DOSSIER: et droits de l’Homme: entre business y spoliation
24/01/2017ACTIVITÉS DE SIPAZ (à partir de début juillet jusqu’à fin octobre 2016)
25/01/2017(Frontière Arizona – Sonora)
Au mois d’octobre, le SIPAZ a eu le privilège d’effectuer un voyage à la frontière nord (entre le Mexique et les États Unis). L’objectif de ce voyage était de participer à une rencontre bi-nationale, de réaliser plusieurs exposés sur le contexte socio politique actuel dans le sud du Mexique et de se réunir avec des acteurs sociaux, des collectifs, des réseaux et des organisations de défense des droits humains dans les états de l’Arizona, du Michigan, de Chicago, du Texas et dans le district de Columbia.
“Voyageur, il n’y a pas de pont, les ponts se créent en marchant.”
Dans le désert, la nuit était fraîche et obscure en ce 7 octobre, au commencement de la rencontre organisée à la frontière par l’Observatoire sur les Écoles des Amériques (School Of the Americas Watch ou SOAW en anglais). Des centaines de migrants ainsi que des personnes acquises à leur cause se trouvaient devant le Centre de Détention pour Migrants Eloy (Eloy). Ils chantaient et criaient des consignes dans leurs hauts parleurs “Vous n’êtes pas seuls! Vous n’êtes pas seules!”, en prenant le risque de se faire arrêter pour désobéissance civile. A l’intérieur du centre de détention, les migrants, en réponse, allumaient et éteignaient les lumières de leurs cellules. Les gardiens du centre leurs ont alors ordonné d’éteindre toutes les lumières. Mais ils n’ont pas pu empêcher la participation des migrants à cette manifestation. En effet, depuis leur fenêtre ils se sont mis alors à soulever puis à rabaisser leurs t-shirt en signe de communication.
C’est ainsi qu’a commençé la rencontre durant laquelle du 7 au 10 octobre des milliers d’activistes et d’organisations se sont retrouvés à la frontière au Sud de l’Arizona, côté États-Unis et au Nord du Sonora, côté Mexique, et ont réussi à “transcender la frontière” pour dénoncer la politique extérieure des États-Unis “comme l’une des principales causes de la migration en Amérique Latine.”
Dans la chaleur du désert, c’est coude à coude que les participants à cette rencontre unissent leur douleur et leur rage pour construire des espaces en commun avec les sans papier, pour exiger la fin de la militarisation des frontières et le “démantèlement des systèmes racistes et sexistes qui volent, qui incriminent et tuent les migrants, les réfugiés, les indigènes, les transsexuelles et ceux ou celles qui ont une identité sexuelle non conventionnelle, les communauté de couleur et à tant d’autres tout autour de l’hémisphère”. Ce sont au total 626 kilomètres de frontière où à la sécheresse du désert de l’Arizona s’ajoutent les températures extrêmement élevées du Sonora. C’est un endroit dangereux même pour les randonneurs les plus expérimentés qui s’y aventureraient avec de l’eau, des denrées et plusieurs couches de vêtements. Ce passage de frontière s’est avéré mortel pour la plupart des migrants qui ont essayé de le franchir sans ce strict minimum. Selon le New York Times, « depuis 2001 plus de 2100 migrants y ont trouvé la mort ».
Le 13 mai 2015, José de Jesús Deniz Sahagun, a fêté ses 31 ans avec sa famille, chez lui, dans l’état du Jalisco au Mexique. Ce fut un jour de fête mais aussi d’au revoir car le lendemain José a pris la route en direction de la frontière entre le Mexique et les États-Unis d’Amérique. Il comptait rejoindre ses trois fils à Las Vegas dans le Nevada. Sept jours plus tard, le 20 mai, José a été retrouvé mort à Eloy. Après avoir essayé de franchir le désert de l’Arizona en vain il s’était présenté auprès des fonctionnaires des services d’immigration qui l’avait été transféré au centre de détention d’Eloy. Sa mort a été classée comme un suicide car au moment de l’autopsie on a retrouvé une chaussette épaisse au fond de sa gorge.
Lors des 13 dernières années, 160 migrants sont morts alors qu’ils étaient détenus par le Service de Migration et le Contrôle des douanes des États-Unis (ICE en anglais), l’agence fédérale qui arrête et déporte les « sans papier ». Parmi les 7 cas de suicide des personnes détenues par l’ICE depuis 2005, 5 sont passées par Eloy, ce qui attire l’attention des activistes pour les droits des migrants. Le rapport Négligences fatales: comment l’ICE ne prend pas en compte les décès qui ont lieu lors des détentions, rédigé en collaboration par l’union Américaine des Libertés Civiles (ACLU), Detention Watch Network et le Centre National de Justice pour les migrants révèle que entre 2010 et 2016, huit personnes sont mortes par défaut de prise en charge médicale alors qu’elles étaient retenues prisonnières dans des centres de détentions de l’ICE. De plus, le rapport précise que l’ICE n’a pas respecté ses propres normes médicales « l’une des cause de ces décès. »
Le Centre Eloy héberge environ 1600 migrants et comme beaucoup d’autres centres de détention c’est une propriété et il est gérée par Corrections Corporation of America (CCA), l’une des plus grandes entreprises pénitentiaire privées du pays. Même si les locaux de l’ICE ressemblent à ceux d’une prison, les personnes n’y sont pas détenues pour des procédures pénales. Bien qu’il y ait des détenus avec des antécédents pénaux, beaucoup, comme José ont un casier judiciaire vierge et ils attendent d’être déportés ou simplement que leur dossier de demande d’asile soit traité dans l’un des tribunaux de l’ immigration. L’ACLU rapporte que les États-Unis ont la capacité de détenir 34000 personnes dans des prisons civiles à tout moment, dans plus de 200 bâtiments (prisons locales, centres de détentions privés et prisons fédérales). Face à cette réalité, des organisations, des collectifs et SOAW cherchent à construire des ponts d’un côté à l’autre de la frontière pour continuer à travailler avec la communauté migrante sans papier des États-Unis.
Quatres semaines après cette rencontre bi-nationale, Donald Trump, entrepreneur, personnalité du petit écran et candidat républicain, a été élu président des États-Unis pour la période 2016-2020. Trump a déclaré que durant son mandat il fera construire un mur à la frontière entre le Mexique et les États-Unis et que le Mexique le « financera ». Il a annoncé la déportation massive de tous les migrants sans papier et qu’il bloquera les envois d’argent qui proviennent des salaires des « illégaux ». C’est avec beaucoup de doutes et de préoccupations quant à ce qui pourrait se passer au Mexique et en Amérique Latine sous le mandat de Trump, que les membres de cette rencontre ont déclaré « pendant que les politiques construisent des murs, nous nous devons construire des ponts » et ils ont affirmés « nous sommes ici et nous y resterons. »