Activités du SIPAZ (De mi-février à mi-mai 2023)
10/06/2023DOSSIER : Déplacements forcés – crise mondiale, incapacité nationale
13/09/2023
E n juin, le président Andrés Manuel López Obrador (AMLO) a reconnu que, sous son gouvernement, les homicides ont dépassé ceux commis lors des administrations précédentes. En 2019, 34 690 meurtres ont été enregistrés ; en 2020, 34 554 ; en 2021, 33 308 et en 2022, 30 968, tandis que durant les quatre premiers mois de 2023, 9 912 cas se sont présentés, une moyenne de 83 cas par jour.
AMLO a attribué la responsabilité de ces chiffres aux administrations précédentes : « Où sont les cartels créés ou tolérés par notre gouvernement ? Il n’y en a pas. Ils se sont consolidés du fait de l’impunité et des complicités lorsque le ministre à la sécurité publique [Genaro García Luna] travaillait au service du trafic de drogue, c’était un narco-État. » Il a affirmé que les programmes sociaux donnent des résultats en répondant aux causes qui génèrent l’insécurité. Il a ajouté que le niveau de létalité lors des affrontements militaires avec le crime organisé enregistré dans le passé a été réduit : « C’est un indicateur que nous respectons les droits de l’Homme, dans la pratique. C’est pourquoi je n’accepte pas ce que certaines organisations de la société civile affirment (…), car elles veulent nous mettre dans le même sac », a-t-il déclaré.
Violations des droits humains et impunité : éléments de continuité
En mai, le New York Times a rapporté qu’Alejandro Encinas, sous-secrétaire des droits de l’Homme du gouvernement d’AMLO, a été victime d’espionnage via le programme Pegasus. Le piratage aurait eu lieu tandis que le fonctionnaire travaillait sur des cas de violations des droits de l’Homme possiblement commises par les forces armées, en particulier dans le cas de la disparition forcée des 43 étudiants d’Ayotzinapa. Le NY Times a souligné que «la licence pour obtenir Pegasus n’est autorisée que pour des agences gouvernementales, et bien qu’il n’y ait pas de preuve définitive pour savoir qui a effectué le piratage (…), l’armée est la seule entité au Mexique qui ait accès au programme » En octobre dernier, le réseau de défense des droits numériques (R3D) a révélé que l’armée mexicaine avait acheté Pegasus en 2019. Il a aussi déclaré que des preuves de piratages avaient été trouvées sur les téléphones portables de plusieurs défenseurs des droits humains et journalistes. Un jour après la publication de l’article du NY Times, AMLO a reconnu que son sous-secrétaire avait été espionné, mais a rejeté que cet espionnage ait été réalisé sous ordre militaire. Plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme ont dénoncé ce qui s’est passé « car il s’agit d’une situation très grave, et qui montre que, malgré les engagements pris en public, les institutions de l’État ne l’ont pas évité et, qu’au contraire, elles continuent de permettre l’utilisation de Pegasus ».
En juin, plus de 400 organisations de défense des droits de l’Homme se sont solidarisés avec le Centre des droits humains Miguel Agustín Pro Juárez (Prodh), après les « déclarations mal venues qui désinforment et discréditent » de la part du prédident. Celles-ci signalent que cette organisation et d’autres se sont tues face à des cas de violations des droits humains commises lors des gouvernements précédents « supposément du fait d’affiliations partisanes et en suggérant également qu’il existe une intention de ces organisations pour que son gouvernement échoue ». Elles ont souligné que « les violations des droits de l’Homme dans le pays persistent et n’ont pas cessé de se produire ». Elles ont ajouté que faire face à cette crise « nécessite un dialogue permanent avec la société civile pour rechercher des actions qui aident à inverser cette situation. Pour cela, la volonté politique es nécessaire pour enquêter et poursuive ceux qui continuent historiquement de détenir le pouvoir ; et ceux qui en font usage pour discréditer et détourner l’attention des vrais problèmes. »
En juillet, AMLO a reçu Estela de Carlotto, présidente actuelle et l’une des fondatrices des grands-mères de la Plaza de Mayo en Argentine, un groupe qui n’a eu de cesse de localiser les personnes disparues pendant la dictature militaire de ce pays. Des groupes de mères qui cherchent leurs propres disparus au Mexique ont exigé que le président les reçoive également pour « parler de la tragédie » que le pays vit en matière de disparitions et face à laquelle «les autorités n’ont pas répondu ni au niveau fédéral, ni à l’échelle des états ». Ils ont également mentionné : «Nous ne sommes pas vos adversaires, nous sommes comme Estela de Carlotto, des mères, des membres de familles brisées par la douleur, nous cherchons simplement à savoir ce qui est arrivé à nos proches (…), le président n’a pas voulu nous recevoir depuis le début de ces cinq années de gouvernement « . Ils ont ajouté que « tout ce qui s’est passé au Mexique au cours des 15 dernières années est pareil ou plus grave que ce qui s’est passé en Argentine : il y a plus de 100 000 personnes disparues et plus de 50 000 corps humains et restes non identifiés ».
En août, le mécanisme d’accès à la vérité et la clarification historique des violations graves des droits de l’Homme commises de 1965 à 1990 (MEH), a dénoncé «de graves difficultés pour accéder à la consultation sans restriction de documents historiques provenant des agences responsables de la sécurité, de l’intelligence, des forces armées et de la police. » Ceci, bien qu’en 2019, AMLO ait signé un document exigeant à toutes les agences gouvernementales de fournir toutes les informations disponibles.
Sentences et opposition n’arrêtent pas l’avance des grands projets d’infrastructure
En mai, la Cour Suprême de Justice de la Nation (SCJN) a déclaré inconstitutionnel le décret d’AMLO de novembre 2021 qui prétendait faire en sorte que la construction, le fonctionnement et l’exploitation de « projets prioritaires » comme le Train Maya ou le Couloir Interocéanique de l’isthme de Tehuantepec soient considérés comme étant des questions de sécurité nationale et d’intérêt public. Ceci en réponse à la controverse constitutionnelle présentée par l’Institut National de transparence, d’accès à l’information et de protection des données personnelles (INAI). Quelques heures après que le tribunal ait donné la raison à l’INAI, López Obrador a présenté un nouveau décret avec les mêmes objectifs que l’antérieur, contrevenant ce qui avait été résolu par la Cour suprême. Pour cette raison, le lendemain, l’INAI a présenté une nouvel appel. Le décret initial permettait au gouvernement fédéral d’initier la construction de projets sans avoir tous les permis nécessaires. Il limitait l’accès à l’information, car il pouvait réserver des documents sous prétexte de protéger la sécurité nationale. Le président, en revanche, a nié que le nouveau décret cherche à cacher des informations sur les travaux et a justifié leur protection.
En mai, le Centre mexicain de droit de l’environnement (CEMDA) a indiqué que « le premier tribunal de district du Yucatan a accordé la suspension définitive afin que tout acte d’exploitation ou de défrichement des terrains soit suspendu ou paralysé » sur quatre sections du projet du Train Maya. Trois ans après avoir présenté un recours constitutionnel, des communautés autochtones, paysannes, urbaines et côtières de Campeche, Yucatán et Quintana Roo, ainsi que des organisations civiles, ont obtenu la suspension finale du projet. Le tribunal a souligné que « les autorisations provisoires émises (…) ne remplacent pas les autorisations qu’une étude technique et scientifique avant les travaux implique ; si cette dernière n’est pas réalisée, l’écosystème où ils seront développés est mis en danger, car cela signifierait autoriser le début des travaux sans connaître les répercussions et les dommages qui peuvent être causés. »
En juillet, la Cour internationale des droits de la nature a condamné l’État mexicain pour « crimes écologiques et ethnocide » commis dans le cadre de la construction du Train Maya. Elle a exigé sa suspension, la démilitarisation de tous les territoires autochtones où il se développe, ainsi que de « mettre fin à la persécution, aux menaces, au harcèlement et à l’intimidation contre les personnes qui défendent la nature ». En plus de la suspension immédiate du train, la sentence ordonne plusieurs mesures de réparation intégrale des écosystèmes affectés par la réalisation du projet et de ses installations collatérales, ainsi que face à « tous les impacts sociaux générés ». AMLO a refusé à plusieurs reprises de reconnaître que le projet provoque des dommages écologiques et a accusé des experts qui critiquent ce projet d’être « naïfs » et d’être manipulés par des « intérêts conservateurs ».
Chiapas : des sources de préoccupation continuent de se multiplier
Du nord au sud et de l’est à l’ouest, il ne passe pas une semaine sans que surgisse un incident lié à la présence de groupes du crime organisé dans l’état : meurtres, enlèvements ou disparitions, patrouilles ou « Narco-barrages » sont les situations signalées le plus fréquemment.
La situation la plus alarmante se présente dans les municipalités à la frontière avec le Guatemala. Fin mai, dans les municipalités de Frontera Comalapa, Chicomuselo, La Trinitaria et Amatnango de la Frontera, les réseaux de droits humains ont rapporté: «Des communautés entières isolées du fait de barrages sur les routes et chemins, la suspension des classes dans les écoles, les coupures d’électricité qui empêchent la communication, des véhicules en feu, l’installation d’un poster de la part du narco, des affrontements armés, des menaces de violations de domicile pour réviser les téléphones portables, les enlèvements, le recrutement forcé des hommes des communautés pour les intégrer dans les rangs du crime organisé et la mort de ceux qui opposent une résistance ». Il y a également eu des déplacements forcés d’au moins 3 mille personnes face à la vague de violence et la peur déclenchée par des affrontements on présume entre les cartels de Jalisco Nueva Generación et Sinaloa pour le contrôle de la zone frontalière.
Une semaine plus tard, les forces de sécurité étatiques et fédérales ont rétabli le contrôle de la zone et les activités quotidiennes ont pu reprendre. Certains doutent toutefois que la présence militaire puisse réduire la violence à moyen terme, quand elle ne l’a pas fait dans le passé. Le Centre des Droits Humains Fray Bartolomé de Las Casas (Frayba) a souligné que ce n’est pas nouveau dans la région : « L’acquiescement de l’État à travers les institutions militaires est visible dans les territoires où ces événements ont eu lieu. Dans la ville d’El Jocote il y a un détachement de l’armée mexicaine. Un détachement de la Garde nationale est établi sur le tronçon routier Paso Hondo-Frontera Comalapa. Dans la municipalité de Chicomuselo il y a la plus grande caserne de l’armée mexicaine du Chiapas. Des témoignages rapportent que des caravanes de véhicules [du crime organisé] transportant des personnes lourdement armées se baladent comme si de rien n’était devant ces institutions », a-t-il déclaré. Cependant, une grande partie de la population, se sentant totalement sans défense, continue de réclamer l’intervention de la Garde nationale et de l’armée, ainsi que le renforcement de la sécurité et la surveillance de différentes routes.
L’arrêt de la violence dans les territoires zapatistes est exigé
Le 22 mai, Gilberto López Sántiz, Base de Soutien de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (BAEZLN), a été victime d’une attaque armée. Quelques heures plus tôt, la communauté Autonome Moisés y Gandhi (Ocosingo) avait signalé l’attaque armée (« 130 tirs de petit calibre et 15 tirs de gros calibre ») perpétrée par des membres de l’Organisation régionale des producteurs de café d’Ocosingo (ORCAO). Le Réseau Tous Droits pour Tous (Red TDT) a exigé que des soins médicaux urgents soient fournis à López Santiz ; que les responsabilités soient établies pour tentative d’homicide et attaque armée ; et l’arrêt immédiat des attaques de l’ORCAO.
En termes de contexte, le Frayba a rappelé que, depuis le soulèvement armé de 1994, l’EZLN « a été harcelé et attaqué continuellement par l’armée mexicaine et des groupes liés à l’État (…) dans le but de détruire et de vaincre la résistance de mouvements et organisations émancipatrices qui luttent pour le respect de leurs droits ». Il a déclaré que « ce mandat de six ans du gouvernement d’Andrés Manuel López Obrador n’a pas été laissé pour compte, les attaques contre les terres récupérées de l’EZLN sont constantes, (…) les bases de soutien de l’EZLN ont subi de graves violations des droits humains tels que la privation arbitraire de la liberté, la torture, les déplacements forcés et plusieurs blessés par arme à feu ». La situation continue de s’aggraver « en raison de l’impunité active générée par le gouvernement mexicain ». Diverses expressions de solidarité nationale et internationale ont été prononcées au cours des semaines suivantes.
AMLO, interrogé sur ces cas, a déclaré que la situation n’est pas telle et s’en est pris aux organisations civiles : « Les réactionnaires, les conservateurs, ne veulent pas accepter qu’il existe une nouvelle réalité ». « Même le gouvernement américain donne de l’argent à des pseudo-organisations environnementales, des pseudo-défenseurs des droits de l’Homme », a-t-il ajouté. Face à ces déclarations, le Frayba a remis en question le « déni » du président face à la violence au Chiapas, qui approfondit l’impunité « de la part d’acteurs municipaux, étatiques et fédéraux qui contribuent à l’accaparement de terres, à l’exploitation et à la marginalisation sociale ». Il a souligné que depuis 2019, il a documenté « plus de 110 attaques armées contre les communautés appartenant à la région de Moíses y Gandhi ». De son côté, la Red TDT a déclaré avoir documenté l’augmentation de la violence au Chiapas et être « préoccupé par le fait que le problème soit nié depuis les espaces présidentiels ».
Les journalistes, un autre des secteurs vulnérables
En juin, des organisations de défense des droits humains et des réseaux de journalistes ont mis en garde face au « climat hostile à l’égard de la presse dans l’état du Chiapas, qui dérive du contexte de violence qui existe dans diverses régions de l’entité, principalement en raison d’événements liés aux actions de groupes armés et du crime organisé ». Parmi les incidents les plus récents, ils ont souligné l’installation d’affiches avec des messages d’intimidation contre la presse à Frontera Comalapa, tout en affirmant qu’il s’agit d’une « situation généralisée dans l’état ».
Ils ont rappelé qu’en 2022, Article 19 a documenté 31 attaques contre la presse au Chiapas, soit une moyenne de 2,5 cas par mois, « le plus grand nombre d’attaques enregistrées dans l’état depuis que l’organisation documente la violence contre la presse. Cela place l’entité fédérale au neuvième rang pour les attaques contre les journalistes et les médias dans le pays. Étant donné qu’une attaque sur trois au Chiapas en 2022 a été directement perpétrée par des groupes du crime organisé, cette violence représente une sérieuse alerte pour l’exercice journalistique ». Ils ont dénoncé « l’absence de garanties de protection ou d’accès à la justice, ce qui a provoqué le déplacement d’au moins deux journalistes dans cette entité ».
Différents acteurs dénoncent la violence
En mai, des mères de femmes assassinées et disparues au Chiapas ont organisé un sit-in devant le palais du gouvernement de la capitale Tuxtla Gutiérrez, exigeant justice et vérité sur ce qui est arrivé à leurs filles. Elles ont affirmé qu’il y avait eu négligence de la part du Bureau du Procureur général de l’État (FGE) et que, du fait de la corruption, il n’avait pas été possible de capturer et de condamner les agresseurs. « Assez de simulations, pour nous et pour tous, justice et justice pour tous », ont-elles déclaré. Les dossiers pour cas de violence de genre ne cessent de s’accumuler. En août, le Collectif des femmes 50+1 a dénoncé « l’augmentation alarmante de la violence contre les femmes au Chiapas. En 2022, au moins 40 cas de féminicide ont été enregistrés ». A ces cas s’ajoutent 19 féminicides en 2023, selon leurs chiffres.
En juin, les fidèles des paroisses de Chicomuselo ont organisé un pèlerinage pour rendre visible la violence croissante : « Nous souffrons, en tant que peuples, des assassinats, des enlèvements et des disparitions, ainsi que des menaces constantes, des harcèlement, des persécution et des diffamations contre les serviteurs de notre communauté paroissiale ». Ils ont mentionné que la présence de groupes du crime organisé qui « opèrent en toute impunité dans le but de contrôler le territoire, de piller, d’accaparer et d’exploiter les mines et de faire payer des tributs » est de plus en plus forte. Ils ont exigé « le respect de l’État de droit (…) sans passer par la militarisation de nos communautés ».
Le 5 juillet, des milliers de catholiques du diocèse de San Cristóbal, dans au moins sept municipalités, ont effectué un pèlerinage pour exiger que les autorités mettent fin à la violence générée par les groupes armés et garantissent la paix et la stabilité sociale. Des membres des paroisses de San Cristóbal de Las Casas, Oxchuc, Ocosingo, Teopisca, Tenejapa, San Juan Cancuc, Chamula, Zinacantán, Chenalhó, Simojovel entre autres ont participé à cette « Marche/Pélerinage pour la Vérité, la Justice y la Construction de la Paix ». Le Peuple Croyant a affirmé que les autorités nient la réalité : « Il semble qu’ils vivent dans un monde parallèle et différent de celui dans lequel les gens se trouvent, mais l’État est responsable de l’insécurité qui existe dans le pays ».
Le 9 juillet, des milliers de personnes catholiques et évangéliques ont fait un pèlerinage à Las Margaritas. Elles ont demandé de stopper la montée de la violence : « la vente d’alcool et de drogues, les maisons de prostitution, les tentatives d’enlèvements, les fusillades, les homicides, (…), les abus de pouvoir, les affrontements entre organisations, les déplacements forcés, les détournement de fonds », entre autres. Elles ont affirmé que les autorités « tentent de cacher toutes ces manifestations de mort avec des célébrations qui […] contribuent à séduire et à apprivoiser les citoyens en vue des élections de l’année prochaine ». Elles ont affirmé que « le sentiment est d’impuissance face aux pouvoirs qui nous représentent au niveau politique, car il a été démontré que les intérêts de ceux qui occupent ces postes sont très éloignés des besoins de leur peuple ».
En août, le Frayba a présenté une plainte contre l’État mexicain auprès du Groupe de travail des Nations Unies sur les détentions arbitraires (GTDA) pour torture et fabrication de coupables, des situations qui criminalisent les défenseurs indigènes. A cette occasion, ils ont abordé deux cas ; celui de Manuel Gómez, base de soutien de l’EZLN, et celle de cinq indigènes Tzeltal de Cancuc, défenseurs du territoire et des droits humains. Le Frayba « confirme le modèle systématique de criminalisation des défenseurs indigènes par le gouvernement du Chiapas. Ses caractéristiques sont : la participation complice du Parquet de Justice Indigène utilisé pour contrôler les peuples à travers la criminalisation de l’exercice de leurs droits politiques, de leur autonomie et de leur auto-détermination en tant que peuples autochtones ; les fausses accusations, la torture, le recours excessif à la détention préventive informelle et aux faux témoins, la participation des autorités communautaires, les privations arbitraires de liberté (PAL), les arrestations avec la participation de membres de l’armée, de la Garde nationale (GN) », entre autres.
GUERRERO : Perception d’impuissance face aux violences passées et présentes
Il est difficile d’attendre des résultats en matière d’accès à la justice lorsque des progrès ne sont pas même observés dans le cas le plus notoire de l’état : l’affaire Ayotzinapa. En juillet, le Groupe interdisciplinaire d’experts indépendants (GIEI) formé par la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH) pour suivre le cas de disparition forcée de 43 étudiants de l’École rurale d’Ayotzinapa a présenté son dernier rapport. Il a fait connaître les obstacles auxquels il a été confronté et ceux qui subsisteront. Il a reconnu qu’il n’existait pas de conditions pour poursuivre son travail. Il a de nouveau signalé les forces armées qui sont les protagonistes de plus de la moitié du rapport. Le groupe a réussi à cartographier les mouvements et les communications des différentes autorités d’Iguala, avant, pendant et après les attaques contre les étudiants. Les faits indiquent la participation, par action ou omission, de pratiquement toutes les instances de sécurité.
Par la suite, le Bureau au Mexique du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme (ONU-DH) a déploré que, malgré la volonté politique exprimée de la part du gouvernement fédéral quant à la nécessité de connaître la vérité, les forces armées n’ont pas fourni toutes les informations demandées par le GIEI. Pour sa part, AMLO a affirmé qu’il existe une campagne contre l’armée mexicaine qui cherche à saper les forces armées. Il a assuré que les militaires avaient coopéré dans cette affaire. Les pères et mères des 43 étudiants ont déclaré pour leur part qu’en dépit du départ du GIEI, « l’affaire ne restera pas impunie, nous continuerons à lutter ».
Les disparitions restent l’un des problèmes les plus importants. En juin, le groupe de proches de personnes disparues « Luciérnaga », la Commission Nationale de Recherche et Tlachinollan, accompagnés d’éléments de la Garde Nationale et de l’Armée, ont mené une journée de recherche à Tlapa de Comonfort. Ils ont ainsi pu localiser huit corps et 70 restes squelettiques trouvés dans des tombes clandestines Les familles continuent de déclarer que « les autorités ne sont pas intéressées : depuis que leurs maris, femmes, mères, pères, filles et fils ont disparu, celles-ci n’ont jamais activé les alertes pour procéder aux recherches. C’était une épreuve de déposer les plaintes car elles n’étaient pas entendues, bien au contraire, elles étaient criminalisées. Elles ont dû faire face à la lourdeur des procédures et au traitement despotique des autorités ». En fait, « elles ont été les premières à parcourir les collines et les ravins, même avec la peur de disparaître à leur tour. Certaines familles ont été menacées, mais elles n’ont pas reculé car l’espoir de retrouver leurs proches était plus fort », a souligné le Centre des Droits de l’Homme Tlachinollan.
Pendant ce temps, des flambées de violence continuent de se produire dans presque toute la géographie du Guerrero. En juillet, des transports publics ont été incendiés dans différents quartiers de la capitale, Chilpancingo. Cinq chauffeurs de taxi ont été tués et cinq autres personnes ont été blessées. Certains chauffeurs de taxi exigeaient la libération de leurs dirigeants arrêtés pour possession présumée de cartouches et de drogue. Les transports publics ont cessé de fonctionner, les commerces ont fermé et les rues se sont vidées. « Le pire a été l’absence des autorités (…) ; l’inaction des forces de police et le retrait de la Garde Nationale. Les politiques, contrairement aux événements publics où ils portent leurs plus belles tenues, ne se sont pas montré et n’ont rien pour faire respecter l’État de droit », a affirmé Tlachinollan. « Le grand défi pour la gouverneure Evelyn Salgado est (…) de démanteler la structure criminelle enracinée dans l’appareil de l’État », a-t-il conclu.
AMLO a reconnu que la violence dans l’état « ne va pas disparaître par magie ». Il a considéré que c’était un progrès que le dialogue ait permis d’obtenir la libération de 13 policiers et fonctionnaires détenus lors des barrages routiers organisés par des habitants proches du groupe criminel Los Ardillos, après l’arrestation de deux de ses membres. « Ne vous laissez pas manipuler par ceux qui dirigent ces gangs liés au crime organisé. (…) Gardez le silence, mais ne vous laissez pas manipuler », a-t-il déclaré. « C’est une question qui doit être abordée depuis la racine, l’origine, le démantèlement d’une base sociale. Cela ne sera possible qu’en passant par l’équité et le développement social, non par la violence et la répression », a déclaré Alejandro Encinas à propos de la stratégie de l’État face aux groupes criminels du Guerrero.
Parallèlement, la vulnérabilité des défenseurs des droits humains et des journalistes reste extrême. En août, le journaliste Nelson Matus Peña a été assassiné à Acapulco. Il était rédacteur en chef du site Lo Real de Guerrero, une référence en matière de notes policières. Le lendemain, des journalistes locaux, nationaux et nationaux, ainsi que des photographes et cameramen de divers médias, se sont manifesté à Chilpancingo pour réclamer justice. Ils ont dénoncé qu’il y a eu deux exécutions en seulement deux mois et deux tentatives d’assassinat de deux autres journalistes, rien qu’à Acapulco. En outre, ils ont documenté huit agressions contre des maisons de journalistes en deux ans, au cours desquelles les criminels se sont contentés de voler du matériel de travail ; une douzaine de journalistes sont en déplacement forcé et deux sont portés disparus. En 20 ans, au moins 20 communicateurs ont été assassinés au Guerrero.
OAXACA : violations des droits humains dans le contexte du Corridor Interocéanique
En juillet, une mission d’observation civile a été réalisée avec la participation de 23 organisations civiles nationales et internationales pour « documenter les violations des droits humains et les attaques contre les défenseurs et les communautés dans le cadre du projet appelé Corridor Interocéanique de l’Isthme de Tehuantepec (CIIT). » Elle a fait état de multiples violations des droits humains de personnes vivant dans ces zones et de ceux qui défendent les droits collectifs des communautés autochtones ; « en particulier leurs droits : i) à l’information, puisque les communautés affirment qu’elles n’ont pas eu accès à toutes les informations pertinentes concernant la construction du projet et ses effets sur leurs territoires ; ii) à la participation, à l’autodétermination, au territoire, à un environnement sain et à l’identité culturelle. Ceci parce qu’une consultation préalable, libre et éclairée n’a pas été réalisée conformément à ce qui est établi par les normes nationales et internationales ; et iii) à la vie, à l’intégrité, à la liberté personnelle et à la liberté d’expression, entre autres, en raison des agressions physiques, du harcèlement et de la criminalisation dont ils sont victimes ».
La Mission a enregistré « au moins 21 cas d’intimidation, de harcèlement et de menaces contre des défenseurs, leurs familles ou les collectifs auxquels ils appartiennent ; 11 cas de violences physiques et psychologiques, ainsi que d’expulsions forcées ; 3 homicides de défenseurs entre octobre 2022 et juillet 2023 ; 2 affaires de diffamation dans de nombreux médias publics ; et 43 cas de plaintes pénales auprès des autorités locales et des défenseurs communautaires » dans différentes communautés. Parmi les autorités responsables, elle a mentionné la Garde Nationale, la Marine, la Sedena, la Police de l’état, le Ministère des Communications et Transports, les autorités municipales et le Parquet Agraire. Diverses entreprises, groupes armés et caciques locaux ont également été pointés du doigt.
Face à un cas également documenté durant la Mission, en juillet, l’organisation internationale Front Line Defenders a lancé une action urgente dans laquelle elle a demandé au gouvernement mexicain d’abandonner les charges retenues contre David Hernández Salazar, membre de l’Assemblée des peuples autochtones de l’Isthme en Défense de la Terre et du Territoire (APIIDTT). Il est un opposant à l’installation d’un parc industriel à Puente Madera, une ville de San Blas Atempa, dans le cadre du projet de Corridor Interocéanique. Front Line Defenders a également demandé l’abandon des enquêtes et des mandats d’arrêt contre 17 autres membres de l’APIIDTT et de garantir leur droit à une procédure régulière. Il a également exigé que « la criminalisation de David et des défenseurs de Puente Madera prenne fin », ainsi que des mesures garantissant que tous les défenseurs des droits humains puissent travailler « librement sans crainte de restrictions ou de représailles ».