ACTUALITE : Le Mexique, un an après les élections 2007
31/08/20072007
01/01/2008Début octobre, le Réseau pour la Paix (formé par 17 organisations maintenant une présence au Chiapas) a dénoncé le contexte de violence qui a caractérisé la situation dans l’état du Chiapas au cours des derniers mois. Alors que de nombreux acteurs politiques et la Une des journaux locaux maintenaient leur attention sur le thème des élections, un nombre croissant de situations de harcèlement, violence et expulsions de terres sont passées inaperçues ou comme des faits apparemment isolés.
Elections : la partie émergée de l’iceberg
Des élections ont eu lieu au Chiapas le 7 octobre. 118 mairies et 40 postes de députés au sein du Congrès local étaient en jeu. Avant les élections, le Ministère Public Electoral avaient déjà reçu 43 demandes pour délits électoraux présumés. La majorité était pour des débuts de campagnes politiques anticipées, la destruction de publicités, l’achat de votes et la pression pour les orienter, le détournement de fonds publics et la participation de fonctionnaires en faveur de certains candidats.
Le jour des élections une série de violences s’est présentée à Pueblo Nuevo Solistahuacán, Venustiano Carranza, Simojovel, Comitán, entre autres, des faits que la majorité des médias, les autorités électorales et le même gouvernement ont décidé de minimiser. Face aux résultats, des manifestations de protestation ont été organisées dans une douzaine de municipalités.
Selon les chiffres officiels, ces élections ont enregistré la participation la plus élevée de l’histoire électorale de l’état avec 57.17% du recensement. Selon des données de l’Institut Etatique Electoral, le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) a gagné 52 des 118 mairies du Chiapas, le Parti de la Révolution Démocratique (PRD) a été déclaré vainqueur dans 31 d’entre elles, et le Parti Action Nationale (PAN) dans 23. Des 40 postes de députés en jeu, le PRI en a obtenu 14; le PRD, 10; le PAN, 7; le Parti Vert Ecologiste du Mexique (PVEM), 3; le Parti Nouvelle Alliance, 2; el Parti du Travail (PT), 2 et Convergence, 2.
Face aux impositions, décompositions et recompositions des partis politiques et des organisations sociales qui ont pris part au processus électoral, il peut être difficile d’interpréter ces résultats. Un des facteurs de préoccupation tient au passé politique de plusieurs des candidats vainqueurs, indépendamment des partis qu’ils représentent aujourd’hui. Paradoxalement, les victoires du PRD sont considérés par certains analystes comme le retour du vieux PRI. L’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) à travers du sous-commandant Marcos a dénoncé : « Avec Sabines et le PRD les grands propriétaires terriens sont de retour (…) Ceux-là même qui disaient que la vie d’un indien valaient la même chose que celle d’un poulet ».
Multiplication des conflits, principalement agraires
Avant d’énumérer une série d’agressions et d’intimidations, le communiqué du Réseau pour la Paix alertait: « Au delà du contexte électoral, pendant les neuf premiers mois de gouvernement de Felipe Calderón, à échelle fédérale et de Juan Sabines Guerrero, à échelle de l’état, les territoires autochtones du Chiapas, et en particulier les zones d’influence zapatiste, ont subi une nouvelle offensive. Cette stratégie répressive passe par des actions concertées entre les un peu plus de 80 campements militaires permanents, les autorités locales, les institutions agraires et des groupes signalés comme paramilitaires, qui utilisent des organisations paysannes comme couverture ».
Selon le Centre d’Analyse Politique et d’Investigations Sociales et Economiques (CAPISE), des milliers de familles courent le risque d’être expulsées de leurs terres, ce qui signifierait « la plus grande attaque qui ait eu lieu au cours des 9 dernières années » et qui se fera de manière « massive, systématique et légalisée a priori ». Selon leur analyse, l’objectif principal est d’enlever aux communautés zapatistas toutes les terres « récupérées » depuis le soulèvement armé de 1994.
En octobre, l’EZLN a dénoncé qu’avec l’arrivée de Juan Sabines au pouvoir comme gouverneur du Chiapas le harcèlement militaire et paramilitaire s’est accru. En septembre, le groupe « Las Abejas » de la municipalité de Chenalhó (scénario du massacre d’Acteal en 1997) s’est joint aux dénonciations de la croissante offensive paramilitaire et gouvernementale: « La très connue guerre de basse intensité menée contre les peuples qui luttent contre le système néolibéral ne semble pas avoir terminé avec les ex gouverneurs du PRI ».
D’un autre côté, depuis le début de l’année, la Commission Fédérale d’Electricité (CFE) accompagnée par la Police a réalisé des coupures massives d’énergie provoquant des confrontations dans différentes communautés. Il faut souligner que plus de 350 mille consommateurs au Chiapas refusent de payer leurs factures d’électricité en les considérant trop élevées.
Un autre conflit qui a à nouveau soulevé la préoccupation autour de la problématique non résolue depuis plusieurs années de la Réserve de la Biosphère de Montes Azules: le samedi 18 août 2007, une opération policière et militaire simultanée a été réalisée pour expulser les communautés Buen Samaritano et San Manuel dans la municipalité d’Ocosingo. Six familles (39 personnes) ont été expulsées des terres qu’elles occupaient. Six hommes ont été arrêtés pour les délits de vol et d’écocide, avant d’être relâchés cinq semaines plus tard pour désistement judiciaire. Cinq autres villages installés de manière irrégulière dans la région courent aussi le risque d’être expulsés. L’organisation en faveur de l’environnement Maderas del Pueblo del Sureste dénonce que les opérations d’expulsion des communautés de Montes Azules ne se sont pas terminées vu qu’elles « font partie de la stratégie globale de ‘déblayage’ du territoire de plus grande biodiversité, couverture forestière et rivières d’eau douce non polluées, du pays et de Mésoamérique ».
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Contexte National
Le Réseau pour la Paix dans son communiqué en octobre soulignait également : « On ne peut pas non plus comprendre ces faits sans prendre en compte ce qu’il se passe à échelle nationale, dans un contexte de croissante militarisation et une tendance à la répression des processus d’organisation de la société civile ».
Une fracture qui se maintient
Le 1er septembre, Calderón a présenté son premier rapport de gouvernement au milieu d’une importante opération policière. Durant une cérémonie de moins de 5 minutes, il a remis son rapport devant un peu plus d’une centaine de fauteuils vides vu que les législateurs de gauche avaient décidé d’abandonner le Congrès. Ils ont pris cette décision car ils ne le reconnaissent pas comme président en considérant qu’il est arrivé au pouvoir par le biais d’une fraude électorale. Dans une bonne mesure, le Mexique reste divisé par la courte victoire que le Tribunal Electoral du Pouvoir Judiciaire de la Fédération a accordée à Calderón. Son gouvernement fait face à l’opposition d’un mouvement national de résistance dont le principal leader est l’ex candidat de gauche à la présidence, Andrés Manuel López Obrador.
En ce qui concerne le contenu du rapport, le président a promis de continuer à lutter contre la pauvreté et pour créer des emplois, ainsi que de lutter contre le trafic de drogues et la délinquance organisée. Dans les critiques reçues, on signale le ralentissement de la croissance économique, ce qui a eu de fortes répercussions sur la population comme l’augmentation du prix de la tortilla et d’autres produits de consommation basiques, ainsi que l’augmentation du coût de l’essence. Le nombre d’emplois créés reste insuffisant, ce qui contribue à l’augmentation du flux migratoires en dépit de la construction du mur entre le Mexique et les USA et malgré la mort de centaines de mexicains qui essayent de passer la frontière. Il faut souligner que selon les statistiques de la Banque Mondiale, un peu plus de la moitié des 104 millions d’habitants au Mexique vivent en situation de pauvreté (24% d’extrême pauvreté).
D’un autre coté, certains remettent en question le fait que Felipe Calderón maintienne la stabilité de son gouvernement en recourant à l’armée. Bien que son rapport souligne que « ce gouvernement, comme jamais auparavant, applique toute la force de l’Etat pour récupérer les espaces qui ont été séquestrés par des bandes de trafiquants de drogues et d’autres organisations de délinquants », les grandes opérations contre le « narco-trafic » n’ont pas eu jusqu’à présent les résultats espérés. D’autres dénoncent enfin la répression sélective contre les mouvements sociaux.
Un autre moment durant lequel on a pu constater le maintien de la fracture politique et sociale générée par les élections présidentielles de 2006 a eu lieu en septembre, dans le cadre de la commémoration de l’Indépendance du Mexique. La veille de la célébration, la place principale de la Ville de Mexico, surveillée par des membres de la Police Fédérale Préventive (PFP) a fait l’objet d’une dispute entre des sympathisants de l’ex candidat présidentiel Andrés Manuel López Obrador, qui avaient convoqué un acte appelé le « Cri des libres », et les organisateurs de la cérémonie officielle. Andrés Manuel López Obrador de son côté a réalisé la cérémonie du Cri de l’Indépendance à San José Tenango, une municipalité de Oaxaca.
Réformes : opportunité pour dépasser les divisions?
En septembre, le Sénat a approuvé une réforme électorale qui diminue le coût des campagnes et des élections, interdit aux partis politiques et à des tiers l’achat de publicité dans les médias électroniques, empêche la guerre sale lors des affrontements électoraux, la promotion de fonctionnaires et donne de plus amples facultés de sanction aux autorités électorales. Plusieurs aspects de cette réforme sont directement liés aux dénonciations qui furent réalisées dans le cadre du scénario des élections présidentielles de 2006.
D’un autre côté, la réforme électorale limite le pouvoir politique des chaînes de télévision: au-delà de l’argent qu’ils cesseront de recevoir, leur pouvoir d’influence sera réduite de manière significative lors des processus électoraux. Il faut rappeler que lors des élections de 2006, les partis ont destiné près de 70% des ressources millionnaires ressources qu’ils reçoivent de la part de l’Etat pour réaliser leurs campagnes à l’achat d’espaces publicitaires à la radio et à la télévision.
Le 11 septembre, lors d’un évènement sans précédent entre les législateurs et des représentants des médias diffusé en direct à la télévision, un présentateur de la télé a souligné que les politiques professionnels sont plus discrédités que leurs entreprises. La Chambre Nationale de l’Industrie de la Radio et la Télévision a manifesté son rejet de la réforme, en argumentant que certaines de ses dispositions réduisent la liberté d’expression.
Dans tous les cas, la destitution du président de l’Institut Fédéral Electoral et la réforme électorale peuvent contribuer à dépasser ou réduire la bipolarisation générée dans le contexte électoral des présidentielles 2006. D’un autre côté, en ce qui concerne la discussion autour de cette réforme et plusieurs autres aspects de la vie politique (y compris les élections internes au sein de ce parti, l’aile modérée et institutionnelle semble se renforcer au détriment d’un autre secteur signalé comme de plus grande confrontation et qui s’articule autour de la figue de López Obrador.
Pendant la période couverte par ce bulletin, une réforme fiscale a également été approuvée. Bien qu’elle soit beaucoup plus limitée que ce que le pouvoir exécutif se proposait, elle a renforcé l’image de Felipe Calderón, vu qu’à la différence de l’ex président Vicente Fox, il a réussi à faire passer plusieurs réformes au sein du Congrès. Cependant, en septembre, la Chambre des Sénateurs a rejeté une réforme judiciaire présentée par le pouvoir exécutif. Ce projet aurait permis aux policiers de saisir les téléphones, de réaliser des fouilles ou de maintenir en garde-à-vue des présumés responsables sans avoir un mandat signé par un juge. Les législateurs ont argumenté leur décision en affirmant que le Mexique n’a pas un personnel qualifié et dans lequel on peut confier à l’intérieur des différents corps de sécurité publique pour garantir que les droits humains prévaudraient sur l’application de lois spécifiques.
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Mexique: « Politique squizofrène » en matière de droits humains
En août, Irene Khan, secrétaire générale d’Amnesty International (AI), dans le cadre de sa visite dans le pays a signalé que le gouvernement mexicain maintient une « politique schizophrène » en matière de défense et promotion des droits humains: « Le Mexique est l’un des promoteurs des droits fondamentaux les plus importants à l’extérieur, mais à l’intérieur du pays, il existe de graves violations de ces garanties ». Elle a affirmé qu’il existe des failles systématiques dans la justice mexicaine, qui stimule l’impunité, un « cancer qui a de longues racines « . Elle a ajouté : « Le Président reconnaît que le système présente un problème, mais il le reconnaît depuis la perspective du crime et non pas depuis les failles en matière de droits humains « . Elle a finalement alerté : « Le gouvernement est intéressé par la promotion de réformes mais il n’a pas été très clair sur sa position quant aux droits humains « . De même qu’ Ulises Ruiz, gouverneur de Oaxaca, le Ministre de l’Intérieur, Francisco Ramírez Acuña, a remis en question AI quant aux sources d’information du rapport que cet organisme a émis sur le Mexique.
La Commission Nationale des Droits Humains (CNDH) a maintenu sa demande de faire en sorte que l’armée ne prenne plus part à la lutte contre le trafic de drogues suite aux risques de violations des droits humains que cette option a pu impliquer. En août, le journal « The Washington Post » a confirmé que les gouvernements du Mexique et des USA étaient sur le point de signer un accord large de coopération anti-drogues, qui représenterait « la plus grande alliance de ce type depuis la mise en marche du Plan Colombie ». Cet accord inclurait des équipements pour intercepter des appels téléphoniques, des radars pour détecter le transport de drogues, des avions pour transporter des agents mexicains, ainsi que de nombreux programmes de formation. Bien qu’aucun détail n’ait encore été rendu public, si l’on prend en compte les questions soulevées par le Plan Colombie, on craint que cette option puisse augmenter les risques de violations des droits humains.
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De L’Autre Campagne et D’Autres Processus
L’Autre Campagne
Le 24 septembre, l’EZLN a décidé de suspendre la tournée dans le sud et le centre du pays des commandants zapatistes initialement prévue de septembre à décembre. Ils ont pris cette décision face à ce qu’ils signalent comme une offensive contre les communautés zapatistes menée par le gouvernement depuis les fronts militaires, paramilitaires, judiciaires, agraires et d’environnement. Un autre facteur dans cette décision est lié à la campagne de l’Armée Populaire Révolutionnaire (EPR) dans diverses régions « avec la demande juste et légitime de voir apparaître deux de leurs membres portés disparus » : « nous ne pouvons pas demander à l’EPR de déclarer une trêve pour permettre à notre délégation de traverser des territoires où ils maintiennent une présence ».
En réponse, l’EPR a affirmé que l’EZLN n’aurait aucune responsabilité dans toute action qui pourrait être réalisé durant les jours suivants dans le cadre de la campagne qu’ils mènent pour demander la présentation en vie de deux de ses militants disparus à Oaxaca depuis mai 2006. PEMEX (Pétroles Mexicains) estiment que les dommages laissés par les attentats de septembre réalisés contre des gazoducs à Veracruz et Tlaxcala, attentats dont l’EPR s’est rendue responsable, représentent une perte de plus de 3 milliards de pesos. Le Procureur Général de la République, Eduardo Medina Mora a assuré postérieurement que l’EPR est un groupe réduit et a affirmé que ses actions sont de terrorisme et de sabotage et non pas de lutte sociale. L’EPR a répondu en affirmant que les véritables « terroristes » se trouvent au gouvernement, dans la police ou dans l’oligarchie qui conduit le pays: « Il y a des personnes qui condamnent ou disqualifient notre action d’autodéfense en nous attribuant l’épithète de délinquants et de terroristes, mais ils se taisent et se maintiennent en silence face au terrorisme de l’Etat et à la façon d’agir de l’extrême droite ».
Du 11 au 14 octobre, dans la communauté yaqui de Vícam, Sonora, les autorités traditionnelles de la tribu yaqui de Vícam, le Congrès National Indigène (CNI) et la Commission promouvant la Sixième Déclaration de l’EZLN ont convoqué à la réalisation de la Rencontre des Peuples Indiens d’Amérique. Au départ, la possibilité de la mener a bien semblé compliquée entre les dénonciations de tentative de boycott de la part d’autorités yaquis proches du gouvernement de l’état et les dénonciations de harcèlement policière et militaire. Une semaine avant cet évènement, la délégation zapatiste a été arrêtée dans un barrage militaire à Mazatlán, Sinaloa. Après cela, les commandants zapatistes sont repartis au Chiapas, laissant le sous-commandant Marcos comme l’unique représentant de l’EZLN pendant la Rencontre. Certaines délégations qui venaient pour participer à cet évènement ont dénoncé que des policiers et/ou soldats qui les ont arrêté pendant le trajet leur ont volé des aliments et graines, et qu’ils les ont traitées avec une hostilité manifeste. A l’extérieur de de Vícam une surveillance de la Police Fédérale Préventive et de la police de l’état de Sonora a été maintenue pendant la Rencontre.
Finalement, 570 délégués indigènes originaires de 12 pays américains, représentant 66 peuples autochtones ont participé à l’évènement. Juan Chávez, représentant purépecha et membre du Congrès National Indigène (CNI) a déclaré au début de l’évènement : « La réalisation de cette rencontre, dans ces terres, est en soi un message de rébellion de nos peuples en défense de la « madre tierra » (terre mère) et contre le capitalisme écocide, ethnocide et génocide, qui en ce moment prétend nous voler nos territoires, habités par les premiers habitants des nations, peuples et tribus d’Amérique et du monde ».
En octobre, plus de 100 groupes ont formé le Front National contre la Répression face à ce qu’ils signalent comme la nouvelle phase de la guerre sale contre les activistes sociaux et pour éviter un « autre bain de sang depuis les appareils répressifs de l’Etat ». Les participants de cette initiative considèrent que le modèle des tortures clandestines, la persécution et les disparitions qui a prédominé durant la décade des années 70 contre ceux qui demandaient des changements politiques et économiques.