Activités de SIPAZ (Avril – Juin 2005)
29/07/20052005
30/12/2005Pré-candidatures et campagnes officielles
Rapport présidentiel sans grande expectative ni impact
Début septembre, le président Vicente Fox présenta son cinquième rapport de gouvernement, un an avant la fin de son sexennat. Ce fût surtout un acte protocolaire, bref, et sans statistiques. Vicente Fox centra son message autour de deux idées principales : la transition démocratique et un appel à la réalisation d’accords. Cet appel, adressé principalement au Congrès, peut sembler paradoxal, vu que d’une part, très peu d’accords significatifs ont été passés au cours des cinq années précédentes, et de l’autre, le contexte préélectoral renforce les intérêts des différents partis politiques, limitant les possibilités de consensus sur des réformes de fond.
L’impact limité de cet acte est dû au fait que le débat politique des partis tourne entièrement autour du thème de la succession présidentielle de 2006. Les pré-candidatures des principaux partis sont d’ores et déjà définies et pour cette raison les confrontations se font plus intenses.
PRI : luttes entre pré-candidats et pour la rénovation des dirigeants du parti
Après avoir perdu la Présidence de la République en l’an 2000 (suite à 71 ans au pouvoir), le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) s’est cependant maintenu comme la force politique majoritaire au Mexique tant à l’échelle des municipalités que des états et au sein du congrès. Les élections au poste de gouverneur de l’Etat du Mexique en juillet passé s’annonçaient comme un possible baromètre des tendances électorales de 2006. Le candidat du PRI, Enrique Peña Nieto, l’a emporté à presque deux contre un face à ses adversaires.
Au sein du PRI, les pré-candidatures opposent Roberto Madrazo à Arturo Montiel. Le premier, président national du PRI, contrôle fortement la structure du parti et les élections locales. Le second, ex-gouverneur de l’état de Mexico, est leader du courant « Unité Démocratique », également connu comme Tous Unis contre Madrazo (TUCOM). La confrontation entre les deux candidats s’est maintenue au niveau médiatique, et le processus d’élection interne s’est durci, coïncidant avec la rénovation de la direction du parti, aggravant ainsi les fractures.
Elba Esther Gordillo, la secrétaire générale du parti et rivale de Madrazo, était censée assumer la présidence du PRI par ordre de préférence. En son absence, en août, la succession a été consommée avec la nomination de Mariano Palacios Alcocer. Elba Esther Gordillo a fait appel auprès du Tribunal Electoral du Pouvoir Judiciaire de la Fédération (TEPJF) pour révoquer cette nomination. Au milieu des tensions, le TEPJF a finalement ratifié le nouveau président. Gordillo a alors renoncé au poste de secrétaire générale du PRI, afin de pouvoir se présenter comme pré-candidate, appuyer une autre candidature, voire même de militer pour un autre parti.
PAN: élection interne semi-fermée
Dans le cas du Parti d’Action Nationale (PAN), la compétition oppose Alberto Cárdenas Jiménez, Felipe Calderón Hinojosa et Santiago Creel Miranda. Ce dernier est connu comme le candidat de Vicente Fox (pour avoir été son Ministre de l’Intérieur) et c’était le favori, au début. Au milieu d’un important déploiement de ressources financières et médiatiques, la concurrence entre les tendances des différents pré-candidats risque d’accroître les divisions, ce qui achèverait d’affaiblir un parti d’ores et déjà usé par l’exercice du pouvoir.
L’élection interne est semi-fermée, avec un premier tour en trois étapes entre septembre et octobre (par états) et un second tour en novembre avec un suffrage simultané des militants dans tout le pays. Le 11 septembre, Felipe Calderón Hinojosa a gagné la première votation régionale. Les analystes expliquent cet avantage face à Creel comme un vote de refus face à l’administration du président Fox.
PRD et López Obrador
Le 30 juillet, Andrés Manuel López Obrador (AMLO) s’est inscrit comme pré-candidat aux élections présidentielles, après avoir renoncé au poste de Chef du Gouvernement du District Fédéral (DF). Du fait de sa forte popularité, il est le candidat le plus probable du Parti Révolutionnaire Démocratique (PRD). La polémique autour de son possible retrait d’immunité (qui l’aurait empêché de se présenter aux élections – voir les bulletins précédents du SIPAZ) a fini par le renforcer. D’un autre côté, la politique sociale qu’il a menée comme Chef du Gouvernement du DF, axée sur la redistribution, lui a garanti le soutien d’une ample base populaire. Cette même politique l’a également conduit à recevoir de nombreuses critiques, pour passer d’une relation de bénéficiaire à client et pour augmenter la dette du DF de 28.718 millions de pesos en 2000 (environ 2.660 millions de dollars US) à 41.440 millions de pesos en 2005 (environ 3.840 millions de dollars US).
Autre ‘talon d’Achille’ de López Obrador, la réalisation de 24 des 50 promesses électorales de son programme ne dépend pas du Président mais du Pouvoir Législatif. Or il est peu probable que le PRD obtienne la majorité absolue au sein du Congrès, aussi la négociation sera indispensable.
Coalition Citoyenne Nationale : un autre facteur dans l’équation
Fin septembre, environ 250 organisations syndicales, politiques, civiles et paysannes ont formé la ‘Coalition Citoyenne Nationale pour la Transition Démocratique avec Justice et Equité’. Cet espace s’appelait auparavant le Front Ample de Gauche (ou ‘Frentote‘, littéralement le grand front). Il est conformé, entre autres, de dirigeants du PRD, du Parti du Travail (PT) et du Parti Convergence. Il faut aussi souligner la participation de Cuauhtémoc Cárdenas parmi les fondateurs, leader historique candidat à la Présidence de la République à trois reprises pour le PRD et actuellement ‘mis au placard’ par le parti.
Cet espace tend à approfondir le processus de transition démocratique – passant par une nécessaire Réforme de l’Etat – en mettant en avant le projet politique avant le candidat présidentiel qui le défendra, sans se subordonner à celui-ci. La coalition a peu de chance d’emporter la candidature de gauche face à AMLO. Cependant, elle oblige ce dernier à ouvrir le débat sur son programme de gouvernement, à le négocier. Si López Obrador venait à gagner, ce Front pourrait agir tant en contrepoids comme en soutien à AMLO, qui ne dispose pas de base politique à l’heure actuelle, en dépit de sa popularité.
De la Sixième Déclaration de la Forêt Lacandone à ‘l‘Autre Campagne’
C’est dans ce contexte que l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) est passée de la Sixième Déclaration de la Forêt Lacandone au lancement de l’Autre Campagne (voir Dossier). L’EZLN a rompu toute relation avec les partis politiques après ladite « trahison » législative de 2001: cette année-là le Congrès a approuvé une réforme constitutionnelle portant sur les droits et la culture indigène fort éloignée des Accords de San Andrés signés en 1996 entre le gouvernement fédéral et les zapatistes.
L’EZLN considère désormais qu’il n’y a rien à négocier avec ceux « d’en haut », avec les partis politiques qui, selon eux, recherchent le pouvoir pour le pouvoir, gaspillent l’argent public, et sont déconnectés des besoins du peuple. A travers la Sixième Déclaration, les zapatistes confirment qu’ils n’attendent plus rien de l’actuel gouvernement, ni d’ailleurs de celui qui suivra, quel qu’il soit. Et cependant l’EZLN a lancé une nouvelle initiative au moment même de la transition du pouvoir au Mexique.
La nouvelle stratégie maintient l’arrière-garde militaire et continue de renforcer la construction de l’autonomie au Chiapas. De plus, elle lance une nouvelle proposition de lutte « en bas et à gauche » à échelle nationale, dimension présente depuis le début de la lutte zapatiste, ne serait-ce qu’à travers le nom du mouvement (« Armée Zapatiste de Libération Nationale »). Elle offre encore d’approfondir un autre niveau : le global.
Face à la crise de la démocratie représentative et en rupture avec la dimension institutionnelle, le zapatisme propose, plus qu’une stratégie, une méthodologie construite depuis le bas, par ceux d’en bas et pour ceux d’en bas : l’Autre Campagne, qui vient disputer l’initiative à la classe politique pour une transformation radicale de l’Etat. Elle confronte directement la logique propre des campagnes électorales (pouvoir, médias, argent). Ce processus prend de plus en plus d’ampleur. Début septembre, 162 organisations sociales, 55 organisations politiques, 453 organisations non gouvernementales (ONG), groupes et collectifs, 103 organisations indigènes et 1.625 personnes à titre individuel avaient adhérés à la Sixième Déclaration. 2.069 personnes participèrent à la première session plénière.
La position de la Sixième Déclaration face aux partis politiques et à López Obrador a généré une forte polémique. La direction nationale du PRD a qualifié le langage utilisé par le sous-commandant Marcos d' »excessif » et a nié avoir trahi la cause indigène (en rapport à la réforme de 2001). Pour beaucoup de personnes à faveur d’AMLO, cette position semble à contre-courant et risque de diviser la gauche, quand celle-ci a une possibilité réelle de gagner les présidentielles. Le vote pour le candidat ‘moins pire’ n’est pas une option pour l’EZLN. Néanmoins, et contrairement à ce qui apparaît dans certains moyens de communication, la Sixième Déclaration n’appelle pas à l’abstention: « Ce que propose la Sixième Déclaration est une alliance entre organisations politiques sans registre, elle ne dit pas que ces organisations ne doivent pas lutter pour obtenir le pouvoir, ni que la voie électorale ne doit pas faire partie de leur stratégie. Comme l’Autre Campagne se donne dans un contexte de campagne électorale, nous ne voulons pas qu’elle soit utilisée par des candidats avec registre à des fins électorales ». La Sixième Déclaration n’est pas non plus une option « pro-zapatiste », inconditionnelle au projet politique de l’EZLN et à son organisation.
Réactions face à l’Autre Campagne
Mi-août, le pré-candidat du PAN à la Présidence, Felipe Calderón a affirmé : « Le choix (de Marcos) de la violence est un choix qui nie la démocratie. Je préfère le choix des citoyens qui portent un nom et un prénom, qui assument leur responsabilité, qui participent à la vie politique et qui construisent la vie démocratique, ce qui n’est pas sans risques et qui, dans le passé, a eu de graves conséquences, comme la perte d’un emploi, voire de la vie « . L’Autre Campagne est cependant une initiative politique et pacifique, comme d’ailleurs toutes les initiatives zapatistes après les 12 premiers jours de guerre de 1994.
Du côté du pouvoir exécutif, Rubén Aguilar Valenzuela, porte-parole de la Présidence, a informé que le gouvernement de la nation célébrait le choix de l’EZLN de la voie politique. Il a souligné que l’influence de l’EZLN sur le processus électoral de 2006 dépendrait de l’électorat. Il a approuvé l’intention de l’EZLN de parcourir le pays, et il a indiqué que le gouvernement du Mexique ferait son possible pour faciliter cette démarche. Le gouvernement fédéral a fait savoir sa disposition au dialogue avec le sous-commandant, lui laissant le choix du lieu, du moment et des thèmes à aborder.
Cependant, au cours de la première Session Plénière de l’Autre Campagne, l’EZLN a refusé d’avoir une réunion secrète avec le coordinateur gouvernemental pour la Paix au Chiapas, Luis H. Alvarez, qui la lui avait sollicitée à travers une lettre transmise au début de cette réunion. Luis H. Alvarez a reconnu l’envoi de cette lettre, qui avait pour objectif d’échanger des points de vue sur la situation qui prévaut dans les communautés indigènes du Chiapas.
Durant la troisième semaine de septembre, le Ministre de l’Intérieur Carlos Abascal Carranza, Luis H. Alvarez, et sept membres de la COCOPA (Commission d’Entente et de Pacification formée par des législateurs pour aider à la négociation entre l’EZLN et le gouvernement fédéral) se sont réunis afin d’analyser ce que le commandement zapatiste avait proposé lors de la session plénière. Ils ont reconnu la légalité de la mobilisation zapatiste. Si les discours publics semblent accueillir à bras ouverts cette initiative, d’un autre côté, on a dénoncé au cours des réunions préparatoires des actes de répression contre la diffusion de l’Autre Campagne, par exemple à Oaxaca.
Mi-août, lorsqu’on demanda au commandant de la septième région militaire au Chiapas, Juan Morales Fuentes, si l’Armée mexicaine avait reçu des instructions par rapport à la délégation zapatiste en janvier prochain, il affirma que cette délégation ne présentait aucun risque pour la stabilité sociale. Fin août, le Centre d’Investigation et pour la Sécurité Nationale (CISEN) remit un rapport au Ministère de la Défense Nationale (SEDENA), dans lequel il évoquait huit organisations armées opérant dans différentes régions du pays. Le rapport affirmait que seulement cinq d’entre elles « pouvaient affecter la paix sociale et la sécurité nationale » : l’Armée Populaire Révolutionnaire (EPR) et quatre autres organisations issues de celle-ci, l’EZLN ne figurant pas parmi ce groupe.
Chiapas : autres campagnes électorales, tensions
A échelle locale, une grande partie de la discussion politique tourne autour des prochaines élections au poste de gouverneur de l’état prévues juste après les présidentielles (août 2006). Début septembre, le Bureau pour le Contrôle de la Légalité a lancé des procédures administratives contre plusieurs personnalités politiques qui souhaitaient se présenter comme candidats à ce poste : les députés fédéraux Emilio Zebadúa (PRD) et Manuel Velasco (Parti Vert Ecologiste du Mexique – PVEM), et les sénateurs Rutilio Escandón (PRD) et José Antonio Aguilar (PRI). Ils sont accusés d’avoir réalisé des actes de prosélytisme en dehors des temps légaux de campagne. Plusieurs médias soutiennent qu’il s’agit en fait d’une mesure pour favoriser le secrétaire du gouvernement du Chiapas, Rubén Velázquez, considéré comme le candidat de l’actuel gouverneur, Pablo Salazar.
Lors des prochaines élections au poste de gouverneur, on prévoit un fort abstentionnisme qui faciliterait le retour du PRI au pouvoir. Ce parti pourrait l’emporter grâce à sa présence et la force de sa structure au Chiapas, et face aux difficultés de former une coalition entre différents partis (l’actuel gouverneur l’avait emporté en 2000 avec une coalition de 8 partis) dans un contexte d’extrême division politique au niveau national.
Dans la zone Nord du Chiapas, la tension monte à nouveau avec la circulation de rumeurs concernant la réactivation du groupe « Développement, Paix et Justice » (DP&J), accusé de paramilitaire. En août, le Centre des Droits Humains Fray Bartolomé de Las Casas a dénoncé le déplacement forcé de plusieurs familles de la communauté de Andrés Quintana Roo, municipalité de Sabanilla, suite aux agressions et menaces de personnes liées à DP&J. Les déplacements ont eu lieu en juin, juillet et août, créant un total actuel de 20 familles (117 personnes) déplacées. Le gouvernement de l’état parle d’« auto-déplacement ». La peur existant dans la zone est cependant bien réelle et palpable, au même titre que dans la municipalité de Tila.
Toujours dans la zone Nord, dans la communauté de Belisario Domínguez, municipalité de Salto de Agua, le 6 septembre, un conflit entre des bases de soutien zapatistes et le reste de la population a causé plusieurs blessés. L’origine de ce conflit tient à nouveau aux différences concernant les services basiques tels que l’eau et l’électricité, sources de tension dans les communautés divisées (voir bulletins antérieurs). Les familles zapatistes expliquent qu’elles cherchaient à empêcher les autres habitants de leur couper l’électricité, et la Commission Fédérale d’Electricité (CFE) d’entrer dans le village. Les autres habitants s’étaient organisés pour accueillir 4 employés de la CFE à l’entrée de la communauté afin « d’essayer de parvenir à un accord sur ces problèmes avec la CFE « .
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En Bref : Clair-obscurs au Guerrero
Libération de Felipe Arreaga Sánchez
Le 15 septembre, Felipe Arreaga Sánchez, écologiste du Guerrero, prisonnier politique incarcéré pendant plus de 10 mois, a été reconnu innocent. On craint cependant pour sa sécurité, celle de sa famille et celle d’autres défenseurs de l’environnement et des droits humains au Guerrero. D’un autre côté, des mandats d’arrêt persistent pour le même délit contre 13 autres paysans écologistes. Parmi ceux-ci se trouvent des dirigeants de l’Organisation des Paysans Ecologistes de la Sierra de Petatlán et de Coyuca de Catalán, A.C. (OCESP) comme Rodolfo Montiel – qui avait également été fait prisonnier politique en 1999 – et Albertano Peñaloza Domínguez – victime d’une embuscade au cours de laquelle deux de ses fils furent assassinés.
La Parota : la répression augmente
La construction du barrage hydroélectrique de ‘La Parota’ près d’Acapulco a généré une forte division sociale et une violence croissante. Les habitants organisés au sein du Conseil des propriétaires ‘ejidatarios‘ et communaux opposés à La Parota (CECOP) dénoncent vivement le rôle de la Commission Fédérale d’Electricité (CFE) pour fomenter la division entre communautés, ne pas informer de manière véridique et impartiale, et offrir de l’argent, des projets et des services à ceux qui acceptent la réalisation du projet. Les membres de la CECOP accusent le Gouvernement du Guerrero de ne pas créer les conditions qui permettraient de répondre aux besoins des habitants, et de privilégier l’investissement sans hésiter à recourir à la force pour intimider les opposants. Le 23 août, environ mille habitants de Cacahuatepec favorables au projet ont été convoqués par la CFE à une réunion qui n’a duré que 20 minutes, entourée de 500 policiers qui empêchaient les opposants de participer à la réunion. Les participants ont approuvé le commencement des démarches qui permettraient l’expropriation des terres où le barrage doit être construit. Cette situation a débouché sur un affrontement violent. De plus, le 18 septembre, Tómas Cruz Zamora a été assassiné après avoir assisté à une Assemblée du CECOP à laquelle le gouverneur aurait du participer (il n’est pas venu). On redoute de plus en plus de violence.
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