2015
10/04/2017ACTUALITÉ : Mexique – Sous la pression des Etats-Unis et au cœur d’une crise des Droits de l’Homme
06/07/20172016 a marqué les 10 ans du début de la guerre lancée contre la délinquance par l’ancien président Felipe Calderón Hinojosa (2006-2012), le bilan étant des plus alarmants : assassinat de 186 000 personnes, plus de 28 000 disparitions forcées (auxquelles s’ajoutent 11 nouveaux cas chaque jour, selon le Centre ProDH), des dizaines de milliers de personnes déplacées ; des chiffres comparables à ceux des conflits armés en Amérique Centrale dans les années 80. Plus d’un billion de pesos ont d’ores et déjà été dépensés, sans que l’insécurité et les atteintes à la population civile ne diminuent pour autant, et alors que les violations des Droits de l’Homme s’aggravent. De plus, bien que certaines têtes de réseaux aient été arrêtées, 9 cartels et 37 bandes du crime organisé continuent d’opérer. Les organisations civiles jugent que “le durcissement des mesures de sécurité n’a pas permis et ne réussira pas à diminuer la violence dans le pays. Nous vivons aujourd’hui dans un pays beaucoup plus dangereux, aux institutions plus faibles et avec un système de justice pénale qui ne fonctionne pas”.
L’Armée est l’un des éléments les plus critiqués de cette stratégie, celle-ci ayant été déployée (hors de son mandat constitutionnel) pour assurer des missions de sécurité. En décembre, le Ministre de la Défense, le général Salvador Cienfuegos Zepeda, s’est montré direct : “On ne forme pas les militaires pour poursuivre des délinquants”. Et face à l’absence de cadre légal, “ils y pensent à deux fois avant de continuer ou pas d’affronter ces groupes, vu qu’ils courent le risque d’être inculpés pour un délit en relation avec les Droits de l‘Homme”. Il a déclaré: “Nous remplissons des fonctions qui ne sont pas les nôtres, tout ça par manque d’effectifs parmi ceux dont c’est le mandat, ou parce qu’ils ne sont pas formés“. Peña Nieto a par la suite affirmé que les militaires resteraient dans la rue “tant que l’objectif visé de plus de paix et de tranquillité dans le pays n’était pas atteint”.
Autour ces mêmes dates, un projet de Loi de Sécurité Intérieure, qui permettrait de normaliser la participation militaire dans les tâches de sécurité publique, était justement débattu au sein du Congrès. Le Centre Pro DH a questionné le fait qu’“au lieu d’entreprendre sérieusement un programme de retrait progressif des Forces Armées des tâches de sécurité -comme les mécanismes internationaux l’ont proposé-, on relance l’idée de créer un cadre légal ad hoc pour l’Armée et la Marine, ce qui normalise l’état d’exception”.
Par ailleurs, dans son rapport « Les chemins de résistance », le Centre des Droits de l’Homme Fray Bartolomé de Las Casas (CDHFBC) a affirmé que le conflit armé interne au Chiapas était toujours d’actualité en ces termes : « D’abord, il n’y a pas d’accords de paix et les autorités n’ont jamais donné de réponses aux exigences de l’EZLN; en second lieu, parce que l’État mexicain, par action ou par omission, maintient une politique agressive et une stratégie de contre-insurrection qui sont mises en œuvre par les différents niveaux du gouvernement. La cooptation des organisations paysannes, indigènes et sociales afin de contrôler la population et le territoire pour des raisons politiques et électorales persiste, par le biais de programmes de subventions et de projets gouvernementaux conditionnés. La fragilisation du tissu social dans les communautés et peuples continue aussi de diverses manières (…); et les initiatives des organisations sont criminalisés». D’autre part, le CDHFBC a soutenu que « la résistance et les efforts de construction d’alternatives de la part des communautés et des bases de soutien de l’EZLN, leurs initiatives, continuent à convoquer d’autres personnes, des intellectuels, des militants et des organisations indépendantes du monde entier».
Toutefois, dans ce même rapport, le CDHFBC a déclaré que les actions de contre-insurrection vont au-delà de l’EZLN et « sont désormais complétées par des stratégies de guerre de spectre plus ample». Il a cité en exemple le mouvement enseignant qui s’opposait à la réforme de l’éducation approuvée en 2013. Celui-ci a maintenu une grève de 4 mois faisant face à un contexte d’escalade de la violence répressive qui a culminé à Nochixtlan, au Oaxaca, laissant un bilan de 8 morts, des dizaines de blessés et de personnes arrêtées. Dans ce cadre, diverses organisations de défense des droits de l’Homme ont dénoncée l’utilisation immodérée de la force publique, l’augmentation des campagnes médiatiques de diffamation et de criminalisation contre les enseignants, ainsi que la détention arbitraire d’au moins 75 personnes, parmi lesquelles plusieurs leaders syndicaux.
Autre source de conflits politiques et sociaux : selon la revue Proceso, il existerait plus de 250 conflits sociaux dans tout le pays liés pour la plupart au Plan National d’infrastructure (PNI) lancé en 2013. Ce plan prévoit la construction de méga projets et de centaines de travaux publics tels que la construction de 16 nouveaux gazoducs et 21 projets électriques, des parcs d’énergie éoliennes, hydro et thermo électrique. Pour s’opposer à ces plans au moins 52 mouvements sociaux et communautaires ont vu le jour. Les membres de ces mouvements sont souvent victimes de répressions et d’agressions. Action Urgente pour les Défenseurs des Droits de l’Homme considère que ces répressions et agressions font partie « d’ une stratégie de contrôle social de la population. »
Ce contexte a conduit à une augmentation des déplacements forcés, comme le CDHFBC l’a souligné dans un bulletin de décembre 2016: “Au nombre historique de communautés déplacées depuis les années 1994-2000 qui n’ont pas pu retourner sur leurs terres à cause des menaces des groupes paramilitaires, s’ajoutent aujourd’hui des centaines de déplacé-e-s dans un nouveau contexte de guerre et de violence générées par les pouvoirs ‘de facto’ en place qui, avec la connivence du gouvernement, des entreprises et du crime organisé, ruinent la vie des villages et la vie communautaire en général, en détruisant le tissu social, pour confisquer et contrôler les territoires, ainsi que pour détruire l’organisation autonome des peuples originaires”.
Le thème de la Terre, du Territoire et des ressources naturelles s’est confirmé comme l’un des principaux en ce qui concerne les stratégies de défense des peuples: en novembre, des milliers de manifestants sont arrivés à San Cristóbal de Las Casas après être passés par 11 municipalités des régions du Nord, de la Forêt Lacandone et des Hauts Plateaux. Ils ont marché 12 jours pour dénoncer l’insécurité qu’ils subissent dans leurs villages, et appartiennent au Modevite (Mouvement en Défense de la Vie et du Territoire), “composé de 10 paroisses de 11 municipalités et 1 ejido” et dont l’objectif est d’“organiser et inciter les peuples indigènes de la zone à construire leur autonomie en tant que peuples originaires et à défendre ainsi notre Terre-Mère”.
Toujours en matière de conflits politiques et sociaux, depuis les dernières élections municipales, la victoire du Parti Vert Écologiste Mexicain (PVEM) en a déclenché plusieurs dans des régions auparavant dominées par le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) comme à Chamula, Oxchuc, Chanal et Chenalhó.
En octobre, dans le cadre du 20ème anniversaire du Congrès National Indigène (CNI), le cinquième Congrès national indigène s’est tenu à San Cristobal de Las Casas. À la fin de l’événement, le CNI et l’EZLN ont émis un communiqué intitulé « Et que tremble en ses centres la terre» (paraphrasant ainsi l’hymne national mexicain). Ils ont dénoncé 27 situations d’injustice auxquels les peuples autochtones du pays font face. Ce qui a fait le plus de bruit a été l’annonce du début d’un processus de consultation à leurs bases de soutien pour voir s’ils nomment un conseil autochtone du gouvernement et invite une femme indigène à les représenter aux élections présidentielles de 2018.
En novembre, 33 ans après sa création, l’EZLN a précisé que “c’est bien le CNI qui décidera ou pas de présenter une candidate et il pourra, le cas échéant, compter sur le soutien du zapatisme”. Mais “Non, ni l’EZLN comme organisation ni aucun-e de ses membres ne se présentera aux élections de 2018 pour un mandat populaire. Non, l’EZLN ne se transformera pas en parti politique. Non, l’EZLN ne présentera pas une femme indigène zapatiste comme candidate à la présidence de la République (…). Non, l’EZLN n’a pas changé de posture, et ne continuera pas le combat sur le terrain électoral institutionnel ”.
En décembre, le CNI et l’EZLN ont confirmé la décision de mettre en œuvre cette proposition qui avait déjà été consultée dans 525 communautés appartenant à 43 ethnies de 25 états mexicains. 430 d’entre elles l’avaient déjà approuvé.