DOSSIER: La tragédie Chol, un peuple brisé par la violence
30/04/1997DOSSIER: L’AUTONOMIE INDIGÈNE : ni séparatisme, ni réserve, une citoyenneté pleine
L’autonomie indigène
Ni Séparatisme, ni Réserve, une citoyenneté pleine
En 500 ans, aucun gouvernement du Mexique n’a reconnu dans la Constitution les droits autochtones de manière ample et précise. Cependant et en dépit de ce fait, le Mexique s’est maintenu au cours des quatre dernières décennies comme un «exemple» en Amérique Latine vu qu’il développe une politique d’Etat et est doté d’une structure spécifique pour l’attention des besoins des peuples autochtones, l’Institut National Indigéniste. Cette politique d’intégration a certes connu plus d’erreurs que de succès vu qu’elle poussait les autochtones à renoncer à leur culture et leurs traditions ou bien à les conserver comme un simple folklore attrape-touristes. En dépit de cela, les peuples autochtones du Mexique ont résisté aux assauts de la «modernisation» qui pendant des années les ont marginalisé de la vie du reste du pays.
Même si pendant les dernières décennies, de nombreux chercheurs et anthropologues ont presque dédié leur vie à l’étude et la connaissance des peuples autochtones ainsi qu’à la défense de leurs droits, ce n’est que le 1er janvier 1994 avec le soulèvement de l’Armée Zapatiste de Libation Nationale (EZLN) que le thème devient le centre de la vie politique du Mexique, impliquant une profonde réforme de l’Etat.
Le cri lancé par l’EZLN obligea le gouvernement à s’asseoir à une table de négociation pour trouver une solution pacifique au conflit, ainsi qu’à reconnaître une Commission Nationale d’Intermédiation (CONAI) acceptée par les zapatistes. De son côté, le Congrès dut former une Commission de Concorde et Pacification pour accompagner la recherche de la paix.
Au cours du long processus des réunions entre parties avec la CONAI et la COCOPA, les règles de procédure furent accordées ainsi que les thèmes que le dialogue devrait aborder. Les droits et la Culture Indigènes furent le premier thème à faire l’objet de négociations qui commencèrent en septembre 1995 pour aboutir aux premiers accords en février 1996.
Dix mois de mise au placard : les Accords de San Andrés sur les Droits et la Culture Indigènes obligent l’Etat mexicain à céder
En dépit de nombreuses différences et de la résistance de la part du gouvernement, en février on parvint à l’accord : «L’Etat respectera la libre détermination des peuples autochtones, dans chacun des aspects où ils feront valoir leur autonomie différenciée, sans que cela soit au préjudice de la souveraineté nationale et dans le cadre normatif pour les peuples autochtones. Ceci implique respecter leur identité, culture et forme d’organisation sociale».
Un autre point d’accord est «la reconnaissance de la législation nationale des communautés comme entités de droit public, le droit de s’associer librement entre municipalités de population majoritairement indigène, ainsi que le droit de différentes municipalités à coordonner leurs actions comme peuples autochtones».
La mise à l’écart des peuples autochtones de l’usage et de la jouissance des régions dans lesquelles ils vivent depuis des siècles fut également reconnue et on proposa de «réguler un ordre préférentiel qui privilégie les communautés en leurs donnant des concessions pour obtenir des bénéfices quant à l’exploitation des ressources naturelles» dans leurs territoires.
Pour la première fois dans son histoire, le Mexique a l’opportunité de reconnaître constitutionnellement le droit à la libre détermination et à l’autonomie des peuples autochtones. Si les réformes sont approuvées, le Mexique se trouvera face à un moment historique, qui est point de départ au moins autant que d’aboutissement. Comme Luis Navarro l’a écrit dans le journal La Jornada, «point d’aboutissement parce que les réformes systématisent les aspirations, projets et une plate-forme d’organisations pour développer le mouvement. Point de départ parce qu’elles permettront de reconstruire autant la demande que l’acteur».
Une économie familiale qui s’empire
Tandis qu’un nombre réduit de personnes jouit des bénéfices de l’économie de libre échange a produit, d’autres, la grande majorité souffrent les dégâts d’un modèle économique qui les a mis à l’écart. Au Mexique, en 1996, l’économie familiale toujours plus détériorée passe par ses pires moments, particulièrement pour les paysans et, en particulier, les indigènes. Les mexicains sont aujourd’hui passés d’héritiers des hommes et des femmes de la culture du maïs à importateurs de maïs étranger.
Un mexicain sur deux n’a pas accès à l’alimentation minimum établie par l’Organisation Mondiale de la Santé et la FAO des Nations Unies (2340 calories). Chaque année 158 mille enfants meurent avant de fêter leurs 5 ans, suite à des maladies causées par la desnutrition.
Les peuples autochtones sont les plus affectés par cette réalité. Leur agriculture est presque entièrement de subsistance et non pas destinée au marché. Qui plus est, ils souffrent de la discrimination et le vieux problème de l’absence de terres, ainsi que les injustices et un accès difficile à une procuration de justice efficace.
«Pour le moins un mexicain sur 10 est indigène. Ils vivent dans des conditions alarmantes de pauvreté et de marginalisation. Plus des ¾ de la population autochtone vivent dans 281 municipalités classifiées comme d’extrême marginalisation. Près de la moitié de la population autochtone est analphabète (la moyenne nationale est de 12%). Environ la moitié des municipalités autochtones n’ont ni l’électricité ni l’eau potable (moyenne nationale 14% et 21% respectivement). Dans 60% de ces municipalités, les habitants sont obligés d’émigrer. Entre 70 et 84% de la population indigène de moins de 5 ans présente des niveaux avancés de desnutrition. 80% des maladies sont d’origine infectieuse, du fait de la déficience nutritionnelle, l’anémie et l’insalubrité»
(La Jornada, 12 décembre 1996)
Le projet de loi et la contre-proposition du président
Avec le consentement des deux parties, en novembre dernier, la COCOPA a commencé à préparer un texte à partir des accords de février 1996, un document qui reprendrait les points de vue de l’EZLN et du gouvernement de manière juste et équilibrée. Le 29 novembre, ils terminèrent un projet de loi qu’ils remirent aux deux parties.
Avec une certaine réserve, l’EZLN l’accepta tandis que le gouvernement demanda 15 jours de plus pour consulter des spécialistes et s’engageant à donner un réponse avant le 23 décembre. Le résultat de cette consultation fut un document confidentiel rédigé pour l’EZLN qui résulta une contre-proposition. Finalement, le 11 janvier, l’EZLN la rejeta en signalant que les modifications suggérées par le gouvernement signifient un conditionnement et une subordination des Accords de San Andrés. A partir de ce moment, l’incorporation de la loi indigène n’a tenu qu’à un fil.
Le thème principal autour duquel la réforme constitutionnelle est la libre détermination des peuples autochtones et l’autonomie comme expression de cette dernière. C’est de là dont part la différence fondamentale entre les parties et d’où d’autres surgissent vu que chacune d’entre elles comprend et veut voir refléter ces concepts de manière très différente.
«Les termes «us et coutumes» (document du pouvoir exécutif) et «systèmes normatifs internes» (San Andrés, projet de loi de la COCOPA) sont-ils synonymes et interchangeables ? Est ce la même chose de parler de la communauté indigène comme «entité de droit public» (San Andrés, projet de loi de la COCOPA) que «d’intérêt public» (document du pouvoir exécutif) ? C’est la même chose de parler «d’homologation» (document d’Ernesto Zedillo) que de «validation» (San Andrés, projet de loi de la COCOPA) pour parler de la forme en fonction de laquelle les systèmes normatifs internes devraient s’articuler avec le reste du système judiciaire mexicain ?»
(Julio Miguel, La Jornada, 14 janvier 1997)
A ces modifications du Présent, il faut en ajouter d’autres qui ne sont pas non plus des différences de «rédaction». Tout lecteur pourra par exemple se rendre compte qu’il y a une différence entre «en consultation avec les peuples autochtones» et «en prenant en compte l’opinion des peuples autochtones».
Après le rejet catégorique de l’EZLN d’une telle proposition, c’est au tour de la COCOPA (suivant ce qu’elle s’est engagée à faire) de présenter son projet de loi auprès du Congrès de l’Union. Et si l’opinion publique parvient à faire pression sur le Congrès afin de faire en sorte que l’initiative soit intégrée dans la Constitution, le pays connaîtra un moment historique au cours duquel le fédéralisme et la démocratie se verront renforcés.
Si le projet de loi passe, la Constitution devra être modifiée : articles 4 et 115 de manière directe et 5 autres : 18, 26, 53, 73 et 116. Après cela, une série de lois à d’autres niveaux devront également être modifiées pour permettre l’application des réformes constitutionnelles.
Il s’agit des demandes les plus profondes des peuples autochtones qui se voient reflétées dans la devise du Congrès National Indigène d’octobre 1996 : «Jamais plus un Mexique sans nous».
Le débat : réserves indigènes ou états séparatistes
Même si les commentaires ne partent pas forcément d’une connaissance de fond du thème, le projet de loi de la COCOPA a généré un débat entre différents secteurs de la société.
Dans les échanges d’opinions, il existe des points de vue qui couvrent tout l’éventail des possibilités quant au futur des peuples autochtones. Il y a ceux qui considèrent que ce projet de loi signifiera condamner les peuples autochtones au modèle des réserves qui existe aux USA. D’autres pensent que celui-ci conduirait à fragmenter l’Etat National.
«Au lieu d’autonomies réelles et praticables, les tendances à l’isolement seraient consacrées ainsi qu’une vie type des réserves. La législation la plus parfaite et juste ne donnera ni bien être économique ni force culturelle à ces peuples . Ils doivent se les donner eux-mêmes. Cesser d’attendre et de demander et de commencer à agir»
(Miguel Aguilar Camin, historien, revue Proceso 1049)
Il propose :
«Si les indigènes veulent recevoir les bénéfices de la vie moderne, ils doivent vivre dans des communautés qui rendent ce type de vie possible et finançable… c’est-à-dire des populations de plus grande densité démographique».
D’autres considèrent que ce projet de loi peut se retourner contre ces bénéficiaires supposés :
«…ils demandent que la discrimination soit faite loi, c’est-à-dire que les lois fassent une distinction en fonction de l’ethnie, ils veulent qu’il y ait discrimination, une loi pour les indigènes et une autre pour ceux qui ne le sont pas»
(Fernando Escalante, coordinateur académique du Collège de Mexico, revue Proceso 1049)
Certains en sont même venus à dire que l’on veut donner des privilèges et des droits de ‘fuero‘ aux indigènes. Adelfo Regino, indigène mixe et membre de la Commission de Suivi et Vérification a ici répondu :
«C’est un privilège d’exiger le droit de vivre ? C’est un ‘fuero’ spécial que de demander le respect de tes droits fondamentaux ? … Nous voulons seulement avoir les mêmes droits que tout mexicain non indigène… une vie digne et libre sans aucun type de mépris ou de restriction»
(La Jornada, 8 décembre 1996)
D’un autre côté, des spécialistes qui ont travaillé avec et accompagné ces peuples pendant de nombreuses années ont parlé pour clarifier les malentendus et les confusions que ce projet de loi a générés. C’est par exemple le cas d’Hector Diaz Polanco, qui a travaillé au Nicaragua pour l’autonomie des peuples autochtones de ce pays à l’époque sandiniste et est un expert sur le thème indigène au Mexique. «L’autonomie ne signifie pas créer une situation en marge du processus démocratique… Il s’agit de créer de nouvelles règles qui permettent que ces secteurs, structurellement marginaux et exclus puissent avoir une participation pleine. Il ne s’agit pas de créer des groupes en marge de la citoyenneté mais de créer de véritables citoyens… que les peuples autochtones soient actifs… et qu’ils prennent en main la solution de leur propre problématique».
Au milieu de tant d’opinions il est difficile de savoir qui a raison ou non. Ce qui reste un fait, c’est que le niveau de pauvreté dont les peuples autochtones souffrent est l’un des plus bas dans le monde, ceci depuis l’arrivée des espagnols.
En la matière, Rodolfo Stavenhagen, chercheur et actuel président de la Commission de Suivi et de Vérification a affirmé :
«Seuls ceux qui veulent maintenir les indigènes en marge de la nation et des droits de l´homme voient dans la possible autonomie un danger et quelque chose qui doit être rejeté. Les états de la Fédération sont ‘libres et souverains’ sans que l’intégrité territoriale se voit menacée. La Municipalité est ‘libre’ sans que cela ébranle l’unité nationale. L’université est ‘autonome’ et cela ne signifie pas que les universitaires soient moins mexicains. L’autonomie des peuples autochtones est devenue une demande généralisée qui doit être écoutée»
(La Jornada, 18 décembre 1996)
Une dette historique et un droit international
Sans aucun doute le Mexique a une dette historique vis-à-vis des habitants autochtones de ces terres. Personne ne pourra nier, et de cela il existe plus d’un vestige, les avancées que ces civilisations connurent. Près de 10 millions d’indigènes mexicains en sont les descendants. Sans les trouvailles de la science occidentale à la même époque, les indigènes des Amériques précolombiennes furent de grands architectes, mathématiciens, astronomes, sculpteurs et peintres, entre autres.
«Nous espérons tous que le président Zedillo solde la dette avec les peuples autochtones et que cela leurs permette de retrouver leur génie créateur presque perdu»
Fernando Benitez, chercheur et écrivain
(La Jornada, 12 décembre 1996)
Le projet de loi de la COCPA se fonde non seulement sur les Accords de San Andrés, il fait partie de la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail et il s’appuie sur différents instruments juridiques de caractère international comme par exemple la Déclaration sur la Race et les Préjugés raciaux de l’UNESCO ou les Pactes internationaux de Droits humains ratifiés par le Mexique.
Le président Zedillo s’est rendu à la signature des Accords de Paix du Guatemala sans avoir résolu le problème de la paix dans son propre pays. Ceci devrait augmenter son engagement moral à reconnaître constitutionnellement les droits des peuples autochtones. Ces mêmes peuples, la nation entière et l’Histoire exigent de lui une réponse.
Les peuples autochtones ont déjà attendu très longtemps un tel moment et à ce stade, la seule chose qu’ils demandent c’est que le Président respecte ce qui a été signé.
«nous savons tous l’énorme signification que les indigènes mexicains prêtent au fait de donner sa parole. C’est la décision du président de faire en sorte qu’indigènes et non indigènes, y compris les entrepreneurs nationaux et internationaux, le croient à partir de maintenant»
(Octavio Rodriguez Araujo, La Jornada, 12 décembre 1996)