ACTUALITÉ : Chiapas – de la carotte au bâton ?
26/02/2010ACTUALITÉ : Entre changements et continuité
30/07/2010Le 8 mars 2010, ils furent des centaines à répondre à l’appel des femmes de l’organisation Las Abejas d’Acteal pour marcher de Yabteclum à Acteal dans le cadre de la Journée Mondiale de la Femme. Le cortège de manifestants s’immobilisa au niveau de la base militaire de Polhó où Las Abejas dénoncèrent le rôle de l’armée dans la réalité mexicaine : « Tous les mexicains, nous souffrons des abus que vous commettez, les fouilles illégales de domicile, les agressions physiques, tortures, viols et arrestations arbitraires. » Ces femmes continuèrent leur élocution en rappelant aux militaires : « Vous aussi vous avez des mères, des sœurs, des épouses et des filles, qui pourraient tout aussi bien avoir à souffrir de l’un ou l’autre de ces abus si vous obéissez aux ordres sans réfléchir à ce que vous demandent vos supérieurs ». Elles conclurent en citant les paroles du défunt évêque du Salvador Oscar Romero : « Aucun soldat n’est obligé d’obéir à un ordre contraire à la loi de Dieu. Une loi immorale, personne n’est tenu de la respecter. »
Ces quelques mots sont un appel à la désobéissance civile, un appel à désobéir à une loi ou un ordre que l’on considère, en conscience, injuste ou illégitime et contradictoire aux valeurs qui fondent l’idéal démocratique. C’est un outil de lutte auquel nous vous invitons à penser maintenant.
Penser la désobéissance civile à partir d’un exemple mexicain (3)
Nous voulons inviter le lecteur à (re-)visiter ce concept au travers d’un exemple chiapanèque et mexicain qui, bien qu’il n’utilise pas explicitement l’expression de désobéissance civile, présente toutes les caractéristiques de cette stratégie de lutte. Il s’agit de citoyens qui décidèrent d’arrêter de payer leur facture d’électricité à la CFE (Commission Fédérale d’Électricité), entreprise parapublique en charge de ce service, pour dénoncer ses tarifs injustes et arbitraires ainsi que son éventuelle privatisation. Ce mouvement s’organise en réseaux dans différents états du Mexique. Au Chiapas on trouve par exemple le « Réseau de Résistance Civile : La Voix de Notre cœur », avec une forte présence dans la zone Centre et les Hauts Plateaux, et le PUDEE (Peuples Unis en Défense de l’Énergie Électrique) dans la zone Nord. Au niveau national, ce mouvement se coordonne via le « Réseau National de Résistance Civile aux Tarifs Élevés de l’Électricité » (ci-après : Réseau National). (Pour plus d’information sur l’histoire de ce mouvement de résistance, cf les bulletins du SIPAZ de novembre 2009 et décembre 2004)
La désobéissance civile est un outil démocratique. Mais un outil démocratique de lutte. Pour appréhender les différentes caractéristiques qui permettent cette combinaison entre légitimité et force politique, commençons par nous demander pourquoi l’on parle de désobéissance civile.
Un premier élément de réponse est qu’il s’agit d’un outil civique : il ne se réfère pas à des intérêts particuliers mais à l’intérêt commun et ce, dans le but d’améliorer le « vivre ensemble ». Dans le cas de la résistance civile aux tarifs élevés de l’électricité, les militants ne luttent pas pour obtenir des tarifs préférentiels mais pour faire prévaloir l’intérêt du peuple sur les intérêts économiques de quelques-uns. Cette stratégie de lutte est aussi civile parce qu’elle reconnaît la fonction de la loi et des accords dans la démocratie : elle ne s’oppose pas à la loi en elle-même mais à l’injustice qu’elle peut engendrer. « Le désobéisseur civil est un dissident. Il n’est pas un délinquant. Il ne se désolidarise pas de la collectivité politique à laquelle il appartient : il ne refuse pas d’être solidaire, il refuse d’être complice. » (JM Muller) (3). Dans un communiqué récent du Réseau National, on pouvait lire « nous ne refusons pas de payer l’électricité à son juste tarif, nous refusons de payer des tarifs abusifs ».(4)
Au-delà de son aspect civique, c’est une stratégie civile parce qu’elle respecte les principes de la civilité entre citoyens : elle est non-violente tant dans ses fins que dans ses moyens. Quand le Mouvement de Résistance Civile aux Tarifs Élevés de l’Électricité de Candelaria, état de Campeche, reçut le Prix National de Droits Humains « Don Sergio Méndez Arceo » (mars 2010), le comité du prix commenta : « Sa lutte juste et pacifique est un avertissement aux puissants, un appel solidaire aux citoyens. » Puisque la désobéissance civile enfreint en effet la loi et ouvre donc la voie à la criminalisation et la répression de la part de l’État ; elle requiert par conséquent une grande détermination non-violente dans le discours et les actions de lutte.
La désobéissance civile ne se cache pas, elle s’assume publiquement et se revendique même en cherchant la plus grande diffusion possible. Cet aspect est éminemment stratégique puisqu’il s’agit de convaincre l’opinion publique. Au-delà de la désobéissance même à la loi, cette stratégie de lutte implique une campagne de sensibilisation car ce ne sont pas les désobéisseurs qui vont directement exercer la pression sur le gouvernement mais l’opinion publique une fois convaincue de la légitimité de leur action. En visitant les communautés de la zone Nord du Chiapas, il est facilement donné de voir la plaque du PUDEE ostensiblement clouée sur certaines maisons pour revendiquer publiquement cet acte de désobéissance civile. Au niveau national, cette campagne de sensibilisation combine de multiples outils : « nous avons réalisé des manifestations, des meetings, des barrages routiers intermittents, des forums, des rencontres, des fermetures d’édifices publics, de la distribution de tracts, des tribunes publiques d’information, des campagnes d’information aux feux rouges, des journaux muraux, des espaces de diffusion, des ateliers de formation de techniciens communautaires et des grèves de la faim, comme celle menée par nos camarades prisonniers de conscience. » (4)
La désobéissance civile est un acte responsable. Enfreindre la loi implique un risque et les sanctions prévues ont pour rôle de dissuader ceux qui voudraient l’enfreindre. Le désobéisseur accepte donc d’affronter la justice institutionnelle, ce qui, cependant, n’implique pas d’accepter la sentence finale : si la loi violée est vraiment injuste, la condamnation le sera tout autant. Dans l’état de Campeche trois personnes se trouvent actuellement en prison pour avoir activement participé à ce mouvement de résistance contre les tarifs élevés de la CFE, mais la campagne pour leur libération est venue renforcer la campagne de sensibilisation de l’opinion publique. Ce mouvement compte d’ailleurs déjà plusieurs victoires à son actif : le prix mentionné plus haut, et le même mois, l’adoption de leurs prisonniers comme prisonniers de conscience par Amnesty International.
Par ailleurs, la désobéissance civile ne se contente pas de s’opposer, elle s’efforce de proposer : elle est civile parce que c’est une force constructive de changement. Elle ne s’oppose pas à la démocratie mais la renforce grâce à l’exercice du contrepouvoir citoyen. La proposition du Réseau National par exemple est que l’électricité soit considérée comme un bien collectif et soit l’objet d’une redistribution publique selon des tarifs justes. Ils affirment : » Nous nous sommes organisés autour de nos besoins, et tous ensemble, en assemblée, nous avons déterminé quelle serait la participation fixe que nous pourrions apporter pour le fond communautaire de maintenance du système électrique. » (4). De plus en attendant que le service public de la CFE s’améliore, les membres de ce mouvement s’organisent et se forment pour réparer eux-mêmes les infrastructures électriques quand cela s’avère nécessaire.
Ces quelques points permettent de différencier la désobéissance civile d’une simple activité délictueuse et de défendre ainsi sa légitimité démocratique. Mais cette dernière se fonde aussi sur son caractère d’exception : c’est une action de personnes en général disposées à obéir à la loi qui se voient dans « l’obligation » d’y désobéir face à l’absence de réponse des autorités. C’est un outil de dernier recours après avoir usé de méthodes légales comme ce fut le cas des réclamations déposées à la CFE à la réception des factures abusives.
Combiner cohérence éthique et force politique (3)
Si le fait que la désobéissance civile soit à la fois civique, publique, non-violente, responsable, constructive et d’exception répond tant à une exigence éthique qu’à une exigence stratégique, quelques caractéristiques supplémentaires sont nécessaires pour lui conférer une véritable force politique. La désobéissance civile est plus que la simple expression de convictions, elle consiste en une véritable volonté des citoyens d’exercer le pouvoir qui leur correspond. Elle cherche à obtenir des résultats : obliger l’État à abroger ou modifier la loi injuste.
Par conséquent, c’est une action qui doit être organisée collectivement : plus la mobilisation sera grande, plus elle aura d’impact. L’aspect collectif permet aussi de réduire la probabilité de se tromper. En ce qui concerne notre exemple, les réseaux au travers desquels la résistance aux tarifs élevés de l’électricité s’organise ont déjà été mentionnés plus haut. Par ailleurs, étant donné que désobéir requiert le courage de faire face au risque de sanction, l’aspect collectif de l’action aide à surmonter la peur de la répression et permet, dans une certaine mesure, de l’éviter. Cette solidarité est clairement exprimée par un des principes du Réseau National : « Porter atteinte à l’un d’entre nous, c’est nous porter atteinte à tous ».
La mobilisation doit aussi s’inscrire dans la durée. Le pouvoir ne cède pas souvent face à une manifestation ponctuelle. Plus l’action durera, plus le dilemme sera grand pour le pouvoir : ne pas réagir ou réprimer –deux options qui jouent contre lui puisqu’elles démontrent une perte de légitimité-, ou bien prendre en compte la revendication des citoyens. Si la coordination au niveau national du mouvement de non-paiement de l’électricité est relativement récente (mai 2009), au Chiapas ses prémices remontent au moins à 1994 et le mouvement a nettement pris de l’ampleur depuis quelques années. Cette caractéristique implique de se préparer à une éventuelle répression. Dans ce sens, ceux qui décidèrent d’arrêter de payer leurs factures à la CFE se sont exposés à des pressions allant de coupures d’électricité au retrait de programmes d’aide sociale dont ils étaient bénéficiaires. Ils dénoncent ces deux types de mesures répressives comme étant aussi illégitimes que les factures qu’ils reçoivent.
Pour finir, reste à aborder un aspect très important de cette stratégie : passer par une analyse globale pour décider d’un objectif spécifique. Il ne s’agit pas de se concentrer sur un cas particulier d’injustice mais de le comprendre dans le système qui l’a généré. Dans notre exemple, ces désobéisseurs civils inscrivent leur lutte pour un tarif juste de l’électricité dans le cadre de l’exigence de l’application des Accords de San Andrés (accords sur les Droits et la Culture Indigènes signés entre le gouvernement et l’EZLN –armée zapatiste de libération nationale- en 1996). En choisissant un objectif spécifique limité et atteignable, c’est une incidence sur le système en tant que tel qui est recherchée.
De la désobéissance à la remise en cause d’un système injuste en soi
La désobéissance civile naît d’une décision individuelle, bien que, si elle se maintient à ce niveau, on parle d’objection de conscience. Au Mexique, un exemple d’objection de conscience a récemment fait irruption dans le débat public quand, le 10 avril 2010, est entrée en vigueur une loi obligeant les particuliers à enregistrer leur numéro de téléphone portable sur le Registre National des Usagers de Téléphonie Mobile (RENAUT). L’État mexicain a défendu cette loi en argumentant qu’elle permettrait d’améliorer la sécurité publique du pays, d’éviter les extorsions, les enlèvements et autres délits impliquant souvent l’usage d’un téléphone portable. Étant donné que l’enregistrement d’un numéro dans le RENAUT implique de fournir des informations personnelles comme le nom, le CURP (Code Unique d’Enregistrement de la Population – ce qui correspondrait au numéro de Sécurité Sociale en France) et le domicile, ce projet de loi souleva une vague de critiques se référant au droit à la liberté et à la vie privée. Les autorités menacèrent ceux qui n’enregistreraient pas leur numéro avant l’échéance fixée de voir leur ligne coupée. Une fois l’échéance passée, environ 17 millions de personnes n’avaient toujours pas enregistré leur numéro. Certains sans doute faute d’avoir été au courant, mais de nombreux autres par choix. D’ailleurs, en signe de protestation face au caractère violateur des droits humains et pour remettre en cause de l’utilité même de ce registre, l’invitation à enregistrer son téléphone au nom de certaines figures politiques s’est vite propagée en faisant circuler les données personnelles des personnalités en question.
Quand plusieurs objecteurs de conscience décident de se rassembler pour penser une stratégie commune qui permette, au-delà de dénoncer l’injustice, d’y mettre fin, on parle alors de désobéissance civile telle qu’elle fut caractérisée dans l’exemple précédent. Par ailleurs, si dans une société démocratique représentative, les citoyens ont toute la légitimité pour ne pas attendre un changement de gouvernement pour changer une loi injuste –car il ne convient pas de faire attendre la justice-, un autre scénario peut aussi être envisagé quand « il ne s’agit plus de s’opposer à une loi injuste dans une société démocratique, mais de résister à un pouvoir injuste qui viole délibérément les principes de la démocratie. La désobéissance peut alors prendre la forme d’une véritable « insurrection pacifique » des citoyens qui se donnent pour but, non plus de changer telle ou telle loi, mais changer le pouvoir lui-même. » (JM Muller) (1). Si la légitimité de la désobéissance civile s’enracine dans le droit du peuple à résister à l’injustice dans un régime démocratique, celle de l’insurrection pacifique s’enracine dans le droit du peuple à résister à l’oppression quand ce dernier n’est plus démocratique.
Au Chiapas, l’insurrection pacifique est la stratégie actuelle –et depuis plusieurs années- du mouvement zapatiste. Depuis les 12 jours de guerre de 1994, ils ont respecté le cessez-le-feu. Après avoir vu se fermer les différents espaces démocratiques permettant de défendre leurs revendications, et face à l’absence d’application des Accords de San Andrés de la part du gouvernement, les zapatistes ont opté pour la construction de l’autonomie de facto. Ils se sont soustraits à l’obligation d’obéissance à un pouvoir qu’ils considèrent injuste et illégitime et construisent une proposition sociale différente sous la forme d’une structure civile chapeautée par des « Comités de Bon Gouvernement » (Juntas de Buen Gobierno – JBG). Ces Comités sont formés de représentants, hommes et femmes, des Municipalités Autonomes Zapatistes qui y siègent de manière rotative et sont susceptibles d’être déchus de leurs fonctions à tout moment s’ils ne respectent pas le célèbre principe du « mandar obedeciendo » (« gouverner en obéissant ») issu du postulat zapatiste « le peuple gouverne et le gouvernement obéit ».
La proposition zapatiste est plus qu’une alternative face au problème de la représentation politique dans les processus démocratiques. Elle s’enracine dans une critique de l’exercice du pouvoir au Mexique et dans le monde. Leur vision du pouvoir est en partie illustrée par la métaphore suivante : « Quand le rebelle se retrouve face à face avec la Chaise du Pouvoir (comme ça, avec les majuscules), il l’observe posément, l’analyse, puis au lieu de s’y installer, il va chercher une lime, ces petites limes qui servent pour les ongles, et armé d’une héroïque patience, il lui lime peu à peu les pieds jusqu’à ce que, selon lui, ils soient si fragiles qu’ils se briseront sous le poids de celui qui voudra s’y asseoir, résultat d’ailleurs observable presque immédiatement. » (Communiqué de 2002)
D’autre part, la proposition politique de l’Autre Campagne (invitation politique lancée à la société civile nationale par le mouvement zapatiste en 2005) consiste à créer de nouvelles conditions pour restructurer les relations sociales, lancer conjointement un Programme National de Lutte et impulser une nouvelle constitution politique, un nouveau pacte social qui prendrait en compte les revendications du peuple mexicain.
Qu’il s’agisse de la démocratie au Mexique (ou dans d’autres pays), ou des alternatives proposées par exemple par le zapatisme, rêver et construire des modèles réellement démocratiques est un processus permanent et souvent conflictuel au cours duquel les voix dissidentes devraient être considérées comme des apports indispensables pour renforcer ce qui a déjà été construit et continuer à construire. Les zapatistes expliquent « la démocratie » qu’ils s’attachent à construire en ces termes : « Nous cheminons depuis toujours pour que la volonté du peuple soit présente dans le cœur des hommes et des femmes de pouvoir. Cette volonté de la majorité trace le chemin que les pas de ceux qui gouvernent devraient suivre. Si ces derniers s’en s’écartent pour marcher dans une autre direction que celle indiquée par le peuple, le cœur qui gouverne devra être remplacé par un cœur qui obéit. C’est ainsi qu’est née notre force dans la montagne, celui qui gouverne obéit s’il a un cœur vrai, celui qui obéit gouverne en unissant son cœur à celui des hommes et des femmes vrais. Un autre mot nous est parvenu depuis de lointaines contrées pour donner un nom à cette manière de gouverner, et l’on nomma « démocratie » ce chemin que nous construisions déjà bien avant que les mots ne voyagent. » (Communiqué de 1994)
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De l’obéissance à la désobéissance : les deux vertus du citoyen (1)
Le concept de démocratie est avant tout une utopie à construire. Le mot est issu du grec antique et combine deux vocables : « demos » qui peut se traduire par « peuple » et « krátos » qui peut se traduire par « pouvoir » ou « gouvernement ». L’idéal démocratique invite à une forme d’organisation ou de gouvernement « du peuple, pour et par le peuple », dans laquelle le pouvoir et la prise de décision sont partagés entre tous ses membres. Il se base sur un pacte social dans lequel sont exprimés la reconnaissance d’une série d’accords, de règles ou de lois, et la volonté explicite de ses membres de vivre ensemble selon ces principes.
Dans la pratique, il existe de nombreuses variantes du concept de démocratie, bien que dans la plupart des cas une unique façon de le comprendre et de l’appliquer ait été imposée : celle développée par les pays du Nord qui fonctionne sur la base de la démocratie indirecte ou représentative, occultant des modes de « vivre ensemble » instaurés par d’autres peuples et qui fonctionnent de manière plus directe. Dans un idéal de co-responsabilité de tous les citoyens, y compris dans les pays du Nord, des mécanismes de participation et de contrepouvoir (face aux représentants) ont été développés.
L’idéal démocratique implique égalité et répartition du pouvoir entre les citoyens. Dans des sociétés de grande taille, le modèle le plus commun passe par l’élection de représentants à qui les citoyens délèguent leur pouvoir de décision. Un des risques inhérent à ce modèle est que la voix du citoyen ne soit prise en compte qu’au moment des élections, alors qu’une exigence fondamentale de la démocratie est le dialogue, la capacité à construire et déconstruire des accords pour rendre compte des évolutions de la société et répondre aux nouveaux besoins identifiés. Une autre série de risques découle du fait que les décisions –via le processus électoral- sont prises par la loi du nombre, ce qui ne garantit pas toujours la réalisation de l’idéal démocratique et peut même s’avérer antidémocratique quand cela en vient à affecter les droits fondamentaux des minorités ou des individus.
Au-delà des défis qui lui sont inhérents, la mise en pratique de la démocratie requiert l’obéissance des citoyens aux lois définies pour le « vivre ensemble ». Il est important de souligner que l’obéissance n’est pas la soumission. La « soumission » signifie « être mis sous» la volonté ou les désirs d’un autre. Elle implique de s’en remettre à l’autre sans penser par soi-même. Alors que l’obéissance vient du latin « oboedire » qui signifie « être attentif à » « prendre en compte ». En ce sens, l’obéissance, qui implique l’exercice du libre-arbitre, est une vertu du citoyen. (2)
Mais, si la « loi de la majorité » prétend dire ce qui est juste, elle ne garantit pas la justice. Le gouvernement démocratique n’est pas infaillible, et, pour les citoyens, l’exigence de justice doit prévaloir sur la loi du nombre. « Pour autant que la loi remplisse sa fonction au service de la justice, elle mérite le respect et l’obéissance des citoyens. (…) Lorsque la loi cautionne ou engendre elle-même l’injustice, elle mérite le mépris et la désobéissance des citoyens. (…) Celui qui se soumet à une loi injuste porte une part de la responsabilité de cette injustice. » (JM Muller, penseur français de la non-violence) (1). Ainsi quand les canaux de la démocratie restent fermés et que se sont écoulés les moyens légaux, le citoyen peut démontrer sa détermination à faveur de l’idéal démocratique en engageant des actions de désobéissance civile. S’il est clair que l’obéissance est une vertu du citoyen, la désobéissance à ce qui est injuste est alors la vertu complémentaire de cette première.
Gandhi, penseur et militant non-violent qui a impulsé l’indépendance de l’Inde par des actions de désobéissance civile, la présentait déjà comme un droit et un devoir à la fois :
» Personne n’est obligé de coopérer à sa propre perte ou à son esclavage. […] La désobéissance civile est un droit imprescriptible de tout citoyen. Il ne saurait y renoncer sans cesser d’être un homme (sic). […] La démocratie n’est pas faite pour ceux qui se comportent comme des moutons. Dans un régime démocratique, chaque individu protège jalousement sa liberté d’opinion et d’action. Tout citoyen se rend responsable de tout ce que fait son gouvernement ; il doit le soutenir pleinement tant que ce gouvernement prend des décisions acceptables. Mais le jour où l’équipe au pouvoir fait du mal à la nation, chacun de ses citoyens se trouve dans l’obligation de lui retirer son soutien. «
D’aucun peut s’interroger –surtout s’il partage la position de la majorité- sur le danger que représente la désobéissance civile pour la démocratie. Cependant, l’histoire a déjà démontré que la démocratie est plus menacée par l’obéissance à des lois ou des ordres injustes que par la désobéissance à ces derniers. Il suffit de penser par exemple aux diverses dictatures d’Amérique Latine ou d’ailleurs. La désobéissance civile n’affaiblit pas la démocratie mais la protège et la renforce en attirant l’attention sur ses failles et faisant appel à un sens de la justice qui, depuis la conscience du citoyen responsable, peut prévaloir sur la légalité.
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Documents consultés et cités :
- Jean-Marie Muller, Dictionnaire de la non-violence. Les Éditions du Relié, 2005, pp. 92 à 96 y 100 à 108.
- Maheu-Vaillant E. (sous la dir.), L’autorité, pour une éducation non-violente, Ed. du MAN, 2010, p.89
- Jean-Marie Muller y Alain Refalo dans la revue française Alternatives Non-Violentes #142 « Eloge de la désobéissance civile. Les désobéisseurs au service du droit. »
- Communiqué du 1er mai 2010 et autres documents du Réseau National sur