
ACTUALITE : Victoire écrasante de MORENA aux élections mexicaines
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ARTICLE : Travailler sur soi- même pour continuer à construire la paix
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La force globalisante des exclus est visualisée avec espérance, ceux-ci n’acceptent pas que ce système soit le système définitif, mais expriment plutôt avec véhémence qu’un autre système, où la justice et la vérité brillent, est urgent et possible
L’histoire passée, en petites lettres, n’est rien d’autre que l’antécédent du cauchemar actuel. Aujourd’hui la mort et la destruction de demain se façonnent
Développement… Pour qui ?
L ‘histoire de la région sud-sud-est, où le Chiapas, le Guerrero et le Oaxaca se trouvent, a été marquée par d’importantes mobilisations sociales. L’ensemble des caractéristiques géographiques, politiques, économiques et sociales, ainsi que la richesse en ressources naturelles et la situation géopolitique stratégique, ont fait que dans cette région se sont réunies les conditions de conflit propices à l’émergence de divers mouvements sociaux : une constante dans l’histoire de ce territoire. Ce sont des mouvements qui émergent comme des processus de résistance légitime pour la protection de leur territoire, de leurs ressources et de leurs modes de vie.
Depuis le gouvernement de Salinas de Gortari (1988-1994), grand promoteur de la politique néolibérale, le modèle de développement économique du Mexique repose sur le pillage aveugle de ressources stratégiques situées principalement dans les territoires indigènes ; l’expropriation y est encouragée pour maximiser le contrôle des grandes entreprises sur les ressources naturelles et le territoire, tandis que le gouvernement mexicain n’a pas montré d’intérêt à garantir que les peuples autochtones puissent exercer leurs droits collectifs et agraires.
La promotion d’une politique d’extraction de matières premières a impliqué une série de réformes législatives qui ont débuté en 1992, tant par le biais de la Constitution mexicaine que des lois secondaires. La première réforme fut celle de l’article 27 constitutionnel suivie de la réforme de la loi agraire et de la création d’une loi minière. L’objectif principal de la modification de l’article 27 était de freiner la propriété communale, ainsi que d’affaiblir l’organisation collective et les décisions liées au destin du territoire. La Loi minière impliquait que cette activité acquérait légalement le caractère d’intérêt général et d’utilité publique. Par conséquent, les sociétés minières bénéficiaient d’un accès préférentiel pour tirer parti de la terre et de l’eau par rapport à tout autre usage. Cette loi a été réformée en 1996, 2005, 2006 et 2014, renforçant un cadre juridique qui permettait le pillage légal des biens naturels des territoires indigènes et paysans, en promouvant et en approuvant les investissements privés (nationaux et étrangers) dans les terres de propriété collective.
D’un autre côté, le modèle centré sur l’extraction de matières premières passe souvent par des relations avec des groupes criminels qui se sont positionnés et installés dans des enclaves stratégiques. Non seulement cette situation viole les droits collectifs des communautés à décider de leurs biens naturels, mais elle a également établi des conditions de contrôle politique et social au milieu desquelles les entreprises opèrent pourtant confortablement. Dans la dernière étape, les groupes criminels se sont battus pour le contrôle territorial afin d’obtenir de plus grands profits et ont diversifié leurs économies, non seulement en matière de trafic de drogue, d’armes ou de migrants, mais aussi en matière d’activités légales, l’exploitation minière, par exemple, celle-ci étant une activité hautement compétitive et rentable grâce aux millions de dollars en extorsion qu’elle génère.
Actuellement, le modèle néo-développementaliste du gouvernement d’AMLO continue de privilégier les activités d’extraction de matières premières au détriment des modes de vie des personnes, des peuples et des communautés, estiment plusieurs analystes. La proposition politique de l’actuel président, n’implique pas de changement dans le modèle de développement mexicain promu depuis des décennies. Au moins 1.600 projets et grands projets d’infrastructure étaient prévus à l’agenda national de ce dernier gouvernement. Dans le sud-est du pays, région prioritaire du gouvernement d’AMLO, une politique très similaire à celle des gouvernements précédents a été maintenue, notamment la continuité des concessions minières accordées par les gouvernements précédents, la modernisation des raffineries, le projet de développement de l’isthme de Tehuantepec (ou Corridor Interocéanique) et le Train Maya.
En 2021, le gouvernement fédéral a même publié un décret dans lequel les projets en charge du gouvernement considérés comme prioritaires et stratégiques furent déclarés « d’intérêt public et de sécurité nationale ». Il ordonne d’accorder les autorisations nécessaires, y compris celles environnementales, dans un délai maximum de cinq jours. Avec cet accord, les droits des peuples et communautés autochtones au territoire et à l’autonomie ont été niés. À ce panorama s’ajoute la militarisation en cours dans le pays, qui complique encore plus la situation, puisque plusieurs actions militaires ont été réalisées pour contenir des manifestations ou des barrages routiers cherchant à freiner des projets de l’État.
La Lettre pastorale « Marchons à la lumière du Seigneur » de l’évêque de San Cristóbal publiée en 2020 exprimait à l’époque que « le projet de développement au niveau fédéral peut être très bien pensé et planifié, mais les étapes intermédiaires, et surtout les derniers échelons, provoquent fréquemment l’expropiation des territoires, qui est obtenue à travers diverses stratégies telles que le déplacement forcé, les menaces, la tromperie dans l’achat de terres, la pression par le bais des programmes sociaux, la coercition par des lois qui favorisent les puissants et la violence qui se produit par l’intermédiaire de la police fédérale, étatique et municipale, de l’armée, de la marine et de la garde nationale, ainsi que des groupes de choc, paramilitaires ou liés au trafic de drogue ».
De son côté, le Capitaine Marcos dans l’un de ses derniers communiqués intitulé « Adagios » a affirmé : « Dans son état actuel, le système réalise une nouvelle guerre de conquête, et son objectif est de détruire/reconstruire, de dépeupler/repeupler. La destruction / le dépeuplement et la reconstruction / la réorganisation d’une zone sont le but de cette guerre (…) Les grands projets ne dérivent pas en plus de développement. Il s’agit seulement de nouveaux axes commerciaux ouverts pour que le crime organisé ait accès a de nouveaux marchés. La dispute entre les cartels rivaux n’est pas uniquement liée au trafic de personnes et de drogues, mais àla dispute pour le monopole des extorsions sur les zones du Train Maya et du Couloir Transisthmique. Les arbres et les animaux ne peuvent pas payer, mais les communautés et les entreprises qui s’installent sur cette autre frontière virtuelle au sud-est du Mexique le peuvent ».
Pour ceux qui défendent le territoire, les projets d’extraction de matières premières, éco-touristiques et d’infrastructures deviennent un facteur de haut risque. De plus, dans la plupart des cas, ces projets représentent une source de conflits dans les communautés où ils sont mis en place, provoquant également une division sociale entre ceux qui sont en désaccord avec le projet et ce qui ne le sont pas.
Face a ce panorama, depuis quelques années et jusqu’à aujourd’hui, différentes personnes depuis différents espaces se sont prononcées pour dénoncer et faire connaître ce qui se passait et ce qui pourrait se passer. Le contexte dans la région est toujours plus violent ; les stratégies de contrôle, d’expropiation et de pillage continuent et se perpétuent à la vue de tous, dénoncent diverses organisations et associations. Bien que nombreux territoires au Chiapas, au Guerrero et au Oaxaca restent silencieux de peur de parler et qu’il semblerait que rien ne se produit, ils sont en fait dévastés, « détruits et reconstruits » au nom du développement.
Dénominateur commun
Dans son dernier rapport intitulé « Chiapas, un désastre », le Centre des droits de l’Homme Fray Bartolomé de Las Casas (Frayba) affirme : « nous sommes au milieu d’un contexte de continuité de violence généralisée (…). Au Chiapas, cela se reflète dans un certain nombre d’interactions notables entre le crime organisé, les groupes armés et leurs liens évidents avec les gouvernements et les entreprises. Ses impacts reproduisent des violations systématiques des droits de l’Homme, dans un contexte où l’État mexicain (…) se montre oublieux, permissif et complaisant face à la violence généralisée actuelle et aux multiples couches d’impunité qui s’accumulent historiquement, en exacerbant des phénomènes tels que : les déplacements forcés, les privations arbitraires de liberté qui conduisent à de nouvelles formes d’utilisation du système judiciaire pour générer la torture ; des attaques contre des défenseurs et des journalistes dans la continuité de la répression sociale, des violations du droit à la terre et au territoire qui perturbent les processus autonomes et configurent des scénarios vers de nouvelles formes de contre-insurrection ».
Bien que le texte cité fasse référence au Chiapas, ce qui y est dit décrit pleinement la réalité qui existe au Guerrero et au Oaxaca. Ces trois états de la région sud-sud-est partagent des conditions et des caractéristiques très similaires, qui sont à la base des problèmes auxquels ils sont aujourd’hui confrontés, mais aussi de leur force et de leur résistance historique. La propriété sociale de la terre (Guerrero 79 %, Oaxaca 76 % et Chiapas 60 %) et le système d’organisation collective en sont un exemple.
Dans les trois états, différents groupes criminels se sont infiltré dans les communautés indigènes et paysannes à différents niveaux et au sein de diverses structures. Ces nouvelles conditions ont généré une fragmentation importante et croissante, souvent alimentée par les actions des partis politiques. Les intérêts militaires, politiques et commerciaux sont étroitement liés à ces groupes criminels. Ils profitent du fait que la population vit dans la pauvreté, font taire ceux qui dénoncent leur collusion et alimentent les tensions pour maintenir les communautés divisées, tout en libérant le territoire pour des investissements lucratifs dans des grands projets d’infrastructures et des industries d’extraction de matières premières. Il a été démontré que la criminalité est la plus présente là où ce type de projets sont développés, augmentant ainsi le nombre d’enlèvements, de meurtres, de disparitions et de déplacements forcés ainsi que la criminalisation de ceux qui s’y opposent.
« Dans ce contexte défavorable, les organisations, mouvements et communautés continuent de lutter pour construire des conditions de vie digne, l’autonomie, la justice, les processus de sécurité, le contrôle territorial, la pacification et la capacité à gouverner à partir de différentes approches et engagements politiques », a déclaré le Frayba.
Défense du territoire et criminalisation des défenseur.e.s
Le rapport 2023 du Centre Mexicain du droit de l’environnement (CEMDA) sur la situation des personnes et des communautés défendant les droits humains environnementaux au Mexique a documenté que l’année dernière, 20 défenseurs de l’environnement ont été assassinés dans le pays. Au cours du gouvernement d’AMLO, au moins 102 défenseurs de l’environnement ont été assassinés à cause de leur travail.
Au cours de cette même période, 282 attaques ont été enregistrées contre 416 personnes et communautés défendant les droits humains environnementaux, sur un total de 123 événements différents. Le principal agresseur a été le gouvernement, avec une participation à 61 des 123 cas, suivi du crime organisé, avec 37 cas, et des entreprises privées, avec 19. Le secteur qui a fait face au plus grand nombre de cas a été celui de l’exploitation minière, avec 30, suivi des voies de communication, avec 18, et, en troisième position, la foresterie avec 13 cas. Quant aux 18 cas liés aux grands projets d’infrastructure et aux travaux liés aux voies de communication, tous concernaient l’habilitation de voies de chemins de fer. Parmi ceux-ci, 12 cas sont liés au projet du Train Maya et 6 au Corridor Interocéanique de l’Isthme de Tehuantepec.
57,7% des cas d’agression en 2023 concernaient des personnes issues de peuples autochtones. Jalisco a été l’état le plus dangereux pour les défenseurs de l’environnement et les communautés, avec 20 cas d’agression documentés. Viennent ensuite les états du Oaxaca avec 19 cas, Mexico avec 12 et le Chiapas avec 9.
Les cas de David Hernández Salazar, défenseur indigène Binnizá, opposant au Corridor Interocéanique, qui est criminalisé depuis 2017 pour sa lutte pour défendre les terres à usage commun de Pitayal, Puente Madera, Oaxaca ; ainsi que des prisonniers Agustín Pérez Domínguez, Martín Pérez Domínguez, Manuel Santiz Cruz Juan Velasco Aguilar et Agustín Pérez Velasco, indigènes Tseltal défenseurs de San Juan Cancuc, opposants à l’autoroute San Cristóbal-Palenque, sont des exemples clairs de la criminalisation de la défense des droits à la défense de l’environnement dans la région du sud-est.
Face à la violence et à la criminalisation, l’organisation
En août, une deuxième réunion régionale s’est tenue dans la ville de Oaxaca sur le thème “Conflits, violence et criminalisation contre les défenseur.e.s et le mouvement social”. Elle était convoquée par le Centre des droits humains Fray Bartolomé de Las Casas, le Centre des droits humains de la Montagne Tlachinollán et les Services d’éducation alternative A.C. (EDUCA).
Les communautés, villes et organisations des états du Chiapas, Guerrero et Oaxaca se sont réunies dans le but d’approfondir les stratégies de défense dans la région sud-sud-est et de construire des actions communes pour renforcer la résistance et les luttes dans ces trois états.
Après la réunion, un forum public sur la défense du territoire et la criminalisation des défenseurs et du mouvement social a été organisé. En plus de partager des expériences et des témoignages de lutte contre les différentes formes de violence vécues dans la région, un communiqué a été lu. Il était le fruit du travail et des échanges lors de la réunion antérieure.
« Dans le cadre de la Journée internationale des peuples indigènes (…) dans un scénario d’approfondissement et de normalisation de la violence et de tendance systématique de criminalisation des défenseurs et des mouvements sociaux dans la région (…) Nous dénonçons que ce néo-développementalisme impulsé par le pouvoir exécutif aux niveaux fédéral et étatique se fonde sur de profondes inégalités sociales. Ce modèle se caractérise par la légalisation de l’expropiation ou la gouvernance de l’expropiation. Nous dénonçons que durant ce gouvernement les projets néolibéraux déjà prônés par les gouvernements passés se sont matérialisés, nous nous référons au Projet Interocéanique du Oaxaca, aux projets miniers du Guerrero et du Oaxaca, et au Train Maya en ce qui concerne la région sud-sud-est. (…) La plus grande présence du crime organisé se concentre dans les régions où les projets d’extraction de matières premières sont imposés, au Guerrero, au Chiapas et au Oaxaca. Ceux d’entre nous qui s’opposent à ces projets sont assassinés, disparus, criminalisés et délégitimés. Cette pratique a été systématiquement mise en œuvre par les gouvernements fédéral, étatiques et municipaux. (…) Les communautés déplacées de force par la violence ne sont pas un scandale inventé par les organisations et les mouvements. Selon divers rapports, le nombre honteux de 21 000 indigènes déplacés au Chiapas au cours des deux dernières années a été documenté. (…) Les conséquences de l’imposition du modèle économique, de la négligence des gouvernements étatiques et fédéraux et de l’impunité ont été la normalisation de la violence, la contamination irréversible de l’environnement, une crise des eaux profondes dans la région du sud-est, la perte de la flore et de la faune, le contrôle territorial par des entreprises et le crime organisé, l’apathie citoyenne, la peur générale dans nos communautés, les fractures communautaires, en plus de graves effets sur notre tissu social », dénonce la déclaration finale.
De même, la déclaration souligne que « les peuples, les communautés et les mouvements du sud-est du pays s’engagent en faveur d’un modèle de société différent, dans lequel nos biens communs sont une priorité, la propriété sociale de la terre, l’intégrité de notre territoire, le renforcement de notre tissu social, la promotion des règlements internes et les statuts communaux. (…) Face à la violence et à la criminalisation, comme communautés et organisations, nous avons convenu de renforcer nos processus de résistance et d’organisation pour la sécurité, la création de comités de protection territoriale contre les menaces, le renforcement de nos processus collectifs et de notre mémoire historique, la mobilisation, la visibilité de nos problèmes, et bâtir des alliances et des réseaux plus amples à échelle nationale et internationale”.