Activités de SIPAZ (Novembre 1998 – janvier 1999)
26/02/1999SYNTHÈSE : Actions recommandées
31/08/1999ACTUALITÉ I : Chiapas, la bataille concernant les droits et la culture autochtone continue
Début mars, le gouverneur du Chiapas, Roberto Albores Guillen, a présenté son nouveau projet de loi concernant les droits et la culture autochtone. Il a déclaré que cette initiative était fondée sur les Accords de San Andrés et sur le projet de loi présenté par le président Zedillo au Congrès l’an dernier. Cependant, cette proposition est considérée très vague et ne semble pas refléter les Accords de San Andres, particulièrement ce qui aurait trait au respect du droit à l’auto-détermination et à l’autonomie des peuples autochtones. En ce qui concerne l’accès aux ressources naturelles et à la terre, le projet de loi mentionne uniquement les sanctions à appliquer, par exemple, pour dommages causés à l’environnement. De plus, elle n’accorde aucun droit aux communautés autochtones.
La présentation de cette initiative de loi s’est effectuée au même moment que la préparation de la consultation nationale Pour la reconnaissance des droits des peuples autochtones et pour la fin de la guerre d’extermination (pour plus de détails sur la consultation, voir l’article : Deux millions et demi de mexicains ont répondu à la consultation zapatiste à continuation).
Approbation de la Loi d’amnistie
Le 25 février, le Congrès local a entériné la « Loi d’amnistie pour le désarmement des groupes civils du Chiapas » et l’a fait parvenir au Congrès fédéral pour approbation. Le gouvernement de l’Etat a organisé des centaines de réunions dans les communautés et avec les organisations chiapanèques pour la promouvoir et pour obtenir l’appui des habitants du Chiapas. Un représentant d’une organisation de base de Chilon, a confié à SIPAZ: «La consultation gouvernementale s’est réalisée seulement là où le PRI est majoritaire, et les signatures récoltées avaient pour but d’acheter l’appui des représentants des « ejidos » (terres communales).» La loi approuvée refuse l’amnistie aux membres de l’EZLN et des organisations civiles ayant une structure, un entraînement ou une discipline similaires à celles de l’armée. Des projets de production et une aide technique sont offerts aux personnes qui déposent volontairement les armes, pour favoriser leur développement économique. Le délai octroyé pour déposer les armes est de 120 jurs à compter de l’entrée en vigueur de la loi.
Entre-temps, le gouvernement de l’État a annoncé que depuis le soulèvement zapatiste, 15 000 sympathisants zapatistes avaient déserté l’EZLN et que le sous-commandant Marcos en était directement responsable. Le gouverneur donnait ensuite l’exemple de 14 miliciens zapatistes ayant remis leurs armes dans la municipalité de Ocosingo à la fin du mois de mars, événement qui a été accompagné d’un grand battage médiatique mais qualifié par l’EZLN de «farce et de mise en scène», déclarant que les 14 présumés zapatistes étaient en réalité des membres du groupe paramilitaire MIRA (Mouvement autochtone révolutionnaire anti-zapatiste), présent dans la région. Au cours des derniers mois, d’autres présumés zapatistes avaient également remis leurs armes.
Signes de détente et nouvelles tensions
Dans la Zone Nord, la zone la plus conflictuelle entre 1995 et 1997 du fait de la présence du groupe paramilitaire « Développement, Paix et Justice », 14 familles sont retournées dans la communauté de Cruz Palenque, dans la municipalité de Tila. Elles avaient dû fuir la communauté en 1997 en raison des menaces proférées par des membres du PRI et de « Développement, Paix et Justice ». Les déplacés ont signé un accord avec la communauté pour leur retour. SIPAZ y a effectué une visite, quelques jours après ce retour. Ces familles retournées nous ont informés qu’elles n’avaient toujours pas reçu l’aide promise par le gouvernement pour la reconstruction de leurs maisons. Dans la communauté, il persiste une certaine méfiance entre les deux groupes, mais un représentant d’une famille de « Développement, Paix et Justice » exprimait sa bonne volonté en affirmant: «Ce que l’on veut maintenant, c’est que tout le monde puisse vivre en paix, qu’il n’y ait plus de menace ni de peur.»
Le coordinateur inter-institutionnel pour le Chiapas, responsable de la zone Nord, Rodolfo Anlehu, nous a déclaré à ce sujet, en ce qui concerne d’éventuels retours: «Les communautés ne peuvent vivre en paix que si les déplacés reviennent. Actuellement, les projets pour le retour des déplacés se font directement avec les autorités des communautés et non plus par l’entremise des dirigeants d’organisations [comme Développement, Paix et Justice].» Le dirigeant de « Paix et Justice » de la municipalité de Tila, Diego Vazquez, déclarait: «Nous sommes de la même famille de sang. Nous nous disputons par erreur… L’EZLN n’est ni un obstacle, ni un ennemi. Elle est le défenseur des pauvres, des autochtones.» Un autre dirigeant, Sabelino Torres, nous a affirmé que « Développement, Paix et Justice » avait commencé une nouvelle étape de réconciliation dans la région: «Oubliez tout ce qui c’est passé. Il y a des rancoeurs, de la haine et des morts, mais nous voulons à nouveau recommencer. Il ne doit plus y avoir de barrière… Une réunion est prévue entre « Développement, Paix et Justice » et Abu Xu [une organisation de sympathisants zapatistes]. Nous voulons recommencer et vivre selon nos traditions et nos coutumes.» En dépit de ces paroles de conciliation, les tensions continuent à croître, par exemple dans la municipalité de Sabanilla, totalement contrôlée, selon des témoignages de représentants de l’église catholique, par « Développement, Paix et Justice ».
La tension a également augmenté dans la municipalité de San Andrés, quand le 7 avril, le maire a investi avec les renforts de 300 policiers les bureaux du Conseil Autonome Zapatiste ( présent depuis 1995 dans la mairie de cette ville). Il n’y a pas eu d’arrestation. San Andrés a été le siège des négociations entre le gouvernement fédéral et l’EZLN en 1995 et 1996. Le jour suivant, un groupe de 1000 à 3000 sympathisants zapatistes (selon les sources) ont repris les installations sans qu’il y ait de confrontation avec la police, qui s’était retirée des lieux. Le gouverneur a décidé de ne pas utiliser la force, déclarant: «Il ne s’agit pas d’une question judiciaire, mais plutôt d’une question d’ordre politique» et a annoncé qu’il chercherait à résoudre le problème par la voie du dialogue.
Deux policiers impliqués dans le massacre de Acteal en décembre 1997 ont fait des déclarations importantes impliquant la police dans l’achat d’armes ayant servi lors du massacre. Ils ont aussi accusé l’ex-coordinateur de la police de l’Etat, le général Jorge Gamboa Solis, d’avoir laissé les sympathisants du PRI de la municipalité de Chenalho, porter des armes de gros calibres en toute impunité. En conséquence, des mandats d’arrêt ont été émis en février contre le général et l’ex-procureur général, Jorge Enrique Hernandez Aguilar.
En mars, 24 membres du Commando patriotique de conscientisation du peuple (CPCP) ont été arrêtés. Il s’agit d’un groupe de dissidents de l’armée fédérale. Les membres du CPCP ont organisé une manifestation en décembre 1998 dans la capitale du pays pour exiger des réformes à la législation militaire. Ils sont désormais accusés de désertion, de désobéissance, d’insubordination et de diffamation à l’encontre l’armée. Les 24 nouveaux détenus, parmi lesquels le dirigeant lieutenant-colonel Hildegrado Bacilio Gomez, s’ajoutent aux dix déjà emprisonnés au cours des derniers mois.
Visite de la Haute-Commissaire aux droits humains
En octobre prochain, la Haute-Commissaire déléguée aux droits humains de l’Organisation des Nations unies (O.N.U), Mary Robinson, se rendra au Mexique. Lors de la dernière session de la Commission des droits humains de l’O.N.U à Genève, elle a déclaré aux représentants d’ONG mexicaines que sa visite au Mexique «ne laissera pas une sortie facile au gouvernement mexicain». Elle a aussi assuré que sa visite «devrait être précédée par la venue d’une Rapporteuse spéciale chargée des cas d’éxécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, et par la venue d’une commission d’évaluation technique».
Une centaine d’organisations et de réseaux nationaux de droits humains ont demandé la visite de Mary Robinson et des rapporteurs spéciaux. Lors de la session qui s’est déroulée en mars-avril ’99, le Mexique figurait parmi les 15 pays prioritaires de la Commission.
L’organisation des droits humains, Amnistie Internationale (AI), continue de critiquer le gouvernement mexicain. Dans son rapport À l’ombre de l’impunité, publié en mars, AI fait mention des violations systématiques des droits de l’Homme dans tout le pays, particulièrement dans les Etats de Chiapas, Oaxaca et Guerrero, où agissent groupes d’opposition armés. La Ministre des Affaires Etrangères, Rosario Green, a déclaré que AI ne prenait pas en considération les progrès obtenus par le gouvernement fédéral. Le président d’Amnistie Internationale, Pierre Sané a pour sa part soutenu que: «Tant que les responsables des massacres d’Acteal, de Agua Blanca, de El Chorro et de El Bosque ne seront pas amenés devant les tribunaux, tant que des procédures légales ne seront pas engagées, et tant l’impunité vis à vis d’officiers de l’armée et des membres de groupes paramilitaires (appuyés par des instances officielles) ne sera pas levée, la situation ne changera pas.»
Dans son rapport annuel, le Département d’Etat des Etats-Unis a également critiqué la situation des droits humains au Mexique. Le document fait mention de cas d’assassinats extrajudiciaires, de disparitions, de tortures et de corruption policière. Il fait également mention de cas de violence contre les femmes et de discrimination contre les peuples autochtones.
Lors de sa visite au Mexique en janvier, le pape a fait allusion au conflit au Chiapas: «Il n’y aura pas de solution tant que nous ne reconnaîtrons pas que la population autochtone a été la première propriétaire de ces terres, et par conséquent, la première à avoir un droit sur elles.»