DOSSIER : Déplacements forcés – crise mondiale, incapacité nationale
13/09/2023Activités du SIPAZ (De mi-février à mi-mai 2023)
13/09/2023“Quel besoin, quelle insistance avons-nous à séparer les préoccupations des adultes de celles des enfants et des jeunes ? Les préoccupations des adultes sont-elles différentes de celles des enfants et des adolescents ? Elles ne sont pas si différentes, mais nous aimons les séparer. Nous maintenons cette logique de séparation : d’un côté, les espaces de jeux et d’amusement ; de l’autre, les espaces de préoccupations des adultes. Si nous avions un dialogue intergénérationnel, si les adultes pouvaient écouter les enfants sans les critiquer, que se passerait-il dans nos villes ? ”
E n août, un forum a été organisé à San Cristóbal de Las Casas, sur le thème « Tisser des alternatives avec les enfants et adolescents du Chiapas ». Il était organisé par Melel Xojobal, wpdi, le Réseau pour les droits des enfants et des adolescents (REDIAS) et Slamalil Kinal. Ses objectifs : rendre visibles les principaux problèmes auxquels les enfants et les adolescents sont confrontés dans cet état ; ainsi que mettre en commun analyses et propositions de collaboration entre les organisations et les collectifs afin de renforcer les alternatives pour ces secteurs. Ceci en partant des témoignages des enfants et des adolescents eux-mêmes, leurs rêves et projets face aux nouveaux scénarios de violence.
L’événement s’est déroulé en trois temps forts : un panel intitulé « Nous sommes présents et nous voulons une bonne vie !”, intégré et animé par des enfants et adolescents qui travaillent à San Cristóbal de Las Casas et sont membres du projet Kolem Ko’ntontik ; une table ronde plus axée sur le diagnostic de ce qui se passe dans la ville et dans l’état ainsi que ces impacts pour les enfants et adolescents; et un dernier moment fort intitulé “Tissons ensemble un futur pour la vie et pour la paix » – tournant autour des propositions qui existent et / ou qui devraient être consolidées.
Le panorama qui a été décrit entre plusieurs voix, y compris celles de mineurs, était assez sombre. Le panel d’adolescentes avec lesquels l’événement a été ouvert nous a parlé de San Cristóbal de las Casas comme étant une ville pas si magique où l’insécurité, les fusillades, les affrontements entre les groupes armés, les disparitions et les assassinats ont augmenté. Cela ne les empêche pas d’avoir des propositions pour un présent plus digne, ni de s’imaginer chef ou médecin, avec des idées pour s’épanouir personnellement ou pour se mettre au service des autres, des communautés.
La table ronde qui a suivi s’est concentrée sur le diagnostic de ce qui se passe dans la ville, l’état et au Mexique, en abordant les anciennes et les nouvelles formes de violence ainsi que leurs impacts sur les enfants et les adolescent.e.s.
Melel Xojobal nous a parlé de « la violence criminelle comme étant une réalité quotidienne, dans laquelle le recrutement de la part du crime organisé est devenu une forme de violence émergente qui augmente » toujours plus à San Cristóbal de las Casas. La population plus à risque est formée par des adolescents de 12 à 14 ans qui, pour la plupart, « habitent des zones où les groupes criminels opèrent, souffrent des situations de violence intrafamiliale, ne fréquentent pas l’école, ont des emplois précaires ou sont au chômage et consomment drogues ou alcool”. Melel a également souligné que le recrutement de la part du crime organisé n’est qu’une des « violences les plus visibles dans un continuum de violence auxquelles ils sont confrontés tout au long de leur vie : depuis la violence familiale, qui est le crime le plus courant au Chiapas, jusqu’à la disparition et à l’homicide » (ces deux derniers crimes ayant augmenté à échelle locale et étatique avec des impacts croissants pour les enfants et les adolescents).
Le réseau pour l’enfance au Mexique (Redim) a élargi les perspectives en partageant certaines conclusions d’un rapport national intitulé « L’enfance : objectif des groupes criminels. Recrutement et utilisation des enfants et des adolescents au détriment de leurs droits ». Si bien le recrutement implique une appartenance plus formelle à des structures criminelles, on peut identifier plusieurs autres formes “d’utilisation” qui passe par la réalisation de tâches diverses comme faire les courses, le ménage, espionnage, serveurs ou serveuses dans des bars et restaurants, exploitation sexuelle, tueurs à gage, entre autres activités
Une autre forme de problème qui a été rendue visible a été l’enfance migrante. L’organisation Voces Mesoamericanas a mentionné la « mosaïque » des réalités existantes : les enfants du Chiapas qui quittent leurs communautés pour rejoindre la ville, pour travailler comme ouvriers agricoles dans le nord du Mexique, ou qui se rendent aux États-Unis pour réunification familiale ; les enfants déplacés ; les enfants d’Amérique centrale, d’Amérique du Sud, ou même d’Afrique, qui arrivent aux Chiapas cherchant à traverser le pays pour atteindre les États-Unis. L’un des défis que Voces Mesoamericanas identifie pour l’action est que, dans beaucoup de zones, le crime organisé est devenu l’une des rares alternatives économiques pour ne pas migrer. Les jeunes ont besoin d’une source de travail décente ou d’argent suffisant pour rester dans leurs territoires. Le Chiapas, étant l’un des états les plus pauvres du Mexique, n’a pas grand-chose à offrir à ses jeunes.
L’augmentation des cas de jeunes qui se suicident, en particulier dans les Hauts Plateaux du Chiapas a également été signalé comme l’une des préoccupations actuelles ; de même que le racisme qui prévaut envers les populations autochtones.
La table ronde suivante a permis de connaître certaines des réponses qui se consolident, leurs apprentissages et leurs défis. Elle a aussi contribué à trouver des idées pour continuer à tisser des alternatives. L’art, le sport, les moyens créatifs d’aborder différents sujets, la récupération des langues autochtones, les activités liées à la préservation de l’environnement, de la spiritualité et de la culture ont été identifiés comme autant d’éléments que de nombreux groupes, organisations et projets de certains quartiers qui ont partagé leurs expériences promeuvent.
Systématisant les différentes contributions, l’Initiative Withaker pour la Paix et le Développement (wpdi) nous a mis au défi de penser différemment pour ouvrir des espaces qui priorisent la participation des enfants et des adolescents, pas pour eux mais avec aux, afin de rêver l’avenir à travers de véritables dialogues intergénérationnels.
Concluant la journée de travail, Melel Xojobal a souligné l’importance de continuer à tisser des actions et des réseaux, « sans former des nœuds », surmontant la méfiance qui s’est accru au milieu de tant de violences. L’organisation a déclaré qu’il s’agit plutôt de réaffirmer la joie, les espoirs, la proéminence et les actions des enfants et des adolescents. Elle a également souligné l’importance de multiplier différents regards et perspectives pour améliorer les actions. Les conclusions de cet espace conjoint alimenteront un diagnostic plus approfondi sur la situation à San Cristóbal de las Casas que Melel publiera prochainement.
Une représentante de Slamalil Kinal a partagé pour sa part : « Le panorama est sombre au Chiapas. Mais nous voulons continuer à soutenir et consolider les espaces qui construisent des alternatives. Je vois un panel d’adolescentes et je vois leur espoir et leur résilience. Nos enfants et nos adolescents sont des graines de l’avenir. Comme le dit l’expert en transformation positive des conflits, Juan Pablo Lederach, construire la paix, c’est comme écouter le maïs en train de pousser. Bon, lui étant des États-Unis, il parlait de gazon … mais l’idée reste la même, ne perdons pas espoir, perspective à futur et restons attentifs à ce qui continue de croître en dépit de tout. »