DOSSIER : Violences contre enfances et adolescences au Mexique : le cas du Chiapas
13/12/2024Activités du SIPAZ (De mi-août à mi-novembre 2024)
13/12/2024Année jubilaire, 100 ans de jTatik Samuel
N/dropcap]ovembre 2023 a marqué un moment important pour le diocèse de San Cristóbal de las Casas : on a célébré les 100 ans de la naissance de Samuel Ruiz García, un évêque qui a consacré sa vie à la défense des droits des peuples autochtones et dont on se souvient encore aujourd’hui avec tendresse comme jTatik Samuel (papa Samuel). Son héritage perdure, nous rappelant l’importance de la justice sociale et de la dignité humaine.
Le 3 novembre, date de sa naissance, a été le jour choisi par le diocèse pour commencer l’année jubilaire, au cours de laquelle une série d’événements a été réalisée. Elle culminera avec le traditionnel pèlerinage du Peuple Croyant, le 25 Janvier 2025.
L’année jubilaire, intitulée « jTatik Samuel, marcheur dans le cœur du peuple. Mémoire et horizons » a aussi intégré d’autres dates-clé tout au long de l’année 2024, comme la célébration des 50 ans du Congrès Indigène de 1974 et des 10 ans du Congrès de la Terre Mère de 2014. Cependant, la violence qui affecte différentes régions du Chiapas a été une référence constante au cours de cette année jubilaire, par exemple lors de pèlerinages organisés dans diverses municipalités. Parmi ceux-ci, celui du 13 septembre dans la capitale de l’état, Tuxtla Gutiérrez, a été particulièrement impressionnant en raison du nombre de participants et de la participation des trois diocèses du Chiapas, ce qui n’avait jamais eu lieu.
Autre exemple de la violence criminelle qui prévaut au Chiapas, le 20 octobre, les célébrations de l’année jubilaire ont été éclipsées par le terrible assassinat du père Marcelo Pérez. Un fait qui a choqué et indigné des communautés entières, tant au Chiapas qu’à l’échelle nationale et internationale. Après ce triste événement, le 3 novembre a eu lieu un autre pèlerinage massif qui, en plus de commémorer la naissance de Don Samuel, a été marqué par des revendications et des demandes de justice pour le Père Marcelo. Même si l’on pensait que cet événement attirerait des milliers de personnes, la participation a largement dépassé les attentes, démontrant une fois de plus que l’injustice et la douleur attisent la flamme d’un désir de paix et de justice dans le cœur des gens.
Dans ce contexte, l’année jubilaire n’a pas seulement été une célébration de la vie et de l’œuvre de jTatik Samuel, mais aussi une occasion de réfléchir sur les progrès et les défis qui persistent encore dans la défense de la terre et des droits indigènes au Chiapas, et dans tout le Mexique. L’héritage de jTatik Samuel et, maintenant, celui du Père Marcelo nous invitent à continuer en faveur d’un monde plus juste, où la voix de chaque communauté est entendue et respectée.
50 ans du Congrès Indigène
L’une des étapes les plus importantes de la carrière de jTatik Samuel a été la préparation et réalisation du Congrès indigène de 1974, qui s’est tenu dans la ville de San Cristóbal de las Casas, au Chiapas. Cet événement a réuni des représentants des peuples autochtones Tseltal, Tsotsil, Tojolabal et Ch’ol, sous la devise « L’égalité dans la justice ». Pendant 4 jours, les participants ont parlé de la nécessité d’un changement social, en travaillant autour de quatre axes principaux : la terre, le commerce, l’éducation et la santé. JTatik Samuel a joué un rôle fondamental dans l’organisation de ce Congrès, devenu un espace de dialogue et de revendications des peuples autochtones. Ce fut un moment historique qui posa les bases des futurs mouvements sociaux au Chiapas.
50 ans après cet événement sans précédent, toujours à San Cristóbal de las Casas, et après une série de pré-congrès dans différentes régions du Chiapas, plus de 1 200 personnes des peuples Tsotsiles, Tseltales, Tojolabales, Ch’oles, K’anjobales et des métis se sont réunis dans les installations du CIDECI pour commémorer le Congrès de 74, réfléchir sur son héritage et analyser les problèmes actuels. Au cours de trois jours de dialogue et d’analyse, les communautés ont souligné qu’« aujourd’hui, face à une nouvelle étape de colonisation, où le mode de vie de nos peuples autochtones est attaqué, brisant les relations communautaires et la sagesse de nos cultures, nous devons marcher ensemble, unis en dépit de nos différences». De même, ils se sont engagés à continuer à travailler de manière organisée en faveur de la vie, de la Terre Mère et de la construction de la paix dans la justice et la dignité.
Congrès de la Terre Mère
Depuis la mi-2023, la Pastorale de la Terre Mère du Diocèse de San Cristóbal a commencé à travailler pour préparer la commémoration du Congrès de 2014. À travers des pré-congrès organisés dans les différentes zones pastorales, des actions et des réflexions sur la protection de la Terre ainsi que les expériences de travail effectué au cours des 10 dernières années ont été partagées. Enfin, en juin, les communautés se sont rassemblées à Naichén pour célébrer une décennie de travail en commun en faveur de la défense de la Terre Mère.
Lors de cette rencontre, ils ont rappelé les paroles du Pape François dans son encyclique Laudato si, où il déclare : « La Terre Mère, la belle-mère qui nous protège et nous accueille, crie et hurle face au mal que nous lui faisons. Nous avons grandi comme si nous étions propriétaires de la terre, nous avons oublié que nous faisons partie d’elle, mais qu’elle ne nous appartient pas ». A propos de cette réflexion, les communautés ont ajouté : « nous devons voir les symptômes de notre Mère Terre, parce qu’elle est malade. Nous devons non seulement voir les symptômes, mais aussi leurs causes qui expliquent pourquoi la Terre Mère est malade et mourante, voir les causes et faire quelque chose. Parmi ces causes se trouvent la surexploitation et la pollution. Les structures de pouvoir, les gouvernements, les entreprises de ce système capitaliste imposent les ‘Trains Mayas’, les grands projets d’infrastructure. Ces structures de pouvoir sont celles qui contribuent le plus à ce que la Terre Mère tombe malade et meure ».
« Nous avons également contribué à cette tendance, nous avons dépouillé notre Terre Mère en l’exploitant à outrance, nous l’avons brûlée, nous l’avons souillée avec les égouts qui vont à la rivière et les ordures que nous jetons. Nous l’avons également empoisonné lorsque nous travaillons avec des produits chimiques, des herbicides et nous nous empoisonnons également », ont-ils ajouté.
Au cours de la réunion, les efforts déployés dans chaque domaine pour protéger et guérir la Terre Mère ont été partagés. Ces initiatives incluent la collecte des ordures, l’interdiction de l’utilisation de produits jetables lors des fêtes et célébrations religieuses, la reforestation, l’interdiction de l’exploitation forestière jusqu’à la création de projets agroécologiques, ainsi que la reconnexion à la spiritualité ancestrale. Enfin, ils se sont engagés à continuer de travailler en tant que communautés pour défendre et prendre soin de la Terre Mère.
Nous n’avons pas peur
« Je n’ai pas peur de la mort ni de la prison, car le corps peut être emprisonné, mais jamais la lutte pour les idéaux », avait déclaré le père Marcelo dans une interview au média Desinformémonos, des mots qu’il répétait dans divers espaces lorsqu’il était interrogé sur les menaces qu’il recevait fréquemment.
La mort du Père Marcelo a profondément bouleversé le cœur des gens. La douleur, la colère, l’impuissance, l’indignation et la peur étaient quelques-uns des sentiments qui ont envahi des milliers de personnes lorsqu’elles ont appris la nouvelle de son assassinat. Cependant, en se souvenant de ses paroles, de sa présence et de sa façon d’accompagner le peuple, ces sentiments se sont transformés en germes d’unité et de force pour continuer le combat. « Cela a ému notre cœur et celui de notre communauté, c’était une impulsion au réveil. Il nous laisse la tâche de continuer à construire la paix, la justice et la vérité », ont exprimé les membres du Peuple Croyant.
La lutte pour défendre la terre et en faveur de la paix et de la justice n’a jamais été exempte de défis et de tragédies. Sa mort est un douloureux rappel des risques encourus par ceux qui défendent la justice et l’égalité.
L’œuvre du Père Marcelo s’est concentrée sur la recherche de la paix, la médiation et la réconciliation entre les peuples, ainsi que sur la défense de la Terre Mère. En tant qu’indigène Tsotsil, il connaissait personnellement la douleur de ceux qu’il a accompagnés jusqu’à la fin de ses jours. « Je crois fermement que la véritable paix s’obtient par le dialogue et non par les armes, les meurtres ou les coups. Celui qui fait ça a perdu la tête. En retrouvant la raison, la paix est possible », disait-il.
Il est essentiel de rappeler que la lutte pour la justice sociale a été et continue d’être un chemin qui demande engagement et courage. JTatik Samuel et le Père Marcelo sont des exemples vivants de ce dévouement. À travers leur parcours, leur lutte ainsi que leur amour pour le peuple et la construction de la paix dans la justice, ils nous ont appris comment la foi et l’action peuvent s’unir pour transformer les réalités et construire un avenir plus plein d’espoir.
« Nous n’avons pas peur, nous n’avons pas peur. Nous n’aurons plus peur. Je veux que mon pays soit heureux, plein d’amour et de liberté ».