Activités du SIPAZ (Mi-février – Mi-mai 2019)
15/07/2019DOSSIER : Entre déforestation et reforestation partielle – le Mexique, territoire d’écocides autorisés
10/10/2019Au mois de juin, le président états-unien Donald Trump a menacé de taxer les exportations mexicaines vers les États-Unis à hauteur de 5% si le Mexique n’agissait pas contre l’immigration clandestine.
Finalement, les deux parties sont parvenues à un accord, le Mexique s’étant engagé à prendre des “mesures radicales” afin de contenir le flux migratoire : le gouvernement a ainsi annoncé le renforcement de la frontière avec le Guatemala via l’envoi de 6000 unités de la toute nouvelle Garde Nationale. L’accord stipule également que le Mexique prendra “les mesures nécessaires afin de démanteler aussi bien les organisations de contrebande et de trafic d’êtres humains que leurs propres réseaux de transports et réseaux financiers illicites”. Il indique également que “toutes les personnes traversant la frontière sud des États-Unis afin de demander asile seront rapidement reconduites au Mexique, où elles devront attendre que l’on réponde à leurs demandes”, assurant que le pays “leur offrira un emploi ainsi que l’accès aux systèmes de santé et d’éducation”. À l’initiative du Mexique, un plan de développement intégral de la région élaboré en coordination avec le Salvador, le Guatemala et le Honduras, a aussi été salué par les États-Unis. Selon l’accord, d’autres mesures seront mises en place au cas où celles ayant été adoptées ne donneraient pas les résultats escomptés.
En plus des effectifs déployés à la frontière sud du Mexique, le Ministre de la Défense Nationale, Luis Cresencio Sandoval, a affirmé que 15 000 autres unités avaient été envoyées à la frontière nord. “Considérant la migration comme un phénomène résultant d’une erreur administrative et non comme un délit, nous remettrons immédiatement les personnes arrêtées” à l’Institut National de la Migration (INM), a-t-il déclaré. De son côté, le président Andrés Manuel López Obrado (AMLO) a confirmé que la Garde Nationale appuyait l’INM via des opérations d’arrestation de migrant-e-s : par ailleurs, il a déclaré que “toutes les institutions concernées ont pour instruction de respecter les droits humains des personnes migrantes”.
Plusieurs organisations de la société civile ont pointé du doigt le “double discours” du gouvernement d’AMLO qui, d’une stratégie politique humanitaire (politique d’ouverture des frontières annoncée au début de son mandat), est passé à une stratégie militaire. Elles l’accusent en outre d’avoir laissé “l’administration Trump étendre sa domination jusqu’au sud du Mexique”. Aussi, ces organisations ont fait savoir que l’augmentation de la surveillance des flux de migrant-e-s n’aura pas pour effet de freiner la migration, mais bien de contraindre les migrant-e-s à emprunter des routes plus dangereuses. Elles ont également exprimé leur préoccupation face à la criminalisation croissante dont les organisations de défense des personnes migrantes sont victimes. Ainsi, le directeur de l’organisation Peuple Sans Frontières / Pueblo Sin Fronteras (PSF) Irineo Mujica et le défenseur Cristóbal Sánchez ont été arrêtés au mois de juin, pour avoir soi-disant permis l’entrée en territoire mexicain d’étrangers sans papiers et d’en avoir tiré profit. En février, la Ministre de l’Intérieur Olga Sánchez Cordero a par ailleurs accusé PSF d’avoir “recruté les migrant-e-s centraméricain-e-s afin d’intégrer les convois ayant traversé le Mexique en vue d’atteindre les États-Unis au cours de l’année 2018”. Bien que Mujica et Sánchez aient été libérés une semaine plus tard, le Bureau du Procureur Général de la République (FGR) a annoncé qu’il ferait appel de cette décision de justice.
La saturation des camps de migrant-e-s – accueillant jusqu’à 4 fois plus d’individus que leur capacité le leur permet – constitue un autre problème de taille, d’autant plus si l’on prend en compte “la surpopulation, l’absence de conditions d’hygiène et de santé décentes et une alimentation inadaptées aux besoins des personnes concernées”. Human Rights Watch a d’ailleurs noté que “les personnes en demande d’asile provenant de l’Amérique centrale, de Cuba et de l’Afrique – parmi lesquels 4780 enfants – sont exposées à des conditions de vie potentiellement dangereuses voire insoutenables, une fois que les autorités des États-Unis les ont renvoyées au Mexique”. Edgar Corzo, délégué de la Commission Nationale des Droits Humains (CNDH), a en outre affirmé que “les migrant-e-s conduit-e-s dans ces centres migratoires sont privé-e-s de liberté, dans des lieux où les conditions minimales de survie et le droit à un traitement digne ne sont pas garantis”.
Droits humains : les autres affaires en cours
Au mois de juin, le président de la Commission Nationale des Droits Humains (CNDH), Luis Raúl González Pérez, a déploré le fait qu’AMLO n’ait pas encore donné de son temps afin de recevoir en mains propres le rapport annuel de 2018 de l’organisation, comme il est de coutume chaque année. Il a par ailleurs déclaré : “au vu des faits, des actes et des omissions qui commencent à s’accumuler à ce sujet, nous pourrions supposer que le respect effectif des droits humains n’est pas considéré comme étant une priorité pour le gouvernement, et qu’ainsi aucune mesure pertinente n’a encore été adoptée pour améliorer la situation”. Le rapport de 2018 souligne plusieurs des préoccupations exprimées par la Commission. En matière de sécurité et de justice, il souligne “la nécessité d’appréhender la crise que traverse le Mexique sous une perspective globale, afin d’élaborer une stratégie qui privilégie la prévention et qui ne se limite pas à l’extension des peines de prison préventive à davantage de délits, ni à la simple remise en question de la Garde Nationale”. D’autres thématiques, telles que l’accès au système de santé, les féminicides, les disparitions, les attaques contre les journalistes et les personnes défenseures des droits humains, sont citées comme autant de préoccupations pour l’organisation.
Au mois de juin, les premiers travaux nécessaires à l’élaboration du Programme National des Droits Humains 2019-2024 (PNDH), dont la publication est prévue pour décembre, ont commencé. La Ministre de l’Intérieur Olga Sánchez Cordero a déploré que “le gouvernement actuel ait hérité des mandats précédents cette grave crise en matière de droits humains” et a affirmé vouloir “affronter la réalité et faire face à la situation, si dure soit-elle, sans se voiler la face” sur le climat d’impunité qui règne aujourd’hui au Mexique.
L’Institut National des Peuples Indigènes (INPI) a enclenché le processus de “consultation libre, préalable et informée aux peuples et communautés indigènes et afro-mexicaines” dans le but de “recueillir des opinions et des propositions au sujet des critères qui définiront le projet de Réforme Constitutionnelle et des lois réglementaires portant sur les droits de ces populations”. Pour ce faire, pas moins de 54 forums régionaux et un à échelle nationale – à Mexico – ont été réalisés. Dès le départ, plusieurs organisations et personnes de la société civile ont critiqué l’initiative, la jugeant trop précipitée. Ainsi, le Comité pour la Défense Intégral des Droits Humains Gobixha A.C – Code DH de Oaxaca, a déploré que “les trois phases du processus – informative, délibérative et consultative – se soient concentrées sur une seule et même journée”, malgré la diversité et la densité des thématiques abordées. D’autres organisations ont déclaré que ce processus ne visait en fait qu’à légitimer une décision déjà prise d’avance. De son côté, l’INPI a annoncé qu’il rédigerait une proposition afin de réformer la Constitution d’ici septembre, en se fondant sur les conclusions des forums auxquels plus de 27 000 représentant-e-s ont participé, selon ses estimations.
L’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) “rompt le siège”
Au mois de mai, le Centre de Droits Humains Fray Bartolomé de Las Casas (Frayba) a alerté l’opinion publique sur “l’augmentation du nombre d’agressions dont sont victimes de nombreux peuples et organisations de la société civile”. Selon le Frayba, ces agressions “répondent à une stratégie plus grande, visant à contenir les résistances pacifiques menées au nom de la défense du territoire”, à deux ans de l’Assemblée Constituante du Conseil Indigène de Gouvernement (CIG) du Congrès National Indigène (CNI). Depuis le début de l’année 2019, le Centre rappelle que six défenseurs indigènes ont été assassinés et que le CNI a dénoncé de nombreux cas de “spoliations, déplacements forcés, détentions arbitraires, disparitions forcées, menaces, harcèlements, criminalisations et menaces de mort”. Il a en outre fait remarquer que “cette logique de guerre contre les peuples qui construisent leur autonomie s’observe également dans le phénomène de militarisation croissante des territoires zapatistes, (…) la présence de la Garde Nationale conduisant à encercler davantage les communautés qui s’y trouvent”.
En août, le Sous-commandant Moisés, porte-parole de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN), a déclaré que l’EZLN avait décidé de “rompre ce siège” en formant de nouveaux Caracoles et davantage de municipalités autonomes rebelles zapatistes au Chiapas. De plus, il a également annoncé la création de Centres de Résistance Autonome et de Rébellion Zapatiste (CRAREZ), en appelant divers secteurs à participer. Le président AMLO a déclaré que ces nouvelles entités étaient “ bienvenues ” en considérant qu’elles vont permettre de “travailler davantage pour le bien des communautés et des peuples autochtones”.
Quelques jours plus tôt, le Sous-commandant Galeano proposait une analyse de la situation actuelle. Parmi ses propos, il a notamment déclaré : “il pleut de partout, et sur tout le monde. Au moins ici, en-bas. Peut-être que certain-e-s commencent tout juste à sentir sur leur corps les gouttes froides de cette pluie les faire frissonner ; mais pour d’autres, et pas seulement pour les peuples autochtones, elle ne fait que tomber sur des corps déjà trempés : spoliations, vols, menaces, persécutions, prison, disparition, violation, coups, mort…ou parfois même la ‘charité’”. “En haut, ils disent que tout va bien, mais ici en-bas(…), en réalité tout va mal, et (…) cette situation ne va qu’empirer”.
Chiapas : à Chilón, l’opinion publique se polarise de plus en plus face au possible changement du mode d’élection (transition du système officiel vers un système basé sur les us et coutumes locaux)
Au mois de juin, plusieurs médias ont annoncé que des agents du gouvernement municipal de Chilón avaient commencé à recueillir des signatures à une proposition intitulée “Rejet total des élections par la voie des us et coutumes ; oui aux urnes et aux partis politiques”. Plusieurs communautés ont affirmé que des agents municipaux avaient menacé les habitant-e-s en déclarant qu’ils et elles perdraient leur accès aux programmes sociaux si le système normatif indigène venait à se consolider. Une vidéo publiée via Facebook montre également une assemblée réunie à Chilón au cours de laquelle les participant-e-s rejettent ce système, se déclarent en faveur du gouvernement et approuvent la proposition de construction du projet autoroutier entre Palenque et San Cristóbal de Las Casas. En outre, au mois de juin également, plusieurs attaques dont se seraient rendues responsables les autorités municipales de Chilón et Sitalá à l’encontre de membres de la Mission Jésuite de Bachajón ont été dénoncées : ces derniers accompagnent plusieurs mouvements indigènes cherchant à exercer leur droit à la libre détermination au sein de ces municipalités.
Depuis novembre 2017, une pétition a été présentée à l’Institut Électoral de Participation Citoyenne (IEPC) afin de passer du système de partis politiques classique à un système électoral régi par les us et coutumes locaux. Au mois de mai de cette année, l’Institut National d’Anthropologie et d’Histoire (INAH) a annulé la réalisation d’une étude culturelle confirmant l’origine indigène de ces municipalités et, par conséquent, le droit de leurs habitants à élire leurs représentant-e-s de la manière qu’ils souhaitent. Selon plusieurs partisan-e-s du système coutumier s’étant exprimé-e-s en août dernier à ce sujet, l’annulation de cette étude est due à “l’attitude néfaste” que le gouvernement local a adopté lorsqu’il a su qu’”une visite des anthropologues de l’INAH dans la région était programmée”. Selon leurs dires, aussi bien eux que les chercheurs ont subi diverses menaces et agressions, bien qu’ils aient cherché à éviter la confrontation en modifiant le lieu des événements initialement prévus pour mener à bien cette étude.
De son côté, une partie des propriétaires terriens de Chilón et de Bachajón s’opposant à la tenue d’élections via le système coutumier rejette la responsabilité sur les fonctionnaires de l’INAH et ceux de l’IEPC, pour tout acte violent ayant pu découler de cette situation. Ces propriétaires ont également accusé le Mouvement pour la Défense de la Vie et du Territoire (Modevite) ainsi que le curé de Chilón de chercher à “imposer ce système électoral”.
Dénonciations et mobilisations contre les mégaprojets : des acteurs organisés pour la défense de la Terre Mère
Au mois de mai, la Pastorale Sociale du diocèse de San Cristóbal de Las Casas a exprimé sa préoccupation au sujet de “l’appauvrissement croissant des peuples autochtones et de leur vulnérabilité face aux mégaprojets et aux nouveaux programmes du gouvernement” ; cette vulnérabilité est d’autant plus grande que le gouvernement fait mine d’avoir leur consentement en “simulant des consultations auprès de personnes qui ne se verront pas directement affectées par ces projets”. Elle a également déclaré “ne pas voir de réels changements en faveur de la vie ou du développement des peuples”.
En juin, le militant écologiste originaire de l’État de Tabasco José Luis Álvarez Flores a été retrouvé assassiné à Palenque. Depuis 2012, Álvarez Flores était le responsable de l’Unité de Gestion de l’Environnement de Saraguato et avait à diverses occasions dénoncé l’extraction illégale de sable et de matières rocheuses dans le fleuve Usumacinta. Il avait sollicité des mesures de protection rapprochée de la part du gouvernement mais ce dernier n’a jamais accédé à sa demande. Pour mieux comprendre le contexte, EDUCA rappelle que “le fleuve Usumacinta est le fleuve au débit le plus puissant du Mexique”, et qu’il serait “la principale source d’extraction de pierres si le projet du Train Maya venait à se concrétiser”.
Au mois d’août, le Mouvement pour la Défense de la Vie et du Territoire (MODEVITE) a convoqué une grande marche afin de “visibiliser l’absence de changements politiques caractérisant le gouvernement actuel”. Plus de 1000 personnes d’au moins 11 municipalités différentes ont répondu à l’appel : “nous nous unissons pour manifester d’une seule voix contre les mégaprojets nationaux et transnationaux, et contre un gouvernement qui continue de favoriser leur implantation”. Les manifestant-e-s ont affirmé rejeter “les décisions unilatérales du gouvernement à tous les niveaux – municipal, d’État et fédéral – dans la mesure où celui-ci ignore leur participation”. Ils s’opposent également à “la militarisation du pays via la Garde Nationale, utilisée comme un moyen d’intimidation et de répression sociale”.
La violence “généralisée” continue de provoquer de nombreux déplacements forcés
En mai, trois ans après leur déplacement forcé, 53 familles de l’ejido de Puebla (municipalité de Chenalhó) ont organisé diverses activités afin de dénoncer la situation dans laquelle elles se trouvent, à savoir l’impossibilité pour elles de retourner chez elles. Bien qu’elles reconnaissent que le gouvernement de l’état du Chiapas a respecté plusieurs de ses engagements, elles déplorent le peu d’avancée réalisée en matière de justice les empêchant pour le moment d’envisager leur retour. Le Directeur du Centre de Droits Humains Kuuntik, Diego Cadenas Gordillo, a de son côté exprimé sa vive inquiétude, en affirmant que “la tête des représentants et des avocats de ses familles étaient mises à prix”.
Au mois de juin, les autorités d’Aldama et de Chenalhó ont signé un pacte de non-agression dans l’espoir de mettre fin à un conflit entre les deux municipalités (il s’agissait au départ d’un conflit d’origine agraire, les deux parties se disputant 60 hectares de terrain). Celui-ci a provoqué des dizaines de morts et conduit au déplacement forcé de centaines de familles au cours des deux dernières années, et en particulier lors de ces derniers mois. Le journaliste Elio Enríquez a toutefois exprimé son inquiétude : “tant que les habitants des deux communes resteront armés, il est peu probable que la paix revienne. (…) Tant que l’impunité régnera et que les responsables des 20 assassinats ne seront pas punis, les habitant-e-s ne se calmeront pas”.
En juin également, le Frayba a indiqué que 28 familles de San Pedro Hidalgo (municipalité de San Adrés Duraznal) avaient été déplacées. Au mois de juillet, l’organisation a par ailleurs dénoncé l’incursion violente d’un groupe de personnes dans la communauté de San José El Bascán, ayant provoqué le déplacement forcé de 36 individus mayas membres de l’organisation Ikoltyañtyel Lak Lumal, elle-même membre du CNI. En août, le Frayba a signalé l’agression et le déplacement forcé de quatre familles membres de la Sociedad Civil Las Abejas de la communauté Colonia Miguel Utrilla (municipalité de Chenalhó). Selon le centre, ces nouveaux déplacements forcés interviennent “dans une région prise dans une spirale de violence généralisée, où l’on dénombre plus de 7000 victimes de déplacements forcés et où les actions du gouvernement fédéral et du gouvernement de l’État sont inefficaces voire inexistantes”.
OAXACA : plaidoyers contre différents mégaprojets
Au mois de mai, les gouvernements fédéral et de l’État de Oaxaca ont inauguré le parc éolien Energía Eólica del Sur dans la région de l’isthme de Tehuantepec, construit en partie grâce aux investissements de l’entreprise japonaise Mitsubishi. La Ministre de l’Énergie, Rocío Nahle, a coordonné la tenue de l’événement et a souligné l’importance de ce projet tout en reconnaissant les tensions et les problèmes sociaux que la construction a pus générer entre les habitant-e-s de l’isthme. Des organisations de la société civile ont documenté l’existence de plusieurs irrégularités dans le processus de la consultation réalisée en 2014 et 2015 : il s’avère notamment que les permis de construire avaient déjà été octroyés et que les investissements étaient déjà en cours avant même que la consultation des populations n’ait commencé. Malgré cela, la Cour Nationale Suprême de Justice (SCJN) a rejeté plusieurs recours juridiques ayant été présentés pour stopper le projet. Quinze jours plus tard, un groupe de propriétaires des terres louées par Mitsubishi ont décidé d’occuper “pour une durée indéterminée” la station génératrice d’électricité afin d’exiger l’exécution de plusieurs accords avec l’entreprise.
En juin, le décret permettant de démarrer la construction du projet de Couloir Interocéanique de l’Isthme de Tehuantepec a été émis : ce projet implique la construction d’un réseau de trains de marchandises, l’extension du réseau routier entre Salina Cruz (état de Oaxaca) et Coatzacoalcos (état de Veracruz), ainsi que l’établissement d’une zone franche afin d’attirer les investissements vers cette région. De nombreux acteurs ont manifesté leur opposition au projet. Peu de temps avant l’émission du décret a eu lieu la Rencontre Régionale “L’Isthme est à nous”, à laquelle ont participé pas moins de 21 municipalités des états de Oaxaca et de Veracruz. Les participant-e-s ont dénoncé de nouveau les processus de consultation réalisées auprès d’eux comme un instrument utilisé pour mieux légitimer l’imposition d’un projet qui bénéficie surtout à des entreprises étrangères et non aux communautés indigènes de la zone. En juillet, des défenseur-e-s Mixes ont présenté un recours juridique contre le projet, dans la mesure où “celui-ci semble se mettre en marche au détriment des dispositions normatives et du protocole en vigueur visant à préserver les droits des peuples autochtones”.
Au mois d’août, des communautés des peuples chatinos et mixtèques des régions de la Sierra Sur et de la Costa se sont exprimées, “face à la nouvelle menace que constitue la construction d’un nouveau projet hydro-électrique aux abords du Río Verde par l’entreprise GENERACIÓN ENERSI S.A. de CV”. Elles ont indiqué que le Río Verde est actuellement “protégé par un recours juridique (…) allant à l’encontre de la déclaration de zones de réserve. Ce recours fait suite à plusieurs décrets émis à la fin du mandat d’Enrique Peña Nieto et a été adopté par un juge fédéral, si bien qu’aucune infrastructure ne pourra être construite en ce lieu”. Aussi, elles déplorent le fait que “la SEMARNAT et CONAGUA aient réclamé un droit de révision de ce recours à la venue du gouvernement de Andrés Manuel López Obrador” : “nous ne comprenons pas pourquoi Andrés Manuel López Obrador (…) dit qu’il est du côté des pauvres et des indigènes, alors que son administration marchande les droits des peuples et favorise les entreprises”.
GUERRERO : “Nommer la douleur”
En août, le Centre des Droits Humains de La Montaña Tlachinollan a célébré son vingt-cinquième anniversaire. Le rapport de l’organisation publié pour l’occasion et intitulé “Montagne, tu es pleine d’espoir”, rend compte “de la détérioration des conditions de vie des habitant-e-s de l’état du Guerrero, à cause de la violence et de la faiblesse de nos institutions que se voient assiégées tant par les intérêts macroéconomiques que par les organisations du crime organisé. Notre identité est marquée par de multiples conflits que les autorités n’ont pas réussi à apaiser (…) et qui débordent aujourd’hui de notre État de droit en déliquescence”. Au cours des cinq premiers mois de l’année 2019, on dénombre pas moins de 748 personnes assassinées, ce qui équivaut à une moyenne de 5 meurtres par jour.
Les assassinats et les menaces constituent ainsi une partie du quotidien des défenseur-e-s des droits humains et des journalistes. En mai, Bertoldo Morales Hilario et Isaías Xantenco Ahuejote, tous deux membres de la Coordination Régionale des Autorités Communautaires – Peuples Fondateurs (CRAC-PF, municipalité de Chilapa de Álvarez), ont été kidnappés et assassinés. Ces derniers étaient également membres du Conseil Indigène et Populaire du Guerrero – Emiliano Zapata (CIPOG-EZ), organisation membre du Conseil National Indigène (CNI). La CRAC-PF pense que les responsables de ces meurtres sont les membres d’un groupe de personnes liées à la bande criminelle Los Ardillos. Le CNI a rappelé que “ce crime s’ajoutait aux récents assassinats de (…) Lucio Bartolo Faustino et Modesto Verales Sebastián, respectivement conseiller et délégué du CNI-CIG”, et a dénoncé “la politique de terreur menée par les groupes narco-paramilitaires ouvertement aidés par les trois niveaux de ce mauvais gouvernement”.
En juin, le journal El Sur a affirmé que “le président, le secrétaire et le trésorier du Commissariat des Biens Communaux de Cacahuatepec ont proféré des accusations calomnieuses à l’encontre de Juan Angulo Osorio et Abel Barrera Hernández, respectivement directeur général de cette publication et directeur du Centre de Droits Humains de La Montaña Tlachinollan”. La publication les accuse notamment de vivre sur le dos de la violence qu’ils “génèrent” en soutenant le Conseil des Ejidos et Communautés opposés au barrage électrique la Parota (CECOP). El Sur dénonce ainsi “une grave atteinte à la liberté d’expression, affectant tous ceux qui travaillent pour ce journal”.
Quelques jours plus tôt, 16 membres du CECOP et de la Coordination Régionale des Autorités Communautaires – Police Communautaire (CRAC-PC), emprisonnés en 2018 après des faits de violence survenus près d’Acapulco, ont été déclarés innocents. Au cours de ces événements, six civils et cinq policiers communautaires avaient trouvé la mort. L’avocat de Tlachinollan, Vidulfo Rosales Sierra, a informé que le tribunal a exprimé “de vives préoccupations au sujet de ces enquêtes plus que douteuses, où il a été fait usage de torture, où des preuves ont été collectées de force et au cours desquelles les accusés sont restés emprisonnés dans le Bureau du Procureur pendant de nombreux jours sans qu’il ne soit permis d’entrer pour leur rendre visite”. Il a également appelé “non seulement les parties en conflit, mais également l’État” à se tendre la main mutuellement afin de trouver le chemin de la réconciliation et de la paix, en reconnaissant que beaucoup de vieux conflits subsistaient dans cette région.
Au rang des maigres progrès réalisés en matière de droits humains dans la région, il convient de noter la libération de quatre membres du Mouvement Populaire de Teloloapan, après 10 ans d’incarcération pour avoir été accusé de kidnappings. Ces personnes ont annoncé qu’elles continueraient à exiger la liberté de tous les prisonniers politiques. Clemencia Guevara Tejedor, dirigeante du Front de Défense Populaire Francisco Villa, a dénoncé la position du président, considérant qu’elle contribue à marginaliser les organisations sociales et à rendre d’autant plus vulnérables les activistes de l’état du Guerrero, où seraient encore enfermés pas moins de 60 prisonniers politiques.