DOSSIER : MEXIQUE – Attaques contre la liberté d’expression
14/12/2018Activités du SIPAZ (de la mi-août à la mi-novembre 2018)
14/12/2018Le 19 octobre 2018 marque le début de la “caravane de migrants”, qui a braqué de façon inattendue les projecteurs sur le phénomène migratoire en Amérique Centrale.
Les images emblématiques de plusieurs milliers d’hommes, de femmes et d’enfants à la frontière sud du Mexique ont fait le tour du monde et sont rapidement devenues virales.
Ce jour-là, le pont du fleuve Suchiate est devenu la scène de manifestations de désespoir, de pleurs et d’épuisement, quand des policiers fédéraux ont essayé de freiner l’entrée massive de migrants par le biais du poste-frontière entre Tecún Umán (Guatemala) et Ciudad Hidalgo (Mexique). Quand les choses ont tourné à la confrontation, “des troupes anti-émeutes ont utilisé des gaz lacrymogènes contre les gens, principalement des femmes et des enfants, pour empêcher leur passage ; une réaction disproportionnée, qui les a obligé.es à reculer jusqu’à être bloqué.es derrière la grille, sur le pont,” selon des membres de l’organisation Voces Mesoamericanas. Piégé.es sur le pont pendant des heures, sans aide humanitaire, certain.es ont décidé de se jeter dans le fleuve pour continuer leur long et dangereux périple vers les Etats-Unis. Un trajet de presque 4000 kilomètres à travers le Mexique, jusqu’à ce qu’un premier groupe d’environ 5 000 migrant.es atteigne fin novembre Tijuana, ville-frontière de Basse Californie.
Dans les foyers d’accueil du nord du Mexique, le désespoir et l’angoisse des migrants croissent de jour en jour. En effet, l’incertitude pourrait encore durer des mois, au vu de la lenteur de traitement des milliers de demandes d’asile aux Etats-Unis, et de la ligne dure de Trump qui oblige les demandeurs à attendre sur le territoire mexicain que les tribunaux migratoires statuent sur leur sort. La situation a dépassé les autorités le 26 novembre, quand des milliers de migrant.es ont essayé de traverser de force la clôture qui sépare les 2 pays. Des affrontements entre les patrouilles états-uniennes à la frontière et les migrant.es ont entraîné l’usage de gaz lacrymogènes. Une douloureuse répétition des faits qui s’étaient déroulés à la frontière sud du Mexique. Ces événements tragiques amènent inéluctablement à se demander ce qui pousse un nombre croissant et incontrôlable de personnes à fuir leur pays.
Au point de départ de cet exode, la ville de San Pedro Sula au Honduras, et un contexte criant de violence et de pauvreté : selon l’Institut National de Statistiques du Honduras, 48% de la population y vit dans la pauvreté. San Pedro Sula est en outre classée depuis 9 ans parmi les 50 villes les plus violentes au monde par l’organisation Sécurité, Justice et Paix. Elle s’est même vu décerner en 2015 l’affligeante première place pour 4 années consécutives.
Ce contexte correspond plus généralement à celui du pays, que le prêtre jésuite hondurien, Ismael Moreno Coto, opposant politique, qualifie de “cocotte-minute”. Le peuple hondurien est face à un gouvernement qui “abandonne les politiques publiques sociales et les remplace par des programmes d’assistance sociale, tout en renforçant un modèle de développement basé sur l’investissement dans l’industrie minière et la privatisation et la mise en concession des biens communs et des services publics”. Lors du 7ème Forum Social Mondial des Migrations en 2016 à Sao Paolo (Brésil), Tomás Hirsch, homme politique chilien et fils de migrants allemands, a insisté sur les facteurs poussant à l’émigration : la pauvreté et la violence. Il explique que “les hypothèses qui affirment que la mondialisation, par simple effet du marché, élèverait le niveau de vie des plus pauvres, ont échoué.”
Hirsch estime que l’accumulation et la concentration sans précédents de richesse et de pouvoir que notre système économique permet est responsable des inégalités et, par conséquent, de la violence émergente dans les pays du Sud. Il est selon lui indéniable “que les pays de l’économie dite ‘libre’, ont bâti leur richesse grâce aux guerres d’expansion, en colonisant et néo-colonisant, en divisant les nations et les régions, tirant bénéfices de la discrimination et la violence, et en utilisant une main d’œuvre bon marché grâce à l’imposition de modalités d’échange défavorables aux économies plus fragiles.”
Il faut également signaler le rôle important joué par les Etats-Unis, qui sont intervenus massivement dans la politique, l’économie et les décisions militaires au Honduras “en association avec les intérêts de l’oligarchie politique et économique de ce pays.”, comme le décrivent Carmen Fernández Casanueva, Lindsey Carte, et Lourdes Rosas dans une analyse pour le media en ligne Animal Político. Elles affirment que depuis le coup d’état de 2005 l’influence des Etats-Unis s’est renforcée afin de “favoriser leurs propres intérêts et encourager la corruption et l’influence des trafiquants de drogue dans le pays.”
Les témoignages des émigré.es reflètent la violence endémique dans leur pays. La délinquance juvénile, le trafic de drogue, le racket et les assassinats par des bandes organisées, les “maras”, est une réalité quotidienne. Mario Castellanos, un garçon de 12 ans qui a entrepris de faire le chemin seul, a été interviewé par plusieurs médias durant son parcours et raconté comment “on souffre au Honduras”. Interrogé sur les raisons qui l’ont poussé à rejoindre la caravane, il raconte qu’on a “voulu [le] faire entrer dans un gang”, mais qu’il ne voulait pas en faire partie. La jeune Dayana Ávila, 26 ans, qui a laissé son fils de 3 ans avec sa mère au Honduras, raconte qu’elle est tombée enceinte après avoir été violée par “des membres d’un gang”. Elle a subi en permanence des menaces de mort pour ne pas dénoncer ses agresseurs. “Mon cœur de mère brisé j’ai dû m’en aller”, elle cherche à gagner l’argent qui permettra à son fils, atteint d’épilepsie, de se faire opérer.
Selon Moreno Coto, la conjonction de ces facteurs explique que la population du Honduras “ne fait plus confiance aux politiques, au gouvernement et aux grandes entreprises privées. (…) Ces départs sont l’expression extrême de la décision de la population de se faire justice elle-même”.
C’est justement à la recherche d’une vie meilleure que des milliers de personnes sont parties, sans qu’il soit possible d’obtenir des chiffres exacts, étant donné que chaque jour de nouvelles personnes s’ajoutent à la marche collective vers le nord. Fin octobre on parlait déjà de plusieurs “caravanes”, représentant environ 10 000 personnes en train de traverser le Mexique, un mouvement qui d’après Moreno Coto “a dépassé les églises, la société civile, les ONG et le gouvernement”, mais auquel “les gens qui voient passer les migrants et migrantes répondent avec des petits gestes solidaires, généreux et spontanés.”
Ce mouvement d’exode, principalement composé de personnes du Honduras, mais aussi du Salvador, du Guatemala et du Nicaragua, a exposé sur la place publique la “réalité quotidienne” qu’est la migration. Moreno Coto estime qu’en un seul jour autant de migrant.es ont pris la route que ceux qui le font d’habitude en un peu moins d’un mois. “C’est la caravane silencieuse, cachée et même honteuse qui avec cette explosion s’est transformée en une caravane visible, publique et presque digne.”, résume-t-il.