile et de faire pression sur le gouvernement pour rompre l’actuelle situation d’impasse des négociations. Pendant ce temps, la possibilité de constituer une instance nationale de médiation pour le processus de paix au Chiapas est en cours d’études dans quelques cercles de la société civile mexicaine.
Même s’il est difficile de rester optimiste quant aux perspectives à court terme, il est aussi certain que l’intérêt pour les zapatistes et le mouvement plus global pour les droits des autochtones au Mexique sont loin de disparaître.
Actions recommandées
- Enjoindre l’administration de Zédillo de: Démanteler les groupes civils armés / paramilitaires;
- Respecter le droit des citoyens mexicains de réaliser la consultation nationale sur la loi des Droits et de la culture indigènes le 21 mars et prendre en compte les résultats;
- Reconnaître et respecter le travail humanitaire et la contribution au processus de paix réalisés par les observateurs internationaux et les défenseurs des droits humains;
- Ordonner une réduction substantielle des troupes fédérales dans les zones de conflit comme un signal véritable et concret de sa volonté de dialogue.
- Pour les citoyens de l’Union Européenne: demander à vos gouvernements et parlementaires respectifs de prendre en compte la clause démocratique de l’accord commercial entre le Mexique et l’Union Européenne.
- Exhorter la COCOPA à réaliser de grands efforts pour maintenir l’unité de ses propositions et de ses actions, et à poursuivre son travail de coopération, en faisant prévaloir l’intérêt supérieur de la paix sur les positions partisanes.
- Diffuser l’information – comme ce rapport – sur la situation actuelle au Chiapas.
Merci d’écrire à:
Lic. Ernesto Zedillo Ponce de León
Presidente de la República
Palacio Nacional
06067 México, DF – México
Fax: (int-52 5) 271 1764 / 515 4783
Francisco Labastida Ochoa
Secretario de Gobernación
Bucareli 99, 1o. piso
06699 México, DF – México
Fax: (int-52 5) 546 5350 / 5 546 7380
Comisión de Concordia y Pacificación
Paseo de la Reforma # 10, piso 17
México, DF – México
Fax: (int-52 5) 535 27 26
… … … … … …
Actualité
CHIAPAS: un pas en avant…un pas en arrière
Du 20 au 22 novembre 1998, 29 dirigeants zapatistes ont rencontré 3 000 représentants de la société civile mexicaine à San Cristóbal de las Casas, Chiapas. C’était la première rencontre entre l’EZLN (Armée zapatiste de libération nationale) et la société civile depuis plus de deux années. Cet événement fut considéré par beaucoup comme une avancée qui pourrait aider à débloquer l’impasse dans laquelle se trouvent actuellement les négociations entre l’EZLN et le gouvernement fédéral. Le centre de la discussion fut la viabilité d’une consultation nationale sur la proposition de la COCOPA (Commission pour l’accord et la pacification) en matière de droits et culture indigènes, ainsi que la forme que celle-ci pourrait prendre. Cette proposition de loi implique en effet des changements constitutionnels qui permettraient d’intégrer ce qui a été consenti dans le cadre des Accords de San Andrés signés entre le gouvernement mexicain et l’EZLN en février 1996. En décembre 1996, les zapatistes ont accepté cette proposition, mais le gouvernement l’a finalement rejeté, accentuant ainsi l’impression d’enlisement qui a depuis caractérisé le processus de paix. Pour l’EZLN, le respect des Accords de San Andrés est une des cinq conditions indispensables à la reprise du dialogue.
Durant cette rencontre, la délégation des zapatistes – parmi lesquels se trouvaient les commandants Tacho, David, Zebedeo et le major Moïsés – s’est réunie à deux reprises avec la COCOPA pour discuter de la possibilité de renouer les négociations. Au cours de ces réunions, l’EZLN a rappelé ses cinq conditions pour reprendre le dialogue et a demandé à la COCOPA de l’aider à réaliser la consultation nationale. En janvier, cette dernière a décidé de ne pas répondre à cette demande, en déclarant qu’elle ne pouvait se voir alliée à l’une des deux parties.
Le premier janvier, pour le 5e anniversaire du soulèvement zapatiste, l’EZLN a émis un communiqué dans lequel elle appelait la société civile « à la mobilisation pacifique, à la lutte pour les droits de tous, à exiger des espaces de participation démocratique… » L’EZLN considère également que « 1998 fut une année de guerre mené par le gouvernement à l’encontre des communautés autochtones du Mexique. » De son côté, le coordinateur pour le dialogue, Emilio Rabasa Gamboa, a considéré ces cinq années de zapatisme comme un échec, dans la mesure où les conditions de vie des communautés autochtones ne se sont pas améliorées.
Acteal, un an après
Deux mille sympathisants zapatistes se trouvaient présents parmi les plus de sept mille personnes qui ont pris part au premier anniversaire du massacre d’Acteal, massacre perpétré le 22 décembre 1997 par des présumés paramilitaires, et au cours duquel furent assassinés 21 femmes, 15 enfants et 9 hommes.
Quelques jours avant la commémoration, le bureau du Procureur général de la République (PGR) a publié son Livre blanc sur Acteal. Une des conclusions de ce livre est que « le crime d’Acteal fut rendu possible à cause: de l’absence surprenante de moyens et d’institutions pouvant assurer la résolution pacifique des conflits, de la surdité et du désintérêt des autorités locales responsables de la justice et de l’incompatibilité entre les intérêts politiques des communautés et ceux de l’Etat. » Finalement, l’enquête conclut que le massacre d’Acteal a été une conséquence indirecte de l’existence d’un groupe armé (l’EZLN) et que l’un des détonateurs fut l’absence des institutions responsables de l’administration de la justice. Ces dernières conclusions ont été fortement critiquées par les organisations de droits humains et par le diocèse de San Cristóbal. Le vicaire de Justice et Paix du diocèse, Gonzalo Ituarte, a signalé que les forces de Sécurité étaient présentes à quelques centaines de mètres du massacre et a ajouté: « il est étrange que le PGR commence son enquête par les causes indirectes (l’existence de l’EZLN) et non par les causes directes (l’existence de groupes paramilitaires).» Le sénateur du PRI, Pablo Salazar Mendiguchia, membre de la COCOPA, a déclaré que le document restera insatisfaisant tant qu’une enquête véritable sur l’organisation et l’entrainement des paramilitaires n’aura pas été menée. Un autre sénateur, Carlos Payan, a considéré qu’il s’agissait d’un rapport lâche dans la mesure où il ne tient pas compte de la guerre de basse intensité qui existe au Chiapas. Selon le rapport du PGR, 84 civils sont accusés d’être les auteurs matériels du massacre, 11 ex-policiers sont inculpés pour port d’armes réservées à l’usage exclusif de l’armée; l’ancien maire de Chenalhó et un ex-militaire ont également été accusés. De plus, sept anciens fonctionnaires publics ont été emprisonnés (mais n’ont pas encore reçu leur procès) pour abus d’autorité et/ou pour avoir entravé le service de la justice. Trente-deux ordres d’appréhension doivent encore être exécutés. En janvier, un ancien fonctionnaire de la police de l’Etat et un ancien agent du Ministère public ont été appréhendés et accusés d’avoir permis aux groupes civils de la zone de s’armer.
Proposition d’amnistie pour les groupes civils armés
Dans la communauté d’Unión Progreso, municipalité de El Bosque, la tension s’est accentuée à la mi-décembre. Des habitants ont été accusés d’avoir organisé une embuscade avec des armes de gros calibre au cours de laquelle un garçon été tué. Face à la rumeur d’une possible action policière et paramilitaire, les sympathisants zapatistes se sont enfuis vers les montagnes où ils sont restés durant une semaine. Ils sont revenus quelques jours avant Noël et un campement civil pour la paix avec des observateurs nationaux et internationaux a été installé dans la communauté. En juin de l’an passé, à Unión Progreso, cinq autochtones ont trouvé la mort lors d’une action où forces militaires et policières étaient intervenues conjointement.
Certaines communautés autochtones, comme Unión Progreso, Acteal et Polhó continuent à dénoncer la présence et le harcèlement des présumés groupes paramilitaires. Pour sa part, le gouverneur du Chiapas, Roberto Albores Guillén, a présenté au Congrès de l’État une initiative de loi d’amnistie pour le désarmement des groupes civils au Chiapas. Cette initiative propose une amnistie pour les groupes armés, mettant fin toutes à toutes actions pénales concernant les délits de possession, de port et d’entreposage d’armes à feu et de substances explosives. Elle inclut de plus la possibilité d’offrir du travail en échange de la remise des armes. L’initiative exclue de façon explicite les militants de l’EZLN qui se voient protégés par la Loi du dialogue. Cependant, des représentants de différentes organisations, comme le groupe paramilitaire Paix et Justice et la Chambre nationale de commerce, ont demandé à ce que la loi pour le désarmement inclue l’armée zapatiste. D’autre part, selon certains commentaires de partis d’opposition et d’organisations de droits humains, l’initiative du gouverneur pourrait avoir pour dessein de laisser de côté les enquêtes ouvertes sur les harcèlements et les assassinats commis par les groupes paramilitaires.
Le gouverneur nie explicitement l’existence de groupes paramilitaires, car le terme « paramilitaire » signifie que l’armée aurait organisé et entraîné des groupes armés ce qui, selon lui, n’a pas été prouvé. Il a également ajouté que les autorités judiciaires appelleraient à témoigner en justice toutes les organisations qui soutiendraient l’existence de groupes paramilitaires afin qu’elles prouvent leurs dires.
Dissensions au sein de l’armée fédérale
En décembre 1998, quelques 50 officiers militaires soumis à des poursuites pénales ont manifesté dans les rues de Mexico. Ils sont membres du Commando patriotique pour la sensibilisation du peuple (CPCP) et ont exprimé leurs différences d’opinion avec le régime militaire. Ils ont demandé, entre autres choses, la disparition du tribunal militaire, ce qui permettrait aux militaires d’être jugés comme tout citoyen mexicain et non par un tribunal spécial. Les dissidents ont également protesté contre le fait que l’armée s’occupe d’activités qui ne relèvent pas de ses compétences, par exemple: les activités policières et judiciaires, et la surveillance de la population civile, cette dernière activité étant anticonstitutionnelle. Lors de la marche conduite par le colonel Hildegardo Bacilio Gómez, un des mots d’ordre crié était: « Les autorités doivent « commander en obéissant » » (un concept qu’utilisent les zapatistes). Pour sa part, le Procureur général de la justice militaire a déclaré que Bacilio Gómez était accusé de délit d’insubordination et de désobéissance depuis 1997, et qu’il se trouvait en liberté sous caution. Le Procureur a annoncé qu’une action en justice serait engagée contre lui pour désertion et pour ne pas respecter les conditions de sa liberté conditionnelle. En janvier, cinq membres du CPCP ont été arrêtés; Bacilio Gómez s’est enfui du pays pour éviter d’être capturé.
Élections extraordinaires sans nouveautés
La tension a augmenté dans la « zone de conflit » après les élections du 4 octobre. Par exemple à Nicolas Ruiz et à Venustiano Carranza, quelques assassinats ont été rapportés. Par contre, dans d’autres régions, l’occupation des bureaux municipaux s’est réalisée sans incidents graves, comme ce fut le cas dans la municipalité d’Altamirano. A Las Margaritas et à Oxchuc, le maire du PRI récemment élu prenant en compte les demandes de l’opposition a accepté de former un conseil municipal multi-partites; il s’agissait ainsi d’éviter qu’il n’y aient des manifestations de mécontentements. Après des négociations avec le gouvernement de l’État en décembre, le PRD a accepté la création de « Conseils de surveillance » dans 15 municipalités. Leur rôle sera de veiller à la bonne utilisation des ressources et à un juste exercice du pouvoir. Les membres de ces conseils de surveillance pourront participer sans droit de parole et de vote aux réunions du conseil municipal et pourront avoir accès à toute information concernant l’administration et le budget.
Au moment de mettre sous presse ce bulletin, la situation politique dans la municipalité d’Ocosingo, la plus grande du Chiapas, est encore incertaine. Les élections d’octobre ont permis le triomphe du PRI. Les partis d’opposition critiquent vivement ces résultats caractisés par à un grand taux d’abstentionnisme et de nombreuses fraudes, car ils font preuves du peu de représentativité du nouveau conseil municipal. C’est pour cette raison qu’à la mi-décembre, les partis d’opposition et quelques organisations sociales ont élu en assemblée, leur propre conseil municipal souverain. Ils réclament de plus la mise en place d’un conseil municipal multi-partites avec une représentation équitable du PRI et des partis d’opposition, comme il avait été possible de négocier après les élections de 1995.
Les élections extraordinaires du 6 décembre se sont déroulées sans problème ni surprise dans les neuf municipalités et les quatre districts où elles n’avaient pas eu lieu du fait des inondations de septembre et du conflit politique à San Juan Chamula. Avec un abstentionnisme de 70 %, le PRI a gagné six mairies, le PRD deux et le PAN une. Le PRI a gagné les quatre sièges de députés.
Au niveau international, les critiques continuent
Au niveau international, les critiques faites au gouvernement mexicain concernant les violations des droits humains ont continué. Les conclusions des rapports sur le Mexique d’Amnisty International, de Human Rights Watch et de la Commission inter-américaine des droits humains de l’Organisation des États américains furent accablantes. Pierre Sané, directeur d’Amnisty International, a déclaré que la violation des droits humains au Mexique était chaque jour plus grave et que le gouvernement ne semble pas vouloir s’impliquer réellement pour protéger les droits humains dans ce pays. Lors de sa visite au Chiapas, le vice-ministre anglais des Relations Extérieures, Tony Lloyd, a rencontré différentes ONG, dont le SIPAZ. Il a fait remarquer que le gouvernement mexicain sait pertinemment que le traité commercial entre le Mexique et l’Union Européenne requiert le respect des droits humains au sein des nations participantes.
Human Rights Watch constate dans son rapport de 1998: « Sur la défensive depuis le massacre d’Acteal, le gouvernement fédéral n’a pas réagi pour freiner les sympathisants du PRI disposés à utiliser la violence, mais par contre, il a agi de façon agressive contre les sympathisants de l’EZLN et les observateurs internationaux au Chiapas.»
Cependant, à la fin de l’année dernière, le Mexique a fait preuve d’un changement significatif, lorsque que le Sénat de la République a approuvé la reconnaissance de la compétence de la Cour inter-américaine des droits humains de l’OEA dans tous les cas de violations des garanties individuelles. Toutefois, cette reconnaissance exclue les cas d’expulsion des étrangers sur la base de l’article 33 de la Constitution.
Pendant ce temps, les autorités mexicaines continuent à harceler les étrangers qui voyagent au Chiapas. Sept d’entre eux ont été cités en justice pour avoir participé à la commémoration du massacre d’Acteal le 22 décembre. Le premier janvier, les autorités de l’immigration ont poursuivi en justice trois membres d’une délégation de l’organisation américaine Global Exchange qui avaient visité la communauté zapatiste d’Oventic. Global Exchange a déclaré: «Dans aucun autre pays du monde, nos activités éducatives n’avaient déclenché une réaction aussi forte et agressive de la part des autorités. »
Concernant la critique que les organismes internationaux dirigent contre le gouvernement, la présidente de la Commission nationale des droits humains, Mireille Rocati, a déclaré que le gouvernement « ne devrait pas dire que chaque dénonciation n’est que pure fiction et n’est faite que pour attirer l’attention, il devrait plutôt examiner chaque cas individuellement. » Cela lui permettrait de corriger le mécanisme à l’origine de chaque violation de droits humains.
Consultation Nacionale
» pour la reconnaissance des droits des peuples autochtones et pour que cesse la guerre d’extermination »
La consultation sera réalisée le 21 mars 1999 dans les 32 États qui conforment le Mexique et dans les endroits à l’étranger où vivent des mexicain(e)s. Tous les mexicains et toutes les mexicaines de plus de 12 ans pourront y participer.
La consultation s’effectuera par vote ou selon les us et coutumes des communautés autochtones qui le désirent. Elle comporte quatre questions auxquelles il s’agit de répondre par « oui », « non » ou « ne sait pas ».
- Es-tu d’accord pour dire que les peuples autochtones doivent être inclus en prenant en compte toute leur force et leur richesse au sein du projet national et qu’ils doivent jouer un rôle actif dans la construction d’un nouveau Mexique ?
- Es-tu d’accord pour dire que les droits autochtones doivent être reconnus dans la Constitution mexicaine, conformément aux accords de San Andrés et en fonction du texte élaboré par la COCOPA ?
- Es-tu d’accord pour dire que nous devons parvenir à la paix véritable par la voie du dialogue, en démilitarisant le pays par le biais du retour des soldats dans leurs casernes, comme la Constitution et les lois l’établissent ?
- Es-tu d’accord pour dire que la société doit s’organiser et exiger que le gouvernement « commande en obéissant » dans tous les aspects que peut prendre la vie nationale ?
… … … … … …
Analyse
Chiapas: Jeux d’ombres et de lumières
Dans tout le Mexique, on analyse et on prédit que 1999, plus encore que 1998, sera une année de scénarios difficiles et adverses tant en ce qui concerne le développement économique du pays que pour ce qui a trait à l’atmosphère politique, en particulier les possibles avancées vers la paix au Chiapas. De nombreux signes viennent justifier la grisaille voire la noirceur des pronostics à court et moyen terme, dans tout le territoire national.
Au début de l’année, le ministre de l’Intérieur, Francisco Labastida Ochoa, a certes dit que: «En 1999, il n’y aura pas de problèmes insolubles.» Il est cependant peu probable que le gouvernement fédéral trouvera des solutions réelles aux graves problèmes toujours en suspens: l’économie domestique de plus en plus détériorée, la précaire situation des 40 millions de mexicains vivants en dessous du seuil de pauvreté, le conflit du Chiapas, la réduction des dépenses sociales, les scandales bancaires, le trafic de stupéfiants, le sentiment généralisé d’insécurité (en particulier en zones urbaines) et la multiplication des groupes armés, etc.
Tout ceci nous porte à croire que la situation deviendra encore plus conflictuelle dans les prochains mois; or, ni le gouvernement, ni les partis politiques ne semblent préparés à y faire face, moins encore quand les élections présidentielles de l’an 2 000 constituent une date limite contraignante dans l’agenda de tous les acteurs politiques. L’incapacité du gouvernement actuel à répondre à toutes ces questions en suspens au cours des années précédentes a généré un mécontentement social croissant.
Même au sein de l’armée, on peut entendre des voix dissidentes. Le Commando patriotique a ainsi rompu la tradition qui voulait que, jusqu’alors, les problèmes militaires étaient traités de manière interne. Les revendications de ce groupe vont bien au-delà d’une démocratisation et d’une restructuration de fond de la législation des forces armées. Dans la mesure où l’on ne sait pas encore quelle est la représentativité de ce groupe, il sera particulièrement intéressant de voir quelles seront les conséquences de cet incident: il pourrait modifier le rôle des forces armées dans la prise des décisions politiques du pays.
Il est également nécessaire de rappeler qu’au cours des cinq dernières années, le gouvernement mexicain a investi d’importantes sommes d’argent dans l’achat d’équipements militaires modernes et d’équipements spéciaux anti-émeutes. De plus, la formation (par exemple, dans la fortement critiquée « Ecole des Amériques« , aux États-Unis) en matière de guerre contre-insurrectionnelle et de guerre psychologique de centaines d’officiers militaires mexicains a considérablement augmenté. La mobilisation militaire constante, non seulement dans les communautés d’influence zapatiste mais également dans d’autres États comme Guerrero et Oaxaca, est un autre élément qui pousse au pessimisme quant à la distension et à la paix au Mexique.
La réponse du gouvernement aux critiques faites quant à son manque de capacité et de volonté pour résoudre les différents problèmes décrits précédemment, paraît se maintenir au niveau du discours et suit systématiquement le même schéma: minimiser et criminaliser. Cela est vrai aussi bien pour le mouvement zapatiste («le problème du Chiapas ne concerne que quatre municipalités ») que pour les militaires dissidents accusés d’être des délinquants et de représenter un mouvement isolé.
Au Chiapas, une autre source d’inquiétude naît de la prolifération de groupes civils armés, principalement affiliés au parti officiel (PRI). Le débat engagé ces derniers temps pour savoir si ces groupes sont ou non paramilitaires, comme les ont qualifiés les zapatistes et différentes organisations de droits humains, semble distraire l’attention publique de ce qui devrait être au coeur du débat; soit, l’absence d’une réponse adéquate de la part des autorités pour mettre fin à l’existence de ces groupes, quel que soit leur nom. En ce sens, on ne voit pas clairement comment l’initiative pour l’amnistie et le désarmement des groupes armés, proposée par le gouvernement du Chiapas, pourrait contribuer à clarifier leur fonctionnement ou leurs responsabilités dans les situations de violence générées dans l’État au cours des dernières années. Au contraire, l’amnistie pourrait garantir leur impunité et leur anonymat.
Dans un panorama aussi obscur et peu encourageant, la consultation nationale convoquée par les zapatistes pour le mois de mars, pourrait être un moyen de débloquer la complexe situation des négociations de paix. Cette consultation n’est pas seulement une invitation faite à la société mexicaine pour qu’elle se prononce sur l’incorporation de l’initiative de loi indigène de la COCOPA à la Constitution. Elle vise également à créer une grande mobilisation de la société civile. Les zapatistes mise sur cette mobilisation comme un facteur qui pourrait faciliter la reprise des dialogues de paix, ce qui devra cependant passer par la réalisation des cinq conditions posées par l’EZLN: entre autres, le respect des Accords de San Andrés et la mise en place d’une instance médiatrice reconnue par les zapatistes et le gouvernement fédéral.
Pendant ce temps, les discours des deux parties en conflit se sont de plus en plus polarisés et chacune utilise simultanément la même information pour rendre responsable son adversaire de tous les maux. Par exemple, elles s’accusent mutuellement de la stagnation du dialogue, du manque de véritable volonté politique pour négocier, et du massacre d’Acteal.
En ce qui concerne ce dernier point, une année après le massacre, on note peu d’avancées, tant en termes juridiques qu’en ce qui concerne les conditions de retour des milliers de déplacés, ou encore, pour ce qui à trait au démembrement des groupes civils armés. Les conclusions du Livre Blanc sur Acteal du bureau du Procureur général de la République sont très semblables à celles déjà présentées l’année précédente, ce qui n’apporte rien de nouveau à l’enquête. Le fait de ne pas reconnaître l’implication de certains éléments des forces de sécurité dans l’aide apportée aux groupes paramilitaires ainsi que le fait que ces groupes continuent à opérer en toute impunité minent la crédibilité de ce rapport.
Au cours des derniers mois, le gouvernement fédéral a fait pression pour établir un dialogue direct avec l’EZLN. L’armée zapatiste s’y refuse catégoriquement aussi longtemps que les conditions qu’elle a posées il y a déjà plus de deux ans ne seront pas remplies. Entre temps, le gouvernement s’est montré ouvert à la possibilité d’une médiation nationale, excluant la présence de toutes organisations ou personnalités étrangères. Pendant ce temps, plusieurs secteurs de la société mexicaine, répondant à l’appel des zapatistes et également de leur propre initiative, incitent à un renforcement de la société civile pour qu’au sein de celle-ci, un groupe de mexicains et de mexicaines s’attelle à cette tâche urgente.
Heureusement, il existe aussi une forte préoccupation de la part de la communauté internationale pour qu’une solution juste et durable soit trouvée au Chiapas. Cela constitue un message constructif fondamental à faire parvenir à un gouvernement qui est hautement préoccupé par son image internationale. Cela s’est clairement vu, au début janvier, durant la réunion annuelle des ambassadeurs mexicains et du gouvernement fédéral: le gouvernement a demandé aux ambassadeurs de faire connaître dans les pays où ils sont en poste, les efforts réalisés par les autorités mexicaines pour parvenir à la paix au Chiapas.