Activités de SIPAZ (Mai – Juillet 2001)
31/08/20012001
31/12/2001ACTUALITÉ : Le conflit du Chiapas, relégué au second plan
Au Chiapas comme dans le reste du monde, les terribles attentats du 11 septembre ont provoqué une forte commotion. Les espaces pour aborder d’autres conflits comme le processus de paix interrompu au Chiapas et la problématique des peuples indigènes au Mexique se sont vus réduits en conséquence.
Loi indigène: la pomme de la discorde
Dans ce nouveau contexte international, le thème du processus de paix au Chiapas a été relégué au second plan. Ce processus s’est de nouveau interrompu en avril passé lorsque l’EZLN ainsi que d’autres organisations populaires et indigènes ont qualifié de trahison la réforme constitutionnelle sur les droits et la culture indigène approuvée par le Congrès fédéral et ratifiée par le pouvoir exécutif à la mi-août.
Le 4 septembre, le représentant gouvernemental pour la Paix au Chiapas, Luis H. Alvarez, a à nouveau mentionné la disposition du gouvernement à rouvrir le processus de dialogue, « mais d’aucune manière nous allons nous paralyser si l’EZLN ne le veut pas, nous réaliserons des programmes sociaux et nous avancerons par le biais des modifications constitutionnelles qui dérivent de la réforme ». Si « l’EZLN a le droit de ne pas être d’accord avec la loi que le Congrès a approuvée, cela ne justifie pas le fait qu’elle ne veuille pas reprendre le dialogue avec un gouvernement qui a clairement démontré son compromis pour la paix ».
Même si l’EZLN n’a pas répondu à ces commentaires (son communiqué du 29 avril était d’ores et déjà très clair face au thème), d’autres organisations indigènes ont questionné le discours de Luis H. Alvarez. L’Assemblée Nationale Indigène Pluri ethnique (ANIPA) a souligné : « Il n’est pas possible d’établir la communication et le dialogue quand une des deux parties – dans ce cas le gouvernement fédéral – n’a pas respecté sa parole de promouvoir la reconnaissance constitutionnelle de nos droits comme peuples et qu’il applaudit au contraire la simulation, le mensonge et la tromperie approuvés par le Congrès de l’Union ».
329 demandes constitutionnelles ont été présentées contre la loi indigène auprès de la Suprême Cour de Justice de la Nation (SCJN). Les organismes indigènes et civils rejettent toujours la loi approuvée. Plusieurs ont également porté plainte auprès de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Cet organisme devra y répondre (au même titre qu’au rapport présenté par le gouvernement mexicain) avant mai 2002.
Face à cette situation, le Parti de la Révolution Démocratique (PRD) a proposé la reprise de la discussion sur la réforme indigène avant fin décembre. Ce parti politique considère que l’on ne pourra attendre la décision finale de la Suprême Cour de Justice annoncée pour février au plus tard pour commencer la réforme de la réforme. Début octobre, plus de 100 députés de six partis politiques ont signé le Manifeste de San Lazaro qui propose également une réforme de la réforme. Lors de sa visite en Europe, quelques jours plus tard, le président Fox a lui aussi proposé de rouvrir la discussion.
Le Parti d’Action Nationale (PAN) a cependant exprimé son désaccord. Manuel Bartlett du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) et président de la Commission en matière de thèmes constitutionnels a affirmé « qu’au-delà des occurrences du Président Fox, que son parti lui-même ne soutient pas », la réforme constitutionnelle en matière indigène « reste ferme et il n’y a aucune possibilité de rouvrir la discussion ». Il a ajouté qu’avant décembre 40 lois secondaires seraient prêtes pour approbation avant décembre.
La Commission pour la Concorde et la Pacification (COCOPA) s’est divisée autour du thème, reflétant ainsi les différences existantes entre les partis qui la forment. Début décembre, cet organisme en est venu à considérer la possibilité de se déclarer en récession permanente.
Discours de Fox sur la situation au Chiapas
A Madrid, dans le cadre de sa visite en Europe en octobre, le président Fox a exprimé que les zapatistes « sont tranquilles après tout ce que nous avons réalisé pour promouvoir la paix au Chiapas ». Il a également dit que « Les déplacés […] sont retournés dans leurs communautés, chez eux, et tout est en paix et en tranquillité ». Il a finalement ajouté que son gouvernement chercherait à « encercler et attaquer » les « tous petits groupes guérilleros qui apparaissent de temps en temps » au Mexique.
Plus tard, en Italie, Fox a assuré qu’il « existe une nouvelle loi sur les droits et la culture indigène qui, comparée avec d’autres pays, avec n’importe quel autre pays, est des plus avancée et d’avant garde qu’il soit ». A l’issue de sa visite, il a conclu : « C’est très clair pour l’Europe: il y a désormais au Mexique un gouvernement démocratique qui respecte les droits humains, qui protège, aime et respecte ses frères indiens ».
La préoccupation augmente quant à la situation des droits humains au Mexique
Contrastant avec les discours de Fox, Digna Ochoa, avocate et activiste des droits humains a été assassinée le 19 octobre à Mexico. Le lendemain, plus de 80 ONGs ont exigé une investigation immédiate. Les gouvernements, les organismes internationaux et multilatéraux, la société civile et les églises du monde entier ont exprimé leur répudiation. Le gouvernement de Fox ainsi que celui du District Fédéral du Mexique (responsable des recherches) s’est compromis à trouver et punir les coupables.
Un peu plus tard, le président Fox a libéré les paysans écologistes de Guerrero, Teodoro Cabrera et Rodolfo Montiel, faussement accusés, détenus et torturés par l’armée en 1999. Les deux avaient été défendus par Digna Ochoa. Les recherches quant à son meurtre pourraient d’ailleurs conduire au Guerrero : l’avocate y avait été soumise à une forte surveillance militaire lors d’une visite dans cet état peu de temps avant sa mort.
A la fin novembre, le Centre des Droits Humains Miguel Agustín Pro a effectué un bilan des recherches 33 jours après l’assassinat de Digna Ochoa, critiquant le peu d’avancées et le manque de clarté de la méthodologie utilisée, la fuite d’informations et d’autres irrégularités et limitations qui mettent en danger l’efficacité du processus.
Pendant ce temps, les menaces aux défenseurs des droits humains ont continué, affectant d’autres personnes le 27 octobre: Miguel Sarre, Sergio Aguayo, Edgar Cortez, Juan Antonio Vega et Fernando Ruiz (tous font partie d’organisations des droits humains très connues au Mexique).
Le 15 novembre, la Commission Interaméricaine des Droits Humains a présenté un ultimatum au gouvernement de Fox afin qu’il libère le général José Francisco Gallardo, prisonnier depuis 8 ans après avoir proposé la création d’un poste de surveillance du respect des droits humains au sein de l’armée.
Haute tension au Chiapas
Au cours des élections du 7 octobre au Chiapas et en dépit de fortes divisions internes, le PRI a conservé une confortable majorité au sein du Congrès de cet état : 21 des 24 districts (le PRD en a gagné 2 et la PAN, 1) et 72 des 118 municipalités (PRD: 19 et PAN: 11). Le taux d’abstention a été d’environ 50%. Le nombre total de votes pour le PRI a cependant diminué. L’interdiction de former des coalitions (comme par exemple celle qui a permis à Pablo Salazar de gagner le poste de gouverneur en août dernier) établie l’an passé a limité la possibilité de gagner pour les autres partis. Le manque de formation des responsables des urnes ainsi que le rôle joué par l’Institut Electoral du Chiapas ont été fortement critiqués. Plusieurs partis politiques ont réfuté ces résultats dans 14 municipalités du Chiapas et des incidents et manifestations ont été réalisées dans plusieurs parties de l’état.
Les conflits entre organisations sociales et indigènes ont également augmenté, y compris entre organisations entre lesquelles il existait jusqu’à présent une certaine affinité idéologique. Par exemple, l’Organisation Régionale des producteurs de Café d’Ocosingo (ORCAO) est entrée en conflit avec l’EZLN quant à la répartition de 800 hectares de terres. Un dialogue a été ouvert entre les deux organisations sans que le gouvernement de l’état n’intervienne, mais les problèmes de fond n’ont pas encore été résolus. Dans tout le Chiapas, le bilan continue de croître : morts, blessés, déplacements, séquestrations, maisons brûlées et toujours plus de menaces. Les causes des affrontements sont complexes: problèmes agraires non résolus, lutte pour le pouvoir dans une zone et différences quant à la stratégie vis à vis des institutions officielles, particulièrement en matière électorale.
Un autre fait important a été l’arrestation le 6 novembre passé de celui qui avait été le procureur de justice au Chiapas sous le gouvernement antérieur, Montoya Liévano. On l’accuse d’association de malfaiteurs et d’abus de biens sociaux, ainsi que d’avoir protégé des escadrons de la mort.
En dépit d’un contexte particulièrement instable, certaines familles de l’organisation civile Las Abejas sont retournées dans leurs communautés (pour plus de détails, voir notre Dossier).
On peut aussi relever certaines tendances positives qui indiquent une diminution de la tension dans certaines zones de conflit : prières œcuméniques à Chenalhó, et dans la zone Nord, les différents acteurs sont parvenus à certains accords en présence du gouvernement de l’état, accords qui ont permis la réouverture des églises catholiques de EL Limar et Sabanilla.
En conséquence des attentats des Etats Unis
Quelques jours après les attentats qui furent fortement condamnés par le gouvernement de Fox, la présence des forces militaires fut renforcée au Chiapas, en particulier dans la zone de frontière avec le Guatemala. L’Organisation des Etats Américains (OEA), dont le Mexique fait partie, a déclaré que ces attentats constituaient une attaque contre tout le continent américain et a offert son appui militaire dans le cadre du Traité Interaméricain d’Aide Réciproque (TIAR).
Suite aux attentats, une polémique a été lancée quant aux groupes armés du Mexique. Le gouverneur du Chiapas, Pablo Salazar a nié le fait que l’EZLN soit un groupe terroriste comme l’affirmait un rapport de l’Agence contre le trafic de drogues des Etats Unis (DEA). Il a ajouté « qu’au contraire, ce sont des activistes sociaux qui cherchent uns solution à leurs problèmes de marginalisation, pauvreté et exclusion ». Le représentant gouvernemental pour la paix au Chiapas, Luis H. Alvarez, a lui aussi réfuté l’idée que l’EZLN soit un groupe terroriste, mais il a ajouté ne pas avoir les éléments suffisants pour donner son opinion sur d’autres groupes armés.
De manière plus générale, l’Institut National pour les Indigènes a exprimé sa préoccupation que les groupes minoritaires (comprenant les Indiens) puissent être « observés » et leurs droits questionnés sous prétexte de « sécurité nationale ».
Finalement, la perte de vitesse économique mondiale aggravée par les attentats aux Etats Unis a généré un fort impact au Mexique. Dans certaines zones du Chiapas (où le prix du café a baissé de moitié par rapport à l’an dernier), les producteurs ont tout bonnement décidé de suspendre la récolte. D’autre part, les possibilités migratoires vers les Etats Unis sont plus réduites (diminution de 50% pour la population mexicaine après le 11 septembre), la situation économique est particulièrement critique pour les paysans et travailleurs de la classe populaire.