ACTIVITÉS DU SIPAZ (De mi-février à mi-mai 2012)
01/06/2012DOSSIER : Mexique – Réflexion sur les feminicides ou violences sexistes
28/08/2012Les élections présidentielles du premier juillet dernier ont suscité de vives critiques autant durant le processus pré-électoral que le jour même du scrutin. Selon les chiffres de l’Institut Fédéral Électoral (IFE), le candidat de la coalition «Engagement pour le Mexique » entre le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) et le Parti Vert Écologiste du Mexique (PVEM), Enrique Peña Nieto,a obtenu 38,21% des suffrages, l’emportant ainsi sur Andrés Manuel López Obrador (AMLO), candidat de l’alliance «Mouvement progressiste» entre le Parti de la Révolution Démocratique (PRD), le Parti des Travailleurs (PT) et le Mouvement des Citoyens (MC), qui obtint pour sa part 31,59% des voix. La différence entre les deux candidats est bien inférieure à ce que laissait entrevoir les sondages pré-électoraux. En troisième place, la candidate du Parti Action Nationale (PAN) qui gouverne le Mexique à l’heure actuelle, Josefina Vazquez Mota, a obtenu 25,41% des voix, tandis que le candidat du Parti Nouvelle Alliance (PANAL), Gabriel Quadri de la Torre, a obtenu 2,29 % des suffrages.
Vazquez Mota et Quadri ont accepté publiquement leur défaite avant même de connaître les résultats du Programme de Résultats Préliminaires des Élections (PREP). Dans leurs discours prononcés quelques minutes plus tard, tant le président Felipe Calderon que Peña Nieto ont donné pour un fait acquis la victoire de ce dernier. AMLO, quant à lui, n’a pris position que quelques jours plus tard, quand il a annoncé qu’il allait contester les résultats de l’élection parce qu’il avait des preuves d’irrégularités et de violations des lois électorales pendant le processus pré-électoral et le jour du vote. De manière parallèle, des informations ont commencé à circuler dans les médias qui affirmaient qu’avant les élections, dans l’État du Mexique, le PRI avait donné des bons d’achats dans les magasins Soriana et des cartes de débit de l’entreprise Monex en échange de votes en faveur de Peña Nieto. Le PRI nie que de tels faits aient eu lieu. Pendant les campagnes électorales, une partie de la société avait déjà exprimé son opposition au candidat du PRI-Vert et / ou à la façon selon laquelle le processus se déroulait (Voir encadré). En raison des contestations des résultats électoraux qui seront évaluées par le Tribunal électoral du Pouvoir Judiciaire de la Fédération (TEPJF), c’est cette instance qui devra valider le triomphe de Peña Nieto ou annuler l’élection.
À la différence des dernières élections présidentielles en 2006, l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) ne s’est pas prononcée sur le thème à cette occasion. Cependant, le conflit non résolu au Chiapas a de nouveau été mentionné dans les médias nationaux début août, suite à la présentation d’un livre de Luis H. Alvarez (PAN), ex-président de la Commission de Concorde et Pacification (COCOPA) et Commissaire pour la paix sous la présidence de Vicente Fox (2000-2006). Le président Felipe Calderon a pris part à la polémique, en parlant «des erreurs les plus nocives défendues par l’EZLN », une position qui a par la suite été critiquée par l’actuelle COCOPA. Cette dernière a remis en question le président pour son «manque de sensibilité politique et sociale […] [qui] pourrait être interprété comme une agression, un manque de respect et une profonde ignorance de la lutte historique des peuples indiens mexicains ». Elle a ajouté que «cet intérêt soudain à parler et à théoriser sur les zapatistes est déplacé, et contraste fortement avec l’absence du thème dans son agenda et le manque d’intérêt pour cette question au cours des six années de son administration.» En août, le 9ème anniversaire de la fondation des « Caracoles » et des Comités de Bon Gouvernement créés par l’EZLN a été célébré. Cette décision avait été prise après la rupture zapatiste avec les institutions publiques mexicaines afin de promouvoir « l’autonomie par la voie des faits », en renforçant les systèmes autonomes de la santé et de l’éducation, ainsi que pour la résolution des conflits en dehors des organes judiciaires de l’État.
Après plus de deux ans et demi de négociations entre les différentes factions au sein du Congrès et le gouvernement fédéral, le 8 août, le pouvoir exécutif a promulgué une réforme politique qui changera différentes parties du système politique actuel. Sur les huit points ajoutés à la Constitution, on peut notamment souligner l’introduction de la candidature citoyenne aux élections, le dépôt de projets de lois citoyens auprès du Congrès et la possibilité de réaliser des consultations populaires sur des questions d’intérêt pour la société dans son ensemble. Des éléments qui visent à renforcer le pouvoir exécutif fédéral ont également été introduits par le biais de cette réforme. Le Congrès a cependant rejeté la proposition de Calderón de mettre en place un second tour des élections présidentielles, ainsi que la réélection des législateurs, maires et les chefs d’arrondissement. Face au manque de confiance de la population mexicaine en sa classe politique, il restera encore à voir si la société va effectivement utiliser ces nouveaux mécanismes de participation, ainsi que la réaction de la classe politique traditionnelle face à l’émergence de nouveaux acteurs dans des domaines institutionnels, monopoles jusque-là des partis politiques.
En matière de droits de l’homme : un thème laissé en suspens et deux avancées importantes
Au moins en apparence, plusieurs avancées en matière de droits de l’homme ont été observées durant les derniers mois du mandat du président Calderón. Toutefois, la promulgation de la Loi Générale en faveur des Victimes de la violence reste toujours en suspens. C’est pourtant l’une des principales demandes du Mouvement pour la Paix avec Justice et Dignité (MPJD) dans le cadre de son dialogue avec les pouvoirs fédéraux législatif et exécutif,. Bien que cette loi ait été adoptée par les deux Chambres du Congrès et que le Sénat ait ordonné sa publication, le président Felipe Calderón a présenté un recours constitutionnel qui a été accepté par la Cour Suprême de Justice de la Nation (SCJN) freinant sa promulgation définitive. Certes, il existe des différences de fond entre le gouvernement fédéral et le Congrès en la matière : le pouvoir exécutif propose de donner à ce projet de loi un caractère constitutionnel pour qu’aucun des trois niveaux de gouvernement ne puisse échapper à sa responsabilité. Il cherche également à faire en sorte que ce soit le délinquant qui paie pour les dommages causés aux victimes, et non pas l’État. Des membres de diverses ONG ont fait remarquer que le recours constitutionnel présenté par le président laisse entre temps les nombreuses victimes de sa stratégie de lutte contre le crime organisé sans aucune forme de protection.
D’autre part, le 22 juin, le président Felipe Calderón a ratifié et promulgué la loi pour la protection des défenseurs des droits humains et des journalistes qui avait été adoptée par le Congrès fin avril, un projet de loi par ailleurs amplement défendu par les organisations civiles de droits humains. Finalement, à la mi-août, la Cour Suprême a examiné différentes affaires impliquant des membres des forces armées dans des crimes ou des violations des droits humains commises contre des civils. Prenant des décisions judiciaires considérées comme historiques, la Cour Suprême a statué que les soldats impliqués devaient être jugés par des tribunaux civils.
Chiapas: entre changement et continuité ?
Au Chiapas, le 1er juillet, des élections ont été tenues non seulement pour les présidentielles mais aussi au poste de gouverneur, 122 maires et les membres locaux du Congrès. Le candidat de la Coalition « Le Chiapas nous unit » (PRI-Vert-PANAL), Manuel Velasco Coello, a remporté l’élection au poste de gouverneur avec une nette majorité (70,57% des suffrages exprimés), donnant ainsi au Parti Vert son premier poste de gouverneur au Mexique à ce jour. Le PRI-Vert a également remporté les deux sièges au Sénat qui faisaient objet de vote, 12 députés fédéraux, 24 sièges du Congrès local et 90 des 122 municipalités. Durant sa campagne, Velasco Coello a déclaré à plusieurs reprises qu’il poursuivrait la politique de l’actuel gouverneur Juan Sabines, par exemple en maintenant la collaboration du gouvernement du Chiapas avec les Nations Unies quant aux Objectifs du Millénaire pour le développement, ou bien en continuant à promouvoir la culture de biocarburants et la construction des Villes Rurales Durables. Toutefois, étant donné que Peña Nieto sera le prochain président de la République, la victoire de Manuel Velasco également par le biais de l’alliance PRI-PVEM peut s’interpréter comme le retour du PRI au pouvoir tant au niveau étatique que fédéral. Il restera donc à voir si cette nouvelle donne va entraîner des modifications substantielles par rapport à la politique de leurs prédécesseurs ou si celle-ci va encore s’approfondir.
Ces élections ont par ailleurs été marquées par plusieurs incidents qui ont placé le Chiapas comme l’un des états où le plus de conflits électoraux ont eu lieu à l’échelle nationale. Toutefois, le responsable de l’Institut Étatique pour la Participation Citoyenne (IEPC) a minimisé les dits incidents. De leur côté pourtant, des travailleurs de l’IEPC ont rapporté plusieurs irrégularités à la presse. Des membres de #Yosoy132 ont également signalé plusieurs d’entre elles avant même le jour du scrutin.
Margarita Martinez quitte le Chiapas en raison de menaces de mort et de disparition
La défenseuse des droits humains Margarita Martínez et sa famille ont décidé de quitter l’état du Chiapas du fait de nouvelles menaces de mort et de disparition reçues le 30 juin. Dans un communiqué conjoint, la famille de Margarita Martínez et plusieurs organisations des droits humains ont expliqué que cette décision était due au fait que «l’État mexicain a été incapable de protéger Margarita Martínez, vu que malgré les mesures de protection émises par la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH), elle et sa famille ont reçu de nouvelles menaces de mort ».
Dans le cadre de la Journée Internationale contre la Torture, le Centre des Droits Humains Fray Bartolomé de Las Casas (CDHFBC) a présenté un rapport intitulé «De la cruauté au cynisme», dans lequel il présente 47 cas de torture commis entre janvier 2010 et décembre 2011. Le rapport note que «la plupart des cas de torture enregistrés durant cette période ont été observés dans le cadre d’actions liées à l’administration de la justice; à la mise en œuvre de la politique de sécurité publique suite à la guerre déclarée contre le crime organisé par le président Felipe Calderón Hinojosa; ainsi que du fait des actions mises en œuvre dans le cadre du Programme «Ville Sûre» promu et réalisé par le gouvernement de l’état du Chiapas ». Le rapport indique encore que, malgré la disparition de la garde-à-vue, « divers témoignages ont révélé une réalité différente voire peut-être pire: l’existence de ‘maisons de sûreté’. Des espaces qui mettent en danger la vie des personnes « détenues » en entravant le travail de documentation et de défense adéquate de la part des organisations des droits humains ».
Après un recours en justice et de multiples manifestations au niveau local, national et international en sa faveur, le 26 juillet, Alberto Patishtán a été transféré de la prison fédérale de Guasave (Sinaloa) à la prison de San Cristobal de Las Casas. Patishtán, membre de « La Voz del Amate » (une organisation de prisonniers adhérente à l’Autre Campagne), avait été transféré à Guasave en octobre 2011, alors que plusieurs prisonniers de San Cristóbal menaient une grève de la faim pour exiger un réexamen de leur cas et leur libération. Diverses manifestations continuent à réclamer sa liberté ainsi que celle de Francisco Sántiz Lopez, base de soutien de l’EZLN de Banavil (municipalité de Tenejapa). Celui-ci est prisonnier depuis décembre 2011, une situation qui a également été dénoncée à plusieurs reprises par le Comité de Bon Gouvernement du « Caracol » zapatiste d’Oventik qui affirme qu’il a été arrêté pour un délit préfabriqué.
Oaxaca: des excuses publiques pour les violations des droits humains commises par le gouvernement de l’état lors du conflit social de 2006/2007
Le 14 juin a marqué le sixième anniversaire du début du conflit social au Oaxaca, lorsque, en 2006, le gouvernement de l’état avait tenté d’expulser un sit-in d’enseignants de la section 22 du Syndicat National des Travailleurs de l’Éducation (SNTE), ce qui avait conduit à la formation de l’Assemblée Populaire des Peuples du Oaxaca (APPO). Dans ce cadre, le gouverneur de l’état Gabino Cué Monteagudo a reconnu officiellement la responsabilité du gouvernement de l’état pour les violations des droits humains commises dans le contexte du conflit social. Le gouverneur a déclaré que tous les niveaux du gouvernement, dans le cadre de leurs attributions et facultés, étaient tenus de reconnaître et de fournir l’intégralité des soins aux victimes de violations des droits humains commises en 2006 et 2007. Le Comité pour la Défense Intégrale des droits humains Gobixha AC (CODIGO-DH) ainsi que le Centre de recherche et d’analyse FUNDAR ont déclaré que «cet acte public de reconnaissance de la responsabilité de l’état du Oaxaca contribue à redonner leur dignité aux victimes, à promouvoir leur réinsertion dans la société, ainsi qu’à permettre un processus de reconstruction sociale qui ne sera possible que si elle est fondée sur la vérité et la justice. »
Cependant, des incidents violents liés à la défense de la terre et du territoire n’ont pas cessé. Le 16 juin, deux membres de la Coordination des Peuples Unis de la Vallée d’Ocotlán (CPUVO) ont été blessés lors d’une attaque à main armée dans la communauté de San José del Progreso. La CPUVO a accusé des tueurs à gages payés par la société minière Cuzcatlán, qui opère dans la municipalité, ainsi que les autorités locales de cette nouvelle agression contre les adversaires de la mine. D’un autre côté, début août, les communautés indigènes Ikoots de l’isthme de Tehuantepec se sont déclarées en « rébellion » afin d’empêcher la construction d’un parc éolien promu par l’entreprise espagnole Mareña dans la zone. Dans le cadre de ce conflit, les habitants de San Dionisio del Mar avaient déjà occupé la mairie en janvier dernier. Ils auraient été menacés par le gouverneur lors d’une réunion tenue en mai pour ces faits, selon des informations révélées au début du mois d’août. Du fait du manque d’attention des pouvoirs publics, les autorités de San Mateo del Mar avaient déclaré que la population ne participerait pas aux élections du 1er Juillet.
Un autre thème qui a fait l’objet de l’attention des médias a été la sortie temporaire du pays du Père Alejandro Guerra Solalinde à la mi-mai, en réponse à la multiplication des menaces de mort à son encontre du fait de son travail dans le refuge pour migrants d’Ixtepec. Le prêtre a repris ses activités en tant que directeur du dit refuge le 12 juillet, bien que la situation n’ait pas beaucoup changé entre temps.
Guerrero: la gauche gagne; l’impunité demeure
Le 1er juillet, les élections présidentielles ont été organisées au Guerrero, occasion dans le cadre de laquelle ont également été élus les nouveaux maires, députés et sénateurs locaux ainsi que les congressistes fédéraux . Les candidats de gauche l’ont emporté haut la main on obtenant le total des postes de députés fédéraux, les deux sièges du Sénat en lice, 21 des 28 districts locaux, et 45 des 81 municipalités.
Par ailleurs, le non-respect des arrêts de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH) de la part des autorités fédérales et étatiques prévaut dans différents cas du Guerrero. Au cours de l’audience de la CoIDH convoquée en juin pour déterminer le degré de respect de la sentence de 2009 dans le cas de disparition forcée de Rosendo Radilla, sa fille, Tita Radilla Martinez, a exprimé son désaccord face au peu d’avancées de cette audience. Le 16 juillet, diverses organisations de défense des droits humains,nationales et internationales ont déclaré que deux ans se sont écoulés depuis la CoIDH a émis une sentence en faveur d’Inés Fernández Ortega et de Valentina Rosendo Cantú, deux indiennes violées par des soldats en 2002 , et qu’«à ce jour de graves lacunes demeurent dans leur application ».
Le 9 août, l’avocat du Centre des droits humains de la Montagne Tlachinollan, Vidulfo Rosales Sierra, qui s’était exilé du pays durant quelques mois suite à des menaces liées à ses fonctions en tant que défenseur des droits humains, est retourné au Mexique et a repris ses activités. Lors d’une réunion avec le gouverneur Aguirre Rivero, ce dernier a offert de donner des garanties et protection à Rosales, sans toutefois préciser lesquelles.
Enfin, une bonne nouvelle pour les habitants des communautés et membres des « ejidos » qui s’opposent à la construction du barrage de La Parota: en juillet, la fin au projet hydroélectrique prévu près d’Acapulco a été ratifiée. Selon le Centre des droits de l’homme Tlachinollan, cette décision « confirme une fois de plus que dans la lutte juridique menée par les opposants au projet, ce sont les membres des communautés, ejidos et voisins unis dans le Conseil des ejidos et communautés opposées au barrage de La Parota (CECOP) qui avaient raison et la plus grande légitimité sociale. On s’attend donc à ce que cette décision récente relance la possible signature des Accords de Cacahuatepec qui, jusque-là, avait été différée par le pouvoir exécutif de l’état du Guerrero, ce qui pourrait enfin ramener la paix dans la région. »
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