1995
03/02/2000SYNTHESE : Actions Recommandees
31/05/2000ACTUALITÉ : Chiapas, nouveau siècle, un commencement difficile…
Le 30 décembre, le Vatican a annoncé le transfert de l’évêque coadjuteur Raúl Vera de San Cristóbal de las Casas à Saltillo, au nord du Mexique. L’évêque Samuel Ruiz avait présenté sa démission en novembre passé, mais le Vatican ne l’a pas encore acceptée, pas plus qu’il n’a nommé un nouveau successeur. Le transfert de Raúl Vera a généré bien des inquiétudes quant à l’impact de l’événement sur le processus de paix et sur la sécurité de milliers de fidèles, religieux aussi bien que laïques qui, jusqu’alors, se sentaient relativement protégés par l’influence de l’évêque Ruiz. (Voir « Mgr Raul Vera sera transferé a Saltillo« ).
Plus de tensions au niveau régional
Les deux dernières semaines de 1999 ont été caractérisées par un notoire manque d’esprit de fête dans les communautés du Chiapas. Durant cette période, les représentants du gouvernement de l’État ont laissé croire que l’EZLN préparait une attaque, justifiant ainsi l’arrivée de centaines d’éléments de la Police Fédérale Préventive au Chiapas. Le Procureur de la Justice de l’État, Eduardo Montoya Liévano, a informé que la sécurité et la surveillance avaient été renforcées dans la zone d’influence de l’EZLN par le biais de patrouilles des Bases d’Opérations Mixtes.
Bien que le Ministère de l’Intérieur et l’EZLN aient démenti le fait qu’un état d’alerte au Chiapas se justifie, Liévano a exprimé qu’il valait mieux « prévenir que guérir » et il a ajouté que divers secteurs du patronat ont exigé le prolongement indéfini de la surveillance préventive, se référant ainsi au Programme ‘Millénaire‘. Les différents partis politiques de l’opposition ont considéré ce Programme comme un nouvel instrument de la militarisation au Chiapas.
Violence dans les communautés autochtones
Le 2 décembre, à Petalcingo, municipalité de Tila (région Nord), 15 personnes ont été blessées suite à une confrontation entre des membres du PRI et des zapatistes. Le différend est survenu pour un désaccord sur le paiement de l’électricité. Au cours de la deuxième semaine de décembre 1999, il y a eu une autre confrontation, avec un bilan d’un blessé grave et de cinq blessés légers.
Le 5 janvier, dans la communauté de Tzanembolom, municipalité de Chenalhó, des militants du PRI ont détenu 29 sympathisants de l’EZLN. Ils ont demandé aux autorités d’arrêter trois des autochtones pour des infractions commises avant le massacre d’Acteal. Le 18 janvier, deux d’entre eux ont été accusés formellement pour l’assassinat de deux membres du PRI avant le massacre d’Acteal. Les autres détenus ont été libérés.
Au cours de cette même période, le Procureur Général de la Justice de l’État a créé un bureau spécial pour enquêter sur l’expulsion de 52 familles dans la municipalité de Chilon et l’emprisonnement de trois personnes, ainsi que pour éviter de nouveaux incidents violents dans l’entité. Les faits ont vraisemblablement été perpétrés par un nouveau groupe de paramilitaires qui opère entre la Forêt Lacandone et le Nord du Chiapas.
Le 2 février, des membres présumés du PRD auraient attiré un groupe du PRI dans une embuscade alors que ceux-ci tentaient de récupérer des terres de la communauté Tierra Colorada, municipalité de Suchiapa (des terrains soi-disant occupés par le PRD). Le bilan de cet incident a été de deux morts (du PRI) et de sept blessés graves.
Réactions de la part des communautés
Face à la tension qui a prévalu dans l’entité, des actions de protestation de différentes natures ont été organisées. Le 28 décembre, quelques deux mille membres des ‘Abejas‘ (le groupe dont plusieurs membres ont été tués à Acteal en 1997) ont réalisé un pèlerinage, offrant des bougies aux militaires dans les barrages et les campements militaires de Chenalhó. A l’aube de la nouvelle année, approximativement cinq mille indigènes de la zone des Hauts-Plateaux du Chiapas se sont réunis dans l’Aguascalientes d’Oventic pour célébrer le sixième anniversaire du soulèvement armé zapatiste. Le Haut-Commandement de l’EZLN n’était pas présent pour des raisons de sécurité.
Pendant ce temps, une protestation civile et pacifique continue dans la communauté d’Amador Hernández en résistance depuis cinq mois (voir le Bulletin du SIPAZ, année IV. 4, novembre 1999): le 5 janvier, la force aérienne zapatiste a attaqué le campement de l’armée fédérale… avec des avions de papier. Les avions portaient des messages pour les militaires : « Soldats, nous savons que c’est à cause de la misère que vous avez vendu vos vies et vos âmes. Moi aussi je suis pauvre, comme des millions d’autres le sont, mais vous, vous êtes pires, parce que vous défendez ceux qui nous exploitent […]. »
Acteal
Au cours de la première semaine de décembre, deux ex-fonctionnaires publics ont été condamnés à six années de prison pour avoir protégé les paramilitaires qui ont perpétré le massacre d’Acteal en 1997. L’ex-agent du Ministère Public, Roberto Arcos Jiménez, a été accusé de ne pas avoir mené d’actions à l’encontre des civils qui s’armaient dans la zone. L’ex-premier officiel de la police, Absalón Gordillo Díaz, a été accusé de porter des armes à feu d’usage exclusif de l’armée.
Plus tard, un juge fédéral a révoqué, pour irrégularités judiciaires, la sentence de 35 années dictée contre 24 des autochtones détenus pour leur rôle présumé dans le massacre d’Acteal ; parmi eux, l’ex-président municipal de Chenalhó. Les 24 détenus restent emprisonnés tandis que le processus judiciaire suit son cours.
Le 7 février, un des auteurs intellectuels présumés du massacre, Antonio Vázquez Secum a été condamné à 35 années de prison, pour coups et blessures et homicide qualifié. Vázquez Secum, d’après les enquêtes officielles, était le dirigeants du PRI de la communauté de Quextic, municipalité de Chenalhó, et le père d’Agustín Vázquez Secum, le dernier des 17 autochtones qui auraient été ‘exécutés‘ par des sympathisants zapatistes.
Le gouverneur
Egalement à la fin de l’année, la possible destitution du gouverneur du Chiapas est venue troubler le panorama régional. Albores Guillén a été questionné tant au niveau fédéral que par le Congrès de l’État pour avoir montré ouvertement son soutien au pré-candidat présidentiel du PRI, Francisco Labastida. Albores a cependant été capable de mobiliser en sa faveur les principales corporations de transport et autres groupes économiques du Chiapas pour éviter d’être destitué.
Déclarations sur les ONG nationales et internationales
Au cours des cinq premières semaines de l’année 2000, plus de 60 étrangers qui visitaient le Chiapas ont reçu une citation à comparaître devant les bureaux de l’Institut National de Migration, pour leurs infractions présumées contre les lois mexicaines mais sans qu’on leur explique qu’elles étaient ces infractions. Les étrangers qui se sont présentés auprès de l’Institut ont été soumis à plus de cinq heures d’interrogatoires qui ont inclus des questions sur leur affiliation religieuse et d’autres ayant un caractère d’intelligence militaire. À la fin des interrogatoires, l’INM a refusé de donner une copie de leurs déclarations, les empêchant ainsi de pouvoir mener une défense respectant leurs droits.
En janvier, pendant une visite au Chiapas, le président de la Commission Nationale des Droits Humains, José Luis Soberanes a exprimé la nécessité de réviser l’article 33 constitutionnel qui autorise, entre autres, le pouvoir exécutif fédéral à expulser les citoyens étrangers sans jugement antérieur. Se référant aux ONG mexicaines, Soberanes a manifesté que « nous disposons d’une grande quantité d’ONG qui devraient constituer une ressource de valeur » pour permettre la défense des droits fondamentaux. Il a critiqué les organismes internationaux, et il a exprimé que « comme ils manquent souvent de renseignements précis, ils agissent, émettent des recommandations ou des points de vue qui ne concordent pas avec la réalité. [Nous devons leur] donner les renseignements, les données nécessaires, afin que leurs recommandations, suggestions ou points de vue soient plus proches de la réalité ».
En décembre, le Pape Jean-Paul II a manifesté que les droits humains n’ont pas de frontières et que, pour cette raison, les interventions internationales dans les pays où des infractions sont commises contre l’humanité sont nécessaires. Pendant que le Pape faisait l’éloge des ONG humanitaires et des organismes religieux qui promeuvent la paix, le président Zedillo, au cours du Forum Economique Mondial de Davos, Suisse (le 24 janvier), a exprimé que « nous n’avons pas besoin de ceux qui s’auto-définissent comme les représentants de la société civile, désormais appelés organisations non-gouvernementales, pour parler au nom des pays pauvres en voie de développement. »
Le Président et Chiapas
Le président Ernesto Zedillo est allé encore plus loin dans ses commentaires sur le Chiapas. Au cours d’une entrevue qu’il a accordée en Europe à la fin janvier, il a dit que les zapatistes « n’ont pas un gramme de bonne foi », et que s’ils se décident ou non à reprendre le chemin des négociations, « ce ne serait qu’une partie très limitée de la solution du conflit au Chiapas ». Il a expliqué qu’en février 1995, il a menacé l’EZLN de « répression et que cela a permis de les [les zapatistes] faire s’asseoir à la table de négociations ». Ce qui est important, a-t-il insisté, ce n’est pas le dialogue avec « messieurs les zapatistes », mais de résoudre le problème du développement et de la pauvreté de l’entité. Il a ajouté que ce qui compte pour lui, c’est d’avoir travaillé pour améliorer les conditions de retard économique de cette entité et « l’autre élément (faisant ici référence à l’EZLN), repris dans une perspective historique, sera un simple incident ».
Le député du PRD et membre de la COCOPA, Gilberto López y Rivas, a exprimé que les déclarations du président Zedillo en Europe révèle clairement que la négation au dialogue au Chiapas ne provient pas du groupe armé, mais du gouvernement lui-même, et que cela signifie « la mise à mort » de tout d’essai qui chercherait à rétablir les liens avec les zapatistes.
Au niveau international
Contrastant avec les commentaires officiels, plusieurs représentants de l’ONU qui ont visité le Mexique, y compris le Chiapas, ont effectué des déclarations qui remettent en question de tels commentaires. En novembre, Mary Robinson, la Haute-Commissaire pour les droits humains de l’ONU (voir « La situation des droits humains au Mexique et au Chiapas inquiète l’ONU« ), a exprimé son inquiétude quant à l’excessive militarisation du Chiapas. Cependant, dans les faits, et peu de temps avant que celle-ci ne quitte le pays, le gouvernement fédéral a déployé un plus grand nombre de troupes militaires dans l’entité, comme plusieurs législateurs locaux de l’opposition l’ont dénoncé.
Durant les premiers jours de février, la présidente du Groupe de Travail portant sur les peuples indigènes de l’ONU, Erika Irene Daes, alors qu’elle concluait sa visite au Mexique, a demandé au gouvernement mexicain de respecter les Accords de San Andrés. Le 2 février 2000, Asma Jahangir, la Relatrice sur les exécutions extrajudiciaires, a présenté le rapport de sa visite de juillet 1999 dans lequel elle conclut, entre autres choses, que : le gouvernement fédéral et local, l’armée, les groupes paramilitaires et les groupes armés d’opposition exécutent des personnes innocentes dans le pays entier, principalement au Chiapas et au Guerrero ; dans les cas d’Acteal et El Bosque (Chiapas), tous les responsables intellectuels et matériels n’ont pas été capturés ; les défenseurs de droits humains dans le pays sont peu protégés et ils travaillent dans un climat de violence.
Nouvelles économiques
Le 24 novembre 1999, les représentants du gouvernement mexicain et de l’Union Européenne (intégrée par 15 pays avec plus de 360 millions de consommateurs) ont signé un accord commercial.
En 1999, le Mexique a signé des traités commerciaux avec plusieurs pays. La diffusion d’informations sur la signature de ces accords, et sur leurs possibles conséquences pour les ouvriers et paysans mexicains a été très limitée. Au Mexique, ni les différents groupes de la société civile ni les parlementaires de l’opposition politique n’ont été consultés ou seulement de manière isolée et peu significative. Dans les médias mexicains, l’entrée en vigueur de ce traité est présentée comme la solution la plus indiquée pour répondre à plusieurs problèmes économiques de Mexique. Bien qu’il ait été présenté comme un fait, la vérité est que le sénat du Mexique au même titre que les différents parlements européens doivent encore ratifier l’accord. Bien que l’accord avec l’Union Européenne ait une clause sur la démocratie et les droits humains, aucun moyen formel ou transparent n’est prévu pour son évaluation, pas plus qu’il n’existe de mécanismes concrets de contrôle.
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La situation des droits humains au Mexique et au Chiapas inquiète l’ONU
Au cours de sa visite au Mexique, en novembre 1999, Mary Robinson, la Haute-Commissaire pour les droits humains de l’Organisation des Nations unies, l’ONU, a observé qu’il y a encore « un long chemin à parcourir pour mettre fin à l’impunité, aux problèmes du système judiciaire, à l’exclusion des groupes indigènes, à l’activité des groupes paramilitaires et aux attaques contre les droits humains ». Elle a aussi mentionné que la militarisation croissante des fonctions de la police dans le pays, ainsi que l’impossibilité de juger des militaires dans les tribunaux civils quand ils ont commis des violations aux droits humains de civils, contribuent à accroître l’impunité.
Pour préparer sa visite, plus de cent ONG mexicaines se sont rencontrées pour la première fois dans le cadre d’un forum de concertation pour élaborer une série de propositions juridiques, administratives et politiques afin de les remettre à la Haute-Commissaire. Outre ce consensus, elles ont réussi à avoir des réunions avec les fonctionnaires du gouvernement, entre autres, les ministres de l’Intérieur, de la Défense et de la Marine, ainsi qu’avec le Procureur Général de la République et celui de la Justice Militaire.
Avant de quitter le Mexique, la Haute-Commissaire et la Ministre des Relations Etrangères, Rosario Green, ont signé une Convention de future coopération technique pour la promotion des droits humains. Peu de jours après la sortie de Robinson, l’armée mexicaine a repris les patrouilles aériennes et terrestres dans les communautés indigènes du Chiapas.
D’un autre côté, le nouveau responsable de la Commission Nationale pour les Droits de l’Homme, José Luis Soberanes, a soutenu que, bien qu’il partage l’opinion de Robinson au sujet de la persistance de l’impunité au Mexique, la situation n’est pas « si grave ». En dépit des déclarations des fonctionnaires du gouvernement pour minimiser cette situation, la multiplication des visites de représentants de l’ONU et le haut profil de la dernière ont une profonde signification à l’échelle internationale.
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Don Raúl
Mgr Raul Vera sera transferé a Saltillo
Depuis son arrivée au Chiapas en août 1995 comme évêque coadjuteur, jusqu’à la surprenante annonce de son transfert qui ne lui permettra pas de succéder à Samuel Ruiz comme évêque du Diocèse de San Cristóbal de las Casas, Raúl Vera a maintenu une attitude obéissante vis-à-vis du Saint-Siège.
Le 30 décembre passé, le Nonce Apostolique Justo Mullor a annoncé la nomination de Raúl Vera pour le Diocèse de Saltillo, en soulignant que la décision avait été prise par des raisons « purement ecclésiastiques ». Le départ de Monseigneur Vera de San Cristóbal « ne diminuera en aucune façon l’engagement de l’église en faveur de la paix civile et de la promotion spirituelle et humaine de tous les membres qui composent la population de Chiapas« , a-t’il ajouté.
Dans une déclaration donnée ce jour même, les évêques Ruiz et Vera ont mis en valeur les aspects positifs de la déclaration officielle: « nous notons avec clarté qu’il y a un soutien à l’activité pastorale; nous louons la collaboration du coadjuteur au sein du Diocèse ; il n’y a pas de doute que le prochain évêque stimulera le processus du Diocèse en faveur de la culture indigène et des pauvres. Nous encourageons vivement nos fidèles et tous les agents pastoraux de notre Diocèse à ne pas s’éloigner de cette lecture et de l’interprétation donnée dans la déclaration officielle, et d’accepter obséquieusement la volonté du Saint-Père. Nous ne cessons pas notre processus ecclésiastique, déjà bien avancé, et notre travail infatigable depuis notre foi, pour la justice, le droit et le respect à la dignité humaine ».
Pour quelques secteurs de la société civile, le transfert de Monseigneur Vera perturbe le processus de paix de manière significative. Pour l’évêque Vera lui-même, « la paix au Chiapas est la paix du pays, parce que le système à l’origine de la pauvreté, des abus de la justice et de l’anti-démocratie subis par les autochtones au Chiapas a développé une structure nationale ».
Dans une lettre pastorale avant l’annonce du transfert de Monseigneur Vera, Monseigneur Ruiz avait dénoncé l’existence de « forces dotées d’intérêts non ecclésiastiques » qui ont travaillé sans relâche pour assurer le transfert de Monseigneur Vera. Il a aussi déclaré que « s’il ne devait pas y avoir une continuité dans le processus diocésain, nous craignons que cela entrave le processus de paix et que cela frappe plus durement encore les communautés, les membres du clergé et les agents pastoraux, y compris au risque de leurs propres vies ».
Les bases ecclésiastiques, qui dans un premier temps avaient réagi avec tristesse et frustration, ont aussi déclaré qu’ils accompagneraient le nouvel évêque, quel que soit la personne que nommera le Pape Jean-Paul II. Ils ont confiance en la force que le travail au niveau des communautés a déjà gagnée : le Diocèse de San Cristóbal de las Casas compte avec le plus grand nombre de diacres indigènes dans le monde (près de 400) et avec environs 8000 catéchistes. Comme une preuve de gratitude au travail de l’évêque Ruiz, autour de 15 mille paroissiens ont participé à l’émouvante célébration du 40ème anniversaire épiscopal du « Tatic » Samuel, le 25 janvier dernier.
Cependant, au cours de la première quinzaine de février, la nouvelle du transfert du Nonce Mullor au Vatican a généré de nouvelles inquiétudes. Il avait été perçu comme une voix modérée, sensible et peu protagoniste dans le cadre du transfert de Mgr Vera. En conséquence, sa sortie du Mexique a pu être interprétée comme faisant partie d’un plan qui permettra d’assurer qu’au Mexique, l’église catholique progressive ne sera pas un obstacle dans les plans de modernisation du gouvernement mexicain.