Activités du SIPAZ (de mi novembre 2018 à mi février 2019)
08/04/2019DOSSIER: la torture au Mexique, un problème “endémique” qui se “généralise”
15/07/2019Aussi bien pendant sa campagne qu’au moment de sa victoire électorale en 2018, le président Andrés Manuel López Obrador (AMLO) a promis au Mexique de grands changements.
Six mois après son élection, sa côté de popularité se maintient à 60 % grâce, en grande partie, à une réduction des dépenses de plusieurs institutions publiques, quelques réformes et des propositions politiques variées orientées vers les secteurs les plus pauvres de la population. Toutefois, certains analystes ont souligné plusieurs éléments de continuité avec l’ancien gouvernement et ont exprimé leurs préoccupations quant aux choix politiques du président dans plusieurs domaines. Bien que la lutte contre la corruption ait été un élément clé lors de sa campagne électorale, aucune procédure judiciaire n’a encore été enclenchée à l’encontre de fonctionnaires publics ou de chefs d’entreprises suspectés de corruption. Aussi, l’organisation Mexicanos contra la Corrupción y la Impunidad signale que, sous la nouvelle présidence, plus de 70 % des contrats publics ont été octroyés arbitriarement, sans procédure d’appels d’offre.
En matière de sécurité, il a été décidé qu’une Garde Nationale comptant pas moins de 150 000 éléments serait créée, après plusieurs modifications de la proposition de loi originale. La dimension militaire qui ressort de cette proposition avait généré de nombreuses préoccupations aussi bien au sein du Congrès que de la part des organisations des droits humains. Parmi les principaux changements appliqués au texte initial, il est notamment spécifié qu’il s’agira d’une organisation à caractère civil, si bien que dans le cas où ses membres commettraient un quelconque délit, ils seraient jugés par des tribunaux civils. Aussi, les militaires actuellement sur le terrain pour des missions de sécurité publique resteront encore en place durant cinq ans au plus, pendant la mise en marche de la Garde Nationale.
Des activistes, des académiciens ainsi que plus de 50 organisations de la société civile craignent cependant que le “caractère civil de ce nouveau corps de police ne soit qu’un déguisement”. Ils demandent aujourd’hui à AMLO de tenir ses promesses et de “ne pas poursuivre le processus de militarisation du pays”, affirmant qu’”il ne devrait plus y avoir de doute aujourd’hui sur le fait que les structures militaires n’ont jamais été et ne seront jamais adaptées pour résoudre les problèmes d’insécurité publique”. À cet égard, il convient d’ailleurs de préciser qu’aussi bien AMLO que les membres de l’état-major de la nouvelle Garde Nationale ont confirmé le caractère militaire du mandat octroyé à cette institution. En outre, le président a précisé que la Garde Nationale suivrait une formation en matière de droits humains, de sorte à préconiser “un usage de la force régulé et modéré”. Au mois de mai, ce sont déjà 61 000 éléments de la Garde Nationale (membres des forces armées et de la Police fédérale) qui ont été choisis, alors même que les lois secondaires complétant le dispositif qui régit le fonctionnement de cette nouvelle institution n’ont toujours pas été approuvées.
Droits de l’Homme : des niveaux de violence élevés et de nombreuses violations des droits humains qui continuent d’alerter les organismes multilatéraux
Au moment de conclure sa visite au Mexique en avril, Michelle Bachelet, Haut-Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme (ONU-DH), s’est dit surprise face à la situation actuelle du pays. “Si le cas d’Ayotzinapa est bien connu de la presse, je ne savais pas que la disparition forcée avait touché 40 000 personnes au Mexique, dont 26 006 corps non identifiés (selon les services médico-légaux). Je ne savais pas non plus que 10 femmes en moyenne étaient assassinées chaque jour. J’étais au courant de la violence qui règne dans le pays, mais je n’avais aucun idée des proportions du phénomène”. Bachelet a par ailleurs fait remarquer que le Mexique avait atteint un nombre de morts violentes similaire à ceux des pays en guerre, soit 252 538 depuis 2006. Elle a en outre signé un accord de coopération avec l’État au sujet de la Garde Nationale et à propos de l’enquête sur la disparition forcée des 43 étudiants d’Ayotzinapa (État du Guerrero, 2014). Enfin, elle a aussi déclarée que les nouvelles autorités du pays “ont reconnu que le Mexique traverse une grave crise en matière des droits humains” et qu’elles manifestent une réelle volonté politique de s’en sortir, se distinguant ainsi des anciennes administrations leur ayant laissé ce triste bilan.
Pour preuve, l’État mexicain a accepté au mois de mars 262 des 264 recommandations émises par le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies lors de l’Examen Périodique Universel. Il a également annoncé la création imminente d’une plateforme visant à exécuter en bonne et due forme les 2800 recommandations internationales que le pays a reçu depuis 1994.
Parmi ces recommandations, la question de la torture constitue un problème endémique. En avril, le “Rapport Alternatif des organisations de la société civile du Mexique” a été présenté devant le Comité contre la Torture des Nations Unies (CAT) afin d’améliorer le contrôle de l’application des accords internationaux visant à sa prévention, son interdiction et sa sanction. Le gouvernement mexicain a cependant remis en cause ce diagnostic, contestant notamment le fait que cette pratique soit “généralisée” dans le pays et soulignant par ailleurs que le phénomène “a diminué au cours des deux dernières années”. En revanche, il reconnait que la situation à ce sujet demeure “critique et difficile”, en particulier au sein des États du pays. De son côté, le CAT a émis 98 recommandations que le gouvernement mexicain s’est engagé à suivre (voir notre Dossier spécial sur la torture).
Le problème des disparitions forcées fait partie des autres thématiques ayant fait parler de la situation critique des droits humains au Mexique sous les deux gouvernements précédents. Au mois d’avril, la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) a ainsi reconnu que “le phénomène des disparitions forcées ne s’est pas résorbé et que, bien au contraire, il continue de prendre de l’ampleur dans tout le pays, avec un total de plus de 30 000 personnes disparues, 1306 fosses clandestines découvertes et 3760 corps ou restes humains retrouvés jusqu’à ce jour”. Le nouveau gouvernement a annoncé qu’il octroierait un budget à hauteur de 500 millions de pesos afin de lutter contre ce problème. Parmi leurs demandes, les collectifs de proches des victimes ont notamment insisté pour que soit créé un Mécanisme International Extraordinaire relatif à l’Identification Médico-légale et pour que le Comité contre les Disparitions des Nations Unies soit reconnu compétent pour procéder à l’analyse de chaque cas. Pour le sous-secrétaire aux Droits Humains Alejandro Encinas, un nouveau mécanisme d’assistance internationale n’est pas nécessaire : il a cependant annoncé vouloir actualiser le Registre National des Personnes Disparures et créer un Registre National des Fosses clandestines.
En ce qui concerne la question des déplacements forcés, thématique moins connue mais de plus en plus présente à l’échelle nationale, une recommandation a été approuvée afin que la Déplacement Interne Forcé (DFI) soit reconnu comme un délit. La Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH) ainsi que la Rapporteure Spéciale des Nations Unies en la matière ont ainsi exhorté le pays à “reconnaître ce phénomène, à en élaborer un diagnostic et à collecter des données afin d’identifier les différentes formes que peut revêtir ce problème au Mexique”. Plus encore, elles recommandent que “de véritables politiques publiques disposant de moyens suffisants ainsi qu’une Loi spécifique soient élaborées pour lutter contre le phénomène”.
Les défenseur-e-s des droits humains et les journalistes plus vulnérables
Depuis le changement de gouvernement, plusieurs secteurs ont exprimé leur préoccupation suite aux propos d’AMLO au sujet des organisations de la société civile mexicaine. En février, ce sont 166 organisations qui ont demandé au nouveau président de reconnaitre que sa vision des organisations militantes de la société civile était “erronée et injuste”. À plus d’une occasion, López Obrador a en effet émis des critiques à leur égard et a annoncé que plus aucune organisation de la société civile ne recevrait d’argent public provenant de budget de l’État.
En ce qui concerne la liberté d’expression, l’organisaition Reporters sans Frontières (RSF) a tiré la sonnette d’alarme au mois de mars, signalant que le Mexique occupait la 147ème place sur 180 parmi le Classement Mondial des pays en matière de Liberté de la Presse. Au cours des premiers mois du gouvernement AMLO, 10 journalistes ont été assassinés. De son côté, l’organisation Artículo 19 note par ailleurs que les déclarations stigmatisantes vis-à-vis de la presse auxquelles s’est livré plusieurs fois le président peuvent “légitimer voire encourager certaines attaques à l’encontre des journalistes aussi bien sur internet que physiquement” et “affecter le caractère pluraliste du débat public”. Ce faisant, “de tels propos augmentent la vulnérabilité et le risque auxquels sont exposé-e-s les journalistes, dans le pays considéré comme étant le plus dangereux d’Amérique latine en matière de liberté d’expression ”.
Au mois de mars, le président et son sous-secrétaire d’État aux droit humains, Alejandro Encinas, ont présenté leur diagnostic au sujet du mécanisme de protection pour les journalistes et les défenseur-e-s des droits humains. De son côté, Encinas a reconnu, parmi plusieurs points négatifs, son caractère bureaucratique et sa difficulté à réagir de manière rapide et efficace. Il a également remis en cause le fait que l’exécution d’un tel mécanisme soit attribuée à une entreprise privée, si bien qu’il a annoncé que celle-ci continuerait à exercer ces fonctions mais “sous un contrôle et un audit financier beaucoup plus directs”, jusqu’à ce que l’État puisse assumer cette responsabilité. L’Espace OSC a ainsi regretté que l’État se livre à un tel constat si tardivement, soit “114 jours après l’entrée en fonction du gouvernement” et “après l’assassinat d’au moins 15 journalistes et défenseur-e-s des droits humains”.
Mégaprojets et droits des peuples autochtones
Dans le cadre du centième anniversaire de la mort d’Emiliano Zapata au Chiapas au mois d’avril, près de 3000 membres du Congrès National Indigène (CNI) ont défilé à San Cristóbal de las Casas. Ils ont dénoncé le plan de développement imaginé par le président de la République qui, pour eux, n’est que synonyme d”‘expropriation et de destruction”, ayant en tête des projets tels que celui du Train Maya. À ce propos, ils n’ont pas hésité à réaffirmer leur opposition audit projet : “quoique cela nous en coûte, ce projet n’aura pas lieu […], même s’ils pensent pouvoir le mener à terme tout comme leur projet de créer une Garde Nationale”. Ils ont également déclaré que les nouvelles autorités gouvernementales “sont les mêmes exploiteurs qui veulent imposer leurs projets de mort avec leurs consultations truquées”. En avril, le Fonds National pour la Promotion du Tourisme (Fonatur) a publié un premier appel d’offre pour l’ingénierie élementaire du Train Maya, projet censé connecter plusieurs sites touristiques au sud-est du pays. Cet appel d’offre a été ouvert alors même qu’aucune étude d’impact environnemental n’a encore été réalisée et qu’aucune consultation des populations indigènes n’a été menée. AMLO a toutefois affirmé que cet appel d’offre était valide sans prendre en compte ces éléments, arguant que “les citoyens mexicains veulent de ce projet” et que, “dans un État démocratique, c’est la majorité qui décide, même si l’on respecte les minorités”.
Une autre polémique est apparue autour du projet de Corridor Transisthmique qui, prenant pour référence le Canal de Panamá, a pour ambition de relier les deux océans. Cela impliquerait entre autres la réhabilitation des voies ferrées et des raffineries, la densification du réseau routier et la modernisation des ports et des aéroports, en plus de la création de “zones franches” fisant à attirer les investissements privés. À cet égard, plusieurs organisations de la société civile ont déploré “l’inexistence de mécanismes légalement appropriés afin de garantir la libre détermination des peuples, l’autonomie, la gouvernance environnementale et la transparence dans le processus de décision des populations indigènes au sujet de leurs territoires”. Au contraire, “comme l’ont récemment souligné les Nations Unies, les consultations réalisées par le gouvernement fédéral ont davantage eu l’air de rituels de légitimation politique plutôt que de véritables actes légaux”. Le CNI a d’ailleurs rejeté “la prétendue consultation que les mauvais gouvernements ont voulu réaliser auprès de plusieurs communautés de l’isthme de Tehuantepec les 30 et 31 mars” : “nous dénonçons l’usage de la corruption par les mauvais gouvernements au travers de l’Institut National des Peuples Indigènes qui, par leurs actes, ont tenté de diviser, tromper et intimider nos communautés”. D’autres organisations de Oaxaca ont également rejeté la tenue d’Assemblées réalisées en dehors des “usages, des coutumes et des processus de décision et instances représentatives propres aux communautés indigènes”.
Du côté du gouvernement, Adelfo Regino Montes, représentant de l’Institut National des Peuples Indigènes (INPI), a affirmé que les standards internationaux ont été respectés et que “des processus de consultation spécifiques seront mis en place dans un second temps pour les cas touchant à l’attribution directe des terres et à d’autres aspects fondamentaux de la vie des communautés indigènes”.
International : une crise migratoire sans précédents
Depuis l’année dernière, le flux de migrants centraméricains à destination des États-Unis s’est multiplié suite à la formation de convois provenant principalement d’Amérique centrale. Depuis son arrivée au pouvoir, le nouveau gouvernement a dit vouloir faciliter les visas “humanitaires” d’un an, pouvant permettre à ses bénéficiaires d’obtenir un travail et de vivre légalement au Mexique. Plus de 15 000 de ces visas ont été attribués. Toutefois, au mois de février, le gouvernement a décidé de contrôler les flux migratoires et la quantité de visas octroyés est passée de 11 000 en janvier à seulement 1500 au mois de mars, privilégiant la remise de “carte de séjour régionale” limitant la mobilité des personnes concernées à quatre États au sud-est du pays. Avec une telle mesure, le gouvernement prétend éviter que davantage de migrants ne se concentrent à la frontière nord et que ces personnes puissent servir de main d’oeuvre pour la construction de méga-projets.
Dans le même temps, le nombre de déportations de migrants depuis le Mexique a explosé : il a quasiment triplé entre décembre et avril selon l’Institut National de Migration (INM) pour atteindre environ 45 370 personnes, saturant ainsi la capacité des centres de rétention. Ni les discours antimigrants du président états-unien Donald Trump ni les actions du gouvernement mexicain n’ont permis de réduire les tensions à la frontière avec les États-Unis, frontière où ont été arrêtées 98 977 personnes au mois d’avril – valeur mensuelle la plus élevée jamais enregistrée depuis 2007.
Au mois de mai, le Collectif pour l’Observation et la Vigilance aux Droits Humains du Sud-est Mexicain a fait remarquer que les convois de migrants récemment formés montrent que “les modes de migrations ont radicalement changé, passant d’une forme de mobilité individuelle, éparse et quasi invisible à une migration collective et publique”. Cette évolution a par ailleurs “montré l’inefficacité des politiques de contrôle migratoire”. Selon ses membres, ni le gouvernement antérieur ni le gouvernement acutel n’ont réussi à proposer des réponses globales face aux problèmes posées par ce phénomène, leur préférant “des mesures conjoncturelles, à court terme, manquant de clarté et de transparence”.
Chiapas : la question des droits humains au-delà de la crise migratoire
La militarisation de la région constitue de nouveau une des principales préoccupations chez les organisations de la société civile. En mai, le Centre des Droits Humains Fray Bartolomé de Las Casas dénoncent des actes d’espionnage de la part de membres des forces armées au cours d’une rencontre de femmes défenseures dans le territoire de Chicomuselo. Le Centre a par ailleurs recensé “plusieurs actes d’intimidation et de harcèlement à l’encontre de défenseur-e-s (…) militant pour la défense de la Terre Mère face à la réactivation de projets miniers dans la région” depuis janvier. Au même moment, le Centre a par ailleurs souligné que “l’État mexicain a renforcé depuis décembre 2018 la présence de forces armées au sein des territoires des Peuples Originaires en Soutien à l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (BAEZLN) notamment dans la région de la Jungle Lacandone, selon une stratégie contrinsurrectionnelle visant à léser les projets autonomistes au Chiapas”.
La situation dans plusieurs municipalités de la zone des hauts plateaux du Chiapas constitue une autre source de préoccupation à l’heure actuelle. En mai, des organisations civiles ont exprimé leur inquiétude face aux “activités de groupes civils armés de tendance paramilitaire, à l’origine des déplacements forcés, disparitions et assassinats dans la région”. Elles ont par ailleurs rappelé que “la population de la municipalité d’Aldama vit dans une situation de crise humanitaire depuis février 2018”, suite au déplacement forcé de 2036 personnes. Aussi, elles affirment que “l’État mexicain n’a pas pris les mesures nécessaires afin de faire cesser cette violence”.
En ce qui concerne la thématique de la Terre et du Territoire, des milliers de personnes ont défilé au mois de février dans la municipalité de Solosuchiapa afin d’exiger le retrait du projet minier “Santa Fe” et de toutes les autres concessions minières, considérant que “ce projet entraverait toute possibilité de développement social, culturel et spirituel, et d’autres formes de vie alternatives”. Au mois d’avril, le Mouvement pour la Défense de la Vie et du Territoire (Modevite) a manifesté son opposition à la construction de l’autoroute San Cristóbal de Las Casas – Palenque. L’opposition à ce projet, formée par 11 municipalités issues du Peuple Croyant/Pueblo Creyente du diocèse de San Cristóbal de Las Casas, dénonce la mascarade : “on fait croire aux populations que le projet leur sera bénéfique, alors qu’en réalité, il affectera directement nos frères et nos soeurs qui dépendent directement de la Terre Mère”.
Au mois d’avril également, Oxchuc a procédé à l’élection de son nouveau gouvernement municipal via un vote à main levée. C’est la première fois qu’une municipalité du Chiapas élit légalement son gouvernement via une tradition propre aux us et coutumes ancestraux. Deux autres municipalités du Chiapas, Sitalá et Chilón, ont emprunté une voie similaire.
En mars, 6 prisonniers originaires de différents centres pénitentiaires du Chiapas ont commencé une grève de la faim, exigeant “que justice soit faite via leur libération immédiate et inconditionnelle”. 7 autres détenus les ont par la suite rejoint dans leur combat, par solidarité à leur égard. Le Groupe de Travail “No estamos todxs” a de son côté dénoncé les “multiples irrégularités et violations des droits humains qui entachent les procès intentés à ces personnes”. Bien que des négociations se soient engagées avec le gouvernement de l’État du Chiapas au mois de mai (négociations pendant lesquelles les grévistes ont décidé de manger une fois tous les trois jours), six prisonniers ont repris la grève face au manque d’avancées réalisées.
En mars également, la Campagne Populaire Contre les Violences faites aux Femmes et le Féminicide au Chiapas a présenté son évaluation deux ans et trois mois après le déclenchement de l’Alerte de Violence de Genre (AGV). Selon l’organisation, cette alerte n’a été “qu’une simulation, une humiliation pour les femmes battues et assassinées” : “nous dénonçons ainsi les autorités, pour l’impunité dont elles sont responsables aujourd’hui, ainsi que pour leur indifférence, leur négligeance, leur méconnaissance de la situation voire même leur complicité avec les responsables de ces maux”. Selon les membres de cette Campagne, les actions du gouvernement en la matière sont “si timides, superficielles et insuffisantes qu’elles ont seulement permis de vulgariser le concept de genre, montrant non seulement l’incapacité du gouvernement à aborder ce problème, mais aussi le caractère patriarcal des institutions étatiques”.
OAXACA : des défenseur-e-s et journalistes de plus en plus vulnérables
Si la vulnérabilité des défenseur-e-s des droits humains et des journalistes a tendance à augmenter au niveau national, cela semble d’autant plus vrai dans l’État de Oaxaca. En ce qui concerne les premier-e-s, il suffit de citer les agressions que Silvia Pérez Yescas, défenseure des droits humains membre de l’organisation Mujeres Indígenas por Ciarena A.C, a subi récemment quand bien même elle bénéficiait du Mécanisme Fédéral de Protection pour les Personnes Défenseures et les Journalistes. En avril, Juan Quintanar Gómez, conseiller juridique de plusieurs communautés indigènes impliquées dans des conflits agraires, a été attaqué dans la ville de Oaxaca.
Le Conseil des Organisations Autonomes de Oaxaca (COOA) a ainsi exprimé son mécontentement : “malgré nos multiples plaintes, mobilisations et revendications auprès des autorités compétentes, nous ne constatons aucun progrès réel dans les enquêtes sur les cinq assassinats à l’encontre de nos compagnons du CODEDI et sur les trois autres meurtres des membres de OIDHO, UCIO-EZ et APIIDTT”. Il a également dénoncé “l‘usage de la détention arbitraire et l’émission excessive de mandats d’arrêts visant à intimider ceux ayant encore le courage de lutter et de s’organiser, la criminalisation de la protestation sociale et le financement de campagnes de délégitimation à l’encontre des communautés en lutte via les médias”.
Au mois de mai, un an après la disparition du défenseur des droits humains Ernesto Sernas García, ses proches, accompagnés de militants de la Corriente del Pueblo Sol Rojo ont déclaré que les instances juridiques cherchaient à “retarder les recherches pour ainsi leur faire obstacle”. Des experts en droits humains provenant des Nations Unies ont à cet égard critiqué le manque d’avancée dans les recherches. Ils considèrent par ailleurs que Sol Rojo continue d’être une cible d’intimidations et d’attaques multiples, comme en témoigne l’assassinat du défenseur Luis Armando Fuentes à San Francisco de Ixhuatán en avril. Enfin, ils enjoignent “les autorités mexicaines à s’attaquer aux causes primaires de la violence à l’encontre des défenseur-e-s des droits humains, via la production d’études d’impact environnemental des mégaprojets, ainsi que leur influence néfaste en matière de droits humains pour les populations concernées”.
La situation de la presse n’est guère meilleure. En mars, le journaliste Jesús Hiram Moreno a été blessé à Salina Cruz. Celui-ci est convaincu qu’il ne s’agit pas d’un acte de délinquance ordinaire, étant donné qu’il travaille régulièrement sur la corruption au sein de Petróleos Mexicanos (Pemex). En avril, il a débuté une grève de la faim après qu’on lui ait retiré sa protection sans pour autant qu’il n’y ait eu d’avancée dans l’enquête portant sur son agression. En avril également, la journaliste Ana Luis Cantoral a reçu des menaces de mort. Elle craint que les menaces reçues soit liées “au fait qu’elle ait couvert plusieurs affaires qui prouveraient l’existence d’irrégularités au sein même du Secrétariat à la Sécurité Publique”. Enfin, Telésforo Santiago Enríquez, membre de la radio communautaire “El Cafetal”, a été assassiné au mois de mai.
GUERRERO : une crise sans fin
Au mois de mai, lors d’une manifestation pour que les 43 étudiant-e-s disparu-e-s de l’École Normale Rurale d’Ayotzinapa en 2014 (Iguala) soient retrouvé-e-s sain-e-s et saufs, on a constaté que l’enquête en était toujours au même point “cinq mois après l’arrivée au pouvoir du président Andrés Manuel López Obrador”, tout simplement “parce que le Bureau du Procureur Général de la République et la SEDENA n’ont aucun intérêt à résoudre cette affaire”. On a ainsi exigé du Bureau du Procureur qu’il nomme un procureur spécial pour ce cas précis et on a demandé à la SEDENA de partager l’information dont elle dispose sur la disparition.
Si le cas le plus emblématique de la région n’avance que très peu, d’autres indicateurs nous montrent que la situation est très critique dans l’État du Guerrero. Trois défenseurs y ont été assassinés entre février et mai : en avril, c’est Julián Cortés Flores de la Coordination Régionale des Autorités Communautaires – Police Communautaire (CRAC-PCà de San Luis Acatlán qui a été tué, crime constituant “une grave atteinte au système de sécurité et de justice communautaire des peuples de la Costa-Montaña”, selon le Centre des Droits Humains Tlachinollan. En mai, le CNI a dénoncé la séquestration et l’assassinat du conseiller José Lucio Bartolo Faustino et du délégué Modesto Verales Sebastián “par des groupes narco-paramilitaires qui opèrent dans le région avec la complicité et la protection des trois niveaux du mauvais gouvernement”.
Autre exemple qui montre la vulnérabilité extrême des défenseur-e-s des droits humains dans l’État du Guerrero est celui de Gonzalo Molina González, ex-prisonnier politique et fondateur du CRAC-PC ayant subi “trois tentatives d’enlèvement” en mars “alors même qu’il bénéficiait du mécanisme de protection pour les défenseur-e-s et activistes octroyé fournie par l’État mexicain”. Il a par conséquent décider de se protéger désormais par ses propres moyens.
L’utilisation du système juridique en vue de mieux contrôler voire d’agresser certain-e-s défenseur-e-s a par ailleurs été dénoncé récemment. Depuis décembre, plusieurs tables rondes ont été organisées entre des organisations de la société civile et le gouvernement de l’État du Guerrero afin de réexaminer les cas de plusieurs prisonniers. Cela a également été l’occasion pour les organisations d’exiger du gouvernement que cesse le harcèlement constant des membres du Conseil des Ejidos et des Communautés Opposées au Barrage de La Parrota (CECOP). Les autorités ont notamment répondu que la voie juridique serait la voie privilégiée pour traiter cette affaire. Tlachinollan considère que “le Ministère Public a usé de la torture, des détentions arbitraires et de l’isolement pour extraire des prisonniers des preuves justifiant leur mise en examen. Leur détention consiste en fait à faire obstacle à la lutte historique qu’ils mènent contre la construction du barrage hydroélectrique de La Parota”.
La thématique du déplacement interne forcé est un sujet ayant gagné en visibilité ces derniers temps. Pendant 39 jours, environ 350 ont réalisé une manifestation/un sitting face au Palais National de Mexico afin d’exiger du gouvernement qu’il réponde à leurs revendications. Ces personnes représentent approximativement le tiers des familles ayant été déplacées de force d’une communauté de la région de Zitatla et le huitième des déplacé-e-s de Leonardo Bravo, depuis novembre 2018, en raison de la présence d’un groupe du crime organisé et des menaces proférés par ce dernier à leur encontre. Les manifestant-e-s ont décidé de retourner au Guerrero après avoir signé un accord avec le gouvernement.