DOSSIER : Violence, comme une marée de pleine lune au Chiapas
20/12/2021Activités du SIPAZ (de mi-août à mi-novembre 2021)
20/12/2021
L e scénario de violence au Chiapas et ses différents éléments de complexité ont été mis en évidence de manière alarmante ces derniers mois, ceci bien qu’ils existent depuis des décennies, voire des siècles. Cette réalité touche particulièrement les femmes et ceux qui appartiennent à des groupes en situation de vulnérabilité tels que les personnes migrantes, les populations autochtones et les dissidences sexuelles, pour n’en citer que quelques-uns.
Au Chiapas, près d’un tiers de la population appartient à un peuple originaire et les trois quarts vivent dans des conditions de pauvreté. Ce contexte est un terreau fertile pour des situations de vulnérabilité : un nombre très élevé de femmes doivent non seulement faire face au profond écart entre les genres, mais aussi à la discrimination structurelle liée au fait d’appartenir à une communauté autochtone, et à la ségrégation historique qui les maintient dans des conditions de marginalisation.
Cependant, malgré l’assaut brutal de la violence systémique, il existe plusieurs groupes organisés qui résistent et affrontent ces structures. Nombre d’entre eux sont dirigées par des femmes qui s’expriment et mènent nombreuses actions contre la violence de genre, les mégaprojets, l’insécurité et les différentes causes de rupture des liens communautaires.
Un exemple de ces espaces d’action et de réflexion est le Mouvement pour la défense de la terre, du territoire et pour la participation et la reconnaissance des femmes dans la prise de décision, qui a tenu sa 13e Assemblée le 13 novembre dernier à Acteal, Chenalhó.
157 femmes, représentantes de collectifs des zones Costa, Zoque, Los Altos, Bachajón, Palenque et Selva y ont participé. Les langues parlées étaient le zoque, le tseltal, le ch’ol et le tsotsil. Ces collectifs étaient accompagnés d’organisations de la société civile et de journalistes, dont le Centre des droits des femmes du Chiapas (CDMCH), Médecins du monde, le Centre des Droits humains Fray Bartolomé de las Casas, le Mouvement suédois pour la réconciliation (SweFOR) et le Service International pour la Paix (SIPAZ).
L’importance de cet espace où les femmes tissent des réseaux réside en grande partie dans son caractère horizontal. Ceci favorise l’échange entre les différentes communautés et régions, qui, en écoutant les différents problèmes rencontrés par chacune d’entre elles, peuvent trouver des similitudes et des points d’appui ; tandis qu’en identifiant les différences, elles construisent une perspective et provoquent la recherche de solutions communes. Il s’agit également d’un espace qui favorise le dialogue intergénérationnel, intra et intercommunautaire, et qui est conçu pour se poursuivre à l’avenir de manière autonome.
L’analyse du contexte de chaque région était au centre de la discussion. Les questions liées aux mégaprojets, à la militarisation, au COVID-19, à la violence de genre et aux programmes gouvernementaux ont d’ailleurs été soulignées.
En ce sens, les femmes de Palenque ont commenté que « le gouvernement continue d’aller de l’avant avec ses projets, comme le Train Maya. Nous ne savons pas ce qui va arriver à ceux qui vivent près des voies ferrées. Certaines personnes pensent que c’est pour leur propre bien, mais ce n’est pas le cas ». Plusieurs femmes, comme celles de la zone Zoque, se battent contre l’exploitation minière depuis plus de 40 ans. Comme elles l’ont expliqué, « ce n’est pas seulement l’exploitation minière, mais aussi d’autres mégaprojets, tels que l’exploitation pétrolière, les barrages hydroélectriques, les géoparcs et les pratiques de monoculture qui envahissent nos territoires ». Elles ont souligné que « nous, les femmes, n’avons pas le droit à la terre ». Elles ont expliqué comment les mégaprojets et l’extractivisme polluent la terre, l’eau et l’air, et quels en sont les effets négatifs sur la santé des communautés. « Nous exigeons le bien-vivre, nous ne voulons pas de contamination et c’est pourquoi nous n’utilisons pas non plus de produits chimiques ou d’engrais. »
En outre, elles ont désigné la déforestation comme une cause de la pénurie d’eau et de l’infertilité des terres : « (l)es monocultures d’huile de palme détruisent notre biodiversité, polluent et épuisent les sources d’eau, érodent nos sols, provoquent des déplacements forcés. Elles sont mises en œuvre comme un instrument d’accaparement des terres et des territoires, transgressant nos droits humains fondamentaux, accélérant la perte de la souveraineté alimentaire et des connaissances traditionnelles que nous, les femmes, possédons pour la production alimentaire et la préservation des semences », explique la Déclaration des femmes contre les monocultures de palmiers à huile (Agua y Vida, 2021). Ces projets sont imposés sur les territoires des communautés indigènes du sud-est du Mexique sans consultation préalable et sans fournir d’informations sur leurs impacts. Tout cela génère de la violence et une criminalisation des territoires et du corps des femmes. De même, les monocultures brisent les cycles naturels, les cercles courts d’échange de produits locaux et provoquent une forte perte d’identité qui se transforme en migration, alcoolisme et violence intrafamiliale qui perturbent la vie des populations affectées (Agua y Vida, 2021).
Les expositions des femmes étaient accompagnées de banderoles, « des banderoles de dénonciation, pour que nos voix puissent aussi être entendues à travers la broderie », où étaient capturées les expressions de la réalité vécue dans leur communauté. Dans plusieurs communautés, l’alcoolisme, la consommation de drogues et la violence contre les femmes ont été identifiés comme les principaux problèmes. Dans ce contexte, le programme Sembrando Vida a été mentionné pour avoir provoqué une augmentation de la consommation de drogues et d’alcool, ce qui a également un impact sur l’augmentation de la violence sexiste. « Cela génère également des divisions internes dans les communautés car certains veulent le programme et d’autres non. Pour la même raison, certaines communautés ont deux commissariats ».
Elles ont parlé de la militarisation comme un élément déclencheur de l’augmentation de la violence à l’égard des femmes. Enfin, un message a résonné dans toutes les communautés : « Nous ne voulons plus de violence, nous voulons la justice ».
Le Mouvement pour la défense de la terre, du territoire et pour la participation et la reconnaissance des femmes dans la prise de décision est une base solide pour construire des réalités plus justes. Il s’agit d’une force très importante pour le changement social au Chiapas, qui provient de l’union de différentes voix et expériences, résistant et repoussant toujours plus loin les barrières de la violence et de l’arbitraire.