2006
02/01/2007ACTUALITE : Le Mexique, un an après les élections 2007
31/08/2007Ces derniers mois ont coïncidé avec les premiers mois du gouvernement de Felipe Calderón, comme président de la République, et de celui de Juan Sabines, comme gouverneur de l’état du Chiapas. Le 1er décembre, Felipe Calderón a prêté serment devant un Congrès divisé, au milieu d’un fort dispositif de sécurité et au cours d’une cérémonie durant laquelle les bagarres n’ont pas manqué entre les députés. Les premières mesures prises par son gouvernement permettent d’anticiper ce que pourraient être les lignes de son gouvernement face aux thèmes les plus brûlants de l’actualité.
Lutte contre le trafic de drogues aux mains de l’armée
Dans le cadre de la lutte contre la délinquance (particulièrement le crime organisé et le trafic de drogues), le gouvernement a présenté plusieurs initiatives qui cherchent à récupérer la confiance dans les forces de sécurité et à permettre une plus grande coordination entre les diverses entités publiques qui participent à la réalisation de ces tâches. Entre autres mesures, 10.000 membres de l’armée sont passés à la Police Fédérale Préventive. De plus, des opérations militaires de grande envergure ont été réalisées contre le crime organisé. Les critiques n’ont pas manqué : quant à leur véritable efficacité au delà de leur impact dans les médias d’une part, et quant à la possibilité qu’il ne s’agisse que d’un prétexte pour militariser le pays. Les multiples apparitions de Calderón durant des actes militaires (y compris en portant lui-même une tenue militaire) ont également été remises en question dans la mesure où elles semblent marquer une proximité excessive avec les forces armées. Calderón s’est aussi engagé à augmenter le salaire des troupes. Le 19 janvier, plusieurs « capos » de la drogue qui avaient des procès en cours au Mexique ont été extradés aux Etats Unis. Cette décision a été justifiée par Calderón comme étant nécessaire du fait de la vulnérabilité des juges mexicains, souvent menacés de mort et, certains même assassinés. Les critiques se sont centrées sur le caractère anticonstitutionnel de cette mesure (étant donné que les garanties des personnes extradées n’ont pas été préservées) ainsi que sur le fait que ceci implique une reconnaissance de l’extrême débilité des institutions du pays. La violence associée au trafic de drogues est l’un des problèmes les plus urgents du pays : durant le gouvernement de Vicente Fox (2000-2006) il s’est produit une moyenne de 1,500 homicides annuels(1).
Politiques économiques
L’opposition et divers mouvements sociaux ont spéculé sur la possible privatisation des entreprises publiques du secteur énergétique (Pétroles Mexicains -PEMEX- et la Commission Fédérale d’Electricité -CFE-), une possibilité niée par Calderón. Il faut rappeler que les bénéfices dérivant du pétrole représentent 33% du budget national mexicain.
En ce qui concerne les politiques contre la pauvreté, on prévoit une continuité par rapport à celles mises en place par le gouvernement de Fox, ceci bien que Calderón reconnaisse certaines erreurs de la part de celui-ci. Une des nouveautés tient au fait que le programme d’assistance appelé Opportunités, emblématique du dernier sexennat, sera lié à des projets productifs et promouvra les micro entreprises. La Banque Mondiale a signalé dans son dernier rapport que 19% des mexicains vivent dans une situation d’extrême pauvreté. Diverses ONG et mouvements critiques dénoncent le fait que les dépenses en matière sociale se réduisent visiblement dans le nouveau budget fédéral. Le prix de divers produits de base a augmenté et, en janvier, on a observé une dramatique augmentation du prix de la tortilla (galette de maïs) qui est le centre de l’alimentation des familles mexicaines. Il est passé de 6 pesos (un peu moins de 50 centimes d’Euro) à 10 pesos le kilo, ceci alors que le salaire minimum par jour est d’environ 50 pesos. Des experts de l’Université Nationale Autonome du Mexique (UNAM) ont affirmé que cette augmentation affecte particulièrement les familles les plus pauvres (19 millions de personnes), dont les revenus sont inférieurs à 50 pesos par jour et dont l’alimentation se limite presque exclusivement à ce produit(2).
Droits humains
En ce qui concerne les violations des droits humains, particulièrement graves en 2006 durant les opérations policières contre les mobilisations sociales à Oaxaca et à Atenco, diverses ONG ont exprimé leurs craintes que le nouveau président ne cherche à mettre en place une politique de « main de fer ». Il existe plusieurs indicateurs préoccupants en ce sens : la détention des leaders de l’Assemblée Populaire des Peuples du Oaxaca (APPO) peu de jours après la prise de fonction de Calderón ; la nomination de Ramírez Acuña comme Ministre de l’Intérieur (celui-ci est accusé par des organismes de droits humains d’être le responsable direct –à ce moment-là comme gouverneur de Jalisco- de plusieurs cas de torture et de détentions illégales lors de la répression policière contre les manifestants durant le Sommet de chefs d’Etat réalisé à Guadalajara en 2004) ; ainsi que le projet de réformes légales qui permettront de réaliser des détentions, violations de domicile, fouilles, interventions téléphoniques et gardes à vue sans autorisation judiciaire.
Selon les termes de Calderón: « parfois, se présenter devant une autorité judiciaire rend l’investigation plus difficile ». Certaines déclarations de Felipe Calderón peuvent sembler contradictoires. D’un côté il affirme : « Je ne crois pas en la main de fer qui à une connotation de méconnaissance des les droits humains « , et, d’un autre, « nous sommes décidés à ne pas tolérer des défis à l’autorité de l’Etat ». A la fin janvier, Amnistie Internationale (AI) a dénoncé que Calderón « n’a pas rendu publique la manière selon laquelle il va faire honneur à ses engagements internationaux en matière de droits humains« . Selon AI, le nouveau gouvernement « n’a pas une vision de protection des droits humains et il n’aborde pas les déficiences structurelles de l’administration de justice et de la sécurité publique ».
Le 8 mars, la Journée Internationale de la Femme a été célébrée. Le représentant des Nations Unies au Mexique a profité de cette date pour rendre publics des chiffres préoccupants quant à la situation de la violence contre les femmes: actuellement une femme sur cinq souffre de violence de la part de son conjoint et trois sur 5 ont souffert ce même type de violence au moins une fois dans leur vie(3). Ce même jour, Amnistie Internationale a publié un rapport dans lequel elle signale qu’au Mexique il existe un taux très préoccupant de violence sexuelle exercée par des fonctionnaires qui abusent sexuellement de femmes (particulièrement indigènes), ceci dans une situation d’impunité totale(4).
La migration est un autre thème urgent au Mexique depuis un double point de vue : d’un côté, le manque d’alternatives économiques oblige un nombre de personnes toujours plus important à abandonner le pays en quête d’un emploi. D’un autre, le Mexique reçoit des milliers d’émigrés d’Amérique Centrale en route vers les Etats-Unis. Bien que l’église catholique et plusieurs ONG réclament la protection de ces personnes en situation de grande vulnérabilité, plusieurs facteurs permettent de penser que la persécution de personnes sans papiers pourrait s’accroître. Ce thème est également abordé dans le dossier de ce bulletin.
Le 6 mars, le Sénat de la République a approuvé à l’unanimité la dépénalisation des délits de diffamation, calomnie et injures, ce qui, selon plusieurs moyens de communication, constitue une avancée indiscutable en matière de liberté d’expression. Cependant, au Chiapas, la loi appelée ‘Ley mordaza‘ (littéralement « bâillon« ) est en vigueur depuis 2004 : elle pénalise les délits de diffamation et de calomnie avec les peines de prison les plus élevées de toute l’Amérique Latine et est considérée comme une grave attaque à la liberté de la presse(5). Juan Sabines, le nouveau gouverneur du Chiapas s’est engagé à la réformer durant sa campagne.
L’opposition suit son chemin
Andrés Manuel López Obrador (AMLO, ex candidat à la présidence en juillet 2006) a été nommé « président légitime » par la Convention Nationale Démocratique, en présence de centaines de milliers de personnes réunies à cette fin le 20 novembre sur la place principale de la Ville de Mexico. Il s’est refusé à reconnaître le gouvernement de Calderón. En février, AMLO s’est déclaré « récupéré » du « coup » représenté par ce qu’il signale comme fraude électorale avait signifié pour lui. Actuellement, il réalise une tournée pour visiter toutes les municipalités du pays, en centrant son discours sur le rejet de la privatisation du secteur énergétique (particulièrement de PEMEX), affirmant qu’il l’empêchera coûte que coûte. Il considère déjà les prochaines élections présidentielles en 2012 : « il est très important de défendre le patrimoine du pays, parce que quand ce sexennat va seterminer, nous allons recevoir une nation dans une situation désastreuse et il sera très difficile d’en sortir ».
De son côté, l’Autre Campagne, l’initiative lancée par l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) pour construire un nouveau front de gauche (en marge des partis politiques traditionnels) entre organisations de tout le pays, a terminé son parcours de près d’un an le 30 novembre, après avoir visité les 32 entités fédératives de la République. Par ailleurs, la Rencontre des Peuples Zapatistes avec les Peuples du Monde a été réalisée à Oventik, municipalité de San Andrés Larrainzar (voir article à l’intérieur de ce bulletin).
Le conflit au Oaxaca continue
Les conflits entre le mouvement populaire et les forces de sécurité se sont accrus à nouveau le 25 novembre, quand des agents de la PFP ont affronté des membres de la APPO qui organisaient une manifestation en direction du centre historique de la ville de Oaxaca. Le bilan fut de plus de 140 blessés, 140 détenus ainsi que plusieurs autos et édifices incendiés. Plusieurs personnes détenues furent transférées dans des centres pénitenciers de Nayarit, à plusieurs milliers de kilomètres de distance de la ville de Oaxaca.
Le 4 décembre, seulement trois jours après l’entrée en fonction du président Felipe Calderón, Flavio Sosa et trois autres leaders de la APPO ont été arrêtés à Mexico (où ils se trouvaient pour négocier la reprise du dialogue avec le nouveau gouvernement). Ils sont accusés des délits de sédition, attaques aux voies générales de communication et incitation à la violence. Ils ont été incarcérés dans un établissement pénal de haute sécurité dans l’état de Mexico à la demande du gouverneur de Oaxaca, Ulises Ruiz, qui considère ces leaders comme des « délinquants hautement dangereux « .
Le 16 décembre, la PFP s’est retirée du centre historique de la ville de Oaxaca et le lendemain, 43 des personnes détenues à Nayarit ont été libérées. Durant les semaines suivante, la APPO a concentré ses mobilisations autour de l’exigence de la libération des personnes détenues, organisant plusieurs sit in devant les prisons, l’un d’entre eux ayant été expulsé de manière violente.
Le 18 décembre, la Commission Nationale des Droits Humains (organisme public autonome) a présenté son rapport préliminaire sur les faits de violence à Oaxaca avec le bilan suivant (depuis juin): 349 personnes détenues, 370 blessés et 20 morts. En janvier, la Commission Civile Internationale d’Observation des Droits Humains (CCIODH) a présenté son rapport(6), dans lequel elle constate l’existence d’une stratégie gouvernementale qui prétend terroriser la population et éviter la consolidation de la mobilisation populaire. Cette stratégie, qui selon elle, a laissé de graves séquelles parmi les habitants de Oaxaca, a impliqué de graves violations des droits humains parmi lesquelles 20 exécutions extrajudiciaires. La directrice des droits humains du Ministère de l’Intérieur a rejeté la crédibilité de ce dernier rapport et de la même CCIODH (« elle n’a pas la respectabilité d’autres organisations comme Amnistie Internationale »). Plus tard, le Ministère a nuancé ses déclarations et s’est montré prêt à analyser le rapport et à dialoguer avec la CCIODH.
En janvier, le dialogue entre la APPO et le gouvernement fédéral a été suspendu, laissant la possibilité d’une solution négociée du conflit dans une grande incertitude. Plusieurs députés du Parti de la Révolution Démocratique (PRD, parti de gauche) se sont engagés à dénoncer le gouverneur Ulises Ruiz auprès de la Cour Pénale Internationale pour crimes contre l’humanité commis au cours des derniers mois.
Sabines, nouveau gouverneur du Chiapas
En décembre, Juan Sabines Guerrero a prêté serment comme nouveau gouverneur du Chiapas. Il a été élu comme candidat de la Coalition pour le Bien de Tous (qui inclue les partis de gauche: PRD, Parti du Travail-PT- et Convergence) quand peu de temps avant il était maire de la capitale, Tuxtla Gutiérrez, pour le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI). Une des premières mesures prises a été l’installation d’une Commission Spéciale « qui s’occupe des demandes des divers groupes civils et paysans qui pendant plusieurs années ont été abandonnées, afin de réviser la situation légale dans laquelle se trouvent diverses personnes qui ont été privées de leur liberté pour purger une sentence pénale », ceci afin de favoriser la réconciliation. Tout cela, « sans douter des raisons et circonstances en fonction desquelles la justice du Chiapas a dicté la sentence ». L’ambiguïté de la rédaction de ce communiqué a généré des doutes et préoccupations dans une bonne partie des organisations civiles et sociales au Chiapas, en particulier autour de deux points : en premier lieu, la possibilité qu’il ne s’agisse que d’une stratégie de propagande politique qui ne passe pas par une révision du système pénal et de la justice dans cet état ; et, en second lieu, la crainte que les prisonniers de « Paix et Justice » (groupe accusé d’être paramilitaire, particulièrement actif entre 1995 et 2000) ne soient libérés. De fait, les dirigeants de Paix et Justice qui se trouvent reclus dans la prison de « El Amate », au Chiapas, ont demandé dans une lettre publique le 15 février à être inclus dans cette amnistie et ont montré leur « approbation face à la bonne volonté (du gouvernement), en promouvant une loi d’amnistie, dont nous bénéficions, nous les membres de différentes organisations sociales qui se trouvent en situation de réclusion »(7).
Les conflits continuent
Le conflit le plus violent au cours des derniers mois s’est produit dans la municipalité de Ocosingo, lorsque des centaines de personnes (y compris des paysans appartenant à la Communauté Lacandone et des personnes en uniforme) ont attaqué 17 familles appartenant au village de Viejo Velasco Suárez, dans la Forêt Lacandone.Cette agression, qui s’est passée au milieu d’une grande confusion quant au nombre de victimes et leur possible appartenance à l’EZLN a eu un bilan de 4 morts (parmi lesquels une femme enceinte) et 4 personnes disparues (possiblement exécutées). Amnistie Internationale a critiqué sérieusement la réponse du gouvernement face à ces faitso. Le Centre des Droits Humains Fray Bartolomé de Las Casas a souligné qu’il ne s’agit pas « d’affrontements entre membres de la communauté », mais d’attaques réalisées avec « préméditation et la complicité des autorités, par action ou par omission, avec des groupes ayant des intérêts dans la région » dans une « logique contre-insurectionnelle ».
Un autre thème important au Chiapas est lié à l’expansion de l’Organisation pour la Défense des Droits Indigènes et Paysans (OPDDIC). Avec une base sociale qui s’accroît rapidement, il s’agit d’une organisation proche du PRI qui négocie des projets productifs et des titres de propriété pour ses membres. Plusieurs ONG, certains médias et l’EZLN ont dénoncé son caractère supposément paramilitaire et ses activités armées clandestines. La OPDDIC a émis plusieurs communiqués, se déclarant partisane des gouvernements de Juan Sabines et de Felipe Calderón et en se montrant particulièrement belliqueuse et menaçante vis-à-vis de l’EZLN. D’une part, ils exigent du gouvernement fédéral et celui du Chiapas qu’ils agissent immédiatement contre les bases de soutien zapatistes qui selon eux ont « envahi » les terres recuperées après le soulèvement armé de 1994. D’autre part, ils menacent les communautés de l’EZLN de les expulser par la force. Le fond du problème est une lutte pour les terres et le territoire. La OPDDIC a également menacé de mort plusieurs organisations et activistes de la société civile : parmi lesquels, le Centre des Droits Humains Fray Bartolomé de las Casas et Miguel Ángel García Aguirre (de l’organisation Maderas del Pueblo del Sureste).
Ceci n’a pas été le seul cas de harcèlement contre les organisations civiles au Chiapas. Le Centre d’Investigations Économiques et Politiques d’Action Communautaire (CIEPAC) de San Cristóbal de Las Casas a fait l’objet de harcèlement et menace de morts (lire), un cas qu’il faut ajouter à la longue liste des agressions contre des organisations des droits humains ou qui travaillent en faveur de la paix au Chiapas au cours des dernier mois.
- Voir La Jornada 10/1/2007 (Retour…)
- Voir La Jornada 10/1/2007 (Retour…)
- Voir La Jornada 8/3/2007 (Retour…)
- Rapport d’Amnistie Internationale (mars 2007) (Retour…)
- Article Centro Chiapas Medios Independientes (Retour…)
- Page Web de la CCIODH (Retour…)
- Voir La Jornada 16/2/2007 (Retour…)