Activités du SIPAZ (De la mi-mai à la mi-août 2018)
02/10/2018DOSSIER : Le drame des personnes déplacées au Mexique – Un défi (parmi d’autres) pour le nouveau gouvernement
02/10/2018Dans un état multiculturel comme le Chiapas, qui avec celui du Oaxaca hébergent la plus grande diversité des peuples originaires au Mexique, la lutte pour le droit des peuples à disposer d’eux même et pour leur autonomie est historique. Dans les années 90, lors des Accords de San Andrés sur le droit et la culture indigène, ce droit se trouvait déjà au cœur des revendications des zapatistes.
Au cours de cette année électorale, on a souvent entendu parler d’Oxchuc, de Chilón et de Sitalá. Ces trois municipalités du Chiapas, qui ont une grande expérience en matière d’organisation, ont travaillé à la constitution de gouvernements communautaires régis par leurs propres systèmes normatifs. Oxchuc est d’ailleurs la seule municipalité de l’état où les élections municipales ont officiellement été suspendues et ce jusqu’à ce que l’Institut National d’Anthropologie et d’Histoire (INAH) termine l’expertise que lui a demandée le Tribunal Electoral de l’Etat du Chiapas. Il s’agit de définir la validité des élections qui se déroulent selon le système coutumier.
L’avocate Ivette Galván García, coordinatrice de la Commission de Litige Stratégique de la Mission de Bachajón qui accompagne les processus juridiques des cas de Chilón et de Sitalá, insiste sur le fait que ”parler des débuts du gouvernement communautaire, c’est aussi parler des processus de luttes qu’il y a eues au Chiapas”. “La défense de l’autonomie politique, à travers la construction de gouvernements communautaires, est aussi une lutte pour la défense du territoire”. Ivette Galván indique que tout a commencé en 2015, lors des élections municipales, quand les habitants de ces municipalités avaient manifesté leur mécontentement par un vote nul. Ils reprochaient aux partis politiques d’être à l’origine de la division et de la rupture de l’harmonie communautaire, dites “lekil kuxlejalil“ en tzeltal.
Début 2016, à la recherche d’un nouveau mode d’organisation politique, les municipalités de Chilón et de Sitalá ont commencé à organiser des colloques. Et ce avec le soutien de la Mission de Bachajón, et plus précisément de son pôle défense, qui n’est autre que le Centre des droits Indigènes AC (CEDIAC). Ces réunions, où l’on échangeait ses connaissances, avaient pour but de devenir un espace de réflexion pour les communautés sur leurs anciennes formes d’organisation et de mettre au point une nouvelle forme de gouvernement qui renforcerait le tissu social, permettrait plus de transparence et qui respecterait leurs modes de vie.
L’étape suivante de la systématisation des avancements des colloques est directement liée à l’échange d’expériences avec d’autres villages, tel Chéran (Michoacan), un cas paradigmatique de la lutte pour l’autonomie politique au Mexique. Aussi, en novembre 2016, Chilón et Sitalá ont reçu le soutien du Mouvement qui Défend la Vie et le Territoire (MODEVITE). Lors de la clôture de son grand pèlerinage de 15 jours, le MODEVITE a exigé que ces “modèles communautaires d’exercer le gouvernement et l’autorité” soient reconnus. Il a aussi affirmé que “l’organisation communautaire est notre arme contre la division, le remède contre la peur et pour alimenter l’espérance au cœur de nos villages”.
D’après Galván, ces étapes représentent “les bases de la réflexion, qui se sont concrétisées en 2017 dans chacune des assemblées des communautés avec l’élection de représentant.e.s communautaires”. Ceux qui ont été élus “promoteurs du gouvernement communautaire”, sont devenus responsables de leurs communautés et chargés de présenter leurs revendications auprès de l’IEPC: « que l’élection des autorités municipales se fasse par le système coutumier et que le pouvoir soit exercé selon les habitudes tzeltales”.
Toutefois, en raison d’un vide législatif entre le code électoral de l’état du Chiapas en matière de reconnaissance et l’exercice du droit à l’auto détermination, suite à la judiciarisation des cas en janvier 2018, les autorités ont souvent fait obstacle. Galvan fait remarquer que la création de réseaux par des avocats militants qui accompagnent ce genre de cas a été utile face à ces obstacles. Le fait est que les jugements qui ont fait jurisprudence en 2011 relatifs au cas de Chéran, où le Tribunal Electoral du Pouvoir Judiciaire de la Fédération (TEPJF) reconnait le droit constitutionnel des peuples à leur autorégulation, font obligatoirement jurisprudence pour les autorités de l’état du Chiapas. C’est pourquoi “ce n’est pas quelque chose qu’ils peuvent décider d’appliquer ou non, mais qu’ils doivent obligatoirement faire car il s’agit d’une question des droits de l’homme, car il y a une protection plus ample pour les peuples”.
Au mois de mai de cette année, les villages de Chilón et de Sitalá ont célébré les cérémonies pour mettre en place les Conseils de gouvernement communautaire. Il faut noter que six membres sur douze à Chilón et trois membres sur huit à Sitalá sont des femmes, qui cherchent à renforcer la participation des femmes dans la vie de la communauté. Bien que les gouvernements communautaires se trouvent encore dans une processus de reconnaissance légale et que l’IEPC ait programmé les consultations pour Chilón et pour Sitalá pas avant 2019, les conseillers et conseillères ont déjà commencé à exercer leurs responsabilités auprès de leurs communautés et ont exigé la reconnaissance d’une pluralité de démocraties, par laquelle ils ne cherchent pas “de nouveaux gouvernants, mais une autre manière de gouverner”. Reste à voir dans quelles conditions la coexistence des gouvernements communautaires avec les gouvernements municipaux élus le premier juillet dernier via les partis politiques se fera.
Face à ces processus, les voix des dissidents s’élèvent car ils redoutent la création d’ « un pays parallèle au Mexique” qui représenterait une menace pour l’unité nationale.
Mais Galván affirme que lutter pour le droit des peuples à disposer d’eux même c’est “plutôt une lutte pour la démocratie au Mexique et pour une refondation de l’Etat Mexicain”. Selon elle il s’agit là de la validité réelle des Accords de San Andrès et d’une reconfiguration de la relation avec les peuples afin “qu’ils ne soient plus traités comme des sujets d’intérêt public, mais comme des sujets ayant des droits spécifiques, qui sont les auteurs de leur propre histoire”.
L’expérience de Chilón et celle de Sitalá ne sont pas les deux premiers processus de construction d’autonomie au Chiapas, étant donné qu’en cette année 2018 les caracoles zapatistes (régions autonomes) ont fêté leur XVe anniversaire.
Galván incite les “les peuples à continuer à s’organiser à une échelle locale”. Les conseillers de Chilón sont du même avis. Lors de leur prise de fonctions ils ont déclaré “ Ce que nous semons dans nos cœurs, germera petit à petit dans la vie de notre peuple. Pour que plus aucun gouverneur ne trompe le peuple !”