1995
03/02/2000SYNTHESE : Actions Recommandees
31/05/2000ANALYSE : Chiapas, une délicate période de transition
Incertitude est le mot le plus approprié pour caactériser la situation qui prévaut au Chiapas. La période électorale que vit le pays recouvre des caractéristiques bien spécifiques dans cet État du fait de l’alliance de l’opposition qui est en train de se consolider pour prétendre au gouvernement de l’entité. Simultanément, la sortie imminente des deux évêques du diocèse de San Cristóbal de las Casas génère tensions et expectatives concernant le futur, non seulement pour ce qui a trait au diocèse mais aussi en ce qui concerne le processus de paix que celui-ci a poussé de l’avant depuis le soulèvement zapatiste.
Bien que le sujet d’attention principal au niveau national au cours des derniers mois ait été le conflit de l’UNAM, l’Université Nationale Autonome du Mexique à Mexico (District Fédéral), plusieurs analystes ont considéré que la forme violente par le biais de laquelle le gouvernement fédéral a mis fin à l’occupation des locaux et au processus de négociation avec les grévistes laisse prévoir un dénouement similaire au conflit du Chiapas. Quelques-uns ont même trouvé des correspondances préoccupantes entre ces faits et ceux qui, en février 1995, ont interrompu le dialogue naissant avec l’EZLN pour débuter une période de persécution à l’encontre de ses dirigeants et de militarisation de la zone de conflit.
Dans la mesure où les élections présidentielles (le 2 juillet) et celles pour le gouverneur du Chiapas (le 20 août) approchent, le monde politique tourne de plus en plus autour de la dynamique électorale. Les élections internes récentes que le PRI a réalisé tant au niveau national qu’étatique démontre d’une part l’efficacité du parti de l’État pour contrôler l’appareil électoral, et d’autre part, l’indifférence de la citoyenneté face à un processus doté de peu de crédibilité et dont le résultat est connu d’avance.
Selon certains analystes indépendants, l’alliance de l’opposition menée par le sénateur (anciennement du PRI), Pablo Salazar Mendiguchía (chiapanèque, protestant et exmembre reconnu de la COCOPA) pourrait augmenter ses chances de gagner d’ici aux élections d’août. Au cours des derniers mois, il a reçu le soutien croissant d’organisations sociales de l’État, et il compte avec l’appui de tous les partis de l’opposition. Cette proposition de l’opposition a de vraies possibilités de gagner les élections du Chiapas face au PRI.
Cependant, certaines opinions se font plus pessimistes en signalant que, ni au Chiapas, ni au niveau national, les conditions qui permettraient d’assurer que la victoire électorale de Salazar sera respectée n’existent pas : la tradition de fraude qui a caractérisé le système électoral mexicain n’a guère changé au Chiapas depuis les réformes électorales de 1996. D’un autre côté, s’il accédait au pouvoir, Salazar devrait gouverner au moins jusqu’en 2001 avec un Congrès de l’État et la plupart des municipalités contrôlées par le PRI. Il faut encore compter avec un facteur d’incertitude supplémentaire : la présence de l’armée, des groupes paramilitaires et d’autres groupes de pouvoir économique.
Il sera en tous les cas nécessaires de suivre très attentivement le développement de la campagne électorale au Chiapas jusqu’à l’échéance électorale du mois d’août. Dans le cadre de ces élections, la présence de nombreux observateurs nationaux et internationaux serait souhaitable, afin de garantir le respect de la volonté populaire et d’assurer qu’il y aura le moins d’irrégularités possibles.
À cette conjoncture électorale incertaine, il faut ajouter la vacance de pouvoir du diocèse de San Cristóbal. Il est difficile d’accepter la version du Vatican lorsqu’il affirme que le transfert de l’évêque coadjuteur, Raúl Vera, – le successeur naturel et de droit de Samuel Ruiz – se doit à des raisons « purement ecclésiastiques ». Si l’intérêt du Vatican (en la personne du Secrétaire d’État conservateur Angelo Sodano) avait été d’assurer la continuité du travail de Ruiz, il lui aurait suffi de confirmer Vera comme successeur, étant donné la profonde identification de celui-ci avec la ligne actuelle du diocèse. En fait, depuis plusieurs années, la ligne pastorale mené par ce dernier, avec un fort accent mis sur la promotion sociale, l’organisation et le protagonisme des autochtones, a été une source de préoccupation pour le Vatican. Mais il est difficile de comprendre cette inquiétude si on ne la relie pas à l’importance que revêt pour le Vatican le fait de développer ses rapports diplomatiques avec le gouvernement mexicain, gouvernement qui a vu le diocèse comme une source de beaucoup de problèmes politiques.
Les analystes considèrent qu’il est probable que le nouvel évêque – dont la nomination était attendue lors de la mise sous presse de ce bulletin – cherche à diminuer le profil social et politique du diocèse, son travail de dénonciation de la situation des droits humains et de la militarisation, ainsi que son engagement en faveur du processus de paix et des droits des peuples indigènes. Si les choses en vont ainsi, le nouveau titulaire devra faire face à une Eglise solidement implantée dans les communautés indigènes, avec une structure sociale articulée autour d’un réseau de plus de 400 diacres et 8000 catéchistes indigènes, une structure organisée par thèmes en fonction des grandes lignes définies par le IIIe Synode diocésain qui donne à ces réalités une place importante dans la définition de sa mission.
Néanmoins, si l’on tient compte du fait que le diocèse est un point de référence important pour les catholiques et même pour certains secteurs protestants, ainsi que pour les ONG et les organisations populaires qui luttent pour un changement au Chiapas. Un possible affaiblissement de celui-ci pourrait représenter un coup dur pour ces acteurs qui, depuis le début du conflit, ont du faire face à une guerre d’usure permanente, la stratégie contrainsurgente du gouvernement fédéral et son opérateur, l’Exécutif de l’État.
L’éloignement de Samuel Ruiz du Chiapas est une autre source d’inquiétude pour le futur du processus de paix, dans la mesure où son leadership a été fondamental pour endiguer la violence, rechercher la voie du dialogue et de la négociation, ainsi que pour éviter une issue militaire au conflit. Dans un scénario de plus en plus polarisé et tendu, où l’espace de la négociation a pratiquement disparu, le risque est que la logique militaire s’impose finalement sur les options politiques : soit si le gouvernement décide de profiter de l’interrègne des prochains mois pour porter un coup final, soit si le même EZLN, face à la stagnation prolongée du processus, décide de reprendre le chemin des armes. Bien qu’aucune de ces deux options ne semble raisonnable ou probable, elles constituent cependant un scénario possible.
Comme toujours, l’attitude vigilante de la communauté internationale sera fondamentale au cours de cette période délicate. En ce sens, il sera nécessaire de donner un suivi à l’exécution de la part du gouvernement mexicain des importantes recommandations émises par la Haute-Commissionaire pour les droits humains de l’Organisation des Nations unies, Mary Robinson, et d’autres experts de cet organisme qui ont également visité le Mexique l’année dernière, se prononçant de manière très critique sur la situation des droits humains au Chiapas et dans d’autres États.