Activités du SIPAZ (De la mi-mai à la mi-août 2011)
31/08/20112011
03/01/2012Début novembre, le Bureau des Affaires Latino-américaines de Washington (WOLA en anglais) a présenté un rapport sur l’Initiative Mérida, un des piliers de la coopération stratégique des États-Unis et du gouvernement mexicain pour combattre le crime organisé au Mexique. Ce document intitulé « Un récit instructif : les leçons à tirer du Plan Colombie pour la politique extérieure des Etats-Unis envers le Mexique et d’autres pays », signale que « les groupes du crime organisé […] se sont affrontés à l’État et entre eux dans une guerre de tous contre tous. L’élimination des capos des cartels a provoqué la fragmentation des groupes, entraînant de nouvelles luttes de pouvoir sources d’une violence démultipliée. » Ce rapport souligne aussi que le gouvernement des États-Unis a beau vouloir mettre en valeur sa participation à la consolidation du système de justice mexicain, cette coopération se décline avant tout en termes de soutien à la structure et la stratégie militaires. WOLA avertit que la « coopération militaire des États-Unis peut entraîner une augmentation des violations des droits humains », une assertion depuis longtemps soutenue par de nombreuses ONG mexicaines de droits humains.
Quelques jours avant la publication du rapport de WOLA, José Miguel Vivanco, directeur pour les Amériques de l’organisation Human Rights Watch (HRW), avait remis à l’exécutif fédéral son rapport « Ni Sécurité, ni Droits. Exécutions, disparitions et tortures dans la guerre contre le trafic de drogue au Mexique. » Selon ce rapport, des membres des forces de l’ordre useraient de manière systématique de différentes formes de torture pour obtenir des confessions et des informations sur les cartels du crime organisé. De plus, « des exécutions extrajudiciaires et des disparitions forcées se réaliseraient de toute évidence avec le concours de soldats et de policiers. » Et le document se poursuit en rapportant que sur les plus de 35 000 morts déjà occasionnées par la stratégie fédérale, début 2011, le Bureau du Procureur Général de la République (PGR) n’avait ouvert d’enquête que dans 997 cas.
Mexique : la violence toujours à l’ordre du jour
Parmi les évènements récents d’importance figure le décès du chef de file du Gouvernement, Francisco Blake Mora, dont l’hélicoptère s’est écrasé alors qu’il voyageait à son bord le 11 novembre dernier. À la clôture de cette édition, l’enquête ouverte n’avait pas encore permis de conclure, mais les premières déclarations publiques gouvernementales soutenaient déjà la thèse de l’accident. Trois ans auparavant, le titulaire du même poste, Juan Camilo Mouriño, était mort dans des circonstances similaires. En ce qui le concerne, les aboutissements de l’enquête n’ont toujours pas été rendus publics. Blake Mora était donc déjà le quatrième Ministre de l’Intérieur en cinq ans d’administration Calderón.
Par ailleurs, ces derniers mois un haut fait de violence a mis les médias en émoi et provoqué un glissement dans le discours présidentiel : l’incendie du Casino Royal de Monterrey le 25 août dernier, qui a causé la mort de plus de 50 personnes et de nombreux blessés. Felipe Calderón a condamné cet « acte de terreur », une première dans le discours du gouvernement fédéral pour décrire les délits commis par le crime organisé. Par le passé, des membres du gouvernement des États-Unis avaient qualifié la violence de la délinquance organisée de « narcoterrorrisme » éveillant au Mexique une crainte croissante d’une éventuelle intervention militaire de leur part.
Le 14 octobre s’est tenue la seconde réunion entre le Mouvement pour la Paix, la Justice et la Dignité et le gouvernement fédéral au Château de Chapultepec. Le poète Javier Sicilia, leader de ce Mouvement de victimes de la violence causée par la lutte contre le trafic de drogues y déclara que « l’atmosphère de violence et d’horreur qui va croissante est en train de pénétrer les mots et les discours. Dans ces derniers, nous, citoyens, percevons et voulons dénoncer une menace majeure : celle de l’autoritarisme et son visage plus brutal, le militarisme et le fascisme ». Le président a eu beau répondre à chacune des interventions du Mouvement, cette fois-ci, les représentants de ce dernier n’ont pas caché leur déception au vu des maigres résultats de ce dialogue, parmi lesquels la création d’une Commission Sociale d’Attention aux Victimes de Délits sans budget ni conditions opérationnelles. De plus, aucune date n’ayant été fixée pour une prochaine réunion, des doutes planent sur la volonté de poursuivre ou non cette démarche de dialogue.
Peu avant cette rencontre, le Mouvement avait mené à bien son projet de « Caravane vers le Sud » et parcouru les états du Guerrero, Oaxaca, Chiapas, Tabasco, Veracruz et Puebla. Le 19 septembre, de retour dans la capitale, le Mouvement avait fait part de ses conclusions : « au cours de ces 11 jours, nous avons pu constater que la blessure ouverte à Ciudad Juárez –en raison de la vaine stratégie de guerre du président Calderón- a gagné, telle une gangrène, le sud du pays pour venir s’ajouter aux souffrances ancestrales que vivent les peuples indiens et les communautés du Sud. » Le Mouvement a donc exigé que ses demandes soient prises au sérieux puisque –comme l’a déclaré Javier Sicilia lors de la caravane- « si [la classe politique] ne se met pas à servir les citoyens, en construisant un pays, œuvrant pour la sécurité de ses citoyens et reconstruisant le tissu social, ce mouvement sera malheureusement le dernier à s’inscrire dans une démarche pacifique ; ce qui surgira de l’indignation sera alors terrible. »
Autre sujet alarmant de l’actualité sur le territoire mexicain, la situation des migrants est loin d’aller en s’améliorant. Nombreux sont ceux qui subissent de graves préjudices sur leur parcours : attaques, extorsions de biens, mais aussi viols, séquestrations et homicides. Pour attirer l’attention sur cette problématique, 33 femmes d’Amérique Centrale ont initié le 31 octobre au Honduras une « Caravane de Mères en Quête de leurs Disparus ». Les défenseurs des migrants se trouvent aussi très exposés par leur travail. C’est le cas entre autres pour Frère Tomás González, défenseur des personnes migrantes au Tabasco, qui a reçu des menaces téléphoniques au mois de septembre.
Enfin, le journalisme continue d’être une activité à haut risque au Mexique et les agressions des femmes reporters a acquis une dimension de genre que les autorités mexicaines avaient jusque-là cherché à passer sous silence. Le 1er septembre, les corps des journalistes Ana María Marcela Yarce Viveros et Rocío González Trápaga ont été retrouvés sans vie et portant des traces évidentes de violence. Le Bureau du Procureur Général de Justice du District Fédéral (PGJDF) a informé que l’enquête serait menée au titre du féminicide et qu’elle avait donc été confiée au service spécialisé en la matière.
Guerrero : les résistances se poursuivent et l’exigence de justice persiste
Le 31 août, l’Organisation du Peuple Indigène Me’phaa (OPIM) et le Centre des Droits Humains de la Montagne Tlachinollan, ont lancé, en coordination avec Inés Fernández et Valentina Rosendo, une nouvelle campagne intitulée « Faire respecter les Sentences de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme pour Rompre le Mur de l’Impunité ». L’objectif est d’exiger du gouvernement que les tables rondes s’effectuent conformément à la proposition présentée par Inés et Valentina jusqu’à la réalisation effective de toutes les résolutions des sentences de la Cour. En 2010, la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme (CoIDH) avait déclaré l’État mexicain coupable des viols et tortures infligés à ces deux femmes indigènes Me’phaa par des éléments de l’armée mexicaine en 2002. Dans un bulletin d’information du 8 novembre, Tlachinollan insistait sur l’obligation que ces affaires soient jugées par des tribunaux civils, tel que précisé dans la sentence de la CoIDH. « Aujourd’hui au Mexique, les tribunaux militaires continuent de se charger des affaires de violations des droits humains commises par des militaires à l’encontre de civils, en outrepassant à la fois la décision de la Cour Suprême de Justice de la Nation, les 4 sentences de la CoIDH et les obligations contractées dans le cadre de l’Initiative Mérida. »
Par ailleurs, le 22 août, la Coordination Régionale des Autorités Communautaires-Police Communautaire (CRAC-PC) a lancé une campagne d’information des peuples indigènes des régions Costa Chica et Montaña au sujet des activités minières dans leur zone. Elle les a informés des intentions de différentes entreprises canadiennes et anglaises d’ouvrir des exploitations minières à ciel ouvert sans le consentement de la population. Les 14 et 15 octobre, la Police Communautaire a célébré son XVI anniversaire à Malinaltepec. Peu après, la CRAC-PC dénonçait des mouvements militaires sur les territoires communautaires en signalant qu’il pourrait s’agir d’une provocation suite à la décision prise par les communautés lors de cet évènement de faire valoir leurs droits et de refuser l’exploitation minière.
Enfin, le 13 septembre, Tlachinollan a émis un communiqué de presse au sujet des tarifs surélevés de l’électricité dans la région Montaña du Guerrero. Le communiqué mentionnait que de 2007 à ce jour, ce centre avait enregistré près de 400 plaintes, individuelles ou communautaires, en lien avec les tarifs abusifs de l’électricité. Le 8 novembre à Chilpancingo, des militants du mouvement de résistance contre les tarifs surélevés de l’électricité firent fermer les bureaux de la Commission Fédérale de l’Électricité (CFE) en signe de protestation, mais ils furent délogés quelques heures après par des militaires.
Oaxaca : au 1er anniversaire du gouvernement Cué, une conflictivité croissante dans l’isthme
Le 15 novembre dernier, le gouverneur Gabino Cué Monteagudo remettait son premier Rapport de Gouvernement dans lequel il reconnaissait des erreurs et insuffisances mais rejetait sur les administrations précédentes la responsabilité de divers problèmes persistants, comme les conflits agraires. Certains pans de la société civile ont alors critiqué que sa première année de gouvernement n’ait pas donné lieu à une concrétisation significative de ses déclarations de bonne volonté en termes de justice pour les cas de violations des droits humains des années antérieures.
Le 3 novembre, l’organisation civile « Consortium pour le Dialogue Parlementaire et l’Equité-Oaxaca A.C. » a dénoncé que ses bureaux avaient fait l’objet d’une fouille irrégulière et qu’une partie de leur documentation sur la situation des droits humains dans l’état avait été volée, ainsi que des téléphones portables et des équipements informatiques. L’organisation déclara : « Si ce gouvernement prétend à un changement réel vers une transition démocratique, un des aspects centraux doit être la garantie des conditions du travail que les organisations civiles et leurs défenseurs réalisent au bénéfice de l’ensemble de la société. »
Le 4 novembre, le conflit historique entre les états de Oaxaca et du Chiapas pour la possession de 4 975 hectares dans la région des Chimalapas a déclenché deux nouveaux affrontements avec un solde d’au moins 10 blessés. Suite à cela, plus d’une centaine de policiers de Oaxaca et du Chiapas ont été dépêchés sur les lieux et installés dans une Base d’Opérations Mixtes (BOM) pour éviter de nouveaux affrontements. Cependant, le 4 novembre les habitants de San Miguel Chimalapas retinrent en otage le dirigeant des éleveurs de bétail de la partie chiapanèque, Jorge Humberto Luna, raison pour laquelle ils subirent le 9 novembre une opération des forces de l’ordre de Oaxaca menée avec violence pour le libérer. Les 11 et 12 novembre, une Mission Civile d’Observation composée de représentants d’organisations écologistes et de droits humains se rendit sur place pour dresser un état des lieux de la situation.
La construction de parcs éoliens dans l’Isthme de Tehuantepec, source de tension depuis longtemps, a elle aussi récemment déclenché un affrontement violent. Le 28 octobre, des membres de l’Assemblée des Peuples de l’Isthme en Défense de la Terre et du Territoire et du Comité de Résistance au Projet Éolien de Union Hidalgo ont organisé une manifestation pacifique contre le projet éolien « Piedra Larga » durant laquelle, selon leurs témoignages, des groupes armés ont investi les lieux et frappé plusieurs des manifestants, dont Bettina Cruz Velázquez et Juan Regalado Martínez qui furent aussi menacés de mort. L’après-midi du même jour, Reynaldo Ordaz Velásquez, en lien avec le groupe armé, est mort par balles dans des circonstances encore floues. Les agresseurs du matin ont alors accusé le groupe de l’opposition qui a rejeté cette accusation et exigé une enquête impartiale des évènements. Quelques jours auparavant, Cruz Velázquez et Maribel González, défenseuses des droits de l’homme qui accompagnent le groupe opposé au projet éolien, avaient déjà fait part de menaces de mort émises à leur encontre par une cinquantaine de travailleurs de l’entreprise hydroélectrique DEMEX (Développement Éolien du Mexique).
Chiapas : l’usage de la terre et du territoire, principal axe de conflictivité
Le gouvernement de l’état est intervenu dans l’affaire et le 23 octobre, le gouverneur lui-même s’est rendu sur les lieux pour déclarer : « Nous sommes ici (…) pour vous réaffirmer la certitude juridique selon laquelle ces terres et habitations vous appartiennent ; le groupe envahisseur a d’ailleurs été éloigné de ces terres et emmené dans une autre municipalité, loin d’ici, pour qu’il cesse de vous inquiéter et de semer le trouble dans la paix de cette communauté. » Cependant, peu avant, des organisations civiles dénonçaient pour leur part que « les autorités ont récompensé [l’] action violente et clairement contre-insurrectionnelle [des agresseurs], en leur octroyant des terres dans le ranch La Josefina, municipalité de Palenque. » Et de son côté, la lettre ouverte mentionnée plus haut affirmait : « Le discours officiel du gouvernement du Chiapas a transformé le respect des droits humains en un slogan publicitaire, optant pour une simulation qui minimise les graves atteintes à ces droits portant préjudice à la population en général. »
En octobre la Société Civile Las Abejas dénonçait d’ailleurs publiquement la logique unique à laquelle répondent les harcèlements subis par différentes communautés indigènes qui défendent leur autonomie. Cette organisation affirma : « La situation de harcèlement prévalant dans ces communautés, et en particulier à San Patricio, nous rappelle celle que nous vivions à Chenalhó quelques semaines avant le massacre d’Acteal : des personnes séquestrées dans leur propre communauté, le plus souvent privées d’alimentation, des animaux domestiques et des récoltes volées ou brûlées, des coups de feu d’intimidation en permanence. Tout cela est l’œuvre des paramilitaires qui agissent, tout comme à Chenalhó, sous le regard complice de la police et des autorités. »
Dans la plupart des cas, l’enjeu de ces conflits est le contrôle de terres et territoires en zones indigènes. C’est pourquoi en septembre, l’Autre Campagne (mouvement national issu d’une initiative zapatiste de 2005) a lancé une campagne sous le slogan de « Stop à la Guerre contre la Terre Mère et ses Peuples ». Dans le cadre de sa manifestation-meeting du 12 octobre, ce mouvement signalait : » au jour du 519ème anniversaire de l’invasion espagnole sur nos terres et territoires, nous manifestons et protestons contre l’oubli (…). La guerre d’Indépendance et la Révolution n’ont pas restitué leurs droits aux peuples originaires qui se trouvent aujourd’hui confrontés à une guerre d’expulsion et d’extermination. » Un aspect de cette dispute historique se trouve reflété dans le dernier rapport du Centre des Droits Humains Fray Bartolomé de Las Casas intitulé « Le coeur de la Terre bat sur les sentiers de la résistance » qui rend compte de l’impact négatif des projets de développement dit « vert » tels que les plans écotouristiques qui contraignent le plus souvent les peuples à quitter leurs terres d’origine ou les soumettent à des divisions internes entraînant des confrontations. (voir aussi le Dossier de ce bulletin)
Pour finir en rappelant l’actualité de la problématique des défenseurs et défenseuses des droits humains, différents centres des Droits Humains se sont réunis les 8 et 9 octobre dans le cadre du « Forum pour la défense des défenseurs et défenseuses des Droits Humains » à Tonalá, Chiapas. Exemple paradigmatique de ce qui a été dénoncé tout au long de ce forum, une nouvelle menace de mort a été déposée au domicile de Margarita Martínez et Adolfo Guzmán. Pourtant, ce couple qui a reçu plusieurs menaces et subi différentes agressions depuis 2009, bénéficie maintenant de mesures de protection de la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH).