Activités de SIPAZ (Mai – Juillet 1999)
31/08/19991959-1993
03/01/2000ACTUALITÉ : Chiapas, Les questions de paix non résolues
En août, à trois mois de la dernière incursion militaire dans la Forêt Lacandone (voir le bulletin du SIPAZ, Vol IV, nº3), l’armée mexicaine a une fois encore augmenté sa présence dans cette région. Les événements les plus importants ont eu lieu à Amador Hernandez, municipalité d’Ocosingo. Approximativement 500 soldats ont fait irruption (par voie terrestre ou en parachutes) dans cette communauté située à 19 kilomètres de La Realidad où se trouve apparemment le commandement Zapatiste. Au même moment, des étudiants et des professeurs de l’École d’Anthropologie et d’Histoire et de l’Université Nationale Autonome du Mexique (UNAM) participaient à une rencontre nationale pour la défense du patrimoine culturel, rencontre convoquée par l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) à La Realidad. En apprenant la nouvelle de l’incursion, quelques-uns se sont rendus sur place pour observer la situation.
Les autorités du Chiapas ont réagi en menaçant d’émettre des mandats d’arrêt à l’encontre des étudiants pour les délits d’incitation à la violence, obstruction de routes, enlèvement et attaque contre l’armée. De plus, ils ont lancé une impressionnante campagne de discrédit et de diffamation, en utilisant un vaste secteur des médias tant régionaux que nationaux, les accusant entre autres de «manipuler» les autochtones. Le gouverneur du Chiapas, Roberto Albores Guillen, a prévenu qu’il n’acceptera plus la présence d’observateurs nationaux ou internationaux, et que les actes de «déstabilisation» ne seront plus permis. Dans un communiqué du gouvernement du Chiapas, il a ajouté que «nous autres les chiapanèques nous commençons à perdre patience… Nous en avons assez du chantage et de la manipulation… [des] agitateurs [qui] profitent des conflits politiques et qui polluent l’État».
Les sources gouvernementales et militaires ont justifié la présence militaire à Amador Hernandez en expliquant qu’elle vise à protéger les topographes qui prendront les mesures pour la construction de la route entre San Quintín (où se trouve une des bases militaires les plus importantes de tout le Chiapas) et Amador Hernandez. Cependant, les membres de cette communauté ne veulent pas de ce chemin car il facilitera l’entrée de l’armée dans la région.
En même temps, quelques 6000 soldats sont arrivés pour réaliser un programme de reboisement dans la Forêt Lacandone, ce qui leur à permis d’établir de nouveaux campements, contrôles et autres constructions militaires dans la zone de conflit.
Même si les autorités ont dû nuancer leurs déclarations à cause des pressions nationales et internationales et en dépit des tentatives de pacification du Secrétaire d’État (ou Ministre de l’Intérieur), les forces militaires étaient toujours en place dans cette communauté au moment de la mise sous presse de ce bulletin.
Le 26 août, il y a eu un affrontement entre l’armée et les bases de soutien zapatistes dans la communauté de San José La Esperanza (municipalité de Las Margaritas). Trois autochtones ont été détenus arbitrairement. Le Ministère de la Défense Nationale a déclaré que sept membres de l’armée ont été blessés à coups de machettes.
A Morelia (municipalité d’Altamirano) et à Roberto Barrios (municipalité de Palenque) – deux Aguascalientes zapatistes – la tension a augmenté jusqu’à atteindre un niveau inquiétant. A Morelia, aujourd’hui une communauté divisée, les membres du PRI ont capturé six sympathisants zapatistes, détruits plusieurs maisons et délogés le Campement Civil pour la Paix.
En juillet, le Congrès du Chiapas, dominé par le PRI, a approuvé la création de sept nouvelles municipalités et l’initiative de loi étatique sur les Droits et la Culture Indigènes. Le gouverneur a affirmé, «Si c’est vraiment la paix ce que nous voulons au Chiapas, alors il n’y a plus de prétextes, car avec cette loi, la liberté et le respect de l’autonomie ethnique sont garantis, et donc le différend entre l’EZLN et le gouvernement fédéral n’a plus de raison d’être». L’opposition politique et de nombreuses organisations sociales locales ont fortement critiqué ces initiatives, alléguant que tant pour son contenu que pour son caractère unilatéral, elles n’aident en rien à faciliter le processus de paix.
La nouvelle proposition de paix
Le 7 septembre, le gouvernement fédéral a rendu publique une nouvelle proposition de dialogue pour le Chiapas. Le Secrétaire d’État (Ministre de l’Intérieur), Diodoro Carrasco Altamirano a énoncé qu’il serait prêt à conduire une commission de négociation en tout temps et en n’importe quel endroit (pour connaître le contenu de cette Lettre Ouverte, voyez le texte ci-joint). La proposition a été bien reçue par beaucoup de secteurs politiques et sociaux, quelques-uns ont même suggéré des améliorations. Parmi les points en discussion, on retrouve: le repositionnement de l’armée, la question des présumés groupes paramilitaires (enquête et punition), et le fait que le gouvernement continue à promouvoir son initiative de loi sur les Droits et la Culture Indigènes au lieu de mettre en œuvre la proposition législative de la Commission pour la Concorde et la Pacification (COCOPA) de 1996 qui a déjà été accepté par l’EZLN. Concernant l’imposante présence militaire au Chiapas, Carrasco a affirmé que la question de son repositionnement sera débattue lorsque les négociations avec l’EZLN auront repris. De plus, il a mentionné qu’en signe de bonne volonté du gouvernement, 37 présumés Zapatistes ont été libérés. Des représentants de la Conférence Épiscopale Mexicaine (CEM) ont affirmé, lors de leur voyage au Chiapas (du 11 au 13 août) et après avoir visité la prison de Cerro Hueco, que plusieurs prisonniers sont apparemment incarcérés injustement. Le sous-commandant Marcos a affirmé qu’il ne répondra pas à la Lettre Ouverte tant que le gouvernement continuera à «faire des ajouts, des corrections et des post-scriptum».
Deux semaines plus tard, Jorge Madrazo Cuellar, le Procureur Général de la République, a affirmé que «dans ce pays il n’y a pas une vraie culture de la légalité» et que l’impunité est une conséquence du manque de respect pour la loi. Il a reconnu l’existence de groupes armés au Chiapas (15 au total), en évitant de faire mention du port d’armes, tout en expliquant que «c’est très vraisemblable» que ce soit «en conséquence des conflits régionaux, et pour défendre leurs propriétés et leurs intérêts».
Visites internationales et commentaires
À la fin de sa visite au Mexique (le 23 juillet), la Rapporteur Spécial sur les Exécutions Extrajudiciaires de l’Organisation des Nations unies (ONU), Asma Jahangir, a exprimé sa préoccupation pour l’impunité des responsables des massacres et des exécutions. De plus, elle a exprimé son inquiétude que de tels actes violents peuvent se répéter en dépit du désir du gouvernement et des mesures prises pour améliorer la situation. «L’injustice due à l’impunité sélective est une question politique au Mexique […] C’est le résultat de politiques et d’un système juridique défaillant». A première vue, on dirait que la politique change en faveur de la justice, mais le système juridique change à un rythme plus lent que la volonté politique des fonctionnaires qui voudraient voir implanté l’État de droit». Dès l’arrivée de la Rapporteur, de fortes critiques ont été émises à son encontre de la part du Ministère des Relations Étrangères, du Coordinateur pour le Dialogue (Emilio Rabasa) et de la Commission Nationale des Droits Humains, l’accusant de s’immiscer dans les affaires internes du pays qui ne lui correspondent pas, ce qui est une offense à la souveraineté mexicaine. Lors de sa visite au Mexique, Joël Solomon, Directeur d’Enquêtes pour Human Rights Watch, a partagé les mêmes inquiétudes en ce qui concerne les progressions partielles, mais non définitives, du système juridique.
De plus, après avoir examiné le quatrième rapport sur le Mexique en juillet, le Comité des droits humains de l’ONU, a réitéré «son inquiétude» et «sa profonde préoccupation» pour les questions du Chiapas, de l’administration de la justice, de la violence contre les femmes, de la militarisation croissante, et de l’impunité. Le Comité a affirmé que la délégation officielle n’avait pas convaincu les examinateurs, et a ajouté que la bonne volonté et l’abondante documentation offerte par le Mexique n’avaient pas réussi à chasser les doutes ni à inculquer plus de confiance. Le Comité a reconnu des améliorations, telles que : l’autonomie accordée à la Commission Nationale des Droits Humains (CNDH) ; la mise en place de plusieurs programmes pour les femmes et les enfants ; le programme pour les présumés disparus ; la libération de quelques autochtones détenus ; la promulgation de la Loi pour la Défense Publique Fédérale et de la loi pour prévenir et sanctionner la torture, ainsi que quelques réformes électorales.
Le gouvernement mexicain maintient un discours tenace sur la souveraineté nationale lorsqu’il s’agit de thèmes touchant les droits humains, ce qui s’est traduit par l’expulsion de 144 étrangers du Chiapas en 1998, expulsions qui continuent jusqu’à présent. Il a aussi continué à minimiser l’importance des rapports présentés par les organisations internationales des droits humains. Cependant, il a été annoncé à la fin d’août que le Mexique examinait le processus pour faire son entrée au Conseil de l’Europe comme pays observateur. Le Mexique deviendrait ainsi le quatrième pays possédant ce statut spécial (les autres sont les États-Unis, le Canada et le Japon).
Lors de sa visite au Chiapas, l’ambassadeur de l’Union Européenne au Mexique, Manuel Lopez Blanco, a pour sa part déclaré que les violations des droits humains au Chiapas et dans d’autres régions du pays n’empêcheraient pas l’exécution de l’accord commercial avec le Mexique.
En réponse aux rapports présentés par le gouvernement mexicain aux différents Comités des Nations unies sur l’application des traités en matière de droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels (rapports présentés tous les cinq ans), une coalition d’organisations non-gouvernementales mexicaines a présenté un rapport alternatif. Dans leur deuxième rapport, les ONG font référence aux statistiques sur la pauvreté et allèguent que la politique économique du gouvernement a été un facteur déterminant en ce qui concerne la détérioration de la qualité de vie des mexicains.
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Lettre Ouverte du Gouvernement
La nouvelle proposition de dialogue du gouvernement comprend les six points suivant :
- Il propose que le sénat de la République reprenne la question des changements constitutionnels sur les droits et la culture indigènes, et qu’il reçoive les propositions de l’EZLN, du gouvernement lui-même et des autres groupes impliqués dans le conflit.
- Il demande à l’EZLN de proposer un calendrier pour que le gouvernement applique par étape, ce qui a été accordé à San Andrés quant au développement social des communautés autochtones du Chiapas.
- Il demande aux corps judiciaires de libérer les membres sympathisants de l’EZLN qui ne sont pas accusés de meurtres ou de viols.
- Il s’engage à analyser les dénonciations des organisations de droits humains sur le harcèlement dont sont victimes les communautés autochtones du Chiapas.
- Il consent à créer une nouvelle instance de médiation civile et impartiale.
- Il s’engage à envoyer une commission gouvernementale de négociation qui ait les capacités de prise de décision.
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Mise à jour du cas d’Acteal
Le 20 juillet, un juge de l’État a condamné 20 membres présumés du groupe responsable de l’assassinat de 45 indigènes à Acteal en décembre 1997 à 35 ans de prison. Au cours de la deuxième semaine de septembre, 25 autres personnes impliquées dans le massacre ont été condamnées à entre 32 et 35 années de prison pour les infractions d’homicide, coups et blessures et port illégal d’armes à feu d’usage exclusif de l’armée. Parmi les condamnés (tous autochtones) on retrouve l’ancien maire de Chenalhó.
Avec ces deux jugements, le nombre de prisonniers condamnés se monte à 55, et il a encore 47 impliqués dans ce cas qui attendent leur procès. De plus, 90 mandats d’arrêt n’ont pas encore été exécutés, dont 11 sont contre des anciens fonctionnaires du gouvernement étatique et des policiers de l’État. Il reste à voir jusqu’où ira l’enquête pour trouver les auteurs intellectuels du massacre, qui pourrait mener à l’implication de hauts-fonctionnaires gouvernementaux. Ceux qui ont été condamnés, l’ont été à titre personnel et non comme membres d’un groupe armé, ce qui aurait pu prolonger leurs sentences.