DOSSIER: Alertes de Violence liée au Genre : comprendre le problème pour le résoudre
11/10/2017ACTIVITÉS DU SIPAZ (de la mi-mai à la mi-août 2017)
11/10/2017Le forum sur la disparition forcée “Contre la douleur et la peur: un cri d’espoir” s’est tenu à Chilpancingo les 8 et 9 août. Il a eu lieu dans la cadre du 23e anniversaire du Centre des droits de l’Homme de la Montagne Tlachinollan (Tlachinollan).
À cette occasion, des experts, des représentants d’organisations nationales et internationales, ainsi que des comités et des familles de personnes portées disparues étaient présents. Ils ont participé, d’une part, au débat sur la Loi Générale sur les Disparitions Forcées et les Disparitions commises par des particuliers. D’autre part, ils ont partagé leurs expériences afin de s’entre aider et d’y puiser la force pour continuer leurs recherches de ceux qui leurs sont chers et les retrouver vivants.
Le projet de Loi Générale sur les disparitions forcées résulte d’une proposition faite en 2015 par un ample groupe de représentants de collectifs de familles de personnes portées disparues, d’organisations et de professeurs ayant beaucoup d’expérience en matière des droits de l’Homme. Ce groupe a rédigé un manuel afin de guider les autorités mexicaines pour qu’elles honorent les obligations qu’elles ont contractées en ratifiant plusieurs traités et conventions internationales en matière des droits de l’Homme, notamment la Convention Internationale pour la Protection de toutes les Personnes contre les Disparitions Forcées (CIPPDF) et la Convention Inter-américaine sur la Disparition Forcée de Personnes. Ces obligations devraient être intégrées autant dans la législation mexicaine que dans sa mise en pratique.
Ce manuel s’intitule “Éléments essentiels pour l’élaboration d’une loi générale sur les personnes portées disparues au Mexique”. Ses auteurs sont les protagonistes du changement. Ils luttent pour la vie et pour la justice, pour localiser leurs êtres chers, pour révéler la vérité, pour obtenir réparation intégrale des préjudices subis, pour éviter que d’autres disparitions forcées aient lieu dans le pays et pour mettre fin à la douleur qui les opprime.
Le 27 avril 2017, après trois semaines de négociations, la Loi Générale sur la Disparition Forcée au Mexique a été approuvée. Plusieurs comités de victimes et familles de personnes portées disparues ont qualifié cette loi de “sans cœur” en raison des importantes omissions et recoupes que le Sénat a faites par rapport au projet initial.
L’une des principales demandes du texte initial était la création d’une Commission Nationale de Recherche des personnes portées disparues (CNRPPD). Cette Commission devait être formée par des fonctionnaires du gouvernement, par des représentants des organisations des familles de personnes portées disparues, mexicaines et migrantes comprises, par des représentants d’organisations non gouvernementales qui œuvrent pour les droits de l’Homme (choisis par les familles) et par des membres de l’enseignement. Or, la loi approuvée par le Sénat établit que la CNRPPD sera uniquement constituée de fonctionnaires du gouvernement. La dénaturalisation de la proposition initiale a provoqué une division du large groupe qui l’avait promue.
Les organisations membres de la Campagne Nationale contre la disparition forcée (CNCDF) ont conclu qu’elles ne pouvaient pas soutenir la loi en raison de ses nombreuses limitations. « Nous sommes face à une proposition de loi incomplète. Si cette loi est approuvée, elle devra faire l’objet de nombreuses réformes, ce qui retardera sa mise en application réelle. »
«Cette loi ne permet pas d’obtenir la vérité car il n’y a pas de commission de recherche. De plus, elle favorise l’impunité car elle ne prévoit pas de sanction pour la chaîne de commandement qui se trouve dissimulée derrière une disparition.», (Zita Loyo, membre de la CNCDF). Le Mouvement National pour nos Disparus au Mexique (MNDMX), lui, a préféré « 50% d’une loi maintenant plutôt que 100% de rien du tout » tout en continuant d’exiger au gouvernement que cette loi soit reformulée par la suite. La porte parole du MNDMX, Yolanda Morán Isáis, qui cherche son fils porté disparu après avoir été enlevé par des officiers des renseignements militaires a expliqué: « Ils nous fallait absolument cette loi, parce que si elle n’était pas approuvée maintenant, elle ne l’aurait pas été durant les prochaines élections des gouvernements de plusieurs états mexicains, ensuite viennent les élections présidentielles en 2018. Nous avons pensé que si la loi ne passait pas maintenant, ça allait prendre du temps pour qu’elle soit approuvée plus tard ou bien qu’on allaient carrément faire une croix dessus comme ça a été le cas pour beaucoup d’autres projets de lois”. Elle a déclaré être désolée que les sénateurs et le pouvoir ‘exécutif “restent redevables” vis-à-vis familles quant aux principaux thèmes en jeu.
Pour que cette loi “tronquée” soit approuvée définitivement, il faut que la Chambre des députés la valide. Il y a lieu de noter qu’en dépit de ce désaccord entre les familles des victimes quant à accepter ou refuser la loi, toutes sont d’accord sur le fait que cette loi ne sera pas la solution, mais un simple outil de plus pour la recherche des personnes portées disparues. Leur force restera leur acharnement.
Selon le Registre National de Données des Personnes Égarées ou Portées Disparues, il existe plus de 32000 cas au Mexique. Parmi les cas enregistrés par le Bureau du Procureur de la République (BPR), c’est à dire celle qui correspondent à des cas relevant de la juridiction fédérale, 58% correspondent à trois états seulement: Guerrero,Tamaulipas et Veracruz. 46% des cas (de la juridiction commune et de la juridiction fédérale) correspondent à des jeunes de 10 à 29 ans. C’est pour cela que l’on parle d’une crise de disparition forcée au Mexique.
La disparition forcée est un délit qui consiste à priver quelqu’un de sa liberté, le cacher et refuser de donner des informations quant au lieu où il se trouve. De ce fait, ce délit est considéré comme une violation multiple, grave et permanente à plusieurs droits de l’Homme: le droit à la liberté, à la reconnaissance de la personne juridique, à l’intégrité personnelle, à la vie, à l’interdiction de la torture et aux traitements cruels, inhumains, dégradants et humiliants.
Tlachinollan qualifie la disparition forcée de crime contre l’humanité. C’est une atteinte permanente, qui n’affecte pas seulement la victime mais aussi sa famille et ses proches à qui l’on viole le droit d’accès à la vérité et à la justice. Ce sont ces familles et les collectifs qui avaient la parole durant le forum, afin de partager leurs expériences et d’expliquer aux autres comment ils font face à cette crise dans un pays où il n existe pas « réellement un Etat de droit. » « Le gouvernement et la Commission Exécutive d’Aide aux Victimes (CEAV) misent sur notre lassitude afin de clore nos dossiers. Nous devons tout faire nous même, nous sommes devenus des avocats, des experts, des chercheurs, des comptables parce que nos représentants ne font rien », a déclaré une proche d’une personne portée disparue lors du forum.
Ce sont ces familles et ces collectifs qui ont réussi à faire front à la crise. Avec leurs recherches, ils ont par exemple réussi à localiser des centaines de corps, à obtenir leur identification et ont ainsi rendu la paix et le repos autant aux victimes qu’à leurs familles. Ce sont ces familles et ces collectifs qui ont la force, qui ont réussi à créer des lueurs d’espoirs pour des milliers d’autres personnes qui passent par cette même situation. Ce sont ces familles et ces collectifs qui, en s’organisant et en échangeant leurs stratégies d’actions deviennent de plus en plus forts face au mur de l’impunité.