DOSSIER : GUERRERO – Une Plaie Ouverte
08/03/2022Activités du SIPAZ (De mi-novembre 2021 à mi-février 2022)
08/03/2022“Je suis convaincu que nous pouvons regarder à nouveau le Chiapas avec espoir si nous parvenons à faire converger tous les secteurs pour construire une société dans laquelle il y a une place, une paix, un avenir et une harmonie pour tous”.
P arler de droits humains au Chiapas, et en particulier de la défense des droits des peuples originaires, évoque inévitablement le grand travail de l’évêque Samuel Ruiz García. Son héritage continue d’être, à ce jour, une référence et une source d’inspiration pour ceux qui luttent pour la dignité des peuples autochtones.
Jtatic Samuel a parcouru son chemin à côté du frère dominicain Gonzalo Ituarte Verduzco avec qui il a partagé ses idéaux et à qui on a remis la médaille Fray Bartolomé de las Casas en décembre dernier en signe de reconnaissance pour “sa grande expérience et son apport dans les processus de construction de la paix dans différentes situations ainsi que son accompagnement aux différents événements au Chiapas pendant plus de 40 ans”.
Lors de la cérémonie qui s’est déroulée au théâtre Daniel Zebadúa à San Cristóbal de las Casas, Fray Gonzalo Ituarte a prononcé un discours très significatif dans lequel il a commencé par rappeler les débuts de son travail au Chiapas avec l’évêque Samuel García.
“Quand nous sommes arrivés au Chiapas au XXe siècle (…) nous avons vu que la population autochtone mourait avant l’heure, nous avons vu que la marginalisation, le racisme, l’isolement et l’exploitation dont elle était victime n’avait aucune justification, mais nous avons aussi vu les peuples originaires s’organiser, notamment après le Congrès indigène de 1974. Nous avons aussi vu certaines autorités et institutions faire des efforts pour transformer cette situation injuste ; des organisations civiles et politiques ont émergé pour faire face aux nombreux défis de cette réalité; parmi eux il y avait DESMI, INAREMAC, CHILTAK et bien d’autres”.
Fray Gonzalo Ituarte a ensuite décrit comment ils ont répondu aux besoins que ce contexte exigeait, notamment la création d’organisations de la société civile qui continuent actuellement leur travail et qui font partie de leur héritage.
“Nous nous sommes réunis en Assemblées Diocésaines pour identifier les moyens pour aller de l’avant. Les femmes ont pris la parole et se sont organisées dans la Coordination Diocésaine des Femmes (…) ; nous avons vu le soutien à l’arrivée de dizaines de milliers de réfugiés guatémaltèques que nous avons reconnus comme des sœurs et des frères, et cela a éveillé davantage notre conscience ; et puis Don Samuel a parlé des Droits des Pauvres ce qui nous a appris à valoriser la perspective des droits humains en cours de route. Jtatik Samuel a motivé la création du Centre des droits humains Fray Bartolomé de Las Casas avec le soutien des personnes de valeur pour lancer ce projet, qui est toujours vivant et au service des autres. Lorsque nous avons vu des situations d’urgence nous avons réagi avec Caritas San Cristobal ; face à la situation des enfants autochtones dans cette ville, nous avons travaillé avec Melel Xojobal ; face au soulèvement de l’EZLN, nous avons formé la Commission nationale d’intermédiation ; face au conflit armé non résolu et la situation conflictuelle au Chiapas et dans le pays, l’organisation Services et Conseils pour la paix (Serapaz) ; et face aux nombreux migrants, le Service pastoral pour les migrants.”
Il a poursuivi avec une description sévère du contexte actuel au Chiapas, une situation que beaucoup d’entre nous voyons, mais qu’il n’est pourtant pas facile d’analyser de manière aussi précise.
“En ce XXIe siècle, après une brève absence, je retourne au Chiapas et je le vois à travers ce que je vois à San Cristóbal de Las Casas et qu’est-ce que je vois ?
Je vois :
la peur
l’insécurité
la violence
la dispute avec des groupes armés pour des territoires urbains.
Les jeunes garçons et les jeunes hommes tentés par la criminalité
La criminalité organisée et désorganisée, mais aussi la criminalité politisée.
Et les fusillades, les enlèvements, les menaces, l’assassinat d’un procureur et de bonnes personnes…
Et les vols de propriétés
la destruction des Zones Humides
la pollution des rivières et des sources sans eau
la dévastation des forêts et des montagnes
une ville assoiffée, alors que la réserve d’eau profonde devient une marchandise
une ville menacée de mort si l’on n’agit pas vite et bien.
Je vois une société fracturée,
des femmes violées
Je vois des victimes de la traite humaine
Je vois des enfants abusés
Le fossé des générations se creuse
La vocation de la Villa Viciosa avec des boîtes de nuit et des bars
Je vois des malheurs dus au trafic de drogue
Je vois aussi des organisations éparpillées,
De la méfiance à l’égard des institutions et des autorités
Des partis qui se séparent
Le consumérisme stérile
L’individualisme qui isole
Une croissance urbaine anarchique et suicidaire
Des migrants rejetés et criminalisés.”
“Je vois des criminels qui croient qu’ils ne seront pas arrêtés.”
“Je vois des menaces, des diffamations et des enlèvements contre des défenseurs des droits humains et des écologistes.”
“La peur de sortir sur la route, à cause des barragaes routiers, des extorsions et des agressions”.
Après avoir détaillé une réalité convulsive dans toutes ces dimensions, il a poursuivi son discours par un message d’espoir dans lequel il a évoqué les possibilités qu’il entrevoit pour retrouver la paix et faire du Chiapas un lieu où la vie est possible.
“J’ai de l’espoir et je crois qu’il est possible de marcher en harmonie, en cédant à l’intérêt commun, afin que l’intérêt particulier soit possible.”
“Il est clair qu’il n’y aura pas de tourisme s’il n’y a pas de tranquillité, qu’il n’y aura pas de vie s’il n’y a pas d’eau pour tous, qu’il n’y aura pas de confiance si la loi n’est pas appliquée avec justice, qu’il n’y aura pas de cohésion sociale si l’on ne découvre pas que cette ville, (et cette municipalité, et le Chiapas) appartient à tous.”
Enfin, il s’est adressé aux représentants de la société civile, du monde universitaire et des trois niveaux de gouvernement qui ont assisté à la remise de ce prix, les invitant à trouver un moyen de travailler ensemble pour surmonter la situation dans laquelle le Chiapas se trouve.
“En réalité, mon invitation consiste à assumer la grave réalité dans cette municipalité et notre état, et à faire appel à toutes les personnes présentes ici pour unir leurs forces et leur volonté pour surmonter cette situation et faire en sorte que cette ville et ses communautés rurales, ainsi que tout l’état du Chiapas, soient un lieu de paix, où les gens peuvent vivre, où le bien commun prime sur les intérêts individuels, sans mépris.”
“La tâche fondamentale est de chercher de nouvelles réponses pour obtenir de bons résultats et ne pas répéter les recettes d’avant qui nous ont conduits à cette circonstance très grave.”
Avec ce discours bref mais profond, il est possible de comprendre la complexité de la réalité du Chiapas, une histoire marquée par le vol, l’exploitation, la marginalisation, le racisme, la lutte des classes et la violence envers les peuples originaires. Mais c’est aussi une histoire de lutte et de résistance qui a accompagné et marqué des personnages aussi attachants que Jtatic Samuel et Frère Gonzalo Ituarte Verduzco.