DOSSIER SPECIAL : Le Train Maya
04/01/2020Activités du SIPAZ (de la mi-août à la mi-novembre 2019)
04/01/2020Ce que nous défendons va au-delà de la gestion des ressources économiques.
Avec des grands projets comme le Corridor Transisthmique, qui connectera les ports de Salina Cruz (Oaxaca) et Coatzacoalcos (Veracruz), 47 000 hectares de concessions de mines déjà octroyées, 28 parcs éoliens et sa grande biodiversité, l’Isthme de Tehuantepec est une zone prioritaire pour le gouvernement d’ Andrés Manuel López Obrador (AMLO). La région est aussi connue pour ses communautés organisées et fortement mobilisées autour de la défense de la terre et du territoire, et un nombre important de menaces et agressions envers les défenseur-es des Droits de l’Homme et les journalistes.
Du 15 au 19 octobre, une Mission Civile d’Observation d’organisations nationales et internationales, de journalistes et représentants diplomatiques, a visité différentes communautés organisées dans l’Isthme, et documenté la situation des militant-es qui défendent les droits dans cette région. La mission visait également à “partager des outils de défense et de protection des personnes défendant les Droits de l’Homme”, explique l’organisation Consortium pour le dialogue parlementaire et l’équité de Genre (Consorcio Oaxaca), co-organisateur de la mission, ajoutant qu’un autre des objectifs était de “connaître et échanger les expériences pour collaborer et créer un réseau d’entraide” avec “un focus spécifique sur les femmes qui défendent les droits“.
Le gouvernement d’AMLO a désigné le sud du pays zone prioritaire, car c’est l’une des régions les plus pauvres, et propose comme axe de “développement” les grands projets, qui comptent pourtant parmi les principales causes de conflits politiques. Parmi les communautés visitées : Unión Hidalgo, Santa María Mixtequilla, Playa Brasil, San Francisco Ixhuatán en Cerro Grande, San Mateo del Mar et La Venta. Selon l’avancée du projet ou les infrastructures déjà en fonctionnement sur leur territoire, l’impact sur la vie quotidienne, les conséquences sociales ou environnementales, diffèrent beaucoup,
Les éoliennes, par exemple, sont source de nuisances sonores (le bruit peut atteindre 90 décibels), parfois “jour et nuit”, selon un villageois de Unión Hidalgo. Les installations ne se trouvent parfois qu’à quelques kilomètres des villages. Les habitants évoquent un lien de cause à effet avec des problèmes de santé apparus parmi la population, comme des insomnies et des problèmes cardiaques, même si les dégâts les plus visibles et tangibles sont sociaux et environnementaux. A Unión Hidalgo, par exemple, une partie de la population considérée comme une “élite” a décidé de louer leurs terres et ainsi d’avoir des revenus plus élevés. Les éoliennes génèrent beaucoup de déchets. A Juchitán il n’y a pas de décharge ; les entreprises laissent donc tout simplement leurs poubelles le long de la route à quelques kilomètres de la ville, qui sont brûlées sur place. Le vent disperse les ordures, et la fumée et l’odeur se répandent aux alentours.
Les communautés de San Blas Atempa et Santa María Mixtequilla rencontrent un autre type de problème : la raffinerie de Pemex, située à Salina Cruz, utilise pour acheminer l’eau les conduites des deux villages. Outre la pollution due à la raffinerie même, cela entraîne des pénuries d’eau. Les habitants ont fait part d’incidents tels que la condamnation de certains bâtiments afin d’économiser l’eau pour les récoltes. Pendant plusieurs mois de l’année, la consommation d’eau de Pemex est si importante qu’elle en prive presque tout le reste de la communauté.
A la Ventosa, l’eau et la terre sont devenues rouges à cause de l’activité minière. De même, à San Mateo del Mar et San Francisco Ixhuatán, où l’eau a été contaminée. Dans cette région côtière, la vie de nombre de personnes dépend de la pêche, sans compter que l’eau potable est vitale. Les communes se sont déclarées territoires libres d’exploitation minière, mais le gouvernement n’a pas respecté leur décision.
Dans un premier temps, les entreprises s’étaient engagées à rénover les rues, construire des écoles, des hôpitaux et des universités, donner du travail, ou purement et simplement de l’argent. Aucune de ces promesses n’a été tenue dans les communautés visitées. Ces dernières dénoncent en outre qu’aucune consultation préalable n’a été organisée, comme le prévoit pourtant la Convention 169 de l’OIT (Organisation internationale du Travail), pour un consentement libre et éclairé.
Ces situations se répètent depuis de nombreuses années. Avec le Corridor Transisthmique, projet déclaré prioritaire par le gouvernement d’AMLO, on craint que les conséquences ne s’accentuent encore. Les communautés n’ont à ce jour toujours pas de détails concrets sur ce qui est prévu. Aucune étude d’impact social ou environnemental n’a non plus été réalisée, ce qui suscite nombre de spéculations et de doutes.
Les communautés partagent toutefois une expérience dans la défense de leurs droits : elles cherchent toutes à faire entendre leur voix et à faire reconnaître leurs droits, qui devraient passer avant les intérêts de l’Etat et des grandes entreprises. Cela peut souvent les mettre en danger de mort ou les exposer à d’autres types de violences. “On ne peut plus sortir la nuit, nous sentons parfois qu’à cause de cette résistance, parce que nous défendons ce qui nous appartient, on nous regarde de travers, on nous menace, on nous intimide, c’est vraiment une situation très compliquée”. “Ils subissent effectivement des attaques systématiques : criminalisation, diffamation, harcèlement, menaces, disparitions forcées, arrestations arbitraires et assassinats”, atteste Consorcio Oaxaca.
En 2018, 13 journalistes et militant-es ont été assassiné-es au Mexique, un nombre qui a déjà été dépassé dès le mois de mai cette année : au moins 14 personnes défenseures des droits ont été assassinées à ce jour, dont 10 dans le seul état de Oaxaca. La population de l’Isthme assure pourtant “nous continuons le combat, en nous organisant progressivement ».
La situation se complique encore pour les femmes, leur seul genre les exposant à d’autres types de harcèlement et persécutions. Dans une société machiste, elles doivent lutter pour participer à des luttes qui les concernent pourtant autant que les hommes. Quand elles y parviennent, elles doivent encore batailler pour être véritablement écoutées, au sein du processus mais aussi par les autres acteurs. Leur participation les expose à des formes particulières de violence, en plus de celles subies par les autres activistes ; ceci à cause du machisme, le phénomène même qui les empêchait de se défendre au départ.
En raison de cette violence, des divisions et des incertitudes quant à la suite, il est plus important que jamais de mettre l’Isthme au centre de l’attention, pas seulement pour les opportunités économiques qu’il pourrait offrir mais pour la force de son organisation communautaire et les conséquences réelles qu’ont les projets de développement. Il faut rappeler que certaines voix ne sont jamais entendues, qui parlent d’une autre façon de traiter la terre et de définir le progrès et le développement. Une Mission Civile d’Observation est l’occasion de les amplifier et de les faire se rencontrer.