Activités de SIPAZ (Mai – Juillet 2000)
31/08/2000Avant 1994
29/12/2000ANALYSE : Les defis de la transition democratique au Mexique
La transition démocratique rendue possible du fait de la victoire de l’opposition lors des élections fédérales de juillet et celles d’août au Chiapas ouvre de nouvelles perspectives. Ces résultats électoraux ne garantissent certes pas la solution immédiate des multiples problèmes en suspens : la pauvreté croissante, l’impunité et la violence politique ainsi qu’un conflit en situation d’impasse au Chiapas, pour mentionner quelques-uns uns des plus urgents. Ces résultats pourraient cependant marquer le début d’une nouvelle relation entre l’Etat et la société mexicaine. Que ce soit au Chiapas ou à échelle nationale, le défi est le même : couvrir les besoins de la population dans son ensemble par delà les intérêts partisans et apprendre à fonctionner comme une démocratie mûre qui implique une négociation permanente entre forces politiques.
Corrélation des forces
Les élections fédérales de juillet ont donné lieu à une nouvelle configuration politique beaucoup plus complexe. Peu après sa victoire, Fox a déclaré qu’il ne prétend pas gouverner pour le Parti d’Action Nationale (PAN), la principale force qui l’a porté à la présidence. De son côté, ce parti a affirmé qu’il ne recevrait pas de lignes de conduite depuis la présidence. De plus, le président ne pourra pas compter avec une majorité absolue et inconditionnelle au sein des Chambres des députés et sénateurs. Aucun parti ne pourra s’imposer sur les autres sans négociation, ce qui constitue certes une avancée démocratique mais ce qui rendra plus difficile les accords pour promouvoir les réformes nécessaires. Le gouvernement de Vicente Fox ne pourra se fortifier qu’en fonction de sa capacité à convaincre les autres groupes politiques de la légitimité et de la pertinence de ses propositions de changement.
Dans ce nouveau cadre, tous les partis politiques sont entrés dans une phase de repositionnement et le jeu des alliances ne fait que commencer. Les résultats de juillet et d’août représentent un affaiblissement significatif du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI), la parti qui vient de perdre la présidence après 71 ans au pouvoir. Reste une question : pour quel rôle optera le PRI ? Il se trouve pour la première fois hors du pouvoir exécutif mais maintient son pouvoir au niveau des gouvernements des états et municipalités ainsi que des liens solides avec les structures de pouvoir de base ainsi que les groupes de pouvoir économique. Le défi pour la représentation du PRI au Congrès, est désormais de recomposer l’unité du parti quand la défaite a généré de nombreuses fissures et luttes de pouvoir internes dans la recherche d’un nouveau leadership. Les possibles conséquences de ces temps de réaccomodements restent préoccupantes : les violents affrontements entre fractions du PRI à Chimalhuacán, état de Mexico, ont été présentés comme une illustration de ce risque.
Bien qu’il ait à nouveau gagné la capitale au cours des élections de juillet, le Parti de la Révolution Démocratique (PRD), de son côté, s’est vu ébranlé par sa défaite fédérale. Le principal parti de gauche traverse une difficile période de redéfinition structurelle et idéologique.
Temps de changement
L’onde de choc en est même venue à secouer les Forces Armées, une institution qui paraissait jusqu’alors monolithique. Ces temps de transition sont en effet marqués par des luttes internes entre différentes fractions : certains parlent de la nécessité d’une épuration tandis que d’autres soutiennent « l’ordre ancien ».
La détention d’Acosta Chaparro et de Quiros Hermosillo, deux généraux de la ligne dure accusés pour leurs liens avec le milieu de la drogue, parait indiquer une nouvelle corrélation des forces : tous deux appartenaient à un milieu militaire jusqu’alors intouchable.
D’autres éléments indiquent un changement et le désir de parvenir à construire une démocratie plus consolidée et transparente : c’est par exemple le cas de la sentence prononcée par la Cours Suprême qui va obliger le président Zedillo à présenter les comptes de la campagne électorale qui lui a permis d’accéder à la présidence en 1994. C’est aussi le cas du traitement donné à différents scandales impliquant des personnes de haut niveau au sein de son gouvernement.
Il faut encore signaler l’ouverture montrée par Fox pour dialoguer avec les organisations non gouvernementales (ONG). Il a déclaré son intention de les inclure dans la recherche et la mise en pratique de politiques publiques. Ce fait et les réunions avec ces organisations semblent indiquer une nouvelle attitude du pouvoir politique vis à vis de la société civile. Fox a indiqué que ces réunions sont un premier pas ; mais il reste encore à voir si elles représentent un intérêt réel dans une relation réellement substantielle.
EZLN: Le choix de la non intervention
Avant les élections, l’EZLN s’était limitée à dire qu’elle respecterait le processus électoral et ses résultats. Après la victoire de l’opposition en juillet, on aurait pu s’attendre à un changement d’attitude. L’EZLN a pourtant gardé le silence face aux élections du Chiapas alors même que pour la première fois, l’opposition avait une possibilité réelle de gagner. Dans les faits, on a pu observer une augmentation de leur participation mais dans l’ensemble, peu de zapatistes ont voté, favorisant ainsi la victoire du PRI dans des zones sous leur influence.
Défis pour le nouveau gouvernement de l’état
L’amplitude et la diversité du spectre politique qui soutenait la candidature de Pablo Salazar constituent un premier défi pour le nouveau gouvernement. De plus, ses propositions de réformes pourront se voir entravées par le contrôle du PRI sur le Congrès de l’état et dans la majorité des mairies, contrôle qu’il maintiendra pour le moins jusqu’aux prochaines élections de novembre 2001. Il reste à voir comment se positionneront des acteurs jusqu’à ce jour liés au gouvernement du PRI : organisations paysannes, syndicats ouvrier et enseignant, moyens de communication et certains grands groupes de pouvoir économique de l’état.
Certaines taches peuvent sembler titanesques pour le nouveau gouvernement : combattre la pauvreté et l’exclusion sociale, promouvoir le développement, reconstruire le tissu social, résoudre les explosives disputes agraires, contrôler les groupes armés, etc. Mais d’un autre coté, le triomphe de Salazar a créé un nouvel espace politique dans lequel pourront participer des acteurs sociaux qui, historiquement, avaient été maintenus en marge du pouvoir (indiens et paysans par exemple). Sans nul doute, en grande mesure de l’habileté des différents secteurs de la société civile pour articuler créativement leurs demandes dans la construction d’un nouveau projet politique pour le Chiapas dépendra le sort de la transition démocratique dans cet état et dans le reste du pays. La question est de savoir si Salazar pourra maintenir le mouvement citoyen qu’il a réussi à créer autour de lui. Comment pourra-t’il réponde aux demandes et expectatives de secteurs sociaux et politiques si divers, et y compris opposés historiquement ?
Le conflit du Chiapas après les élections
Dans les thèmes en suspens des deux gouvernements se trouvera sans nul doute la résolution du conflit du Chiapas. Certainement, la victoire de l’opposition au niveau fédéral et local ouvre de nouvelles perspectives en ce sens. La présence chaque jour moindre du sujet dans les moyens de communication ne doit en effet pas cacher que les causes de ce conflit persistent et que la situation continue à être explosive. Dans la plupart des cas, les conditions de vie des autochtones ont même empiré. De plus, la détérioration accélérée du tissu social fait que le conflit de l’EZLN avec le gouvernement n’est en fait qu’un des multiples conflits. La situation est toujours plus complexe et les réponses devront être définies depuis les deux niveaux de pouvoir : fédéral et étatique.
Si Salazar ne peut pas ordonner le retrait de l’armée (responsabilité qui correspond au gouvernement fédéral) et si la solution du conflit avec l’EZLN n’est pas de son ressort, le nouveau gouverneur pourra aider à créer les conditions nécessaires à la reprise du dialogue.
Silence controversé de l’EZLN
Le silence de l’EZLN devant les propositions du président élu (y compris la possibilité d’un dialogue direct avec lui)a été perçu comme un manque de volonté de négociation. Il existe d’autres explications. Il est possible que l’EZLN attende la prise de possession du président élu. Une autre possibilité est qu’elle considère que les conditions n’existeront pas tant que la présence massive de l’armée mexicaine perdurera.
Dans un même sens, la défaite du PRI par le biais des urnes et non par la voie des armes constitue pour certains un questionnement à la stratégie choisie par l’EZLN. D’autres soulignent plutôt qu’une telle défaite n’aurait pas été possible sans le travail de prise de conscience démocratique de l’EZLN. Le mouvement zapatiste doit encore définir sa position face au nouveau scénario démocratique.
Dialogue en suspens
En fait, l’EZLN a déjà « parlé« . Depuis septembre 96, elle a posé ses conditions pour reprendre le dialogue et très certainement pour elle, elles doivent être prises en compte en premier lieu. Face à ce fait, le panorama n’est déjà plus aussi prometteur : chacun des deux acteurs semblent attendre une preuve de la volonté de l’autre comme une condition préliminaire pour continuer à avancer.
Cette difficulté est évidente si l’on considère pour commencer la première condition des zapatistes: le retrait des militaires et le démantèlement des paramilitaires. Le président élu a posé une condition au retrait des troupes : un pacte avec les zapatistes pour reprendre le dialogue. En fait, il est difficile de penser à un « retrait total » de l’armée. Dans beaucoup de communautés divisées, une partie de la population demande leur protection et elle peut apparaître comme l’unique instrument permettant de contrôler les paramilitaires quand la structure politique et juridique locale reste dominée par le PRI. Cependant, une manière de reconstruire la confiance pourrait être le retrait immédiat de certains des campements militaires qui génèrent le plus de tension (Amador Hernández par exemple).
Un autre point clé : les accords de San Andrés signés par le gouvernement fédéral et l’EZLN depuis 1996. La Commission pour la Concorde et la Pacification (COCOPA) a accepté de rédiger une proposition de réforme constitutionnelle en matière de droits et culture autochtone en posant une condition : ce document serait définitif. Au cours des années passées, plusieurs partis ont proposé leur propre texte (celui du PRI fut repris par le président Zedillo). Si Fox a bien dit qu’il présenterait l’initiative de la COCOPA au Congrès, il semble évident que sans obtenir d’accords préalables, cette proposition a très peu de chance d’être approuvée. C’est pourquoi le nouveau gouvernement, en plus de sa volonté déjà exprimée, doit se compromettre à un travail de lobbying fort et clair.
Au bout du compte, il reste beaucoup à inventer dans les nouvelles relations politiques dont le Mexique a besoin pour pouvoir affronter constructivement les défis de la transition. La communauté internationale pourra être un facteur important de pression afin que le nouveau gouvernement fédéral accepte sa responsabilité face au conflit du Chiapas ainsi que face à d’autres thèmes en suspens à l’échelle nationale, thèmes qui garantiront une réelle avancée du processus de démocratisation.