DOSSIER : La « Voix de Cerro Hueco », un cri venu de derrière les barreaux
31/05/1999SYNTHÈSE
30/11/1999ANALYSE : Discours de paix, politique de force
La situation au Chiapas s’est à nouveau dégradée au cours des derniers mois. La recrudescence de la violence à porter sur le compte des forces de sécurité est apparue alors que le mouvement zapatiste avait repris l’initiative et démontré une fois encore son pouvoir de convocation. Par le biais de sa rencontre avec la société civile, en novembre 1998, de la Consultation zapatiste sur les Droits et la Culture Indigène en mars passé et les deux forums successifs en avril et en juin, l’EZLN a pu démontrer qu’elle continuait à être un acteur avec lequel il fallait compter.
Au niveau de l’Etat du Chiapas, ces derniers événements ont permis à l’Armée zapatiste un nouveau rapprochement avec les organisations sociales qui, sans toujours partager les mêmes moyens de lutte, ont les mêmes revendications.
A l’échelle nationale, l’EZLN a trouvé un écho auprès d’autres mouvements populaires qui ont marqué l’actualité récente: l’effort d’organisation sociale de ceux s’opposant à la privatisation du secteur électrique et le mouvement étudiant de l’Université Autonome de México, en grève depuis plus de deux mois. Le Chiapas ne suscite certes plus autant d’intérêt qu’au début du conflit, mais force est de reconnaître que l’EZLN a ouvert les portes à de nouvelles formes d’organisation et à une autre façon de concevoir la politique. Elle a aussi réussi à imposer et maintenir la question indigène parmi les thèmes en suspens de l’agenda politique national.
Face à cette persistance du mouvement zapatiste, après cinq ans de tentative de sabotage, la stratégie du gouvernement de l’Etat du Chiapas s’est progressivement adaptée. Dans un premier temps, au début de l’année, le gouvernement a présenté plusieurs projets de loi qui paraissaient chercher une solution au conflit en maintenant l’EZLN à l’écart: « Loi d’amnistie pour le désarmement des groupes civils », « Loi sur les droits et la culture indigène », projet pour redéfinir les limites de certaines municipalités (voir le précédent bulletin de mai 1999).
Puis, à peine une semaine après la Consultation zapatiste, a débuté une campagne publicitaire faisant état de supposées « désertions » de zapatistes. Cette offensive visait à suggérer à l’opinion publique que le conflit avait perdu en intensité et que l’EZLN ne comptait plus sur le même soutien des communautés indigènes. La remise d’armes et de passe-montagnes s’est répétée en plusieurs endroits, générant une grande confusion même s’il s’est plus tard avéré que les supposés « zapatistes » ne l’étaient plus depuis au moins 1995, voire qu’ils ne l’avaient jamais été. Certains d’entre eux ont même publiquement reconnu s’être prêtés à cette mascarade en échange d’aides économiques. Par cette campagne accompagnée de promesse de nouvelles aides, le gouvernement mise sur le fait que la guerre d’usure menée face aux communautés indigènes, en résistance depuis plus de cinq ans, va porter ses fruits. Il prétend répondre (certains diront feindre répondre) aux demandes exprimées par les zapatistes… sans les zapatistes, pour que l’opinion publique pense que la situation au Chiapas est désormais contrôlée.
Finalement, le gouvernement semble avoir opté pour un retour à la stratégie de force. Comme par le passé, les actions de harcèlement n’ont pas été dirigées exclusivement contre des zapatistes mais également contre des organisations sociales et paysannes qui pourraient constituer de possibles alliés pour l’EZLN.
Depuis février 1995, date à laquelle l’armée fédérale est entrée dans la Forêt Lacandone pour arrêter le Haut Commandement zapatiste, le gouvernement fédéral et celui du Chiapas n’ont guère changé leurs discours et leurs appels au dialogue et pour la paix. Dans le même temps, les harcèlements par la police et l’armée se poursuivaient. Exemple en est le démantèlement de quatre « municipalités autonomes », l’année passée.
Au cours des dernières actions, la Police a joué un rôle plus actif que l’armée. En effet, cette dernière ne peut agir de manière visible, tombant sous le joug de la Loi pour le Dialogue de mars 1995. Il est facile de trouver un prétexte pour entrer dans les communautés lorsqu’il existe autant de problèmes – supposés ou réels – entre zapatistes et militants du PRI. D’autre part – et bien que non mandatée par la Constitution pour ce rôle -, l’armée se montre de plus en plus agressive sur les barrages routiers, en particulier dans la zone des Hauts-Plateaux.
Ces actions récentes pourraient répondre à différents objectifs: une répression modérée et de constantes intimidations peuvent prétendre créer une peur suffisante parmi la population pour que celle-ci cesse de soutenir l’EZLN (c’est la stratégie de contre-insurrection décrite dans les manuels où il s’agit de «vider l’eau du bocal pour asphyxier le poisson»); provoquer une réaction violente de la part des zapatistes permettrait de justifier un durcissement de la stratégie militaire.
Certains analystes pensent également que la formation de groupes paramilitaires est partie intégrante de la stratégie de « contre-insurrection » du gouvernement. Depuis le massacre d’Acteal, amplement condamné par la communauté nationale et internationale, il n’y a pas eu d’actions violentes aussi « visibles » de la part de groupes de ce type. De nombreuses plaintes rendant compte de la formation et de l’entraînement de groupes armés ou de menaces proférées par ceux-ci continuent cependant à s’accumuler. Dans la région de Taniperlas, où une municipalité autonome zapatiste avait été démantelée l’an passé, nous avons pu écouter une intéressante et beaucoup plus ample définition de ce que sont les paramilitaires : « Ce sont ceux qui aident la police ou les militaires » en dénonçant des dirigeants de communauté ou d’organisations, des personnes sympathisantes zapatistes et même des défenseurs des droits humains.
Certains ont voulu voir dans le changement au sein du gouvernement fédéral un signe positif pour le Chiapas, rappelant le travail réalisé par Carrasco Altamirano en tant que gouverneur de l’Etat de Oaxaca (où une loi sur les Droits et la Culture indigène existe d’ores et déjà). Mais son discours « Il n’y aura pas de changement dans la position du gouvernement pour privilégier la solution au conflit par le biais du dialogue » semble indiquer la poursuite de l’actuelle politique gouvernementale, d’autant que la recrudescence de la violence a coïncidé avec son investiture.
Dans le cadre des élections présidentielles de l’an 2000, le thème du Chiapas se voit relégué au second plan, ce qui constitue un élément préoccupant quant à la possible résolution du conflit. La Une des journaux ne parle que de la lutte interne des différents partis pour choisir leurs futurs candidats. Le fait que le PAN n’ait pas assisté à la première réunion entre la COCOPA et le nouveau Secrétaire d’Etat après un désaccord avec le PRI montre clairement ses priorités partisanes.
Par ailleurs, aborder le thème du Chiapas au cours du débat électoral désavantagerait le gouvernement fédéral et son parti étant donné le peu d’avancée vers la résolution du conflit. Pour le gouvernement de Zedillo, il serait préférable de chercher à « gérer » le conflit jusqu’à l’an 2000, en poursuivant sa stratégie d’usure mais en évitant dans la mesure du possible une confrontation ouverte avec les zapatistes.
« On prend les mêmes et on continue » pourrait être la phrase résumantles événements récents du Chiapas. D’un côté, les discours du gouvernement pour le dialogue et la paix, accompagnés d’une politique sociale d’odeur préélectorale. De l’autre, l’EZLN engageant des actions lui garantissant une plus grande audience nationale et internationale pour ne pas se voir exclue de l’agenda politique et cherchant à construire des alliances avec d’autres mouvements.
Face à cette situation, il est peu probable que l’on avance dans le sens d’une résolution du conflit. Au contraire, les derniers événements et les aménagements politiques à tous les niveaux pourraient aggraver les situations conflictuelles dans la lutte pour le pouvoir au Mexique.