DOSSIER : Le Corridor Transisthmique, un projet du nouveau gouvernement… pas si novateur
25/03/2020Activités SIPAZ (de la mi-novembre 2019 à la mi-février 2020)
25/03/2020Les observateurs et observatrices sont une forme de solidarité en tant que valeur qui permet de faire avancer la justice, la dignité et le respect des droits humains ; ils nourrissent l’espoir en partageant la vie quotidienne : chaque lever et coucher de soleil, les tortillas, allumer le feu, faire cuire les haricots, la peur, la boue, les danses, les baignades dans la rivière et tout ce que les communautés nous donnent de tout leur cœur. Ils connaissent ainsi la satisfaction qui vient de se savoir aimé(e)s et accepté(e)s par les communautés.
La solidarité nationale et internationale a pu prendre de nombreuses formes à différents moments et endroits, face à différentes situations de conflit.
Dans le Chiapas des années 90, cela a permis à des milliers de personnes vulnérables et menacées de se protéger des violences extrêmes alors omniprésentes dans la région. Au cours de ces années, les Camps Civils pour la Paix (CCP), aujourd’hui connus sous le nom de Brigades Civiles d’Observation pour la Paix et les droits humains (BriCo), ont commencé à fonctionner. Ce projet fête ses 25 ans cette année.
Leur histoire est indissociablement liée au soulèvement armé de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) en 1994. Ce dernier a suscité une forte réaction de solidarité de la part de la société civile nationale et internationale face aux violations systématiques des Droits de l’homme qui ont commencé à être signalées mais aussi face à la marginalisation systématique des peuples originaires du Chiapas. Initialement, l’objectif principal était “d’ouvrir un espace civil pour aider à maintenir l’espoir, préserver la paix et la dynamique communautaire dans un contexte de guerre, ainsi que d’être témoin d’une stratégie de guerre de la part du gouvernement et de dénoncer ses actions”. Progressivement, il est devenu évident que “non seulement les communautés de la zone dite de conflit étaient affectées mais il y avait aussi d’autres communautés victimes au quotidien d’une politique qui pensait établir un Etat de droit à travers la répression, la persécution et la torture”, décrivent Rosy Rodriguez et Jorge L. Hernandez dans l’agenda annuel du Centre de Droits Humains Fray Bartolomé de las Casas (Frayba).
En août 1994, la Coordination des Organismes Non-gouvernementaux pour la Paix (CONPAZ) a installé des “Casas de la Paz” à Morelia, municipalité d’Altamirano, en plus d’organiser des missions d’information et des caravanes d’aide humanitaire et de surveillance. Plus tard, en 1995, les premiers CCP ont été créés, avec l’installation des camps à Altamirano, Tila, El Bosque, Ocosingo et Las Margaritas. Après une restructuration en 1998, le nom du programme est devenu BriCo et il continue à être cordonné par le Frayba. Jusqu’à présent, il compte avec la participation de 12 728 observateurs et observatrices venant de 60 pays différents qui sont passés par 108 camps dans 23 municipalités du Chiapas, expression d’une “solidarité vivante et pratique, pleine de réciprocité et de gratitude”, raconte le Frayba 25 ans plus tard.
Le travail des observateurs et observatrices impliquait “mettre le corps” entre la population et ses agresseurs ; documenter d’éventuelles violations des droits humains ; et, lors des déplacement forcés, apporter de la nourriture, des médicaments et des vêtements. Ils et elles ont accompagné les processus organisationnels pour la défense de son territoire, les personnes déplacées, les caravanes de personnes migrantes, les communautés qui ont subi une catastrophe naturelle ou qui sont en situation de risque.
Dans les BriCos, vous finissez par partager le quotidien dans toutes ses facettes. En cela, l’altérité surgit également : “Je n’ai jamais pensé que l’on peut parler avec un blanc d’égal à égal”, réfléchit la compañera Guadalupe. “On se sent parfois spéciale, utile de savoir que notre seule présence est importante pour les personnes de la couleur de la terre. Mais, c’est précisément cette situation qui vous fait repenser le monde raciste-classiste dans lequel on vit. Le fait que notre peau n’ait pas la couleur de la terre soit une protection pour ceux qui l’ont” réfléchit une militante catalane. “Nous constatons que l’observation des droits de l’homme crée de relations de dialogue et de respect, malgré toutes les différences”, y compris la langue, raconte une autre militante allemande.
Depuis les années 90 et jusqu’à présent, “le contexte politique mexicain est devenu plus complexe, la violence s’est propagée et s’est intensifiée. Les agressions contre les processus historiques de lutte et de résistance ainsi que les alternatives de “ceux d’en bas” continuent à être constantes. Pour cette raison, les paris pour protéger, renforcer et animer ces processus de solidarité nationale et internationale continuent à être significatives”, explique Marina Pagès, coordinatrice du Service Internationale pour la Paix (SIPAZ), dans un texte de l’agenda annuel du Frayba.
D’un autre côté, les technologies de communication modernes et la mondialisation, qui rendent possible la solidarité dans son efficacité actuelle – même dans des manifestations comme les BriCos – sont également des facteurs qui l’entravent. Au milieu d’une avalanche d’informations, tout événement n’est pas envisagé indépendamment, mais en relation et en comparaison avec les centaines qui se sont produites le jour même, la veille ou l’avant-veille.
Il est facile de sentir que les besoins sont si accablants qu’il n’y a plus de solutions ou de capacité pour soutenir les autres. En outre, et à l’échelle mondiale, il est de plus en plus difficile de générer un coût politique pour les Etats pour d’éventuelles répressions lorsque, depuis le 11 septembre, les droits humains sont de plus en plus considérés comme des “dommages collatéraux” acceptables par les acteurs gouvernementaux. A un niveau plus local, dans des projets comme les BriCo, les conséquences de ces changements se reflètent directement dans les ressources disponibles, monétaires et humaines, et soulèvent des questions sur leur efficacité et leur avenir.
Cependant, et malgré tous les défis, l’impact dissuasif des BriCo est indéniable. La solidarité nationale et internationale a rendu possible la protection de milliers de vies et le renforcement des processus organisationnels. Et tout espace facilitant l’échange entre les personnes qui normalement n’interagiraient jamais dans leur vie est une autre étape vers un monde plus compréhensif et plus juste. “Les BriCo sont la preuve qu’une autre mondialisation existe, très différente de celle du capital, il s’agit de la mondialisation de l’amour et de l’espoir qui se construit à partir des communautés du Chiapas et dans celles-ci et qui se propage dans le monde entier”, explique le Frayba.