DOSSIER: La réconciliation, une opportunité pour la paix
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30/01/1998DOSSIER: Seconde Rencontre Œcuménique pour la Réconciliation et la Paix, partager la douleur et l’espoir
Seconde Rencontre Œcuménique pour la Réconciliation et la Paix
Partager la douleur et l’espoir
Le haut degré de violence qui caractérise plusieurs zones du Chiapas, particulièrement dans la zone Nord, a souvent été attribué à l’intolérance religieuse existante entre les différentes dénominations chrétiennes présentes dans cet état. Si les causes profondes des conflits sont d’ordre politique et idéologique et non pas religieux, les différences religieuses ont été déterminantes. Les groupes religieux s’accusant et se renvoyant la responsabilité, de la violence et de ses lamentables conséquences. L’explication religieuse des conflits s’est répandue d’une manière telle que beaucoup ont fini par y croire. Dans ces conditions, convoquer une Rencontre Œcuménique représentait un grand défi à l’heure de chercher à modifier les dynamiques de guerre et de polarisation qui se donnent dans les différentes régions.
La seconde Rencontre Œcuménique pour la Paix et la réconciliation au Chiapas fut convoqué du 3 au 5 septembre pour pouvoir mettre les choses au clair et plus encore, pour chercher les chemins et formes d’un rapprochement entre les différentes dénominations chrétiennes. Le siège fut le diocèse catholique de San Cristobal de Las Casas. La première Rencontre avait été organisée dans les installations du Séminaire Presbytérien des Hauts-Plateaux également dans cette ville en avril dernier.
Au début… l’incertitude
Avec de grandes expectatives et beaucoup à partager, les catéchistes, pasteurs, religieuses et prêtres se réunirent pour trouver des issues pacifiques aux conflits existants dans leurs différentes régions d’origine. La Rencontre permit de réunir 75 participant(e)s environ, y compris des observateurs et invités originaires d’autres pays. Ils arrivèrent au compte goutte au départ, avec l’incertitude et l’appréhension de possiblement trouver là quelqu’un avec qui ils auraient un conflit en commun non résolu.
Au début de la Rencontre, ils se voyaient et se saluaient sèchement ou pas du tout. Dans les couloirs de la maison, avant le début des activités, on pouvait voir des petits groupes de personnes se connaissant déjà ou de la même dénomination. Chacun cherchait «son groupe». Un moment plutôt tendu où la disposition au dialogue et au rapprochement semblait inexistante. On pouvait même interpréter leurs attitudes comme s’ils se rendaient coupables les uns les autres des faits de violence qui déchirent la vie et l’harmonie dans leurs communautés.
Quand la réunion commença, les présentations furent rigides et par trop formelles, sans inclure de détails plus personnels. Il n’y eut d’ailleurs pas de présentations personnelles mais par églises et par zones. Lors de l’ouverture, personne n’était prêt à sourire et moins encore à applaudir. Après la présentation, un temps de prière œcuménique dirigé par l’église anabaptiste suivit comme préparation au travail des jours suivants. Ce fut ce moment de réflexion et de prière suivi du souper qui permit de briser quelque peu la glace. Un autre facteur qui permit une plus grande intégration fut la répartition des tâches logistiques (servir les repas, laver la vaisselle et aider à servir le café) vu que pour ce faire, des groupes hétérogènes furent formés, permettant plus de dialogue et de rapprochement.
Mots en suspens : la nature des conflits et leurs victimes
Le lendemain, les représentants des différentes églises commencèrent à présenter leur perception de la réalité dans leurs régions ainsi que des conflits politiques, sociaux et religieux existants dans leurs communautés. Ils purent ainsi exprimer ce qu’ils avaient sur le cœur et qu’ils ne s’étaient jamais dit directement. On put écouter des descriptions pleines de détails comme les indigènes ont coutume de parler, des histoires qui parfois semblaient se répéter. Ceci permit d’obtenir une vision plus ample et profonde de la situation générale. On put aussi percevoir la douleur et la souffrance de milliers de personnes suite à la violence qui a été utilisée de manière toujours plus récurrente comme façon de résoudre les différences.
Parmi les différentes formes de violence qui ont frappé des familles et communautés entières on peut souligner : assassinats, emprisonnements, expulsions, vols, viols, menaces, insultes, fermetures de temples et destruction des représentations des saints, etc. Pas une dénomination n’est restée sans souffrir au moins l’une de ces agressions. D’une façon ou d’une autre, tous ont souffert dans leur propre chair des conséquences de la violence, qui selon eux, sont les conséquences de la guerre.
S’il est vrai qu’il existait des conflits au Chiapas avant le soulèvement armé zapatiste de janvier 1994, ceux-ci se sont intensifiés et multipliés à partir de 1995. Dans la zone Nord du Chiapas au cours des deux dernières années, près de 4000 personnes ont été déplacées, environ 300 ont été assassinées et une centaine ont été arrêtées. A ce jour, à peine la moitié des déplacés sont retournés dans leurs communautés et moins de la moitié des prisonniers ont été libérés.
Lorsqu’ils ont parlé de la nature des conflits face à la presse, les représentants de la Rencontre ont exprimé :
«Nous affirmons que les origines de la violence y compris dans la zone Nord du Chiapas ne sont pas de caractère religieux mais liées aux injustices religieuses, aux intérêts politiques et idéologiques et nous nous engageons à travailler ensemble sans haine ni violence pour œuvrer dans le sens de l’éradication de ces causes»
Déclaration finale de la Rencontre.
Une étape indispensable : demander pardon
Durant la Rencontre, une étape considérée comme nécessaire pour travailler ensemble dans le sens de la réconciliation et la paix a été de demander pardon pour les offenses et dommages causés les uns contre les autres. Reconnaître que tous avaient joué un rôle d’une manière ou d’une autre dans les divisions et la polarisation au sein des communautés fut peut être l’une des choses qui fut le plus difficile d’accepter.
Si au départ le langage utilisé était dur et accusateur, particulièrement parce que les témoignages détaillaient les endroits et personnes (il est très probable que certaines des personnes accusées se trouvaient présentes), la réflexion biblique le second jour fut un autre facteur qui contribua à créer entre les présents un espace fraternel et de conciliation. Elle fut également réalisée en groupes hétérogènes. Les textes bibliques furent clés en ce sens : «nous sommes tous faits à l’image et ressemblance de Dieu (Genèse 1, 26) ou «la justice ne sera possible que si ceux qui travaillent pour la paix sèment la paix» (Saint Jacques 3, 13-18).
Bien sur, ceci n’est que le début d’un long chemin. Mais il était important de reconnaître que les attitudes des uns plus que des autres, peut être, n’aidaient en rien dans la résolution des conflits et que tous devraient travailler pour qu’il y ait plus de cohérence entre ces attitudes et la foi professée.
«nous avons fortifié notre volonté de réparer nos erreurs, de chercher les chemins internes de la réconciliation face à des situations qui sont contraires à la fraternité et la paix, et nous reconnaissons que nous nous sommes portés tort et que nous devons nous réconcilier et guérir les blessures historiques»
(Déclaration finale de la Rencontre)
San aucun doute, le simple fait d’avoir pu exprimer leur douleur et la souffrance pour la perte de membres de leurs familles ou d’êtres chers, de leurs maisons, de leurs propriétés, leurs terres, etc. fut quelque chose de réconfortant en soi. Peut être qu’écouter est le premier pas pour commencer un processus plus profond de réconciliation vu que celui-ci implique pouvoir exprimer la douleur accumulée pendant longtemps. Ceci sans que cela passe par une intention de dénonciation ou de jugement mais pour pouvoir mettre au clair les faits qui ont divisé et confronté des centaines de familles et de communautés qui font partie d’un même peuple. Comme la Déclaration finale l’affirme : «Cette Rencontre a été fraternelle, de prière, de dialogue et de recherche dans le sens de la construction de l’œcuménisme au Chiapas».
D’un autre côté, en écoutant les participants, il est évident que tout n’a pas été douloureux ou négatif. Nous avons pu trouver des lueurs d’espoir dans certaines expériences communautaires qui reflètent le respect avec laquelle les membres de différentes Eglises se traitent. Par exemple, dans une communauté de la zone Nord, les catholiques et les membres de l’Eglise de l’Avent ont décidé de donner un toit et protection aux déplacés des communautés voisines quel que soit leur croyance religieuse. Ces expériences auxquelles il faut ajouter le désir manifesté par tous de dire non à la guerre et de construire la paix anime à aller de l’avant avec ce type d’efforts. Le pasteur anabaptiste Natanael Navarro, coordinateur du CICEM au Chiapas nous explique : «Ces Rencontres nous permettent de réduire les harcèlements et crimes dans la zone de conflit, le racisme. Qui plus est, les partis politiques devraient finir par chercher d’autres moyens pour satisfaire leurs intérêts».
Face à l’impasse prolongé du processus de paix et à la détérioration croissante du tissu social, ce type de Rencontres permet de proposer des alternatives pacifiques aux conflits et constitue une aide allant dans le sens de la création de conditions pour la reprise et la continuation des dialogues entre l’EZLN et le gouvernement fédéral :
«Par le biais de ces rencontres on peut limiter les impacts de la guerre sale et s’impliquer davantage dans l’accompagnement d’un peuple qui est d’ores et déjà sujet de sa propre histoire, quelque chose qui peut favoriser la transition à la démocratie»
(Gustavo Andrade, prêtre catholique)
Aborder le thème de la relation entre les églises et les partis politiques était important vu que l’on tombe souvent dans les généralisations qui limitent les possibilités de rapprochement et de tolérance dans les communautés : par exemple, associer les catholiques avec le PRD ou l’EZLN, et les protestants avec le PRI ou le gouvernement. En ce sens, l’évêque de San Cristóbal de Las Casas, Samuel Ruiz a exprimé :
«la Bible est comme une lampe qui illumine la réalité dans laquelle nous vivons. Cette lumière ne nous dit pas ce que nous devons faire, mais elle nous montre ce qui se trouve autour de nous pour que nous prenions la décision adéquate quant à ce que nous voulons faire face à cette réalité. C’est pourquoi les décisions politiques ne dépendent pas du fait d’être catholiques ou pas. C’est pourquoi il y a des catholiques dans tous les partis politiques et pas dans un seul. Ce sont des décisions que les gens prennent le mieux qu’ils peuvent en fonction de leur propre conscience».
De son côté, le pasteur anabaptiste Lazaro Gonzalez a ajouté :
«les membres des différentes églises appartenant au CICEM appartiennent à différents partis politiques et c’est quelque chose que nous respectons. Nous leur disons simplement de ne pas se laisser tromper ou manipuler… et de bien penser ce qu’ils décident de faire».
Ce qui reste encore à faire…
Les différents groupes linguistiques, sans prendre en compte leur dénomination chrétienne, eurent également l’occasion de se réunir entre frères et de chercher de quelles façons ils pourraient avancer dans le sens d’un effort œcuménique, de la réduction de la violence et de la construction de la paix.
Les différentes églises se réunirent ensuite séparément pour accorder le suivi qui devrait se donner à cet effort. Toutes coïncidèrent pour dire qu’il était important de continuer à promouvoir ces rapprochements, ce qui apparaît dans la déclaration finale :
«Nous avons besoin de travailler pour dépasser les attitudes et façons de parler qui cultivent l’intolérance et qui réduisent notre capacité à vivre ensemble. Nous devons approfondir une évangélisation qui part plus de la richesse du contenu de la Bible que du rejet ou de la critique des autres croyants».
Tous furent d’accord pour promouvoir une prochaine rencontre début 1998. Ils s’engagèrent aussi à réviser les formes d’évangélisation qui n’aident pas au respect entre les fidèles des différentes dénominations, Le pasteur presbytérien Gaspar Hernandez l’exprima de cette manière :
«Nous espérons qu’à l’avenir nous pourrons marcher ensemble en nous respectant comme chrétiens et par le biais de la Croix nous réconcilier avec Dieu et entre nous en un seul corps, en laissant de côté les inimitiés».
A la fin de la Rencontre, les au revoirs furent très différents des bonjours au départ. Un bout de chemin avait été parcouru. Cette initiative a encore besoin de la participation d’autres acteurs qui jouent un rôle fondamental dans les conflits. Nous faisons ainsi référence aux diverses autorités qui, par action ou par omission, ont contribué à la polarisation des communautés en fonction de bénéfices peu clairs :
«Nous dénonçons la grande responsabilité des autorités à l’heure de créer des vides qui exacerbent la violence, contribuent à l’impunité, favorisent certains intérêts, abusent de leur pouvoir et ne remplissent pas leur fonction fondamentale de maintien de l’Etat de droit. Nous demandons aux autorités de remplir leur devoir».
Un catéchiste d’une communauté de Sabanilla souligna :
«Nous parlons de paix mais beaucoup n’ont pas de nourriture, de quoi se nourrir ou de terres à travailler et cela n’est pas vivre en paix».
En ce sens, la Déclaration finale de la Rencontre affirme :
«Nous manifestons notre volonté de travailler pour la paix fondée sur la reconnaissance de la valeur de chaque personne, quelle qu’elle soit, et faisons le choix d’une option chrétienne qui aide toute personne qui se trouve dans le besoin, quelle que soit sa foi, son option politique ou idéologique».
Finalement, cela vaut la peine de souligner la participation des visiteurs du Guatemala de l’Eglise Nationale Presbytérienne et du CLAI (Conseil Latino-américain des Eglises), qui après plusieurs années de guerre et de souffrance ont appris comme leçon transcendantale qu’il est important de rester unis pour résoudre les problèmes de tous, cela en dépit des différences. Ils nous mirent aussi en garde :
«La zone Nord du Chiapas ressemble au Guatemala des années 70, c’est comme un arène où les lions et les gladiateurs sont sur le point de sortir. Une guerre sale de la part du gouvernement ou de l’armée peut confronter les communautés et faire en sorte qu’elles se tuent entre elles et disparaissent. Rappelez vous de toujours de prêcher ce que Jésus nous a appris et de ne pas vous attaquer les uns les autres. Vous êtes encore à temps d’éviter le pire, unissez-vous».