DOSSIER : OU SONT-ILS? Les disparitions au Mexique
03/06/2016ACTIVITÉS DU SIPAZ (De début janvier à fin mars 2016)
03/06/2016“Ils nous appellent défenseurs, mais nous ne sommes que des mères à la recherche de nos enfants, des familles à la recherche de la justice et de la vérité”
A l’annonce de l’arrestation de Rosendo Radilla en 1974, sa famille s’est immédiatement mise à sa recherche. Son épouse et ses filles ont parcouru les bureaux des administrations, les prisons et les hôpitaux. Sans nouvelles, ils ont dénoncé en public sa disparition, organisé des manifestations et des meetings –tous moyens de pression pour exiger le retour de Rosendo.
Ce genre d’actions sont courantes chez les proches des personnes disparues. La douleur du manque, l’incertitude quant à l’endroit où elles se trouvent et quant à leur état de santé, ainsi que l’absence de réponse satisfaisante de la part des autorités, ont incité les familles à s’organiser pour les recherches et à réclamer justice et connaître de la vérité. De nombreuses familles ont d’elles-mêmes commencé des recherches ; les parents des 43 étudiants disparus à Iguala ou les fosses communes découvertes par des groupes de familles de victimes dans plusieurs états du pays en sont des exemples.
On compte aujourd’hui plus de 40 organisations et collectifs de proches de disparu-es sur tout le territoire mexicain. Le Comité Disparus d’Iguala, dans l’état de Guerrero, est l’un de ces groupes. Composé de plus de 500 familles, il organise chaque semaine des journées de recherche de charniers dans les collines alentours. Les réunions permettent aux membres des familles de raconter que les personnes qu’ils aiment sont parties travailler, pour ne plus jamais revenir. Qu’on a perdu leur trace après qu’elles aient été arrêtées à un barrage policier, ou que des gens armés les ont enlevées dans leur propre maison. Après ces temps d’échanges, les familles partent, armés de pelles et de pioches, creuser aux endroits où des corps pourraient être enterrés. Peu après le début de ces activités, le gouvernement leur a interdit de creuser, arguant qu’ils altèrent les scènes de crime. Si les familles ne creusent désormais plus, elles continuent de localiser les fosses communes et de les signaler pour que les autorités compétentes enquêtent. Depuis sa création en novembre 2014, le Comité a mis à jour plus de 90 charniers contenant 132 corps. Ce travail gênant leur a valu leur lot de menaces et de harcèlements. L’une de leurs membres, Norma Angélica Bruno, a même été assassinée en février dernier. “Tu ne te rends pas compte du danger?”, a-t-on demandé à cette mère de disparu membre de Los Otros Desaparecidos. “Ça m’est égal de mourir”, a-t-elle répondu. “Je veux bien donner ma vie, pour le revoir”. Selon le Bureau du Procureur de la République, 150 fosses clandestines ont été découvertes dans le pays.
Le combat de la famille Radilla est emblématique de la cause. Elle a présenté le dossier de la disparition de Rosendo devant la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme. Pour la première fois dans l’histoire, cette dernière a reconnu l’Etat mexicain coupable de violations graves des Droits de l‘Homme, désignant l’Armée responsable de cette disparition. Elle a également préconisé que les militaires accusés de violations de Droits de l’Homme devraient être jugés par un tribunal civil et non militaire. Cette décision, rendue le 23 novembre 2009, est une victoire pour les familles de victimes de disparition forcée. Elle met un terme aux entraves kafkaïennes pour accéder aux tribunaux militaires dans les enquêtes et pour obtenir réparation dans le passé. Le verdict dans l’affaire Radilla, même s’il n’a pas été totalement appliqué, a déjà donné des résultats : un militaire et deux éléments de la Marine sont actuellement jugés pour deux affaires de disparition forcée. Même si c’est une goutte d’eau, comparé aux 27 000 personnes disparues dans le pays, c’est pour les familles « une lueur d’espoir, l’espoir d’un jour connaître la vérité et obtenir justice et réparation », selon Amnesty International.
Il faut souligner le travail du Mouvement pour la Paix, la Justice et la Dignité, dont le slogan “ras le bol” dénonce la violence infligée à la population meurtrie par la guerre contre le trafic de drogue. Depuis 2011, le Mouvement dénonce le manque de reconnaissance des victimes, considérées comme des “dommages collatéraux ” et des «statistiques sans visage». Il rassemble aujourd’hui des milliers de citoyens et citoyennes qui réclament la fin de la guerre. La promulgation de la Loi Générale des Victimes est l’une des victoires importantes du Mouvement. Elle a permis la mise en place d’un cadre pour les droits des victimes, et des actions qui garantissent leur protection, leur prise en charge et la réparation des préjudices. Malgré la création de la Commission Exécutive d’Attention aux Victimes (CEAV), un organisme chargé d’accompagner la mise en œuvre de la loi des victimes, peu de familles en ont bénéficié. Selon elles, la procédure pour obtenir réparation est extrêmement compliquée. Le journal Animal Político calcule que, depuis sa création, 120 personnes seulement ont été dédommagées.
Le Mouvement National pour Nos Disparus au Mexique est un exemple notable de la façon dont les proches des personnes disparues savent s’organiser. Formé récemment, il coordonne plus de 60 organisations de familles de personnes disparues et près de 40 organisations de la société civile. 40 ans après les premières associations de proches de victimes de disparitions, qui ont affronté et vaincu la stigmatisation, ses membres continuent de croire que s’organiser est la seule façon de maintenir la pression et d’obtenir justice. Malgré la disparité des positions politiques en son sein, il représente un acteur-clé qui dénonce les conséquences des disparitions forcées, ainsi que les manquements et incompétences du gouvernement en matière de recherches, d’enquête et de garantie de leurs droits en tant que victimes.
Appel à une Loi sur les Disparitions
L’une des principales demandes du Mouvement National pour Nos Disparus au Mexique est la création d’une Loi Générale sur les disparitions qui régule l’activité des autorités aux trois niveaux -municipal, de l’état, et fédéral. Comme l’ONU l’a exigé, les organisations des familles participent actuellement à l’élaboration de cette loi, apportant leurs expériences “emplies de souffrance, mais aussi de sagesse”, qui deviennent d’“importantes leçons” devant être réutilisées dans la future législation. Elles réclament premièrement que la loi soit mis en adéquation avec les traités internationaux de Droits de l’Homme ; qu’elle ordonne la recherche immédiate et efficace des personnes disparues ; la création de registres des disparitions, d’ADN, des corps et restes non identifiés, et une véritable réparation des préjudices. Plusieurs organismes ont en outre demandé que la nouvelle loi prenne en compte la complexité du phénomène et apporte des réponses allant au-delà de la sanction pénale : prévention, assistance aux familles, mesures de réparation intégrale, etc. Elles ont également exigé au corps législatif de ‘‘ne pas répéter l’erreur’’ commise en préparant la loi des victimes qui, ont-elles déclaré, ‘‘est inutile”. Les familles des personnes disparues ont critiqué la bureaucratie excessive pour être indemnisés -qui a eu pour conséquence que 4,5% seulement du budget attribué a été utilisé.
Face à cette situation dramatique en matière de disparitions forcées, l’organisation des familles et de personnes solidaires représente une lueur d’espoir. Ces familles, accusées d’être “rebelles” car elles sont à la recherche des êtres aimés disparus (ceux-ci étant souvent stigmatisés et accusés de liens avec le crime organisé), pointent les projecteurs sur la crise de Droits de l’Homme traversée par le Mexique. Leur exigence de vérité et de justice est aujourd’hui nécessaire. C’est grâce à leurs voix que les disparu-es à travers tout le pays seront retrouvé-es, et que des stratégies et politiques publiques de prévention pourront être élaborées afin de freiner ce phénomène tragique. Comme l’a assené le MPJD lors de son 3ème anniversaire, “aujourd’hui c’est la justice et la mémoire que nous voulons semer, dans ce Mexique qui, blessé par l’incapacité et l’aveuglement du gouvernement actuel, est toujours en guerre. Il n’y a que par la mémoire et la reconquête de l’espace public par les citoyens que nous parviendrons à vaincre la peur et la paralysie”.