2001
02/01/2002SYNTHÈSE : Actions recommandées
28/06/2002ANALYSE : Chiapas, dangereux éloignement des acteurs politiques
«Le Chiapas est un volcan endormi qui peut exploser à tout moment»
(Cardinal Roger Etchegaray, président émérite du Conseil pontifical de justice et paix et envoyé papal, après sa visite au Chiapas début janvier)
Il y a un an de cela, notre analyse du conflit au Chiapas était beaucoup plus optimiste quant aux possibilités de relance du processus de paix : l’EZLN annonçait sa marche vers la ville de Mexico et les nouveaux gouvernements (fédéral et de l’état), donnaient des signes encourageants, sept années après le soulèvement armé de 1994 (consultez nos bulletins de février et mars 2001).
Cette étape de rapprochement a pris fin en avril dernier suite à l’approbation d’une loi sur les droits autochtones que les organisations indigènes ont rejeté, arguant que cette réforme est contraire aux Accords de San Andrés signés entre le gouvernement et l’EZLN en février 1996. Cette décision était particulièrement critique dans la mesure où cette loi constituait l’une des conditions posées par les zapatistes pour reprendre le dialogue.
Réduction croissante des marges de manœuvre
L’EZLN est restée silencieuse pendant plus de neuf long mois et les analystes ne s’attendent pas à ce que cela change jusqu’à ce que la Cour suprême de justice de la Nation (SCJN) prenne une décision quant aux plus de 300 controverses constitutionnelles présentées contre la loi indigène auprès de cette instance. L’influence de cette instance judiciaire a considérablement augmenté depuis le début du gouvernement de Fox. Elle pourrait se convertir en arbitre de la transition dans la mesure où elle constitue un contrepoids face aux autres pouvoirs.
Ce laps de temps a permis jusqu’à présent de limiter la tendance croissante à la polarisation des acteurs. La responsabilité de la SCJN est donc particulièrement importante : si elle se prononce en faveur de la loi, cela réduirait plus encore les marges d’actions politiques et légales. Les groupes armés plus radicaux pourraient considérer cette décision comme une source de légitimité, l’option violente resurgissant comme seule voie possible. Si par contre, la SCJN se prononce contre la loi et que le thème est réouvert au sein du Congrès, la tension aurait plus de chance d’être gérée politiquement par les acteurs.
Une autre marge de manœuvre subsistera encore du fait de la proposition présentée par 160 députés de rediscuter le projet de réforme de la COCOPA. Dans un contexte international peu favorable, avec un Plan Puebla-Panamá sur le point d’être mis en marche et avec la conformation actuelle du Congrès, la reprise de la discussion autour de cette loi semble peu probable.
A un an de gouvernement pour le président Fox
Le Chiapas est seulement l’une des multiples promesses de campagne non tenues du gouvernement du président Fox. S’il a certes pu maintenir une stabilité macro-économique relative dans un contexte international adverse, un grand nombre de problèmes sociaux sont toujours sans solutions et semblent même s’aggraver. Sur plus d’un plan, la situation se prête à une plus grande instabilité et à la multiplication des conflits.
Bien que l’on ne puisse nier certaines avancées dans le cadre de la transition démocratique (en particulier un plus grand respect de la division des pouvoirs), certains thèmes ont été reportés jusqu’à un moment plus propice. C’est le cas par exemple de la réforme de l’Etat promise pendant la campagne et qui a été mis de coté faute de soutien au niveau du Congrès.
Une initiative importante a été la présentation surprise, quatre jours à peine avant la fin de sa première année au gouvernement, d’un rapport de la CNDH portant sur les disparitions forcées. Cela constitue un premier pas dans la clarification des crimes d’Etat commis au cours des décennies passées, et une décision clef dans la lutte contre l’impunité : massacre de 1968, cas du général Gallardo, etc. Cette tendance n’a pas manqué de déranger certains secteurs de l’armée et du PRI.
Après l’assassinat de l’activiste en droits humains Digna Ochoa en octobre 2001, les menaces contre les défenseurs de droits humains, journalistes et militants politiques se sont multipliés. Par delà les cas ponctuels, il est de plus en plus difficile de nier le caractère structurel des conflits au Mexique : impunité, limitations et manque de garanties du système d’administration de justice, privilèges et incidence croissante de l’armée, etc. La réitération des cas de ce type a introduit un bémol dans la relation du gouvernement de Fox avec les organismes de droits humains après plusieurs mois de relative harmonie.
A un an du gouvernement de Pablo Salazar dans l’état du Chiapas
Ce que l’on peut observer à l’échelle fédérale ressemble beaucoup à ce qui s’est passé au Chiapas : représentants du pouvoir exécutif gouvernant sans l’appui des partis qui les ont conduits au pouvoir ou avec un Congrès dominé par l’opposition ; repositionnement des forces et des acteurs politiques ; contradictions entre, et à l’intérieur des différents niveaux de pouvoir ; inerties des institutions et manque d’expérience des nouveaux fonctionnaires ; croissant mécontentement social ; etc.
Bien que le PRI ait conservé la majorité au sein du Congrès de l’état, cela ne signifie pas qu’il détienne le pouvoir comme parti. La stratégie du pouvoir exécutif semble avoir fait le pari d’un lobby individuel des membres du Congrès, plus que d’une négociation avec les fractions parlementaires. Les différences entre partis sont en voie de disparaître, ce qui est encore plus évident au niveau des municipalités. Dans les communautés, beaucoup sont «oficialistas» (appui au parti officiel au pouvoir), quel que soit le parti au pouvoir.
Le PRI du Chiapas se trouve affaibli: d’un côté, le changement de la direction de ce parti fait apparaître plus clairement les intérêts personnels, ce qui ravive les tensions entre le PRI national et de l’état ; d’un autre côté, les procès contre des fonctionnaires du gouvernement antérieur se sont multipliés.
Au cours de cette première année, le premier gouverneur du Chiapas non issu du PRI a du utilisé une grande partie de son énergie simplement pour maintenir un minimum de stabilité politique. Il n’a du coup pas pu répondre aux énormes retards économiques et sociaux, ni diminuer les conflits. De plus, face à la polarisation du scénario politico-social, il est particulièrement compliqué de promouvoir des projets de développement sans que cela devienne une source de tension et de division entre les différents secteurs de la société.
Chiapas : sur le point d’éclater?
Entre temps, le processus de paix en suspens est lourd de conséquences à l’échelle locale, car il passe par la radicalisation des positions des acteurs. L’EZLN s’éloigne toujours plus des organisations locales qui auparavant étaient ses alliés et sont désormais plus proches du gouvernement de Pablo Salazar. Les affrontements pour problèmes agraires et des différences politiques (où les conflits post-électoraux pèsent) se sont multipliés dans plusieurs zones de l’état, et la manière utilisée pour chercher à les résoudre démontre dramatiquement le manque de culture démocratique et de tolérance.
Au-delà du futur de la loi indigène et du processus de dialogue, cette situation de divisions et violence croissante dans les communautés rend difficile la possibilité de construction de l’autonomie, un thème qui pourra se transformer en une autre source de conflits.
Par ailleurs, au niveau national, le Chiapas est l’état où il y a le plus de marginalisation, une réalité préoccupante qui ne concerne pas seulement les communautés indigènes mais aussi quelques zones de populations métisses.