Activités de SIPAZ (Mai – Juillet 1999)
31/08/19991959-1993
03/01/2000ANALYSE : Des mots, des mots mais pas de dialogue
Presque six ans après le soulèvement armé zapatiste et à quelques jours de la fin du millénaire, la paix au Chiapas ne semble pas encore devoir poindre à l’horizon. La nouvelle proposition fédérale pour renouer le dialogue entre le gouvernement et l’EZLN (voir les détails dans l’article « Actualité » de ce même bulletin) a été une surprise pour beaucoup, particulièrement face à la stratégie de ligne dure employée par le gouvernement pour mettre fin au conflit du Chiapas au cours des trois dernières années. Cette proposition représente une avancée significative -bien qu’insuffisante- de la part du gouvernement. Elle contribue pour le moins à réduire la tension dans certaines communautés et à contrôler quelque peu le gouvernement du Chiapas quant à sa politique face au conflit. Reste à savoir si la proposition prétend effectivement mettre fin à l’impasse dans laquelle le dialogue se trouve, ou si elle constitue une simple manœuvre pour gagner du temps dans le cadre de la campagne pour les prochaines élections locales et nationales. Il pourrait encore s’agir d’une politique d’ouverture du gouvernement vis à vis de la Haute-Commissaire des Nations unies, Mary Robinson, avant sa visite au Mexique programmée du 23 au 27 novembre de cette année.
Cette initiative, largement diffusée dans les moyens de communication, est une petite ouverture vers un processus de dialogue bloqué depuis trois années désormais. Une nouveauté concerne l’invitation faite à la COCOPA de présenter sa proposition sur les Droits et Culture Indigènes devant le Sénat. C’est certes une avancée, mais cette invitation ne garantit pas que les Accords de San Andrés, signés par les deux parties en conflit, seront honorés. Reste également en lice la proposition du président Zedillo qui s’est éloignée en plusieurs points de ce qui avait été accordé à la table du dialogue (pour une comparaison, consulter le bulletin de SIPAZ, Vol. III, nº2, avril 1998). Quelques sénateurs de l’opposition ont exprimé leurs réserves quant au fait de voter ou pas le texte de la COCOPA car, si ce vote devait avoir lieu, la majorité du PRI empêcherait son passage.
En proposant que le thème des modifications à la Constitution sur les droits et la culture indigènes soit discuté au sein du Sénat, le Ministère de l’Intérieur ne paraît pas prendre en considération la dynamique qui a permis d’aboutir aux Accords de San Andrés, dynamique au cours de laquelle les réflexions et expériences des académiciens, chercheurs et, surtout, des organisations indigènes de tout le pays ont été rassemblées.
Dans cette mesure, tant que le gouvernement fédéral n’accepte pas la proposition de la COCOPA, comme l’EZLN l’a fait en octobre 1996, il est difficile de prévoir une résolution de la question avant la fin du sexennat présidentiel. Le Président Zedillo devra changer d’avis, en retirant sa propre proposition et accepter celle de la COCOPA, ou bien, il faudra attendre jusqu’à ce qu’il y ait un nouveau président et/ou une nouvelle configuration du Sénat, dans laquelle le PRI n’aurait plus la majorité. Face à l’imminence des élections, passer le problème à l’administration suivante avec une proposition de dialogue sans réponse pourrait être une façon de marquer des points afin que le PRI reste au pouvoir.
L’initiative fédérale propose aussi une nouvelle instance de médiation civile pour faire face à l’auto-dissolution de la CONAI (Commission Nationale de Médiation) en juin 1998. Certes, cette instance devra être acceptée par les parties et bénéficier de leur respect réciproque. Il est important de mentionner ceci parce qu’en son temps la CONAI, ses membres et son travail avaient été fortement critiqués par le gouvernement.
Un autre aspect positif de la nouvelle proposition est que le Secrétaire d’Etat (Ministre de l’Intérieur) lui-même a déclaré être prêt à diriger la délégation du gouvernement si les négociations reprennent.
Cette proposition, bien qu’elle soit non négligeable et qu’elle exprime une certaine volonté de réactiver les négociations de paix, ne répond pas complètement aux conditions présentées par les zapatistes en septembre 1996 quand ils avaient quitté la table des négociations. Nous pouvons penser qu’il sera difficile que les Zapatistes répondent affirmativement à cette proposition lorsque celle-ci laisse de côté -ou traite seulement partiellement- quelques-unes des questions-clés dans ce complexe et d’ores et déjà long processus de négociation.
Une question à laquelle la proposition ne répond pas et qui est au cœur du débat pour la reprise du processus de dialogue est le retrait de l’armée mexicaine du Chiapas. Des dizaines de milliers de soldats se trouvent postés dans les communautés, affectant négativement la vie psychologique et sociale de leurs habitants, surtout celle des femmes et des enfants. Les solides casernes qui ont été construites dans des endroits stratégiques de tout l’Etat indiquent que l’armée ne partira pas de si tôt et que, comme eux-mêmes l’ont déjà exprimé : «ils sont venus pour rester».
Les positions sur la question sont diamétralement opposées. D’un côté, le Secrétaire d’Etat (Ministre de l’Intérieur) a dit que la présence de l’armée est un thème délicat qui serait abordé une fois le dialogue rétabli. Pour l’EZLN, cependant, le retrait de l’armée des communautés indigènes est une de ses conditions pour renouer le dialogue.
D’autre part, la libération de quelques prisonniers sympathisants zapatistes a été interprétée par beaucoup comme un stratagème de la part du gouvernement de l’Etat, dans la mesure où ce dernier ne les a pas tous libérés et que ceux qui l’ont été ne se reconnaissent pas forcément comme des bases de soutien de l’EZLN (La ‘Voix de Cerro Hueco’ comprend encore plus de 100 prisonniers ; voyez le Dossier dans le bulletin SIPAZ IV, nº 2). De plus, beaucoup de ces prisonniers se trouvent accusés précisément de «délits de sang», c’est-à-dire qu’ils ne font pas partie de la proposition du gouvernement.
Quelques groupes considèrent la proposition fédérale comme un simulacre de volonté, puisque le gouvernement de l’Etat continue d’appliquer une politique de force et un discours belligérant contre l’EZLN. Il justifie les incursions de la police de l’Etat, ainsi que celles de l’armée, en affirmant que «la majorité» des gens dans les communautés demandent la présence des forces armées «par mesure de sécurité». Le Procureur Général de l’Etat a mentionné que «l’on ne peut pas écouter la voix de quelques-uns seulement et empêcher les gens de manger et progresser».
A l’échelle mondiale, les discours du gouvernement par rapport aux avancées de la situation des droits humains au Mexique continue à être remis en question. S’il y a en effet eu des progrès, cela n’a pas été suffisant pour permettre de dire que la situation au Mexique est désormais différente. Plusieurs comités des Nations unies, ainsi que le Rapporteur Spécial sur les Exécutions Extrajudiciaires, Asma Jahangir, ont exprimé leur «inquiétude» et leur «profonde préoccupation» sur plusieurs questions, parmi lesquelles le Chiapas et l’administration de la justice. Il est certes possible que ces opinions ne changent en rien la volonté de certains gouvernements de faire du Mexique un partenaire commercial. Cependant, ce pourrait être un facteur pour que, dans ces accords, des clauses invitant le gouvernement mexicain à aller plus loin dans son compromis pour la paix, la justice et les droits humains soient établies.