
DOSSIER : De nouveaux enjeux dans un monde de plus en plus turbulent
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P endant 22 ans, Jennifer Haza Gutiérrez a fait partie de l’organisation de défense des droits de l’enfance Melel Xojobal A. C., basée à San Cristóbal de las Casas, au Chiapas. En décembre dernier, elle a quitté son poste de directrice. Dans une interview, elle nous a partagé ses expériences, ses apprentissages et ses espoirs.
Présentation
Originaire de Mexico, Jennifer est titulaire d’une licence en sciences de la communication et de diplômes portant sur les droits de l’enfance, sur les litiges stratégiques auprès du système interaméricain des droits humains, sur la participation éducative avec les populations vivant dans la rue, et en matière d’éducation interculturelle bilingue.
En 2002, elle est venue à Melel Xojobal pour effectuer son service social dans le domaine de l’accompagnement des enfants qui travaillent dans les rues. Après avoir travaillé dans différents projets, elle a assumé le poste de coordinatrice générale pendant 5 ans et en 2012, elle est devenue directrice. Au cours de son parcours au sein de l’organisation, elle a réalisé un travail éducatif dans des espaces publics et des écoles, ainsi qu’un travail de plaidoyer, entre autres. Elle se définit comme féministe et défenseure des droits humains.
Renforcer l’enfance à partir de la dignité et de l’espoir
« Je ne connais aucune autre organisation au Mexique qui défende explicitement le droit des enfants à travailler dans des conditions dignes et sûres », nous dit Jennifer en référence au travail de Melel Xojobal, qui se concentre sur la défense des droits des enfants qui travaillent, en particulier ceux d’origine indigène. Selon l’organisation, le travail des enfants leur permet non seulement de renouer avec leurs langues indigènes et leurs cultures, mais il constitue également une forme de revenu avec laquelle ils peuvent soutenir leurs familles face à un système qui exploite et discrimine les peuples indigènes. Dans un communiqué de presse, Melel Xojobal a déclaré : « il existe des formes de travail digne qui enrichissent et renforcent le développement des capacités et des compétences des enfants et des adolescents ».
Sur la situation actuelle des enfants, Jennifer nous a confié : « Je crois qu’au Chiapas, les enfants et les adolescents ont de plus en plus de difficultés à jouir de leurs droits, en particulier les enfants des peuples indigènes (…) La violence a augmenté en termes de fréquence, mais aussi en termes de cruauté à leur égard. Celle-ci se manifeste sous des formes qui ne sont pas toujours évidentes, comme la violence numérique, la discrimination ou l’exploitation quotidienne, non seulement des enfants mais aussi des familles. De mon point de vue, la réalité sera de plus en plus difficile pour les enfants. »
Dans ce contexte, le travail de Melel Xojobal vise à renforcer les enfants face à la violence afin qu’ils puissent grandir dans un espace de dignité et d’espoir et, à partir de là, trouver leur place dans le monde. « Il y a un engagement politique avec les enfants. L’organisation ne vient pas apporter des réponses en prétendant transformer la réalité. Ce que nous faisons, nous le faisons avec eux. » Un autre aspect important est le plaidoyer auprès de l’opinion publique, cherchant à faire comprendre que les enfants et les adolescents ont les mêmes droits que les adultes et qu’ils ont le droit d’en jouir. « Ce qui se passe dans le monde ne peut être divisé entre ce qui arrive aux enfants et ce qui arrive aux adultes », a-t-elle déclaré.
La voix des enfants
Pour Jennifer, il a été important d’accompagner les enfants pour comprendre des contextes complexes. Cela lui a non seulement permis de comprendre que « pour apprendre, il faut avoir la volonté d’écouter et d’observer », mais aussi que le lieu où nous sommes nés et nos origines marquent différentes façons d’être un enfant. Elle considère qu’il est essentiel de reconnaître la diversité des enfances qui existent. En ce sens, le travail de Melel aide les enfants et les adolescents à comprendre qu’ils ne sont pas destinés à être victimes d’injustices, de discriminations et de violences, et que leur situation économique ou le fait que « ça a toujours été comme ça » ne sont pas des raisons qui justifient ces réalités. Selon Jennifer, il est important qu’ils sachent qu’ils ont le droit d’utiliser leur voix pour dénoncer les violations de leurs droits.
Jennifer nous a également parlé des actions publiques, telles que les marches, ainsi que des processus et des espaces destinés aux filles et aux femmes, qui, selon elle, sont importants et puissants pour la transformation, non seulement pour les filles, mais aussi pour les femmes et les hommes dans les communautés. « Avant, il n’y avait pas ces espaces pour parler de la violence à l’égard des femmes (…) En allant aux marches et en occupant l’espace public, en parlant aux médias et en prenant le micro, j’ai pu constater cette énergie des filles et des adolescentes. Je trouve leur énergie contagieuse et puissante », a-t-elle partagé avec nous.
Melel Xojobal- Véritable Lumière
À la question de savoir pourquoi Melel Xojobal porte ce nom, Jennifer a répondu : « Les fondateurs de Melel ont décidé de l’appeler Luz Verdadera en Tsotsil, pour la lumière dans les yeux des enfants. Parce que c’est leurs regards qui illuminent notre chemin. »
Dans ce sens, elle a également partagé avec nous ce qui l’inspire et lui donne confiance et espoir en un avenir meilleur : « Comme je l’ai dit, je pense que la situation va empirer et que la réalité sera plus difficile, mais nous sommes nombreux à persister, à penser qu’il est important de continuer à s’accompagner les uns les autres, à penser à d’autres présents et futurs et à construire ce qui est possible au quotidien. Je constate que les enfants sont les premiers, en temps de crise, à exprimer leur solidarité ou à s’inquiéter de ce que font les autres, leur frère ou leur mère. C’est une composante qui, je ne sais pas si elle va nous sauver, mais c’est ce qui va nous permettre de persister dans ce qui est possible, dans la construction de l’espoir et des fissures où nous pouvons voir la justice, la dignité et le bonheur pour les gens. Il y a peut-être aussi une vraie lumière, dans ces petites fissures que les enfants eux-mêmes ouvrent. Nous les accompagnons et sommes également convaincus qu’en le faisant ensemble, nous nous transformons aussi dans le cadre de ce processus. Ces fissures de justice, de liberté et de dignité sont donc créé par chacun(e) d’entre nous, pour chacun(e) de nous. »