Activités du SIPAZ (de mi-février à mi-mai 2020)
12/06/2020DOSSIER : A qui profite l’ACEUM ?
08/10/2020Au cours des dernières semaines, le Mexique est devenu l’un des pays où l’on compte le plus grand nombre de cas de Covid-19 dans le monde avec au moins plus d’un demi-million de cas de contagion (sixième place) et, à la mi-août, l’un des pays où le taux de mortalité est le plus élevé (troisième place), avec plus de 50 000 décès. Avec plus de 60 % de la population active dans le secteur informel et avec la nécessité d’aller travailler malgré les risques, le gouvernement a opté pour un modèle favorisant la distanciation sociale sans pour autant la rendre obligatoire. Le pays a également dû faire face à la pandémie avec des services de santé mis à sac par les précédents gouvernements, et avec un pourcentage élevé de population vulnérable, en particulier en raison de maladies telles que l’obésité, le diabète ou l’hypertension.
De nombreux analystes ont critiqué la réponse du gouvernement, ses résultats et le fait que la situation est probablement pire que ce qui est donné à voir, alors que le Mexique est l’un des pays dont le taux de dépistage est le plus faible parmi les grandes économies. Dès le début, le Mexique s’est appuyé sur le modèle dit « Sentinel« , établi en 2006 pour les maladies grippales saisonnières, par le biais d’un réseau de 475 stations de surveillance. Le modèle, selon le sous-secrétaire à la santé et porte-parole de la stratégie du gouvernement en matière de santé Hugo López-Gatell, a permis au Mexique de faire des projections avec des données partielles sous la forme d’un « sondage d’opinion« . Bien que depuis début juin, le modèle ait évolué vers ce que l’on a appelé la « nouvelle normalité« , deux mois et demi plus tard, plus de la moitié des états du pays étaient classés comme présentant encore un niveau de risque élevé ou maximal.
Nouveaux accords de libre-échange : une chance de limiter les conséquences économiques de la pandémie ?
Le 1er juillet, un nouvel accord entre le Mexique, les États-Unis et le Canada (ACEUM) est entré en vigueur. Il s’agit d’une mise à jour de l’Accord de Libre-Echange Nord-Américain (ALENA), qui était en place depuis 1994. C’est à cette occasion que, lors de son premier voyage international, le président Andrés Manuel López Obrador (AMLO) s’est rendu à Washington pour rencontrer son homologue Donald Trump. Certains analystes ont souligné l’importance de cette rencontre, dans la mesure où, étant donné le contexte de la pandémie, la réactivation de l’économie mexicaine dépendra en grande partie des États-Unis : ces derniers constituent en effet le premier partenaire commercial du Mexique. D’autre part, les transferts de fonds (remesas) réalisés par les quelques 12 millions de Mexicains vivant aux États-Unis représentent une part plus importante encore des fonds envoyés depuis la république nord-américaine vers le Mexique (plus que les investissements étrangers directs ou les devises laissées par le tourisme et seulement en dessous des revenus du pétrole). Cependant, cette rencontre a été critiquée par d’autres spécialistes en raison de la baisse de popularité de Donald Trump à l’approche des prochaines élections, mais aussi parce que ce dernier a tenu à plusieurs reprises des propos racistes et méprisants vis-à-vis des Mexicain-e-s. L’ACEUM soulève un certain nombre de préoccupations, en particulier au vu du bilan pour le moins mitigé de l’ALENA et face à différents thèmes, en particulier la liberté d’expression avec des nouvelles lois numériques, et l’impact pour les zones rurales.
Quelques temps plus tôt, un autre accord de libre-échange, l' »Accord de partenariat économique, de coordination politique et de coopération » entre l’Union européenne et le Mexique a également été approuvé. En juillet, ils se sont réunis lors de la 9e édition du dialogue bilatéral de haut niveau sur les droits humains, où ils ont discuté des expériences passées et des défis à relever, notamment « afin empêcher que la crise sanitaire mondiale n’aggrave les problèmes existants ». Dans ce cadre, plus d’une centaine d’organisations mexicaines et de réseaux internationaux ont élaboré un rapport sur la situation des droits humains dans le pays. Ils ont averti que la crise actuelle s’est effectivement « aggravée à cause des effets des crises sanitaires et économiques qui ont eu un impact disproportionné sur les droits humains des victimes ».
Bien que les organisations aient apprécié le fait que le gouvernement d’AMLO ait « reconnu, en partie, l’ampleur de la crise des droits humains« , elles estiment que « dans les faits, les niveaux de violence et de violations des droits humains ainsi que l’impunité restent très élevés« . Le diagnostic posé couvre un large éventail de questions : la crise des disparitions forcées, la vulnérabilité des défenseur-e-s des droits humains et des journalistes, la violence contre les femmes, les enfants, les migrant-e-s, les peuples autochtones et la communauté LGBTI+, les déficiences structurelles des institutions d’administration de la justice, le maintien d’une sécurité publique militarisée et le non-respect des recommandations internationales. En ce qui concerne l' »accord de partenariat« , elles ont alerté sur le fait que les négociations avaient été closes pendant la pandémie, « sans consultation ni participation de la société civile, ce qui démontre la priorité donnée à l’économie plutôt qu’aux droits humains ».
Une crise sanitaire qui aggrave les problèmes existants
En mai, AMLO a une fois de plus nié que la violence sexiste était en hausse et que le confinement y était pour quelque chose. Plusieurs organisations civiles se sont indignées des déclarations du président, notamment le Réseau national des foyers d’accueil (RNR) : « Il est très grave que de telles déclarations soient faites, d’où qu’elles viennent, dans un pays où il y a en moyenne 10 féminicides par jour, mais si elles proviennent aussi de ceux dont la responsabilité est de garantir la vie et la sécurité des femmes et des enfants, c’est d’autant plus grave, car c’est un message qui perpétue l’impunité et qui banalise la violence ».
En juin, l’accord qui permettra la création d’une commission d’amnistie a été officiellement publié. La loi d’amnistie a été approuvée d’urgence deux mois plus tôt, prétendument afin de régler les problèmes de surpopulation carcérale et afin de limiter la propagation du virus. Il ne profitera qu’aux personnes emprisonnées pour des délits mineurs relevant de la juridiction fédérale. Des problèmes bureaucratiques dus aux mesures d’austérité annoncées par le gouvernement du président Andrés Manuel López Obrador ont cependant retardé l’installation de cette commission. Entre-temps, il est apparu clairement que cette loi ne sera pas d’un grand secours compte tenu des risques de pandémie dans le système carcéral, tant en raison du temps nécessaire que de sa portée limitée. Néanmoins, elle pourrait être pertinente selon certains analystes, qui considèrent que le Mexique a recours « de manière excessive au droit pénal et au système carcéral« .
En juillet, le sous-secrétaire aux droits humains, à la population et aux migrations a publié un rapport documentant les violations des droits humains à l’heure de l’urgence sanitaire. Depuis le 15 mars, 140 agressions contre des journalistes et des défenseur-e-s ont été enregistré-e-s. Le Chiapas et le Oaxaca sont les états ayant connu le plus fort taux de violence. Les militant-e-s qui défendent le droit à la protection de la santé ont fait l’objet de pas moins de 103 agressions dans 29 états mexicains.
En août, le Réseau pour les droits des enfants au Mexique (REDIM) a présenté une analyse de l’impact de la pandémie sur les enfants. Il a noté qu’il y avait déjà une crise des droits humains avant la propagation du virus, lorsque 49 % des enfants vivaient dans la pauvreté, mais que celle-ci allait être renforcée en raison de la crise économique qui en découle. « On estime qu’avant le Covid-19, 3,2 millions d’enfants et d’adolescent-e-s entre 5 et 17 ans étaient contraint-e-s de travailler« , selon le REDIM, qui estime que ce chiffre pourrait passer à 4,5 ou 5 millions. Un autre domaine de préoccupation est le droit à l’éducation : Le modèle d' »enseignement à distance » proposé pour la nouvelle année scolaire ne fonctionnera pas pour tout le monde en raison de l’absence d’ordinateur ou d’internet dans de nombreuses localités. En raison du confinement, les enfants sont encore plus exposés à la violence domestique. « Un nouveau programme d’actions est nécessaire et doit être discuté pour faire face aux effets de la pandémie« , a déclaré le système de protection des enfants et des adolescent-e-s (SIPPINA).
Mégaprojets : un autre point de tension avec les organisations civiles et sociales
En juin, AMLO a commencé une tournée visant à officialiser le début des travaux du Train Maya. 244 organisations ont déclaré qu’il s’agissait d’un acte anticonstitutionnel, au vu des multiples appels d’acteurs sociaux à interrompre des activités qui ne sont pas essentielles (d’autant plus en période de pandémie) et des garanties accordées par les juges fédéraux pour la suspension du projet. Ce faisant, M. López Obrador « méprise et ignore les ordres judiciaires et affecte l’équilibre délicat de l’exercice du pouvoir dans le pays« , ont-ils déclaré dans un document. Ils ont également déclaré que, dans le cadre de l’avancement du projet, « les droits et garanties de la population ont été négligés« , « que l’État de droit a été violé », et que « les procédures judiciaires engagées contre le projet ont montré des violations claires de la loi, des contradictions et des mensonges« .
En août, des membres du Congrès national indigène (CNI) et de la Coordination anticapitaliste et antipatriarcale métropolitaine ont fait état de deux recours juridiques qu’ils ont déposés contre cinq méga-projets du gouvernement mexicain. Ils ont déposé une injonction indirecte et une plainte auprès de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH). « Les lois qui existent sont prescrites par les entreprises qui s’adressent aux législateurs pour rendre la dépossession légale. Nous n’avons que peu d’attentes vis-à-vis des lois, mais maintenant nous nous tournons vers les tribunaux nationaux et internationaux pour montrer clairement que nous voulons nous battre« , a déclaré Pedro Regalado Uc, un défenseur du territoire maya. Les projets en question sont le train dit « maya« , le corridor transisthmique, l’aéroport international de Santa Lucia, la raffinerie de Dos Bocas (Tabasco) et le projet intégral de Morelos. Ils ont dénoncé le fait que la consultation n’a pas été menée conformément aux normes internationales et ils ont critiqué les dommages qu’ils causeront sur le patrimoine culturel et archéologique.
CHIAPAS : Covid-19, « Les chiffres qui ne concordent pas »
Depuis le début de la pandémie et jusqu’à présent, les représentants de l’Union nationale des travailleurs du Secrétariat d’État à la santé du Chiapas ont mis en garde contre la précarité des hôpitaux de l’état, ainsi que contre le manque de médicaments et d’équipements. Outre le risque de contagion, il y a eu diverses attaques contre le personnel médical et les hôpitaux dans différentes parties de l’État, dans la plupart des cas à la suite de fausses informations qui ont circulé sur les réseaux sociaux.
Depuis plusieurs semaines maintenant, les chiffres présentés par le ministère de la santé indiqueraient que le point le plus critique de la pandémie a été dépassé et que cette évolution est allée de pair avec une augmentation de la mobilité et une normalisation des activités. Cependant, plusieurs médias ont mis en doute la véracité de ces chiffres, qui ne coïncident même pas avec ceux obtenus au niveau fédéral. « La réalité que la population rapporte est différente, des centaines de personnes dénoncent l’infection et la mort de membres de leurs familles, dans leurs maisons, sans soins médicaux, sans avoir été testés« , a rapporté Chiapas Paralelo.
Une autre situation qui a suscité une mobilisation à l’intérieur et à l’extérieur du Chiapas a été l’arrestation en juillet du Dr Gerardo Vicente Grajales Yuca. Les jours précédents, le médecin avait soigné plusieurs patients infectés par le Coronavirus, parmi lesquels l’ancien membre du congrès local, Miguel Arturo Ramírez López, qui est malheureusement décédé. La fille de l’ancien fonctionnaire a dénoncé que Grajales Yuca lui avait demandé du matériel et des fournitures pour s’occuper de son père, ce pour quoi elle a porté plainte pour « abus d’autorité« . En soutien du docteur, les manifestants ont exprimé leur solidarité et ont déclaré que Grajales Yuca n’avait fait que suivre les directives établies dès le début de la pandémie : demander aux proches des patients des fournitures dont les hôpitaux ne disposent pas. Bien que Grajales Yuca soit chez lui depuis le mois d’août en raison d’un problème de santé, il continue de faire face à un processus pénal « injuste, qui a révélé au grand jour les privilèges d’une classe politique qui ne devrait plus exister au Chiapas« , a dénoncé la Fédération des associations médicales du Chiapas.
Droits humains : en suspens
Depuis mai, le Fidéicommis pour la Santé des enfants indigènes du Mexique A. C. (FISANIM) et le Centre des droits humains Fray Bartolomé de Las Casas (Frayba) ont mis en garde contre le risque de famine pour plus de 3 000 personnes déplacées dans les Hauts Plateaux du Chiapas. Ils ne sont pas les seuls à être confrontés à une situation de ce type, car il existe également des cas dans plusieurs municipalités représentant un total de 10 113 victimes de déplacement forcé dans l’état.
L’une des situations les plus violentes se produit entre Aldama et Santa Martha (municipalité de Chenalhó), en raison d’un conflit territorial de longue date portant sur 59 hectares qui a fait au moins 25 morts, des dizaines de personnes déplacées et plusieurs blessés. Selon le Frayba, de mars 2018 jusqu’à ce jour, 307 agressions armées ont été recensées. Au cours de cette même période, « 167 interventions visant à interpeler les différents niveaux de l’État et les gouvernements nationaux » ont été réalisées, sans pour autant recevoir de réponse appropriée. Le 30 juillet, les autorités municipales d’Aldama et de Chenalhó ont pourtant ratifié le pacte de non-agression élaboré l’année précédente pour éviter de nouvelles violences.
En juin, dans le cadre de la Journée internationale des Nations unies pour le soutien aux victimes de la torture, le Frayba a indiqué que, de janvier 2019 à mars 2020, il avait reçu des plaintes concernant 41 cas de torture. La FGE a indiqué qu’en 2018, 31 dossiers d’enquête éavaient été ouverts pour ce crime, dont 26 étaient déjà en cours, mais un seul a fait l’objet d’un procès et aucun d’entre eux n’a fait l’objet d’une condamnation. Elle a ajouté que, dans le contexte de la pandémie, les procédures judiciaires pour les victimes ont été interrompues, ce qui augmente les risques pour les victimes.
OAXACA : Les cas et différentes formes d’agression contre les défenseurs des droits de l’homme se multiplient
En mai, le défenseur de l’environnement Eugui Roy Martínez Pérez a été tué lors d’une attaque armée à San Agustín Loxicha.
En juin, devant les portes du Consortium pour le dialogue parlementaire et l’équité au Oaxaca, un sac noir contenant des morceaux de viande et une menace de mort écrite ont été trouvés. L’organisation féministe pense que la menace pourrait être liée à l’interpellation du gouvernement d’Alejandro Murat pour féminicides, disparitions de femmes et attaques contre les femmes défenseures.
En juillet, la Coordination pour la liberté des défenseur-e-s des droits humains criminalisé-e-s à Oaxaca a exprimé son inquiétude concernant la détention et la torture du défenseur des droits humains Joaquin Zarate Bernal, membre de l’Union civique démocratique des quartiers, colonies et communautés (UCIDEBACC). Le mandat d’arrêt contre lui est lié à la même affaire pénale qui a conduit à la détention de deux autres membres de l’UCIDEBACC pendant près de six ans, ce qui a donné lieu à l’émission d’un avis du groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire.
Ce même mois, la Coordination a également dénoncé la mort du défenseur des droits humains Nicasio Zaragosa Quintana, membre de l’Union des communautés indigènes de la région de l’Isthme (UCIRI), dans la prison de Santo Domingo de Tehuantepec. Elle met en cause la responsabilité des autorités de l’État dans la mort du défenseur, étant données les « conditions dans lesquelles vivent des centaines de prisonniers au Oaxaca » – leur droit à la santé et à l’alimentation n’est pas garanti, conditions d’isolement inhumaines, etc. Selon la Coordination, c’est son engagement politique au sein de l’UCIRI qui l’a conduit à la prison où il était détenu depuis 2003, à l’occasion d’un procès pénal qui était sur le point d’être recommencé pour vices de procédure.
Autre sujet de préoccupation : la violence de genre. En juin, le Consorcio Oaxaca a signalé que, dans le contexte du confinement, « des centaines de filles et de femmes sont rendues d’autant plus vulnérables, dans la mesure où elles sont davantage exposées aux violences domestiques. L’organisation a recensé 16 féminicides au Oaxaca du 21 mars jusqu’à aujourd’hui« . Depuis le 1er décembre 2016, 427 féminicides ont par ailleurs été recensés dans l’état, ceci sans que le gouvernement « ne manifeste la moindre volonté de garantir la sécurité et l’accès à la justice pour les victimes et leurs familles ». Aussi, le Consorcio souligne que la violence familiale a augmenté de 25% par rapport à l’année dernière. Sept cas de crimes sexuels ont également été enregistrés jusqu’à présent.
La question de la terre et du territoire reste au centre de nombreuses revendications sociales. En juin, quelques jours avant l’arrivée d’AMLO pour « donner le feu vert » au Corridor Transisthmique, plus de 100 organisations civiles, universitaires et artistes ont manifesté leur opposition au projet, considérant qu’il « viole le droit à l’autodétermination des peuples indigènes« , rappelant par ailleurs que la consultation tenue en mars n’était pas conforme aux normes internationales en la matière. Ils ont déclaré qu’il existe des recours judicaires présentés par des communautés mixtes, zapotèques et ikot de l’Isthme contre le projet de corridor interocéanique et que, par conséquent, les conditions juridiques nécessaires au démarrage du projet n’étaient pas réunies. Ils ont également rappelé que « la prétendue déclaration d’impact environnemental n’a pas été autorisée parce qu’elle était entachée d’irrégularités et de graves omissions ». Selon eux, AMLO « profite du confinement sous prétexte de la pandémie pour limiter leurs droits les plus élémentaires tels que le droit de réunion, de protestation et de mobilisation pour dévoiler son propre sens des priorités et imposer des projets que lui juge essentiels pour la Nation« . Malgré les critiques, AMLO a donné le feu vert en expliquant que « l’intention est de contenir la migration dans ces communautés afin que les gens ne les abandonnent pas à la recherche de travail dans le nord”.
En juillet, l’Assemblée de défense de la terre et du territoire du Oaxaca a publié un communiqué dans le cadre de la visite d’AMLO dans l’état, dans lequel il dénonçait le fait que « les travaux liés au train violent les droits des peuples indigènes, de la terre et de la nature par le biais de consultations simulées et truquées. Le développement annoncé par le gouvernement n’est pas celui que nous souhaitons, ni pour aujourd’hui, ni pour demain (…). La communauté, la collectivité, l’entraide, les échanges non monétaires, le travail collectif (tequio), la vraie solidarité, sont les valeurs qui nous feront avancer« , a-t-elle affirmé.
Malgré la multitude de cas qui n’avancent pas, il convient de souligner une éventuelle progression en matière de lutte contre l’impunité : en juin, la Cour suprême de justice de la nation (SCJN) a décidé de prendre en compte les recours en révision présentés par le secrétaire à la défense nationale (Sedena) et le ministère public (FGR) dans le procès pour disparition forcée des membres de l’Armée Populaire Révolutionnaire (EPR), Edmundo Reyes Amaya et Gabriel Alberto Cruz Sánchez. Cette disparition s’est produite en 2007 dans la ville de Oaxaca, et serait le fait de l’armée et de la police ministérielle du Oaxaca de l’époque. En août, des mandats d’arrêt ont été émis contre l’ancien chef de l’Agence d’investigation de l’État (AEI), l’ancien chef du Bureau du procureur général de l’État (PGJE) et d’autres commandants de cette institution, pour leur responsabilité potentielle dans cette affaire.
Ayotzinapa, une rupture des pactes de l’impunité ?
Il y a récemment eu plusieurs avancées dans l’affaire Ayotzinapa. En juin, l’arrestation de José Ángel Casarrubias, alias « el Mochomo », leader de Guerreros Unidos, un groupe criminel identifié dans la disparition de 43 étudiant-e-s de l’École Normale Rurale d’Ayotzinapa à Iguala en septembre 2014, a généré de l’espoir. Bien qu’un juge fédéral ait ordonné sa libération en raison d’un vice de forme concernant les preuves présentées par le bureau du procureur général (PGR) de l’époque, il a été recapturé immédiatement après. En outre, un mandat d’arrêt a été lancé contre Tomás Zeron, ancien directeur de l’agence d’investigation du PGR, qui a fui le pays. Enfin, 46 mandats d’arrêt ont été émis contre des fonctionnaires du Guerrero éventuellement impliqués dans l’affaire.
En juillet, l’unité spéciale chargée de l’affaire a annoncé qu’elle avait identifié l’enseignant Christian Alfonso Rodríguez Telumbre, l’une des 43 personnes disparues. « Plus de cinq ans après les événements, un reste humain appartenant à l’une des victimes a été identifié. Il n’a pas été jeté ou trouvé dans la décharge de Cocula ou dans le fleuve San Juan, comme l’assurait publiquement et juridiquement l’administration précédente … (…) Aujourd’hui, nous disons aux familles et à la société que le droit à la vérité prévaudra, que la recherche de leurs enfants se poursuivra et que nous garantirons le droit à la justice« , a déclaré le chef de l’unité chargée de l’affaire. Le Centre Agustín Pro Juárez a déclaré que « les pactes d’impunité et de silence qui entourent l’affaire Ayotzinapa commencent à s’effondrer, mais nous ne pouvons toujours pas les considérer comme rompus. Les prochains mois seront déterminants pour savoir si, avec de nouvelles accusations et de nouvelles recherches, il sera possible d’accéder à la vérité« .
De nouveaux cas préoccupants continuent de se présenter. En juin, la défenseure des droits humains Inés Hernández Montalbán, également membre du Colectivo Zapata Vive, a été arrêtée dans l’État de Mexico. Hernández Montalbán bénéficie du Mécanisme fédéral de protection des défenseur-e-s des droits humains et des journalistes. Elle a été arrêtée pour sa participation présumée au crime de vol avec violence. Après cinq jours de prison, Hernández Montalbán a été libérée sous caution. Plusieurs organisations civiles ont exprimé leur inquiétude quant à la criminalisation des défenseur-e-s des droits humains et ont demandé la libération inconditionnelle de la défenseure.
Toujours en juin, la journaliste et défenseure Hercilia Castro Balderas a reçu des menaces de mort de deux hommes qui sont venus chez elle à Zihuatanejo, où elle se trouvait avec son partenaire, également défenseur du territoire. Le CCTI rapporte que la défenseuse « a été menacée à plusieurs reprises au cours du mois dernier en raison de son travail de défense et de dénonciation des actes du gouvernement municipal de Zihuatanejo et de la Garde nationale. Il y a deux semaines, sa maison a été perquisitionnée et il y a eu des agressions physiques ».
En juillet, le CNI a publié un communiqué du Conseil indigène et populaire du Guerrero – Emiliano Zapata (CIPOG-EZ), dans lequel il dénonçait les injustices et les attaques armées, voire les morts, auxquelles il a été confronté. Malgré les promesses du gouvernement d’assurer la sécurité, les armes à feu ont de nouveau fait basculer les terres de Chilapa dans la violence aux mains du groupe narco-paramilitaire « Los Ardillos ». Ils ont rapporté que le 11 juillet, 100 membres de ce groupe armé ont ouvert le feu sur la communauté de Tula. Ils ont souligné que « les événements se sont produits à seulement deux kilomètres de la base permanente de la Garde nationale, qui a entendu les tirs pendant plus de trois heures, sans rien faire du tout ».
En août, le journaliste Pablo Morrugares Parraguirre a été assassiné à Iguala. Le directeur du journal numérique PM Noticias de Guerrero bénéficiait du Mécanisme de protection des journalistes et des défenseur-e-s des droits humains depuis 2015. En août également, les locaux du Diario de Iguala ont été attaqués par des balles provenant d’assaillants inconnus. Articulo 19 et le Centre des droits humains de Tlachinollan ont souligné qu’il existe un conflit entre les groupes du crime organisé pour le contrôle de la zone, qui menacent les journalistes de dire ou de ne pas dire certaines choses en fonction de leurs intérêts.
L’impunité reste de mise dans de nombreux autres cas. En juin, Tlachinollan a rappelé le massacre commis en 1998 par l’armée mexicaine dans la communauté de El Charco, dans la municipalité d’Ayutla de los Libres. Le personnel militaire est arrivé sur le site le 7 juin 1998, laissant un bilan de 11 exécutions extrajudiciaires, 27 torturés et détenus arbitrairement, et 5 blessés. Tlachinollan a dénoncé le fait qu' »aucune enquête n’ait jamais été ouverte contre les militaires qui ont tué les paysans » alors que 27 indigènes ont quant à eux été accusés, poursuivis et ont passé plus de 2 ans en prison. « C’est un exemple de ce qui se passe lorsque l’armée mexicaine effectue des tâches de sécurité publique, sans contrôle civil ni mécanisme de responsabilité« , a-t-il déclaré.