2022
14/03/2023DOSSIER : Grands projets dans le sud-est mexicain ; résistance des peuples autochtones en faveur de la défense du territoire et de la vie.
10/06/2023
E n mars dernier, l’organisation Amnesty International a présenté son rapport annuel, dans lequel elle aborde la crise des droits humains au Mexique et souligne le manque d’action de la part du gouvernement pour y remédier.
Elle a indiqué qu’en 2022, la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) a reçu 476 plaintes contre la Garde nationale (GN) et 404 contre le Ministère de la Défense nationale (Sedena) pour des violations des droits humains, telles que la torture, des homicides, des disparitions forcées et arrestations arbitraires. Elle a souligné qu’un usage excessif de la force publique continue d’être observé. De plus, elle a déclaré que l’an dernier, la GN occupait 227 domaines qui sont normalement de la compétence des autorités civiles, dont 148 (65,1 %) qui n’ont rien à voir avec la sécurité publique.
Freinant cette tendance, en avril, une résolution de la Cour Suprême de Justice de la Nation (SCJN) a déclaré invalide le transfert opérationnel et administratif de la Garde nationale (GN) au Ministère de la Défense nationale (Sedena). Cette mesure a été jugée inconstitutionnelle car elle impliquait que la GN perdait son caractère de police civile. Ce transfert avait été approuvé par le Congrès en septembre 2022. La SCJN a également déterminé que le pouvoir exécutif avait jusqu’au 1er janvier 2024 pour remettre la Garde nationale sous le commandement du Ministère à la sécurité et à la protection des citoyens. Face à cette décision, le président Andrés Manuel López Obrador (AMLO) a attaqué les ministres de la SCJN. En outre, il a indiqué qu’il présentera un projet de réforme constitutionnelle en septembre 2024 pour permettre à la GN d’être à nouveau sous commandement militaire.
De son côté, le Haut Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme au Mexique, Volker Türk, a exhorté les autorités à se conformer à l’arrêt de la Cour suprême. Il a réitéré l’importance de garantir le caractère civil de la GN « conformément à la Constitution mexicaine et aux normes internationales des droits humains ». Ces textes déterminent que les forces armées ne doivent être déployées que « dans des circonstances exceptionnelles, subordonnées aux autorités civiles et toujours sous le contrôle effectif d’organismes civils indépendants ».
L’un des nouveaux domaines dans lesquels l’armée mexicaine est toujours plus présente est la construction, le blindage et l’exploitation de grands projets d’infrastructure promus par le gouvernement fédéral, ce qui inhibe les expressions de non-conformité face à leur développement.
Cependant, en mars, une audience a été tenue par le Tribunal international des droits de la nature dans la péninsule du Yucatan face « au mal nommé Train ‘Maya’, un grand projet de transport ferroviaire qui met les écosystèmes et les communautés mayas en grave danger de destruction ». Communautés autochtones et experts ont souligné, entre autres, la déforestation de près de 9 millions d’arbres ; la croissance des agro-industries ; les impacts directs sur l’eau de l’écosystème de la péninsule ; la violation des accords d’Escazú sur la protection de l’environnement ; et la privatisation et la division des territoires communautaires. « Nous exigeons la démilitarisation immédiate du territoire ; nous lançons un appel urgent à l’État, à tous les défenseurs des droits humains au Mexique et aux organisations régionales et internationales (…) pour garantir la vie de tous ceux qui remettent en cause le Train Maya et les projets connexes », a déclaré le tribunal qui a également demandé la suspension immédiate du Train Maya en raison des risques écocides et ethnocides.
Concernant les entreprises d’exploration et d’exploitation minières, en mai, des réformes des lois minières ont été publiées au Journal officiel de la Fédération ainsi que sur les eaux nationales et pour l’équilibre écologique et la protection de l’environnement. Ces réformes déterminent que les concessions seront désormais valables pour un maximum de 80 ans (au lieu des 100 ans prévus dans la loi qui a été réformée). Dans les avances, l’octroi de concessions sera interdit dans les zones naturelles protégées, dans les cas où la population est mise en danger, et dans les zones sans disponibilité d’eau. Le caractère préférentiel de l’activité minière sur toute utilisation ou exploitation des terres a également été supprimé. Cependant, le Réseau mexicain des personnes affectées par l’exploitation minière (REMA) a critiqué les réformes approuvées, estimant qu’il ne s’agissait pas que de « ‘niveler’ légalement les conditions pour faire de l’exploitation minière une activité ‘mieux gérée’ ou ‘plus juste’ ». Il a souligné que « toute réforme de la loi minière qui ne propose pas l’interdiction et la fermeture programmée de cette activité néfaste dans le pays (…) est une simulation qui ne fera que continuer à légitimer et permettre l’expansion du modèle d’extraction ».
La sécurité des journalistes et des défenseurs des droits humains continue de se détériorer
En mars, l’organisation Article 19 a présenté son rapport annuel « Des voix contre l’indifférence ». Il a documenté qu’ « au cours des quatre dernières années du gouvernement qui s’est présenté comme « transformateur », le panorama de la liberté d’expression présente une tendance marquée à la détérioration ». En 2022, l’organisation « a enregistré 696 attaques contre la presse (…). Les 12 meurtres enregistrés l’an dernier ont également scellé l’année la plus meurtrière pour la presse avec 2017 ». 42,53% des cas d’agressions ont été commis par des autorités. En outre, Article 19 a documenté qu’« à au moins 176 reprises, le pouvoir exécutif a fait des commentaires stigmatisants vis-à-vis des médias, des journalistes et même des organisations de la société civile ». Le rapport fait également état d’ « inquiétudes concernant la militarisation du pays et l’opacité qui entoure les forces armées, notamment en ce qui concerne les actions d’espionnage comme outil d’intimidation et de menaces contre les journalistes et les défenseurs des droits humains». L’impunité est un autre aspect de préoccupation : « de 2010 (…) à décembre 2022, sur un total de 1 592 enquêtes pour crimes contre des journalistes, seules 32 condamnations ont été obtenues ».
Au cours du mois d’avril, Front Line Defenders a publié son rapport annuel 2022, qui révèle que 45 défenseurs des droits humains ont été tués au Mexique. Au cours du même mois, le Centre mexicain pour le droit de l’environnement (Cemda) a signalé qu’au cours de l’année écoulée, au moins 24 défenseurs de l’environnement ont été assassinés. Ces événements tragiques s’ajoutent au total de 82 défenseurs de l’environnement assassinés depuis le début de l’administration du président AMLO. Sur les 582 attaques documentées, 56 % ont affecté des membres de peuples autochtones et de communautés comparables. Parmi les entités présentant le plus grand nombre d’attaques figurent le Guerrero, suivi du Chihuahua et du Oaxaca. 45% des attaques ont été perpétrées par une autorité. Le crime organisé a représenté 13 % des cas, tandis que dans 21 % d’entre eux, l’auteur est inconnu.
Migration : une autre « tragédie »
En mars, un incendie s’est déclaré dans les locaux de l’Institut National des Migrations (INM) à Ciudad Juárez, ville frontalière avec les États-Unis, avec un bilan de 40 morts. AMLO a déclaré que les migrants, arrêtés ce même jour pour troubles présumés sur la voie publique, avaient décidé de brûler des matelas en signe de protestation alors qu’ils pensaient qu’ils allaient être expulsés. Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a appelé à une enquête approfondie alors que le département d’État américain a averti que « cette tragédie est un rappel déchirant des risques auxquels les migrants et les réfugiés sont confrontés dans le monde ». Pour sa part, l’organisation Refugees International a affirmé que « l’Inami [INM] a une longue histoire d’abus contre les migrants au Mexique, et avoir assumé une plus grande responsabilité face à ces abus aurait pu empêcher cette tragédie ».
En avril, environ quatre mille migrants d’Amérique centrale et du Sud ainsi que d’autres pays sont partis du Chiapas, pour réaliser un Via Crucis en direction de Mexico, afin de « rendre visible le calvaire des migrants au Mexique ». Parmi les demandes du Via Crucis figurait la démilitarisation de l’INM ; veiller à ce que les responsables de la mort violente de 40 migrants à Ciudad Juárez soient jugés, tout comme le commissaire de l’INM Francisco Garduño ; et que les « prisons migratoires » soient fermées.
Recherche de construction d’alternatives au milieu de l’adversité
Malgré ces perspectives sombres, plusieurs secteurs cherchent à continuer à construire des alternatives. En mars, une Conférence nationale pour la paix a été convoquée par 206 organisations, collectifs et universités, au cours de laquelle les participants ont partagé des préoccupations et des propositions face au contexte de la violence. « C’est l’agenda urgent d’un pays en proie à la violence : briser l’isolement et unir ceux qui en souffrent, et lui résister malgré tout. Ce n’est pas et ne peut pas être un programme électoral. C’est une tâche pour des groupes et des organisations qui, espérons-le, commenceront à se reconnaître et à travailler ensemble », a déclaré Mauricio Merino, coordinateur de Nosotrxs et l’un des principaux promoteurs de cette initiative.
Entre avril et mai, différentes organisations de peuples autochtones, la plupart faisant partie du Congrès National Indigène (CNI), ont lancé une Caravane nationale et internationale Le Sud Résiste à Pijijiapan, Chiapas, pour se rencontrer dans les territoires qu’ils défendent et jumeler leurs processus de lutte. Après le Oaxaca, elle est passée par le Veracruz, le Tabasco, le Yucatán, le Quintana Roo et le Campeche. La Caravane s’est terminée à San Cristóbal de las Casas, Chiapas, où une rencontre internationale a été convoquée avec des représentants d’autres communautés indigènes du Mexique et du continent (voir Dossier).
En avril, la Conférence de l’épiscopat mexicain (CEM), la Compagnie de Jésus au Mexique et la Conférence des supérieurs majeurs des religieux du Mexique (CIRM) ont appelé à un dialogue national pour la paix, qui aura lieu en septembre à Puebla, avec l’objectif d’élaborer un programme national de paix. Elles ont déclaré qu’« il est temps de convoquer des spécialistes, de connaître les meilleures pratiques locales, d’écouter les victimes, les autochtones, les migrants, de prendre en compte ceux qui ont réussi à maintenir des taux de criminalité bas dans les territoires, les églises ».
CHIAPAS : Multiplication des plaintes face à la recrudescence générale des violences
En avril, les évêques du diocèse de San Cristóbal de las Casas ont exprimé leur « préoccupation face à la décomposition sociale qui s’aggrave en raison de la violence généralisée ». Concernant les éléments d’inquiétude, ils ont évoqué « la dispute territoriale qui détériore de plus en plus le tissu social, l’exploitation excessive des ressources naturelles (réactivation de l’extraction minière ; vente illégale de bois, de matériel pierreux, d’essence, etc.), la manipulation et la perte de la dignité de nos peuples, la guerre psychologique, les féminicides, l’atteinte à la force communautaire, la criminalisation des luttes pacifiques et de la résistance, ainsi que les activités pastorales de notre diocèse ».
Le diocèse a également signalé « la forte impunité qui règne dans l’entité, l’augmentation de l’insécurité et de la violence aux mains de cellules criminelles, le système politico-judiciaire qui criminalise les défenseurs des droits humains, le manque d’accès à la pleine justice, l’infiltration de personnes dans les actes de culte et dans les réunions de serviteurs, la fabrication de crimes, le désintérêt des autorités pour la reconstruction du tissu social ».
Dans ce même sens, l’organisation internationale des droits des peuples autochtones (IPRI) et Front Line Defenders ont partagé les conclusions qu’ils ont tirées d’une visite au Chiapas fin mars. Ils ont déclaré qu’ils avaient identifié « un modèle clair de criminalisation contre les défenseurs autochtones qui défendent les droits environnementaux, le territoire, l’autonomie et l’autodétermination ». Ils ont également constaté « l’absence de solutions durables aux conflits agraires et territoriaux dans les communautés, qui continue de représenter un risque élevé pour les défenseurs et continue de perpétuer la décomposition du tissu social (…). Cette situation a été aggravée par la situation actuelle de dépossession de terres dans le contexte de la militarisation de la région et par la dispute du contrôle territorial (…) de la part de groupes du crime organisés ». Ils ont aussi noté avec inquiétude « le manque d’interventions opportunes de la part des autorités » dans « un contexte de prolifération et de diversification des groupes armés, qui a aggravé une situation complexe héritée du paramilitarisme des années 1990 et de l’impunité qui continue ».
En mai, le Centre des droits humains Fray Bartolomé de Las Casas a présenté le rapport « Chiapas, une catastrophe. Entre violence criminelle et complicité de l’État ». « Nous sommes dans un contexte de continuité de violence généralisée, de guerres qui blessent l’humanité. Au Chiapas, cela se reflète dans une myriade d’interactions notables entre le crime organisé, les groupes armés et des liens évidents avec les gouvernements et les entreprises. Ses impacts reproduisent des violations systématiques des droits de l’Homme, dans un contexte où l’État (…) est ignorant, permissif et complaisant face à la violence généralisée et aux multiples couches d’impunité qui s’additionnent historiquement », indique le rapport.
Dans ce contexte, même la touristique ville de San Cristóbal de Las Casas n’est pas une exception. En avril, dans un enregistrement vidéo partagé sur les réseaux sociaux, un groupe d’environ 50 hommes cagoulés, armés et en uniforme a indiqué que les villes de San Cristóbal, Chamula et Betania sont libres et ne veulent pas de cartel dans leurs territoires. Ils ont indiqué qu’ils surveillaient déjà ce qu’il se passait et que, comme groupe d’autodéfense, « ils veilleront sur la paix ». « Nous avons déjà localisé tous les dirigeants qui se sont vendus et nous savons qui ils sont. Alors arrêtez de soutenir le crime organisé ou vous devrez payer les conséquences », ont-ils déclaré.
À la mi-avril, Gerónimo Ruiz López, chef d’un des groupes d’artisans du marché de Santo Domingo, a été assassiné. Lui et son cousin Narciso Ruiz dirigeaient l’Association des Tenanciers du Marché Traditionnel de San Cristóbal de las Casas (ALMETRACH). On soupçonne que les deux étaient liés à des groupes de choc connus sous le nom de « motonetos ». Pendant plus de 8 heures, on a observé des mobilisations de personnes armées et des coups de feux à différents endroits de la ville. Il a également été signalé des incendies de maisons, des barrages dans certaines rues et l’homicide de deux personnes.
Par la suite, 25 organisations et réseaux civils ont exprimé leur « profonde préoccupation » face à la « violence excessive » à San Cristóbal de Las Casas, liée à la présence croissante de groupes armés, une situation dans laquelle « il est évident que les pouvoirs de fait les utilisent à travers des actions terroristes, pour contrôler la population et le territoire stratégique pour les économies légales et illégales du crime organisé ». Ils ont regretté qu’après ce qui s’est passé, le président municipal de San Cristóbal de Las Casas ait transmis « un message discriminatoire à l’encontre des peuples autochtones et des jeunes des périphéries qu’il a accusé de la violence, favorisant ainsi la stigmatisation et la criminalisation ». En outre, ils ont signalé qu’il existe « divers indices de collusion, de minimisation ou d’inaction [de la part des autorités], qui augmentent le risque et l’absence de défense pour les victimes et la société en général ». Ils ont appelé l’État mexicain à « générer des alternatives citoyennes en vue de construire une paix durable ».
OAXACA : l’Isthme, la zone de préoccupation principale
Au cours des derniers mois, des communautés, des organisations et des militants ont dénoncé la criminalisation et les menaces contre « les peuples autochtones de l’isthme de Tehuantepec qui luttent pour leurs droits et qui se mobilisent dans la région de Mogoñe Viejo, municipalité de San Juan Guichicovi , Oaxaca, qui ont été harcelés à plusieurs reprises par des éléments de la Marine », ceci dans le cadre de leur lutte contre le Corridor Trans-Isthmique, les parcs industriels et pour la défense du territoire. Ils se sont dits particulièrement préoccupés par la sécurité et l’intégrité de Carlos Beas Torres, dirigeant de l’Union des communautés indigènes de la zone nord de l’isthme (Ucizoni), que les journalistes ont signalé « comme responsable des mobilisations et liant son organisation au crime organisé ».
En avril, le défenseur de l’environnement et agent municipal de la communauté 20 de Noviembre El Morro, municipalité de San Francisco Ixhuatán, Félix Vicente Cruz, a été assassiné. Le Bureau au Mexique du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme (ONU-DH) a souligné que c’est le deuxième défenseur assassiné à San Francisco Ixhuatán dont il a connaissance. Ucizoni a souligné le travail réalisé par Vicente Cruz pour la défense de la terre et du territoire de l’isthme, en particulier sa participation à des actions contre les tarifs élevés d’électricité et de rejet du projet du corridor transisthmique. De même, l’Assemblée des peuples autochtones de l’isthme pour la défense de la terre et du territoire a déclaré que « cet acte de violence contre ceux d’entre nous qui défendent la terre, le territoire et les droits humains se produit dans le contexte de l’imposition du corridor interocéanique, au détriment des organisations qui rejettent l’imposition, la dépossession, le pillage, la contamination et la mort de nos biens naturels et du territoire que ce projet apportera à l’Isthme ».
Un autre aspect préoccupant, en avril, Consorcio Oaxaca a dénoncé que « près de 5 mois après le début de l’administration de Salomón Jara Cruz, au Oaxaca, les féminicides continuent d’augmenter en toute impunité, au milieu de l’indifférence institutionnelle et sous la protection du pouvoir exécutif de l’état. L’omission du dirigeant actuel a perpétué une politique d’État qui non seulement oublie et revictimise les femmes, mais qui cache également la violence sexiste ». Il a documenté que du 1er décembre à aujourd’hui, « au moins 50 meurtres de femmes ont été enregistrés ».
En mai, Consorcio Oaxaca a aussi exhorté le gouvernement de l’état à garantir la liberté d’expression au Oaxaca, le cinquième état avec le plus grand nombre de meurtres de journalistes et le deuxième avec le plus grand nombre de meurtres de défenseurs des droits humains. Il a souligné que le Oaxaca est aussi le deuxième état ayant le plus de personnes incorporées dans le mécanisme fédéral de protection au niveau national, avec un total de 155 personnes : 131 défenseurs et 24 journalistes. Malgré cela, l’insécurité à laquelle les défenseurs et les journalistes sont confrontés reste critique et le rôle du gouvernement de l’état, au lieu d’aider, a contribué à leur stigmatisation et à leur vulnérabilité. En particulier, Consorcio a condamné que « des déclarations publiques de la part de l’administration de l’état limitent l’exercice journalistique ».
GUERRERO : « Naufrage pour la vérité »
En février, le Centre des Droits de l’Homme de la Montagne Tlachinollan a présenté son rapport « 43 : le naufrage pour la Vérité », en référence au cas de la disparition forcée de 43 élèves de l’École Normale Rurale d’Ayotzinapa en 2014. Sur l’affaire la plus emblématique de la crise des droits humains au Guerrero, le directeur de Tlachinollan, Abel Barrera, a expliqué : « Malheureusement, il y a un naufrage pour la vérité. Il y a eu un revirement ces derniers mois. (…) La volonté politique des autorités, l’engagement du procureur général de la République d’approfondir les investigations et la décision des élites de l’armée mexicaine de fournir toutes les informations liées à la disparition des 43 étudiants sont nécessaires. On voit qu’il y a des réticences. Il y a déjà des rapports du sous-secrétariat aux droits de l’homme et du GIEI qui donnent des éléments de responsabilité qui désignent l’armée comme l’auteur présumé (…). Cependant, les portes restent fermées ».
Bien que « le thème central de ce livre soit les disparitions forcées au Guerrero, celles du passé et celles d’aujourd’hui », le rapport aborde d’autres questions. La violence d’abord, quand « on assiste à une expansion des groupes criminels organisés et à un affaiblissement des institutions sécuritaires, pour ne pas dire un repli, qui empêche de garantir la sécurité de la population. Dans les sept régions de l’état, il y a plus de 22 groupes du crime organisé qui usurpent le pouvoir en termes territoriaux et dans les municipalités ».
Comme dans le cas d’Ayotzinapa, en février, lors de la Journée de l’armée au Mexique, des proches de victimes de la Guerre Sale se sont manifestés devant les installations du sixième bataillon du génie de combat, à Chilpancingo. Leurs revendications : que l’armée de l’air mexicaine fasse connaître les noms et le nombre de personnes jetées à la mer sur les vols de la mort dans ce contexte de répression ; et que ceux qui ont ordonné ces actions soient punis pour ce qui, selon eux, a entraîné la disparition de plus de 600 personnes. Ils ont également demandé la destitution de l’actuel procureur général de la République, Alejandro Gertz Manero. Ils ont déclaré qu’à ce jour, « les enquêtes sur les faits n’avancent pas, car le ministre de la Défense nationale l’empêche et protège les soldats criminels encore en vie ».
Dans des éléments de plus grand espoir, en mars, une peine de 20 ans de prison a été prononcée contre un membre de l’armée mexicaine, pour les crimes de torture, viol, vol et intrusion commis contre Inés Fernández Ortega, une femme indigène de la municipalité d’Ayutla de los Libres il y a 21 ans. En 2010, la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme avait prononcé une condamnation contre l’État mexicain, l’obligeant à punir les responsables et à réparer intégralement les dommages. Une petite victoire alors que, durant toutes ces années, Inés et sa famille ont été victimes de menaces et de représailles. Son frère a aussi été assassiné, une affaire qui à ce jour reste impunie.
D’autre part, en avril, une assemblée du Conseil régional des autorités agraires de défense du territoire (CRAADET) s’est tenue à San Luis Acatlán. Il a décidé de refuser les permis qui pourraient permettre la prospection, l’exploration et l’exploitation de concessions minières. Le Réseau mexicain des personnes affectées par l’exploitation minière (REMA) a souligné que les peuples de la Montaña et de la Costa Chica dialoguent depuis 10 ans pour construire une défense collective du territoire, contrairement aux « procédures de faux consentement » organisées depuis le gouvernement où, en quatre heures, des décisions sont prises qui « changent à jamais la vie des communautés ». Il a rappelé qu’au Guerrero, il y a cinq mines en activité, 12 cartels impliqués et au moins 35 000 personnes déplacées par des conflits miniers.