Activités du SIPAZ (D’avril à mi-juillet 2009)
31/08/20092009
04/01/2010Le samedi 10 octobre 2009, un peu avant minuit, des contingents de policiers ont encerclé le siège de l’entreprise parapublique Luz y Fuerza del Centro (‘Lumière et Force du Centre’, LyFC). Le gouvernement de Felipe Calderón venait de décréter sa liquidation, selon le président, du fait de son inefficacité et de son continuel déficit fiscal. Ce qui pourrait sembler n’être qu’une décision de caractère économique a pourtant suscité une grande vague de protestation : non seulement des environ 44000 travailleurs licenciés du jour au lendemain et qui s’opposent à la perte de leur emploi ; mais aussi, au cours des semaines suivantes et jusqu’à ce jour, de milliers de mexicains. Beaucoup craignent que cette liquidation ne constitue un premier pas vers la privatisation du service de production et de distribution de l’électricité au Mexique.
Il faut certainement reconnaître que l’infrastructure de distribution d’électricité ne dessert toujours pas de nombreuses communautés difficiles d’accès dans plusieurs états de la République mexicaine, en particulier dans les zones rurales. D’un autre côté, les habitants de communautés desservies mais qui ne possèdent guère que quelques ampoules, et dans le meilleur des cas, un frigo ou une télévision, ont commencé à dénoncer des factures clairement excessives. Beaucoup dénoncent aussi la mauvaise qualité des services de maintenance. Dans d’autres cas, comme au Chiapas, au Oaxaca ou au Guerrero, le paradoxe de facturer des tarifs aussi élevés dans des états producteurs de grandes quantités d’électricité pour le pays est pointé du doigt. Beaucoup ont donc commencé à s’organiser au Chiapas et ailleurs, principalement dans les zones rurales. Plus récemment, ces processus de résistance ont décidé de s’articuler entre eux à échelle nationale.
Qu’il s’agisse des luttes liées à la liquidation de Luz y Fuerza del Centro ou bien de la résistance face aux tarifs surélevés de l’électricité, il est intéressant de constater que toutes répondent à une même devise: « L’électricité : un service public ! ».
Liquidation de Luz y Fuerza del Centro: causes et possibles conséquences
Felipe Calderón et les mass medias ont essayé de justifier le décret concernant LyFC en affirmant que son « inefficacité économique » se devait aux hauts salaires et autres avantages dont bénéficiaient ses salariés. Cependant, de nombreux analystes ont souligné que son manque de rentabilité s’expliquait bien plus par l’électricité que l’Etat fournit gratuitement aux grandes industries du Mexique, et par l’achat à la Commission Fédérale d’Electricité (CFE) à des prix exhorbitants d’une partie de l’énergie que LyFC distribue. Ces analystes donnent deux autres explications à la décision prise par le gouvernement fédéral.
Privatisation en vue
Les deux entreprises parapubliques qui fournissent l’électricité au Mexique sont la « Commission Fédérale d’Electricité » (CFE) et Lumière et Force du Centre (« Luz y Fuerza del Centro », LyFC). LyFC couvre les besoins de la ville de Mexico et des états de Puebla, Hidalgo, de Mexico et de Morelos ; la CFE dessert le reste du pays.
Au début du XXème siècle, la distribution de l’électricité était assurée par des entreprises privées (mexicaines, canadiennes et nord-américaines) qui approvisionnaient principalement les zones urbaines. Ces entreprises firent peu d’efforts pour créer l’infrastructure nécessaire pour fournir de l’électricité aux zones rurales, du fait du peu de rentabilité de tels travaux. C’est pourquoi l’Etat mexicain décida de créer l’entreprise publique CFE, afin qu’elle puisse approvisionner les zones rurales. Le processus de nationalisation de l’industrie électrique débuté dans les années 30 prit fin en 1960. L’électricité fut considérée comme propriété du peuple mexicain et destinée à son bénéfice.
Cependant, la production d’énergie électrique a cessé d’être le monopole des entreprises publiques mexicaines, quand, en 2002, le président Vicente Fox a présenté un décret permettant aux entreprises privées de générer de l’électricité pour couvrir leurs propres besoins. Selon la CFE elle-même, de « la capacité réelle de production, 22.81% correspond à des Producteurs Externes d’Energie (PEE), dont 21 centrales en opération commerciale ». Ceci signifie que près d’un quart de la production est géré par des entreprises privées, parmi lesquelles Iberdrola (Espagne), Mitsubishi (Japon) et EDF Internationale (France).
La liquidation récente de LyFC pourrait représenter un premier pas vers la privatisation du secteur électrique mexicain ainsi que de son réseau de fibre optique (qui permet la transmission simultanée de voix, documents et images, ce que l’on appelle le « triple play » en télécommunications). Certains affirment que la décision de privatiser l’infrastructure, la production, la distribution et la commercialisation de l’électricité remonte à l’époque où Felipe Calderón était Ministre de l’Energie. D’autres analystes vont plus loin et dénoncent que l’Etat n’a pas cherché à améliorer l’efficacité de LyFC justement pour favoriser la participation d’entreprises privées en présentant cela comme l’unique option viable pour le marché électrique et celui des télécommunications.
Coup de force contre le syndicat des électriciens
Une lecture complémentaire de la liquidation de LyFC indique qu’il s’agissait entre autres d’attaquer et de neutraliser le Syndicat des électriciens (SME, un syndicat considéré depuis 95 ans comme l’un des plus actifs et combatifs). Ceci constituerait un élément-clef si effectivement l’idée était de privatiser le secteur électrique.
Un antécédent qui semble illustrer cette lecture tient au fait qu’en août, le Ministre du Travail et de la Prévention Sociale a refusé de reconnaître Javier Lozano comme dirigeant du SME en argumentant que les élections internes du syndicat qui venaient d’avoir lieu avaient présenté des irrégularités. Entre août et septembre, les électriciens ont réalisé plusieurs manifestations pour exiger la reconnaissance de leur leader. À partir de ce moment-là, ils ont commencé à dénoncer l’intention du gouvernement d’affaiblir le SME pour privatiser LyFC.
Réponses du SME et du mouvement social
La fermeture définitive de LyFC laisserait sans emploi environ 44.000 travailleurs. Tandis que le gouvernement leur propose une liquidation, le syndicat a présenté un recours légal pour contester une décision qu’ils considèrent inconstitutionnelle. Beaucoup ont refusé de toucher leur indemnité de licenciement car ils espèrent encore pouvoir récupérer leur emploi. Au moment de la mise sous presse de ce bulletin, le procès légal contre le décret présidentiel était encore ouvert, d’où une incertitude quant à la situation légale de LyFC.
Les principales demandes du SME incluent : l’abrogation du décret présidentiel et la réouverture de LyFC ; le retrait immédiat des troupes armées et de la police fédérale des centrales électriques ; la réincorporation immédiate des travailleurs du SME en respectant la convention collective en vigueur, et la création d’un comité social de dialogue en accord avec la Constitution et les normes internationales.
De multiples preuves de soutien au SME ont été manifestées et continuent de l’être au travers de marches et de participation à des assemblées. Le 15 octobre, plus de 300 mille personnes appartenant à divers syndicats, organisations sociales et politiques ou à des groupes d’étudiants, ont participé à une manifestation à Mexico. Parallèlement, des milliers de personnes ont réalisé des marches dans 30 villes de 16 états du pays.
En appelant à une grève nationale, Martín Esparza, dirigeant du SME a affirmé à cette occasion : « Le pouvoir émane du peuple, et si ce pouvoir est attaqué, c’est le moment d’impulser un mouvement national pacifique. (…) Nous sommes sur le point de fêter le bicentenaire de l’Indépendance et le centenaire de la Révolution Mexicaine, et nous devrons vaincre, comme auparavant, les multinationales, la dictature, la tyrannie et les violations de la Constitution. Il est temps que le peuple s’organise « .
Essor du processus de Résistance Civile contre les tarifs surélevés de l´électricité au Chiapas
Depuis un autre front de lutte, selon l’article du Journal « La Jornada » de juin, les mouvements sociaux de résistance aux tarifs appliqués par la Commission Fédérale d’Electricité (CFE) ont augmenté au Chiapas : aujourd´hui 40% des usagers refusent de payer. Le total des dettes accumulées du fait de ce non paiement dépassa les 780 millions de pesos (environ 40 millions d’Euros) en mai dernier.
Les raisons du non paiement
Ceux qui se refusent à payer peuvent le décider à titre individuel ou du fait de leur appartenance à une organisation ou une autre (certaines d’entre elles ont beau être en conflit, elles partagent pourtant cette même bannière de lutte). Les bases de soutien zapatistes ne payent pas l’électricité depuis 1994, comme un élément de leur mouvement de résistance générale face au gouvernement. Ils la revendiquent comme propriété collective de la nation et en exigent donc une redistribution publique.
Dans d’autres cas, les principales raisons avancées pour ne pas payer sont les suivantes :
- Les principaux barrages hydroélectriques du pays se trouvent au Chiapas qui produit 50% de ce type d’énergie au Mexique. Il existe cependant des milliers de communautés indiennes qui n’ont pas l’électricité, ou qui payent des quantités excessives pour l’avoir.
- Au Chiapas, la CFE peut facturer de 120 à 300 pesos voire plus à un foyer dans une communauté indienne (ce qui représente de 13 à plus de 100 dollars par mois environ, bien plus que ce qu’un foyer urbain paie), alors qu’il n’utilise que 3 à 5 ampoules. En s’accumulant, les factures atteignent des quantités tout simplement impossibles à payer pour beaucoup.
- De fréquentes irrégularités dans la tension de l’électricité fournie endommagent les appareils électroménagers. De plus la mesure de la consommation électrique ne s’effectue pas dans les communautés, ce qui empêche toute vérification et peut expliquer les différences de montant entre voisins.
Répression et programmes d’aide du gouvernement
Lorsqu’elles décident de ne plus payer, les communautés doivent souvent faire face à des situations de harcèlement de la part de la CFE ou de la police. Par exemple, on dénonçait récemment « dans les municipalités de Venustiano Carranza, Villa las Rosas, Amatenango del Valle, Comitán, Chanal, Tzimol, Socoltenango et Teopisca, on a enregistré au cours des derniers mois une escalade de la répression et un harcèlement intensif qui se traduit par de nombreuses coupures d’électricité et le démantèlement des poteaux électriques et appareils de mesure, ainsi que par des menaces de la part de la police et des autorités municipales ». Au-delà du thème de l’électricité, les personnes en résistance dans ces municipalités unissent aussi leurs forces autour de la défense de leurs terres et territoires, le rejet des partis politiques et l’opposition aux méga-projets qui pourraient les affecter.
D’un autre côté, les gouvernements fédéral et du Chiapas ont eu beau répondre au mécontentement populaire vis-à-vis des tarifs de l’électricité en mettant en place des programmes qui accordent des moratoires et des subventions pour faire face aux dettes, ils n’ont à ce jour pas réussi à résoudre la problématique.
Dans le cas du Chiapas, le gouvernement de l’état a lancé en 1995 le programme « Una Luz Amiga » (Une Lumière Amie). De 2003 à septembre 2008, c’est le programme « Vida Mejor » (Une Vie Meilleure) qui a été appliqué, et suite à sa clôture le gouvernement actuel a annoncé une prolongation des subventions pour 280 millions de pesos, par le biais du programme « Luz Solidaria » (Lumière Solidaire).
La suspension ou menace de suspension de programmes d’aide sociale promus par le gouvernement comme « Oportunidades » (Opportunités, programme destiné aux mères) faute de présenter les factures d’électricité dûment payées ont aussi été dénoncées de manière récurrente.
Processus d’organisation au Chiapas
Il existe actuellement au Chiapas au moins deux grands mouvements de résistance contre les tarifs surélevés de l’électricité : Peuples Unis en Défense de l’Energie Electrique (PUDEE), principalement dans la zone Nord du Chiapas ; et le Réseau Etatique de Résistance Civile « La Voix de Notre Cœur « , avec une forte présence dans les municipalités du Centre, des Hauts Plateaux et une partie de la zone Nord du Chiapas.
Le Réseau Etatique de Résistance Civile « La Voix de Notre Coeur « s’est formé en 2006, bien que de nombreuses communautés membres de ce dernier étaient déjà en résistance depuis longtemps auparavant. Il compte parmi ses principes : lutter pour le droit à l’électricité, la défense de la terre et des territoires, l’unité et la solidarité et refuser de payer l’électricité jusqu’à ce que les Accords de San Andrés sur les Droits et la Culture des Indiens soient respectés. En tant que Réseau, il fait également partie de l’Autre Campagne, une initiative convoquée par l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) en 2005.
Les communautés membres du Réseau se réunissent en assemblée tous les deux ou trois mois via leurs représentants et représentantes qui s’informent mutuellement sur ce qu’il se passe dans leurs régions respectives, émettent des déclarations publiques ou définissent des actions conjointes (marches, participation à des journées nationales de protestation et de solidarité, ateliers).
Les ateliers permettent la formation de ‘promoteurs d’électricité’, qui grâce au soutien de travailleurs solidaires du Syndicat Mexicain des Electriciens (SME) se forment au » maniement du système de distribution d’électricité ». Ces formations leur permettent de réaliser « des travaux de maintenance communautaire, les reconnections et les extensions du réseau électrique à partir des ressources économiques dont ils disposent et du travail communautaire. Cette situation […] commence à offrir une solution à un problème concret qui affecte particulièrement les communautés ; le manque d´électricité du fait des coupures, les mauvais services de la part de la Commission Fédérale d’Electricité ou les installations défaillantes étant monnaie courante dans les communautés indiennes et paysannes « .
… et dans d’autres états.
Le Réseau Etatique du Chiapas forme également partie du Réseau National de Résistance Civile contre les tarifs surélevés de l’électricité, un mouvement qui a pris forme en mai 2009 à San Cristóbal de Las Casas, Chiapas, en réunissant des organisations et communautés des états de Oaxaca, Veracruz, Campeche, Guerrero, Chihuahua, Chiapas et du District Fédéral de Mexico.
Tout comme les communautés du Chiapas, les autres membres du Réseau National de Résistance Civile ont fait face à une augmentation de leurs factures d’électricité qui les a décidés à s’organiser. Ils ont également dû affronter des tentatives d’intimidation de la part des employés de la CFE et des autorités. Mais cela va même plus loin que du harcèlement, leur lutte pour un tarif juste fait l’objet d’une criminalisation justifiée légalement.
Par exemple, des mandats d’arrêt ont été lancés contre certains membres de l’Union des Communautés Indiennes de la Zone du Nord de l’Isthme (Unión de Comunidades Indígenas de la Zona Norte del Istmo, UCIZONI). Dans un autre état, celui de Campeche, une femme et deux hommes du mouvement de résistance de Candelaria sont en prison. Les charges qui leur sont imputées sont liées à une action de résistance civile pacifique qui remonte à septembre 2008, alors que la CFE voulait leur couper l’électricité, ce qu’ils ont réussi à empêcher en négociant avec le responsable local de l’entreprise. Ils racontent « Cependant, le jour-même, le représentant légal de cette entreprise parapublique (…) a présenté une demande pénale auprès de la délégation du Bureau du Procureur Général de la République (PGR) (…) pour les délits d’entrave aux travaux ou services publics et d’autres délits à l’encontre de fonctionnaires fédéraux » impliquant 33 personnes du mouvement de résistance.
Amnesty International a dénoncé l’absence de fondement des charges présentées. Par le biais d’un Appel Urgent émis à la mi-juillet 2009, cette organisation a exigé « de mettre fin à l’usage indu du système de justice pour présenter des charges pénales non fondées ou disproportionnées contre des activistes sociaux ou des défenseurs des droits humains qui mènent des actions de protestation légitimes et pacifiques ». Plusieurs organismes des droits humains mexicains s’accordent pour dire que la résistance civile contre les tarifs surélevés de l’électricité est une lutte pour la défense d’un droit humain fondamental et se sont donc joints à l’exigence de leur libération.