Activités de SIPAZ (Février- Avril 2001)
31/05/2001SYNTHÈSE : Actions recommandées
28/12/2001ACTUALITÉ : La réforme indigène paralyse à nouveau le processus de paix au Chiapas
Après plusieurs mois d’espoirs renouvelés, les efforts de paix au Chiapas sont retombés dans une nouvelle crise fin avril, quand le Congrès fédéral a approuvé une loi que les principales organisations indigènes et populaires ont qualifié de trahison.
Pour mémoire, en novembre 1996, dans un effort pour relancer le processus de paix alors bloqué, la Commission pour la Concorde et la Pacification (COCOPA) a annoncé qu’elle préparerait un projet de loi sur les Droits et la Culture Indigènes afin d’intégrer les Accords de San Andrés dans la Constitution (ces derniers furent signés en février de cette même année). Cette initiative a été acceptée par l’EZLN (décembre 1996) mais le gouvernement l’a rejeté et a présenté un autre projet de loi. Aucun des projets n’a été soumis au vote pendant le sexennat de Zedillo. A partir de ce moment là, le respect des Accords de San Andrés a été une condition réitérée par l’EZLN afin de reprendre le dialogue.
Le 5 décembre 2000, quelques jours après son arrivée au pouvoir, le président Fox a envoyé au Congrès le projet de réforme constitutionnelle de la COCOPA. Le 28 mars, après une marche de quinze jours du Chiapas jusqu’à Mexico DF, une délégation de commandants zapatistes et de membres du Congrès National Indigène (CNI) a été reçue par le Congrès fédéral. Elle venait défendre le projet de loi de la COCOPA présenté par Fox.
Le 25 avril 2001, la Chambre des Sénateurs a approuvé à l’unanimité un texte significativement différent. Le 28, la Chambre des députés a également approuvé ce texte grâce aux votes favorables du PRI et du PAN et en dépit de ceux défavorables de la part du PRD. La réforme devait ensuite passer par les Congrès des différents états avant de pouvoir être convertie en loi constitutionnelle.
Voix en défense de la réforme
Le Parti d’Action Nationale (PAN) a défendu la loi en argumentant que le Congrès fédéral s’était « préoccupé de couvrir des détails que le projet de loi de la COCOPA n’avait pas considérés » et que la réforme approuvée a évité que « l’unité nationale ne soit rompue et que le pays ne reste balkanisé« . Il a de plus fait pression sur ses coordinateurs parlementaires dans les Congrès des états pour s’assurer de l’approbation des réformes en matière indigène.
Enrique Jackson, coordinateur des sénateurs du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) a soutenu que c’était une erreur de la part du président Fox que de « supposer que le Congrès fédéral est là pour lui faire plaisir », à lui ou un groupe armé. Il a ajouté que le dossier était clos.
La Conférence de l’Episcopat Mexicain (CEM) a déclaré que cette loi était mieux que rien. Elle a souligné combien il était important de reconnaître l’autorité du Congrès et d’accepter la réforme indigène comme un premier pas pour construire la paix. Elle a cependant admis que cette réforme génère des tensions politiques et que le processus de paix court des risques.
Posture du pouvoir exécutif et réactions face à cette dernière
Dans un premier moment, le président Fox a reconnu le travail du Sénat même s’il a ensuite parlé de certaines insuffisances de la réforme. Le 20 mai, depuis son ranch ‘San Cristóbal’, il s’est exprime sur la question du Chiapas : « A présent, ce dossier est clos. Il y a une réforme approuvée et un intérêt de notre part pour reprendre le dialogue ; il n’y a pas de commentaires sur ce thème à part le fait que nous devons reprendre le dialogue ».
En juin, au Salvador, il a affirmé : « Le thème du Chiapas n’est pas le thème du Mexique, loin de là. Il faut le placer dans sa juste dimension ; et il y a qui plus est un processus de désactivation du conflit très ferme. En fait, il n’y a pas de conflit, nous sommes en sainte paix ». Il a également ajouté que « Le Plan Puebla-Panamá (voir glossaire) est mille fois plus important que le zapatisme ou une communauté indigène au Chiapas ». En réponse à ce discours, des membres de la COCOPA ont répliqué que le conflit au Chiapas existe et exige solution. Ils ont exprimé que même si la phase militaire ne prédomine pas, on ne peut cependant pas dire qu’il y ait une « sainte paix ».
Lors de sa visite du 5 juillet au Chiapas, le président Fox a centré son discours sur le besoin de lancer des programmes de développement pour que « la concorde revienne dans les communautés ». Le représentant gouvernemental pour la Paix, Luis H. Alvárez a reconnu qu’il était nécessaire d’approfondir la réforme approuvée dans certains thèmes importants. Le 11 mai, il a annoncé que le gouvernement préparerait des textes réglementaires en ce sens. Il a également dit que le gouvernement opterait pour porter ses efforts sur les causes du conflit. Le 28 juin, il a demandé à l’EZLN de « respecter les décisions des communautés, qu’elles sympathisent ou pas avec les zapatistes, sans entraver la mise en place de programmes sociaux ».
Rodolfo Elizondo, coordinateur présidentiel pour l’Alliance Citoyenne et conseiller sur le thème du Chiapas, a défendu la position gouvernementale en disant : « que la loi ne remplissent pas les expectatives et n’ait pas été acceptée par l’EZLN et le CNI n’est pas un problème que l’Exécutif puisse résoudre ». En avril, faisant référence à l’absence de l’EZLN durant le processus de discussion de la loi, il questionne : « où était l’EZLN pendant le processus d’approbation de la loi? ».
Xochitl Gálvez, représentante présidentielle pour l’attention des peuples indigènes a exprimé d’entrée de jeu certaines critiques : » La réforme constitutionnelle approuvée reprend certains des concepts du projet de loi présenté par la Présidence. Cependant, elle laisse de côté d’autres aspects auxquels il faudra répondre en cherchant les voies politiques qui permettront d’obtenir les avancées nécessaires ».
Rejet des organisations indigènes et de la société civile organisée
Le 27 avril, le CNI a émis un communiqué dans lequel il affirme que la réforme approuvée par le Congrès ne reprend pas des points essentiels du projet de loi de la COCOPA : autonomie et libre détermination, reconnaissance des communautés indigènes comme entités de droit public, droits à leurs terres et territoires, à l’usage et à la jouissance des ressources naturelles, élections de leurs autorités et droit d’association régionale entre autres.
Le 29 avril, l’EZLN a affirmé qu’il « renie formellement cette réforme constitutionnelle sur les droits et la culture indigène. Elle ne reprend pas les Accords de San Andrés, elle ne respecte pas le projet de loi de la COCOPA, elle ignore complètement la demande nationale et internationale de reconnaissance des droits et de la culture indigène, elle sabote le début d’un processus de rapprochement entre le gouvernement fédéral et l’EZLN, elle trahit les espoirs de trouver une solution négociée à la guerre au Chiapas, et elle révèle le divorce total existant entre la classe politique et les demandes populaires ». En conséquence, les zapatistes ont rompu le contact qu’ils avaient établi avec le gouvernement fédéral.La ANIPA (Assemblée Nationale Indigène Pluriethnique pour l’Autonomie) a également critiqué la réforme pour ne pas respecter les Accords de San Andrés: « c’est une simulation, une porte à la guerre ».
En mai, autant l’ERPI (Armée Révolutionnaire du Peuple Insurgé) que l’EPR (Armée Populaire Révolutionnaire) ont exprimé leur soutien à l’EZLN pour sa décision de suspendre le dialogue avec le gouvernement fédéral.
Les gouverneurs Pablo Salazar (Chiapas) et José Murat (Oaxaca) ont eux aussi critiqué ouvertement la réforme législative approuvée. Salazar a affirmé qu’elle ressemble à la loi promue par Zedillo et que le pouvoir législatif « n’a pas été à la hauteur des besoins et demandes des indigènes et de la société mexicaine. Au sein du Congrès fédéral, ce sont des raisons politiques et idéologiques qui ont eu le dessus et non pas l’évaluation objective d’un projet de loi issu d’un accord d’Etat ». Le 11 juillet, Salazar et Murat ont signé une déclaration commune (‘Appel du Sud’) par le biais de laquelle ils demandaient aux Congrès locaux qui n’avaient pas encore voté la réforme de la rejeter.
Alors qu’un intense lobbying civil débutait auprès des Congrès des états, dans chacun ce ceux-ci des manifestations d’organisations indigènes et non gouvernementales commencèrent à être organisées. Le 3 juillet, 1400 écrivains, intellectuels, religieux et ONG mexicaines et internationales ont envoyé une lettre aux Congrès pour qu’ils rejettent la réforme indigène.
Depuis les Congrès des états
Dans plusieurs états, la loi a été votée au milieu des protestations populaires. Au Chiapas, lors des forums de consultation organisés par le Congrès du Chiapas, les maires de la zone des Hauts Plateaux (tous du PRI), les représentants de plusieurs ethnies et des dizaines d’organisations sociales, indigènes, paysannes, civiles et non gouvernementales se sont manifestés contre la réforme. Trente députés de différents partis ont voté contre et 5 en faveur (du PAN et du PRI).
La réforme a finalement été approuvée grâce au vote en faveur de 17 états. 9 ont voté contre (y compris les états caractérisés par la plus forte concentration indigène comme le Chiapas, Oaxaca, Guerrero et Hidalgo).
Face à ce résultat, le gouverneur Pablo Salazar a commenté: « il existe ici un conflit entre la démocratie représentative et la démocratie participative […] La grande majorité des destinataires [de la loi] la rejettent ».
Approbation « vía fast track »
Le 16 juillet, alors que la réforme n’avait pas encore été votée dans tous les Congrès, le calcul des votes a été réalisé au sein de la Commission Permanente du Congrès fédéral et la loi a été approuvée sans que le thème ait été programmé dans l’agenda.
Une heure après que la réforme soit passée, le pouvoir exécutif a exprimé son plein respect au Congrès. En revanche, Luisa María Calderón (PAN), alors présidente de la COCOPA, a critiqué l’approbation accélérée de la réforme indigène: « ça n’était pas approprié, il aurait fallu plus de prudence, il n’y avait pas besoin de ne pas respecter les délais législatifs ».
Premières réactions
Le 25 juillet, le CNI et plusieurs organisations civiles ont organisé une manifestation face au Sénat, en rejet de la réforme. Le 30, des milliers d’indigènes ont bloqué les principales routes du Chiapas pour exprimer leur rejet de la réforme indigène et du Plan Puebla-Panamá. Ils ont aussi exigé la libération des prisonniers politiques, l’annulation des mandats d’arrêt contre des activistes sociaux, la punition et le désarmement des groupes paramilitaires ainsi que le retrait de l’armée mexicaine.
D’autres ont commencé à chercher d’autres types de solution par la voie légale: la municipalité de Molcaxac (à Puebla) a été la première à présenter une controverse constitutionnelle auprès de la Suprême Cour de Justice de la Nation (cette dernière a reconnu la validité de la demande quelques jours plus tard. Les autorités municipales s’opposent à la réforme parce qu’ils considèrent qu’elle viole les droits des municipalités, pour ne pas avoir consulté les peuples indigènes et pour ne pas respecter la Convention 169 de la OIT (Organisation Internationale du Travail).
En août, deux autres municipalités Texpatepec (Veracruz) et Copalillo (Guerrero) ont présenté un recours de protection face à cette même instance judiciaire. Ce recours leur a été refusé sous prétexte que le processus législatif n’avait pas encore conclu et que l’on peut pas présenter ce type de recours face à une loi qui n’a pas encore été promulguée.
Le PRD a présenté une controverse constitutionnelle contre le Congrès fédéral et 8 Congrès locaux « pour ne pas avoir complètement respecté les dispositions prévues pour réaliser les réformes à leurs propres constitutions » dans leur cas, la réforme a été approuvée par majorité simple. Les membres du PRD (bien que le thème n’apparaisse pas explicitement dans toutes les constitutions des états) considèrent que de la même manière que dans le cas de la Constitution fédérale, une réforme constitutionnelles doit passer par majorité qualifiée (2/3 des législateurs).
Oaxaca a présenté la première controverse constitutionnelle réalisée par un état. Le gouverneur José Murat a critiqué la réforme indigène pour être un « accord capricieux, factieux et partial ». Il a affirmé que sa demande compte avec le soutien des 16 ethnies de Oaxaca et de 418 municipalités qui s’organisent selon les us et coutumes.
Le 10 août, près de 100 organisations non gouvernementales nationales et internationales ainsi que 120 représentants de la société civile ont présenté une sollicitude auprès de l’OIT et du Rapporteur Spécial de l’ONU sur les droits humains et les libertés fondamentales des peuples indiens (le mexicain Rodolfo Stavenhagen) pour qu’ils demandent au gouvernement mexicain de respecter les accords internationaux en matière de droits indigènes.
Le 14 août, le président Fox a publié la réforme indigène dans le Journal Officiel de la Fédération. On peut s’attendre à d’autres manifestations de rejet et de nouvelles controverses constitutionnelles au cours des prochaines semaines. L’explosion d’explosifs artisanaux dans les succursales de la banque Banamex le 8 août (attentats revendiqués par les Forces Armées Révolutionnaires du Peuple) font craindre que certains groupes fassent le choix de la voie violente.
Tensions au Chiapas
Pendant ce temps, au Chiapas, la tension a augmenté depuis l’approbation de la réforme. D’autres problèmes de la frontière sud (trafic illégal de drogues, d’armes et de sans papiers) s’ajoutent à l’enlisement du processus de paix et rendent le climat général dans l’état plus tendu encore. Le 4 juin, le Ministère de la Défense Nationale, la Procuration Générale de la République (PGR) et le gouvernement du Chiapas ont réactivé les patrouilles dissuasives des Bases d’Opération Mixte (BOM) après six mois d’interruption.
Un peu plus tard, on a pu écouter des versions contradictoires sur le renforcement de la présence militaire, policière et d’agents de Migration. Le gouverneur du Chiapas, Pablo Salazar, a démenti cette possibilité et a assuré que « le nombre de soldats est le même que celui qui existait avant que le Congrès fédéral résolve le thème de la réforme indigène, mais je sais qu’il n’y a pas d’augmentation des patrouilles de l’armée ni aucune manœuvre qui n’auraient été réalisé comme routine ».
Les dénonciations de communautés des zones de conflit (Hauts Plateaux et Jungle) sont cependant aller croissant et reportent une augmentation des patrouilles militaires par voies de terre et aérienne, ainsi que du nombre de soldats dans certains campements militaires. D’un autre côté, les conflits à l’intérieur des communautés (en particulier pour des problèmes de terres) ont eux aussi augmenté.
Le 28 août, le retour de 61 familles de déplacés de l’organisation ‘Las Abejas’ est annoncé bien qu’ils reconnaissent qu’il n’existe toujours pas les conditions pour ce retour (en particulier du fait de la présence impunie des paramilitaires à l’origine du massacre d’Acteal en 1997). Le gouverneur a offert des garanties de sécurité pour leur retour.
Aspects économiques et internationaux
Le 11 mai, au Panamá, la Conférence du Millénaire des Peuples Indigènes a rejeté la réforme sur le thème de la culture et des droits indigènes approuvé par le Congrès mexicain pour être discriminatoire et ne pas reprendre les demandes des peuples indigènes.
Le même mois, le Rapporteur spécial de l’ONU sur l’indépendance des juges et avocats est arrivé au Mexique. Il a réalisé de fortes critiques en matière de procuration de la justice.
En mai, 109 organisations du sud-est mexicain et d’Amérique Centrale ont rejeté le Plan Puebla-Panamá, un projet économique qui a d’ores et déjà été approuvé par les gouvernements du Mexique, du Salvador, du Costa Rica, du Honduras, du Guatemala, de Panamá, de Belize et du Nicaragua le 12 juillet. Florencio Salazar Hadame, le coordinateur général de ce projet a affirmé que l’avenir de ce projet ne dépendait pas de la pacification au Chiapas et que le fait que le dialogue entre l’EZLN et le gouvernement soit interrompu « ne préoccupe pas les investisseurs européens. Il a cependant ajouté que les communautés qui ne souhaitent pas y participer pourraient le faire.
Dans un bulletin présenté en juin, l’organisation Public Citizen des USA a informé qu’au moins 15 millions de paysans du Mexique vont devoir abandonner leurs formes traditionnelles de subsistance face à la chute du prix réel payé aux producteurs de maïs, 46,2% entre 1993 et 1999. Le document présente comme un facteur clé l’Accord de Libre Commerce de Nord Amérique (ALENA). La signature de ce traité a conduit le Mexique à faire face à la concurrence du maïs bon marché venu des USA et à la réduction de l’investissement du gouvernement mexicain de 90% en matière d’investissement agricole.
En août, le troisième Congrès de la Coordination Latino-américaine des Organisations Rurales (CLOC) réuni au Mexique a inclus dans sa Déclaration finale son rejet de la réforme indigène approuvée par le Congrès mexicain et a répété son soutien au projet de loi de la COCOPA. Apparaît également une condamnation des politiques néolibérales dans les zones rurales, de l’ALCA, de l’ALENA, du Plan Colombie et du Plan Puebla-Panamá entre autres. Les participants de la Rencontre Internationale des mouvements Sociaux également réalisée en août à Mexico se sont prononcés en ce même sens.