Activités de SIPAZ (Février- Avril 2001)
31/05/2001SYNTHÈSE : Actions recommandées
28/12/2001ANALYSE : Processus de paix au Chiapas, la fin de l’optimisme
L’optimisme qui caractérisait la situation du processus de paix depuis le début de l’année a pris fin suite à l’approbation d’une réforme constitutionnelle portant sur les droits et la culture indigènes, une réforme qui a été rejetée par l’EZLN et d’autres organisations indigènes. Comme l’approbation du projet de loi élaboré par la COCOPA en 1996 était l’une des conditions posées par les zapatistes pour reprendre le dialogue, le processus de paix est entré dans une nouvelle crise: enlisement, incertitude et risques que certains groupes donne la priorité à l’option violente.
Le temps de l’espoir
Après l’arrivée au pouvoir du président Fox en décembre passé, on a pu observer un changement significatif en comparaison avec le sexennat antérieur (pendant la présidence d’Ernesto Zedillo, la tendance était de minimiser le plus possible le conflit) : Fox a en effet placé le thème du Chiapas comme une priorité de l’agenda nationale.
En dépit des tiraillements, l’EZLN a pu réaliser sa Marche jusqu’à Mexico (février – mars 2001) pour défendre le projet de loi de la COCOPA sans trop de contretemps. Elle a reçu le soutien de milliers de personnes indigènes et de la société civile lors de son passage par douze états. L’aspect le plus significatif fut la présence des zapatistes à la tribune du Congrès.
Cette présence a constitué un événement historique et le discours des commandants a constitué une autre source d’espoir dans la mesure où ils ont réaffirmé leur option pour la voie politique et le dialogue. Ils ont aussi reconnu que le pouvoir exécutif avait donné des signes de paix par le biais du retrait des positions militaires demandées par l’EZLN et avec la libération de la quasi-totalité des prisonniers zapatistes. Une première réunion a eu lieu entre le porte-parole des zapatistes et le représentant gouvernemental pour le Chiapas, marquant ainsi les premiers pas d’une possible reprise du processus de paix. C’était le premier contact entre l’EZLN et le gouvernement en près de cinq ans.
Le succès de la Marche zapatiste avait par ailleurs réveillé la confiance : l’EZLN avait réussi à susciter une ouverture politique qui faciliterait l’approbation du projet de loi de la COCOPA. Peut-être est-ce cet optimisme qui explique l’attitude de l’EZLN d’un retour au silence de la selva durant le processus de discussion du projet de loi au sein du Congrès.
Expectatives frustrées
L’approbation d’une loi indigène différente du projet de loi de la part du Congrès a marqué la fin des possibilités de rapprochement. Le rejet de l’EZLN et du CNI a été immédiat. D’autres organisations indigènes et non-gouvernementales n’ont guère tardé à faire de même.
Tandis que les secteurs proches du secteur officiel affirment que la loi approuvée constitue une avancée (même limitée), les secteurs proches du mouvement indigène la considèrent comme un coup qui pourrait être de grâce pour le processus de paix. Pour les zapatistes, la réforme approuvée viole les Accords signés à San Andrés avec le gouvernement précédent, ce qui coupe court à toutes possibilités de reprise du dialogue.
Un autre paradoxe qui ne peut qu’attirer l’attention tient au fait que la loi a été amplement rejetée par ses bénéficiaires supposés : les organisations et les communautés indigènes. Les instances gouvernementales qui travaillent dans ce domaine ont, elles aussi, critiqué la réforme approuvée.
Polémique dans 31 états
Une fois approuvée par le Congrès fédéral, la réforme constitutionnelle a du passer par les Congrès des 31 états. Historiquement, ce processus légal s’était réalisé jusqu’à maintenant de manière automatique. Dans le cas de la réforme indigène, le vote des Congrès des états a suscité l’intérêt et la polémique comme jamais auparavant au Mexique. Pour la première fois, la société civile a réalisé un intense lobby auprès des législateurs, et leurs votes s’exprimèrent librement, sans suivre nécessairement la ligne dictée par les partis politiques à l’échelle nationale.
Il faut souligner le rejet des états où la présence indigène est la plus grande, des états qui correspondent justement aux zones où la situation est la plus explosive et où sont présents des groupes guérilleros (Oaxaca, Chiapas et Guerrero). Plusieurs analystes considèrent que ce rejet ôte toute légitimité à la réforme puisque cette dernière ne résout pas la problématique indigène et qu’elle n’offre aucune perspective de solution au conflit du Chiapas. Le débat est ouvert quant au décalage qui peut exister entre légalité et légitimité. En particulier quand il s’agit d’un thème comme celui-ci, un système représentatif aura du mal à répondre aux demandes des peuples indigènes, quand ceux-ci constituent une minorité peu représentée dans les structures de pouvoir (c’est justement là quelque chose que le projet de loi de la COCOPA essayait de changer).
Quelles perspectives pour l’avenir ?
Le pouvoir législatif n’a pas rempli les expectatives des peuples indigènes en votant une loi que ceux-ci ne désirent pas. Le pouvoir exécutif l’a promulguée, alors même qu’il s’agissait d’une réforme différente au projet de loi envoyé par le Président. A présent, le pouvoir judiciaire semble être un nouvel acteur qui pourrait en venir à jouer un rôle clef dans la mesure où la Cour Suprême de Justice devra se prononcer sur les demandes contre la loi présentées par les représentants du PRD, les autorités municipales et les congrès des états.
En dépit du caractère dramatique de la situation, ce dynamisme dialectique qui se manifeste pour la première fois entre les trois pouvoirs de l’État n’en reste pas moins intéressant. Il a par ailleurs réussi à maintenir le thème des droits indigènes au centre de l’agenda national.
Il sera également intéressant de voir la capacité de la société civile (par le biais de sa mobilisation nationale et internationale) à questionner la légitimité de cette loi. Pour ce faire, un recours fondamental sera l’accord 169 portant sur les Peuples indigènes et les Tribus situés dans des Pays Indépendants, un accord que le Mexique a ratifié, et que la réforme approuvée contredit cependant dans certains aspects fondamentaux relatifs à l’autodétermination. L’influence de l’État mexicain auprès des organisations internationales est connue, et le défi sera sans nul doute très grand.
La politique du Pouvoir exécutif face au thème du Chiapas a été ambiguë et ne paraît pas fondée sur une stratégie de paix à long terme. Certains critiques accusent Vicente Fox de s’être contenter d’envoyer le projet de loi de la COCOPA au Congrès parce qu’il était urgent pour lui de résoudre le problème du Chiapas, et d’envoyer des signes clairs au début de son mandat. Ils affirment cependant que le Président n’a pas défendu cette réforme pour obtenir le soutien des législateurs, comme il l’a fait dans le cas des lois qu’il voulait voir approuvées : la réforme fiscale et le budget.
Pour ce qui est du Chiapas, même si les positions dont l’armée s’étaient retirées n’ont pas été reprises, les communautés indigènes ont commencé à dénoncer une recrudescence de la présence et le harcèlement militaire après l’approbation de la loi. Et il n’y a plus eu aucune avancée dans le processus de libération des prisonniers zapatistes.
Le respect des conditions des zapatistes semble d’ores et déjà faire partie de l’histoire et non plus comme une situation en suspens pour pouvoir reprendre le dialogue. De fait, les discours de différents membres du pouvoir exécutif soutiennent que le gouvernement a fait tout ce qui était en son pouvoir pour la paix au Chiapas, et que la balle est dans le camp des zapatistes. Face à la tension croissante au Chiapas, certains commentaires du Président sont préoccupants (par exemple, «il n’y a plus de conflit, nous sommes en sainte paix»).
D’un autre côté, les propositions du gouvernement pour faire face à la situation pourraient être insuffisantes ou inadéquates. Renvoyer les possibles améliorations de la réforme approuvée aux décrets d’application ne suffira pas pour récupérer la confiance de l’EZLN. Une autre stratégie du pouvoir exécutif semble être l’idée de chercher à résoudre les causes du conflit, c’est-à-dire de promouvoir des projets de développement économique et social dans les communautés indigènes du Chiapas. On perd ainsi de vue le fait que la problématique indigène soit nationale et non pas d’un seul état.
De plus, cette stratégie a été testée lors du sexennat antérieur sans résultats positifs : la situation économique des communautés est pire qu’au début du conflit. Et dans la plupart des cas, les aides gouvernementales ont fomenté les divisions intra-communautaires, surtout lorsqu’elles ont été utilisées à des fins de contre-insurrection ou de clientélisme. Actuellement, il existe une forte polarisation entre ceux qui reçoivent cette aide économique et ceux qui le refusent comme une partie de leur stratégie de résistance.
D’un autre côté, le gouvernement de Fox doit faire face aux conséquences de l’application des politiques économiques issues des accords de libre échange qui ont affecté sérieusement la production agricole, aujourd’hui en crise profonde dans presque tous les secteurs (principalement le café, le maïs, la canne à sucre et la pêche). Si la crise perdure, de même que la mobilisation croissante des secteurs ruraux, le conflit au Chiapas peut ne rester qu’une préoccupation secondaire dans un scénario national compliqué.
En ce qui concerne l’EZLN, cet acteur semble avoir opté pour un retour à la résistance. Cette décision génère des tensions y compris à l’intérieur des communautés zapatistes, du fait de l’usure et de la grave situation économique qui existent dans la zone de conflit. Une autre possibilité dont on a parlé -et qui pourrait être plus préoccupante- tient au fait que l’EZLN pourrait s’allier avec d’autres groupes guérilleros qui ont déjà exprimé aux zapatistes leur soutien pour s’être retiré du dialogue. Certains analystes comme Carlos Montemayor ont voulu interpréter le dernier communiqué de l’EZLN en ce sens : «[Les législateurs et le gouvernement] donnent une raison d’être aux différents groupes armés du Mexique en mettant fin à un processus de dialogue et de négociation» (Communiqué de l’EZLN du 29 avril).
En tous les cas, même si cela n’était pas une option réelle pour le commandement zapatiste, face à une situation aussi tendue, il est possible que certaines dynamiques puissent échapper au contrôle des mêmes acteurs et déclencher des processus irréversibles.
La guerre qui ne se voit pas
Pendant ce temps, au Chiapas, les conséquences de l’approbation de la réforme pèsent au niveau de la coexistence communautaire, et compromettent encore plus les possibilités de gouverner de l’administration de Pablo Salazar.
Après la marche zapatiste, et durant le bref processus de discussion de la réforme, le Chiapas a connu une période de détente sociale, politique et militaire. Mais face à cette nouvelle crise, la tendance est à nouveau à une toujours plus grande polarisation.
SERAPAZ (Services et Conseil pour la Paix) a dénoncé le caractère « explosif » d’une situation qui continue de se détériorer : conflits agraires entre organisations sociales et indigènes, présence en règle générale impunie des groupes paramilitaires, situation non résolue de milliers de déplacés, illustrations de mécontentement social, etc. Une situation aggravée qui plus est du fait d’un contexte préélectoral plutôt tendu (en octobre, il y aura des élections municipales et pour le Congrès de l’état).
Si auparavant la tension entre les organisations existait du fait de la division entre membres du PRI et de l’opposition ou bien indépendants, aujourd’hui la confrontation se vit aussi entre ceux qui soutiennent le gouvernement de Pablo Salazar (indépendant) et ceux qui refusent tout type de dialogue avec le gouvernement de l’état.
De son côté, le gouvernement de Salazar a été très clair lorsqu’il s’est agi de rejeter la réforme indigène approuvée. Depuis son arrivée au pouvoir, Salazar a aussi exprimé que son gouvernement – à la différence de l’antérieur – ne sera ni acteur ni partie dans la division entre les communautés et la promotion de la violence.
Cependant, selon certains, Salazar n’a toujours pas adopté de positions claires sur des thèmes particulièrement sensibles par rapport au conflit, comme les groupes paramilitaires et l’impunité, ce qui affecte directement la situation des déplacés. Il est possible que le fait de ne pas aborder ces thèmes soit relié à sa volonté de maintenir le dialogue avec tous les acteurs, ainsi que son besoin de s’assurer la possibilité de gouverner dans des conditions extrêmement difficiles.
Conflits d’intérêts
Après sept années et demi de conflit au Chiapas, le Mexique s’est doté d’une réforme constitutionnelle sur les droits indigènes dont les premiers intéressés n’ont pas été consulté et qui a été rejeté par la grande majorité d’entre eux.
Plusieurs experts et organisations ont affirmé que ce n’est pas un hasard que la réforme approuvée diffère des Accords de San Andrés et le projet de loi de la COCOPA dans des aspects fondamentaux comme reconnaître les peuples indigènes comme sujets de droits politiques, et garantir l’exercice de l’autonomie reconnue sur des bases matérielles et sures : la terre, les territoires et les ressources naturelles qui existent dans ceux-ci. Ils assurent que ces droits entrent en conflit avec les projets d’inversion et d’exploitation économique réalisés par les grands capitaux transnationaux au Chiapas et dans d’autres régions du Mexique.
Le dilemme est aussi clair que difficile et il va au-delà du conflit du Chiapas, tout en l’incluant : quel projet de pays est en discussion dans ce Mexique qui veut aller dans le sens d’une plus grande démocratisation?