DOSSIER : Grands projets dans le sud-est mexicain ; résistance des peuples autochtones en faveur de la défense du territoire et de la vie.
10/06/2023Activités du SIPAZ (De mi-février à mi-mai 2023)
10/06/2023Je dis ton nom avec tout le silence de la nuit,
mon cœur bâillonné le crie.Je répète ton nom, je le redis,
je le dis inlassablement,
et je suis sûr que l’aube se lèvera.
D isparaître est-il un verbe qui peut s’appliquer aux personnes ? Logiquement, la réponse serait non, du moins pas au-delà du domaine de l’illusion et de la magie. Pourtant, la réalité a dépassé l’imagination.
La disparition de personnes est un concept de plus en plus présent dans la vie quotidienne au Mexique. Chaque jour, nous témoignons du nombre alarmant de formulaires de recherche, avec des appels à l’aide de familles désespérées à la recherche d’un être cher dans les médias et dans les rues.
La disparition est l’une des formes les plus extrêmes de violence. Des familles entières ont été dévastées par l’incertitude et la douleur de ne pas savoir ce qui est arrivé à leurs proches. Comme l’indique Elena Poniatowska, « pour une mère, la disparition d’un enfant signifie un espace sans répit, une longue angoisse. Il n’y a pas de résignation ou de consolation, pas de temps pour la cicatrisation de la blessure. La mort tue l’espoir, mais la disparition est intolérable parce qu’elle ne tue pas ni ne laisse vivre ».
Les disparitions forcées au Mexique trouvent leur origine dans ce que l’on appelle la « Sale Guerre », mais cette pratique s’est perpétuée et n’est plus seulement un outil exclusif des gouvernements. Aujourd’hui, elles prennent des formes extrêmement violentes et ont divers objectifs, en passant par l’instauration de la peur, le recrutement forcé par les groupes criminels, et par la traite des êtres humains. Elles se produisent dans de multiples contextes et par différents acteurs, souvent encore comme une stratégie de terreur de la part de l’État. A celle-ci s’ajoutent « les disparitions effectuées par les groupes criminels organisés et les cartels de la drogue, dans de nombreux cas avec la collaboration de fonctionnaires de l’État », comme le souligne le rapport Enforced Disappearances in Mexico : A look from the UN System Agencies (Disparitions forcées au Mexique : un regard des agences du système des Nations Unies).
De même, l’organisation Human Rights Watch, dans son Rapport mondial 2023, mentionne que « depuis le début de la « guerre » contre la drogue en 2006, les taux de criminalité violente ont augmenté de façon spectaculaire au Mexique, atteignant des niveaux historiques sous le gouvernement d’Andrés Manuel López Obrador. Alors que les autorités attribuent souvent cette violence aux cartels criminels, la plupart des crimes ne font l’objet d’aucune enquête et les responsables ne sont jamais identifiés ni poursuivis ».
Depuis le début du mandat de López Obrador, nous avons également assisté à la militarisation du pays sous prétexte de lutter contre le crime organisé. À cet égard, le rapport indique : « Des soldats, des policiers et des agents du ministère public ont commis de graves violations des droits humains à grande échelle, notamment des actes de torture, des disparitions forcées et des exécutions extrajudiciaires, dans une impunité presque absolue ». Entre 35 et 40 condamnations ont été enregistrées pour plus de 100 000 cas de disparitions.
Aujourd’hui, les chiffres officiels dépassent les 112 000 personnes portées disparues au Mexique, et il existe plus de 52 000 corps non identifiés. Si l’on ajoute à cela le fait que, selon les statistiques, « environ 90 % des crimes ne sont jamais signalés, un tiers des crimes signalés ne font jamais l’objet d’une enquête et moins de 16 % des enquêtes sont « résolues », le chiffre pourrait être encore plus élevé », selon le même rapport.
Face à ce panorama et au besoin des familles de trouver des réponses et d’obtenir justice, au moins 130 groupes de recherche ont vu le jour dans le pays, la plupart d’entre eux composés de proches de personnes disparues. Nombre d’entre eux sont dirigés par des mères qui recherchent inlassablement leurs enfants, allant jusqu’à creuser dans les plus de 4 000 tombes clandestines qui ont été découvertes dans tout le Mexique. Ils ont dû se former sur le tas dans différentes disciplines, dont la médecine légale.
Outre les tâches de recherche, de diffusion de l’information, de demande de vérité, de justice, de réparation, de non-répétition et de mémoire, les collectifs de parents de personnes disparues ont ressenti le besoin de s’approprier des espaces publics pour rendre visible la grave crise que le pays traverse. Dans différents états de la République, on trouve des mémoriaux, des monuments, des ronds-points et divers espaces où l’on se souvient des disparus, comme la Glorieta de las y los Desaparecidos à Mexico. De même, à certaines occasions, ils descendent dans les rues pour nous rappeler que #nosfaltanmásde100mil et qu’ils ne s’arrêteront pas tant que leurs disparus n’auront pas été retrouvés.
Ce travail expose les familles, ce qui leur a fait courir un risque énorme. À ce jour, plus de 10 mères chercheuses ont été tuées. Mais malgré les défis, les menaces et la revictimisation auxquels ils sont confrontés, les familles des victimes et les activistes, ainsi que les organisations de défense des droits de l’Homme, continuent de se battre. Grâce à leur travail et à la pression qu’ils ont exercée, ils ont réussi à promouvoir des réseaux tels que le Mouvement pour nos disparus au Mexique, entre autres, qui cherchent à rendre les cas plus visibles, à demander justice et à promouvoir des politiques publiques efficaces pour prévenir et traiter ce problème.
En outre, des mécanismes tels que la Commission nationale pour la recherche des personnes ont été mis en place, et des changements ont été promus dans le domaine juridique, tels que la loi générale sur les disparitions forcées et le protocole de recherche homologué. Toutes ces mesures visent à coordonner les efforts de recherche et d’identification des personnes disparues.
Il reste encore beaucoup de choses à changer, de nouvelles lois et de nouveaux organismes à mettre en place pour traiter cette crise de manière globale, mais il est de la plus haute importance de reconnaître ce que les familles ont accompli en cours de route.
Chiapas : un regard critique sur la douloureuse réalité des disparitions
Le Chiapas, l’un des états les plus pauvres et les plus marginalisés du Mexique, est confronté à une situation particulièrement préoccupante en ce qui concerne les disparitions. Dans cette région, les inégalités socio-économiques, les conflits territoriaux et les tensions politiques ont contribué à créer un climat propice à la violence, à la rupture du tissu social et à l’impunité. De plus, la situation stratégique du Chiapas l’a placé au centre de conflits entre différents groupes criminels organisés, ce qui a augmenté la commission de crimes tels que les enlèvements et les disparitions.
À l’heure actuelle, les chiffres ne sont pas clairs car, comme au niveau national, tous les cas ne sont pas enregistrés en raison de la peur et du manque de confiance vis-à-vis des autorités. Le Centre des droits de l’Homme Fray Bartolomé de Las Casas a enregistré 1 314 cas ; l’organisation Melel Xojobal a documenté au moins 1 831 disparitions d’enfants de moins de 18 ans entre 2018 et 2021. De son côté, Voces Mesoamericanas Acción con Pueblos Migrantes, compte plus de 350 cas de disparition d’ouvriers agricoles chiapanèques. Ces organisations s’accordent à dire qu’au cours des quatre dernières années, les disparitions ont augmenté de manière exponentielle et constante. On estime que ces chiffres pourraient être beaucoup plus élevés.
Au Chiapas, ce sont une fois de plus les familles et les organisations de défense des droits de l’Homme qui s’efforcent de répondre à cette crise. En 2010, le Comité Junax Ko ́tantik a été formé par des familles de migrants disparus du Chiapas. Le groupe de travail contre les disparitions au Chiapas a également exhorté les autorités à « reconnaître le problème et à travailler ensemble pour les retrouver et mettre fin à la crise ». Il a également souligné la nécessité de créer une unité d’analyse du contexte au sein du bureau du procureur contre les disparitions forcées et de la commission de recherche de l’état, afin de savoir clairement ce qui se passe et dans quel but.
La recherche de la vérité et de la justice pour les victimes et leur famille est une tâche urgente et nécessaire. Les collectifs de recherche présents dans tout le pays reflètent l’absence de résultats de la part des gouvernements, mais ils symbolisent également le fait que lorsqu’il y a une volonté, beaucoup de choses sont possibles. Ils sont un exemple de force, de lutte, d’espoir, d’unité et, surtout, d’amour.
#Hastaencontrarles