DOSSIER : Les droits humains soumis à la bonne volonté des entreprises
31/03/2021Activités du SIPAZ (De mi-novembre 2020 à mi-février 2021)
31/03/2021« Nous voici Caminante
nous sommes toujours dans la lutte,
un gouvernement dominant
qui n’écoute pas notre voix.
Du Popol Vuh, notre enseignement
De la Bible, notre foi
De jTatic, un héritage
Et de sa Pâque, notre espoir ».
jTatic Grand-père Gardien
Francisco Lara, 2021
Cette année a marqué le 10e anniversaire de la mort de Samuel Ruiz García, évêque, constructeur de la paix et défenseur des peuples autochtones du Mexique et d’Amérique latine.
Avec des autels mayas, des prières en langue indigène, des fleurs et des chants, des cérémonies eucharistiques et d’autres événements présentiels ou à distance, diverses organisations civiles, des membres de l’Église catholique ainsi que des défenseur.e.s des droits de l’Homme ont partagé leurs expériences avec Samuel Ruiz.
Il est évident que l’héritage de jTatic (père, en tzeltal) Samuel a transcendé les cultures, les frontières et les générations, et aujourd’hui, les enseignements de « l’évêque des pauvres » dans le processus de construction de la paix au Chiapas se voient ravivés.
« Son héritage, une force pour la construction de la paix ».
Dans le cadre de cette célébration, l’organisation de la Société Civile Las Abejas de Acteal a publié un communiqué dans lequel elle présente Samuel Ruiz comme l’évêque qui en est venu à connaître la réalité des peuples autochtones, à se transformer et à transformer le Chiapas, réalisant ainsi « que son travail d’évêque devait répondre à cette réalité ». C’est ainsi que les agents pastoraux ont commencé à aider « à organiser des commissions et des travaux collectifs dans les peuples pour donner la priorité à la santé, l’éducation, la production et la défense de la terre ».
Cette arrivée transformatrice a permis aux peuples du Chiapas d’accueillir Samuel Ruíz comme l’un d’entre eux. De plus, avec la célébration du Concile Vatican II, l’Église catholique a acquis un engagement envers les pauvres et les peuples indigènes, en particulier en Amérique latine, en reconnaissant les formes et les façons de vivre la foi des peuples indigènes, l’aidant à devenir une « église autochtone ». En ce sens, la décision de Samuel Ruíz García d’opter pour les peuples originaires non seulement à partir des pratiques de la foi, mais aussi à partir d’une éducation participative pour soutenir la sensibilisation, l’animation et l’organisation (Serapaz Mexique, 2021) montre « comment la culture a été intégrée avec la foi dans cet exercice de construction de la paix par jTatik », mentionne Gonzalo Ituarte O.P. actuel directeur de Serapaz et proche collaborateur de Samuel Ruíz.
Dans le cadre du forum « Son esprit dans notre parcours. Lumières sur l’héritage de JTatik Samuel Ruiz dans la construction de la paix », certains des enseignements clés de JTatik Samuel dans le processus de construction de la paix au Chiapas ont été partagés.
Abelardo Cruz Jiménez, ancien président de l’organisation Kiptik ta Lecubtesel a rappelé comment jTatik Samuel a contribué non seulement à « la reconstruction des cultures des peuples indigènes du Chiapas » mais aussi à la transformation des communautés par l’unité et l’utilisation de la parole de Dieu pour continuer la lutte : « JTatik Samuel nous a encouragés et nous a dit que, comme un pot, nos peuples étaient brisés, mais qu’ils pouvaient s’unir à nouveau (…) nous avons sorti des tambours, des flûtes et des drapeaux et nous avons commencé à nous organiser (c’était) une lutte très difficile parce que le gouvernement faisait pression sur nous », mentionne Abelardo.
La médiation à laquelle Samuel Ruiz a participé lors du conflit entre le gouvernement mexicain et l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) a été une forme de reconnaissance par les acteurs de ce conflit, faisant de lui « un acteur clé dans la construction de la paix » et le mettant en même temps « dans la ligne de mire » : le fait que le gouvernement mexicain l’ait lié à la formation de l’EZLN a provoqué plusieurs tentatives de le retirer du diocèse de San Cristóbal et même le Vatican a annulé une partie centrale de sa pastorale, la formation de diacres indigènes, ce qui changera avec la visite du pape François en 2016.
Grâce à ce travail, Samuel Ruiz a permis de comprendre la médiation comme un processus d’accompagnement et de recherche de dialogue, « un point de rencontre, la recherche d’un terrain d’entente » où la reconnaissance des parties au conflit est nécessaire pour trouver « les voies de la transformation ». Ce processus de médiation visait à ce que les acteurs gouvernementaux reconnaissent « la légitimité des acteurs sociaux, de ceux qui sont en lutte en tant que sujets collectifs ayant leur propre voix » et parviennent ainsi à renforcer le sujet « historiquement opprimé ».
De plus, à l’époque de la plus grande oppression des peuples, Samuel Ruiz a pris l’initiative de construire des espaces pouvant répondre aux demandes des communautés et des autres organisations de défense de leurs droits. Il a cherché l’articulation entre les processus en lutte pour « générer des ponts qui leur permettraient de marcher vers le même horizon » mais aussi pour générer la participation des acteurs sociaux à la transformation des structures oppressives.
Le travail constant en faveur de la construction de la paix au Chiapas et au Mexique a été récompensé en 1998, lorsque Rigoberta Menchu, Adolfo Pérez Esquivel, Desmond Tutu, Oscar Arias et le Dalaï Lama, tous prix Nobel de la paix, ont signé une reconnaissance qui a été remise à Samuel Ruiz à San Cristóbal de las Casas dans le cadre du Conseil de paix qui s’est tenu cette même année dans cet état. L’intention de cette réunion était de démontrer que la paix est possible et surtout que la collaboration interreligieuse peut aussi contribuer à ce travail. « Dans un monde où la religion est trop souvent utilisée pour justifier la division, la haine et la violence – et trop rarement utilisée pour atténuer ces problèmes… »
En 2016, Samuel Ruiz García a reçu un salut du pape François qui a visité sa tombe dans la cathédrale de San Cristóbal de Las Casas. Avec sa visite, il a autorisé l’utilisation des langues originaires dans les cérémonies religieuses et a célébré une messe accompagnée par des diacres indigènes. Au cours de l’Eucharistie, le Pape a déclaré : « Souvent, de manière systématique et structurelle, votre peuple a été incompris et exclu de la société. Quelle tristesse ! Comme il serait bon que nous fassions tous un examen de conscience et apprenions à dire : pardon», en appelant à la réconciliation. Ce geste est pour beaucoup « la revendication » de l’évêque pour avoir opté pour les pauvres, alors que pour d’autres, c’est un acte de justice envers l’œuvre de jTatik Samuel.
« Le fait que le pape François ait eu un moment de prière, de silence devant la tombe de JTatik Samuel est extrêmement significatif, c’est une approbation d’un travail, d’un parcours de 40 ans. Très semblable à l’évêque défenseur des pauvres, Fray Bartolomé de las Casas, au début de l’ère coloniale », a déclaré le curé de Bachajón, José Javier Avilés Arreola, membre de la Compagnie de Jésus.
En ce sens, il est stimulant de voir la vitalité de l’héritage de Don Samuel. Elle nous rappelle aussi que la violence structurelle qui opprime le peuple est toujours en vigueur. « Il ne s’agit pas de répéter le passé, mais d’aborder la réalité depuis les nouveaux défis, et de partir de là pour être attentifs, attentives, et trouver de nouvelles réponses afin que la recherche de la paix soit possible ».
Cette année est l’occasion d’analyser l’avenir avec le même regard que celui de Don Samuel, de « regarder au-delà de l’obscurité des moments difficiles que nous traversons en tant qu’humanité pour mieux apprécier les lumières en cours de route ».
L’héritage de Samuel Ruiz nous apprend à ne pas perdre de vue l’importance du dialogue commun entre les processus intégraux de construction de la paix car, « correctement traités, les conflits sont un moteur qui permet des changements structurels, en particulier pour les groupes qui sont historiquement en situation de vulnérabilité ».