DOSSIER : La quatrième transformation … militaire ?
28/12/2020Activités du SIPAZ (De mi-août à mi-novembre 2020)
28/12/2020
L e premier mois de l’année prochaine marquera le dixième anniversaire de la mort de Mgr Samuel Ruiz García (1924-2011), un célèbre défenseur des droits des peuples autochtones au Mexique et en Amérique latine. Aussi connu sous le nom de j’Tatik Samuel (ce qui signifie père dans la langue tzeltale), il est probablement l’évêque qui a le plus promu ce qu’on appelle habituellement la théologie indienne.
La théologie indienne est un courant théologique qui a des expressions interreligieuses et œcuméniques. Elle se caractérise par la récupération et la reconnaissance de la pensée et des croyances religieuses millénaires des peuples originaires.
Pedro Gutiérrez Jiménez, “Petul”, Tzeltal Maya de Institut d’Etude et d’Investigation Interculturelle A.C. (Inesin) au Chiapas, explique que nous avons tous une expérience spirituelle qui se reflète dans toute l’histoire humaine : des étapes nomades aux civilisations sédentaires, on peut observer une expérience de la spiritualité, bien qu’en utilisant des noms différents et en faisant appel à des rituels et des images variées. Dans le cas du Chiapas, la théologie indienne cherche principalement à relier les croyances des peuples mayas à la croyance chrétienne, en particulier la foi catholique.
Les croyances et la spiritualité mayas dans les peuples originaires abordent diverses questions telles que l’amour et le respect de la Terre Mère, la recherche de l’harmonie humaine et sociale, la pratique de la justice à travers des accords communautaires et la recherche d’alternatives en vue du Lekil kuxlejal ou “le bien vivre”, entre autres aspects. La spiritualité des peuples autochtones se manifeste de différentes manières : par des rituels et des cérémonies avec des bougies, des herbes et de l’encens, par exemple dans les grottes et pres des sources ; par l’utilisation de danses et de chants en langues autochtones ; par la prière autour d’autels mayas qui symbolisent “le tout” : le temps et l’espace, l’humanité et la spiritualité, le ciel et la terre, la vie et la mort, le nord et le sud… La théologie indienne reconnaît la puissance libératrice et la richesse spirituelle des peuples autochtones qui avaient été auparavant diabolisés par l’Église. Il récupère, pour la réflexion d’aujourd’hui, des textes sacrés mayas comme le Popol Vuh.
Avant la conquête du Mexique, il y a 500 ans, les peuples originaires du Chiapas avaient déjà (et ont maintenu) leur spiritualité et leur conviction que toute spiritualité peut être intégrée dans leurs propres autels tout en venant avec l’intention d’enrichir, par opposition à l’attitude destructrice de la Conquête qui, pendant de nombreuses années, a voulu détruire la spiritualité et la sagesse des peuples autochtones et faire prévaloir la culture occidentale.
Au fil des années, les ecclésiastiques et les laïcs ont pris conscience de la force libératrice des cultures anciennes et des alternatives pour l’avenir qui se trouvent dans leur expérience de la vie et de Dieu. La théologie indienne encourage les gens dans leur espoir obstiné d’un “autre monde possible”.
Peu à peu, les portes de la théologie latino-américaine se sont ouvertes à la diversité du continent. En même temps, la marginalisation économique, politique et sociale dans laquelle les populations autochtones survivaient était préoccupante, en plus d’être menacée de dépossession et d’extinction totale à cause de l’avancée des grands projets du monde capitaliste sur leurs territoires. C’est dans ce cadre que la pastorale des peuples autochtones, la théologie indienne et l’Église autochtone se sont développées, coïncidant avec ces efforts avec les luttes indigènes pour leurs droits collectifs, pour leur autodétermination, leur autonomie et leur gouvernement autonome.
En février 1991, un peu plus de 20 ans après que plusieurs évêques, dont J’Tatik Samuel, aient constaté la nécessité d’un dialogue entre la spiritualité chrétienne et la spiritualité autochtone, la première rencontre continentale de théologie indienne – la double spiritualité – s’est tenue au Chiapas. Avec le temps, les doutes et les préjugés qui entravaient auparavant l’inculturation et l’appropriation indigène de l’Église catholique ont été dépassés.
Il est important de souligner que ces avancées de la théologie indienne sont le fruit d’une action collective des paroissiens dans les communautés autochtones, des leaders autochtones et aussi des serviteurs ecclésiaux qui sont sympathiques à la cause.
Avant son départ, Samuel Ruiz García a organisé un processus d’élaboration d’un troisième synode diocésain laissant la théologie indienne comme l’une des « six colonnes » du pari diocésain. Dans ce texte, le diocèse a ratifié son engagement à continuer à se consolider en tant qu' »Église autochtone, libératrice, évangélisatrice et servante, en communion avec Dieu et sous la conduite du Saint-Esprit ».
Au Chiapas, 20 ans après que J’Tatik Samuel ait quitté son service épiscopal, le diocèse continue de renforcer son engagement sur cet aspect théologique en favorisant un dialogue entre les processus actuels d’évangélisation et la sagesse des peuples originaires.
Le travail de la théologie indienne a également été reconnu par le pape François lorsqu’il est venu visiter le Mexique et le Chiapas en 2016. À San Cristóbal de las Casas, il a présenté un décret qui autorise l’utilisation des langues autochtones dans les messes et autres célébrations, un geste symbolique très pertinent.
“Accepter d’être dans ce diocèse, c’est accepter aussi la théologie indienne. La théologie indienne est un trésor du diocèse et de l’église, non pas une imposition. Elle doit être dans nos cœurs, apprendre et partager”, a reconnu l’actuel évêque, Don Rodrigo Aguilar.