DOSSIER : La « Voix de Cerro Hueco », un cri venu de derrière les barreaux
31/05/1999SYNTHÈSE
30/11/1999ACTUALITÉ : Chiapas, Nouvelle vague de harcèlements
Le président Zedillo, au cours de sa quatrième visite au Chiapas depuis le début de l’année, a déclaré que
«le gouvernement n’aurait jamais recours à la violence ou à la répression face aux opposants. Le gouvernement veut le dialogue, la négociation. […] Heureusement, il n’existe au Mexique aucune répression d’aucun type. […] Le fait qu’il existe des divisions et des affrontements dans quelques communautés du Chiapas (en particulier dans les communautés indigènes) nous attriste beaucoup et devrait constituer une préoccupation pour tous. Il est très triste que, par intolérance politique, ethnique ou religieuse, des affrontements entre frères continuent à avoir lieu.»
(La Jornada, 18 mai 1999)
Ce commentaire a été renforcé par Emilio Rabasa, le coordinateur gouvernemental pour le Dialogue et la Réconciliation soulignant qu’
«[au Chiapas] la stratégie [gouvernementale], à un an et cinq mois du massacre d’Acteal, a permis un climat de distensions et de stabilité. […] Aujourd’hui […], la concorde et la vie en commun sont favorisées»
(‘La Jornada’, 30 mai 1999)
Au même moment, fin mai, Diodoro Carrasco Altamirano a remplacé Francisco Labastida Ochoa au poste de Secrétaire d’Etat. Ce dernier a démissionné pour pouvoir se consacrer pleinement à sa pré-campagne présidentielle. Début juin, ce changement a permis une réunion (la première en dix mois) entre la COCOPA (Commission pour la Concorde et la Pacification) et le Secrétaire d’Etat. Le député López y Rivas du PRD (Parti de la Révolution Démocratique) a demandé si le gouvernement fédéral était prêt à présenter un nouveau projet de loi en ce qui concerne les ‘Droits et Culture Indigène’ ou à retirer celle qu’il avait déjà présentée. La réponse fut que le Secrétaire d’Etat «allait prendre ce commentaire en considération», sans s’engager sur aucun accord concret.
Bien que tous ces éléments semblent prouver la bonne volonté supposée des représentants du gouvernement, la réalité ne correspond pas aux discours. En effet, quelques jours plus tard, au cours des deux premières semaines de juin, on a pu observer une augmentation significative des incursions militaires et policières dans des communautés zapatistes ; des détentions arbitraires de présumés zapatistes ; des harcèlements par les militaires dans les barrages routiers ainsi que l’installation de nouveaux campements militaires. Entre cent et mille policiers et militaires ont pris part à chacune de ces incursions. Pour justifier ces opérations, les autorités locales et fédérales ont prétexté l’application de la Loi sur les armes à feu et explosifs, la lutte contre le trafic de drogue, la détention de délinquants, la nécessité de s’assurer que l’aide gouvernementale pouvait être distribuée et la protection de populations qui en avaient fait la demande.
Des incursions ont été enregistrées dans une dizaine de communautés des « Cañadas » d’Ocosingo (comme La Trinidad et Nazareth). Elles ont été à l’origine d’une grande peur parmi la population. Cinquante familles originaires de Nazareth et sympathisantes de l’EZLN ont ainsi pris la fuite et se sont réfugiées dans une communauté voisine. A la fin du mois de juin, au cours d’une visite de SIPAZ à la zone, les déplacés de Nazareth nous ont affirmé : «Il existe des mandats d’arrêt contre nous pour des délits fabriqués de toute pièce. Nous ne pouvons pas revenir à cause de cela. Certains de nos enfants sont restés là-bas et les membres du PRI ne nous laissent pas passer pour leur donner à manger».
Au cours des opérations de El Censo et Pavorreal (également dans la municipalité d’Ocosingo), des militaires et des policiers ont détenu de supposés zapatistes en les accusant de délit de droit commun. Les habitants de ces communautés ont parlé dans leurs témoignages de la destruction de maisons, de biens domestiques et de mauvais traitements physiques. Lors de la mise sous presse de cet article, les patrouilles de l’armée continuaient dans la zone. Selon les autorités des communautés zapatistes, durant les patrouilles, les militaires soumettaient les habitants à des interrogatoires agressifs.
Au cours des derniers mois, on a également pu noter une attitude plus agressive dans les barrages policiers, militaires et de l’immigration. A plusieurs reprises, des membres d’ONG ont fait l’objet d’intimidations ou ont été empêchés de libre transit. Les militaires exercent des fonctions policières (détentions) ou migratoires (enregistrer les papiers des étrangers) et les agents de l’immigration posent des questions de type « intelligence militaire » (sur de possibles contacts avec les zapatistes).
Le Rapport de la Conférence de l’Episcopat mexicain explique que, dans le conflit du Chiapas, le gouvernement a utilisé deux types de stratégies : affaiblir l’EZLN et critiquer le diocèse de San Cristóbal, y compris ses deux évêques, Samuel Ruiz et Raul Vera. Il indique encore que le statu quo des négociations est dû à l’intolérance des deux parties et à l’absence de la mise en place des accords de San Andrés.
Appuis économiques
En avril, mai et juin, la propagande du gouvernement sur la remise d’armes de supposés zapatistes en échange d’un appui économique gouvernemental s’est poursuivie. L’EZLN et certaines organisations sociales locales ont qualifié ces événements de » farce et théâtre ».
Au niveau fédéral, le gouvernement a engagé un programme sans précédent qui prévoit une forte présence gouvernementale dans 116 communautés des « Cañadas » d’Ocosingo, Las Margaritas et Altamirano. Ce programme sera mis en place par le biais d’un budget de près de 109 millions de pesos (environ 11 millions de dollars américains), qui, en théorie, bénéficierait directement à plus de 3000 producteurs. Le projet inclut un prêt de la Banque Mondiale. En prévision de l’implacable opposition zapatiste pour empêcher le gouvernement de réaliser ce programme dans les communautés sous son influence, le Procureur Général du Chiapas, Eduardo Montoya Liévano, a récemment déclaré que «le gouvernement garantirait que l’aide parviendrait aux communautés même s’il devait pour cela recourir à la force publique». Il est à craindre que ce nouveau programme servira à augmenter le conflit social dans la zone. Ces inquiétudes augmentent encore lorsque l’on sait que l’organisme aidant le gouvernement à élaborer sa stratégie productive au Chiapas est le Cabinet de Conseil Alternative A.C., dirigé par Diana Orive, sœur d’Adolfo Orive, personnalité de la ligne dure qui a été l’un des principaux architectes de la politique poursuivie par l’administration Zedillo au Chiapas.
Acteal
Le 20 mai, Mariano Pérez Ruiz, ex-militaire accusé d’entraîner le groupe paramilitaire auteur du massacre d’Acteal, a été condamné. Toutefois, comme pour les 10 ex-policiers précédemment jugés, il a seulement été condamné pour délit de port d’armes réservées à l’usage exclusif de l’armée, soit deux ans de prison avec la possibilité de sortie sous caution. L’armée a reconnu qu’il était effectivement militaire mais qu’il se trouvait en vacances lorsque la relation avec le groupe paramilitaire a été établie. L’accusé a dans un premier temps confirmé cette version des faits, puis a déclaré avoir agi sur ordre de l’armée. De la même façon, le 19 juillet passé, 20 détenus ont été condamnés à 35 ans de prison pour meurtre qualifié, lésions graves et port d’armes à feu sans licence et à l’usage exclusif de l’armée mexicaine.
D’autres éléments dans le cadre de cette enquête ont inclus l’arrestation de Victorio Arias Pérez, un des dirigeants présumés des paramilitaires responsables du massacre d’Acteal ainsi que l’exécution de trois autres mandats d’arrêt.
Amnistie Internationale a par ailleurs demandé au gouvernement des Etats-Unis qu’une enquête soit menée sur Julio César Ruíz Ferro (qui était gouverneur du Chiapas lorsqu’a eu lieu le massacre et qui travaille désormais pour l’ambassade mexicaine des Etats-Unis) afin de connaître sa responsabilité dans ce massacre. Cette demande a été rejetée par le sous-secrétaire pour l’Amérique du Nord et l’Europe, Juan Rebolledo Gout, sous prétexte «qu’il n’y a pas de nations exemptes de violations des droits humains dans le monde».
La CNDH
La Commission Nationale pour les Droits Humains (CNDH) a constaté que la « dégradante » pratique de la torture persiste au Mexique. Selon son rapport, en 1998, 21 cas de tortures ont été enregistrés. Le bureau du Procureur Général de la République (PGR) et le Secrétariat de la Défense Nationale sont apparus comme les deux principales instances dans lesquelles des fonctionnaires se sont rendus responsables de ce type de faits.
Pour la première fois dans l’histoire, la Commission a publié des chiffres se référant à la SEDENA. Elle a dit avoir reçu 1679 plaintes, dans la majorité des cas de la part de civils et pour au moins 400 d’entre eux par des militaires dans l’exercice de leurs fonctions ou par des déserteurs.
La CNDH a de plus proposé une réforme législative pour réduire la confusion existant pour définir l’autorité la plus indiquée pour traiter les cas de violations de droits civils de la part de militaires. Le Centre des Droits Humains Miguel Augustín Pro Juárez a affirmé à ce sujet que le Code de Justice Militaire ne pouvait en aucun cas prévaloir sur la Constitution Générale (l’article 13 mentionne que les procès de violations de droits civils devaient être présentés devant une autorité civile), ni sur les Conventions Internationales de droits humains signées par le gouvernement mexicain et ratifiées par le Sénat de la République, de sorte qu’une réforme législative s’avèrerait inutile.
La CNDH a elle-même été l’objet d’un changement législatif lorsque, début juin, par le biais de l’approbation des réformes à l’article 102 de la Constitution, elle a reçu pleine autonomie face au pouvoir exécutif fédéral. C’est maintenant le Sénat de la République qui est responsable de nommer son titulaire. L’augmentation des pouvoirs de la CNDH pour traiter les questions électorales et liées au monde du travail n’a en revanche pas été acceptée.
Autres thèmes
En avril 1999, le député fédéral du PRD, Gilberto López y Rivas, alors président de la COCOPA, a annoncé que la fraction PRD de la Chambre des Députés détenait des informations sur le fait qu’au Chiapas de nombreux camps d’entraînement de groupes paramilitaires financés par les gouvernements locaux et fédéral avaient été mis en place. Deux célèbres membres du PRI du Chiapas ont demandé la démission de López y Rivas pour atteinte à la réalité du Chiapas et à la fonction de la COCOPA. En réponse, ce dernier a présenté les informations qu’il détenait au Procureur Général de la République exigeant qu’une profonde enquête soit réalisée.
Au cours de la seconde rencontre entre des représentants de la société civile et l’EZLN (8 et 9 mai 1999), l’Armée zapatiste a invité les coordinations nationales, étatiques et municipales de la Consultation à se transformer en structures de contact entre l’EZLN et la société civile. Le 20 juin, un second forum pour l’Etat du Chiapas a été réalisé. Plus de 70 organisations sociales mexicaines y ont participé.
En juillet, quatre partis de l’opposition et le Sénateur Pablo Salazar (qui a récemment démissionné du PRI) ont signé un accord pour élire un candidat unique pour les élections au poste de gouverneur du Chiapas (prévues pour l’an 2000). La nouvelle coalition, appelée « Mouvement de l’Espoir », inclue le Parti d’Action Nationale (PAN), le Parti de la Révolution Démocratique (PRD), le Parti Vert Ecologiste du Mexique (PVEM) et le Parti du Travail (PT). Bien que l’accord ne mentionne pas quel sera le candidat, Salazar a exprimé son désir d’entrer dans la bataille électorale. Alors qu’il était encore membre du PRI, il avait fortement critiqué la politique du gouvernement par rapport au Chiapas. La nouvelle coalition représente un défi d’un formidable potentiel face à l’historique présence du PRI dans la politique du Chiapas.
Au niveau international
Dans son rapport annuel de 1998, Amnistie Internationale a affirmé qu’elle continuait à recevoir des dénonciations pour violations des droits humains, violations commises par l’armée fédérale et par les groupes paramilitaires liés au gouvernement mexicain. Elle a ajouté que les violations les plus fréquentes concernaient des prisonniers politiques, le harcèlement de dirigeants d’ONG et l’expulsion d’observateurs internationaux.
Aux Etats-Unis, un ex-capitaine de l’armée mexicaine a obtenu le droit d’asile sous le motif de poursuite pour avoir refusé de tuer des rebelles zapatistes faits prisonniers. Il est aux Etats-Unis depuis 1994. Au cours du procès (une première dans son genre), la juge nord-américaine en charge du dossier a dit que selon deux rapports de droits humains et le témoignage d’un expert, il y avait de bonnes raisons de croire que l’armée mexicaine avait torturé et tué des rebelles zapatistes.
De plus, le 1er juillet, le Sénat des Etats-Unis a accordé une aide financière et en a profité pour exprimer sa préoccupation pour la non résolution du conflit du Chiapas : «La militarisation de la région, incluant la violence perpétrée par des groupes paramilitaires pro-gouvernementaux, a provoqué la mort de civils et à forcer des milliers de personnes à fuir ». Notant le peu d’avancées vers une solution, le Sénat a invité le gouvernement mexicain à prendre rapidement une décision quant à la date de la visite du Haut-Commissaire pour les droits humains de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et «pour prendre les mesures qui permettraient de créer les conditions nécessaires qui conduiraient à un dialogue politique».