DOSSIER : Congrès National Indigène : nouvelle proposition qui suscite “des échos d’espoir”…
07/04/2017ACTIVITÉS DU SIPAZ (De début novembre 2016 à fin janvier 2017)
07/04/2017“Responsabilité directe des autorités publiques, en collusion avec le crime organisé, avec des entreprises nationales et transnationales.”
Au mois de novembre, le SIPAZ a eu l’opportunité de participer à la Mission Internationale d’Observation des Droits de l’Homme à la frontière entre le Guatemala et le Mexique (MODH). Cette mission avait été organisée par la Mesa de Coordinación Transfronteriza Migraciones y Género (MTMG) [Table de Coordination Transfrontalière Migrations et Égalité des Sexes]. Son but était de mettre en évidence les violations faites aux droits de l’Homme dans la région.
La MTMG existe depuis 10 ans. Elle est constituée de 30 ONG et associations du Guatemala et du Mexique qui œuvrent pour la protection et la promotion des droits de l’Homme des personnes migrantes et des communautés frontalières. Son travail porte tout particulièrement sur les femmes, les jeunes et les enfants migrants. La MTMG reconnaît que la frontière est « un lieu de rencontres et d’échanges solidaires entre les populations et les communautés mais que, dans l’immédiat, ce sont les violations systématiques faites aux droits civils, politiques, environnementaux, économiques, sociaux et culturels des populations locales et des migrants qui priment sur tout le reste».
C’est dans ce contexte que la MTMG a décidé d’organiser la MODH avec pour objectifs:
- « rendre compte de la situation (…), faire reconnaître que ces violations systématiques provoquent à leur tour la généralisation des migrations forcées et des demandes d’asiles. De plus elles portent attente à la défense et à l’autogestion des territoires et des communautés.»
- « désigner quelles en sont les causes structurelles et les acteurs responsables.»
- « rendre visible et revendiquer le parcours des collectifs, des OGN et des associations et faire reconnaître les causes qui nous unissent dans la défense des droits humains, des droits de la femme, des droits de la communauté LGBTTTIQ [Lesbienne, Gay, Bisexuel, Transsexuel, Travesti, Intersexuel, Queer] et dans la protection des territoires et des migrations.»
Un groupe de 24 personnes originaires de Colombie, du Salvador, du Guatemala, de l’Équateur, d’Espagne, des États-Unis, du Mexique et du Canada a été constitué pour cette mission, parmi lequel on retrouve des représentants d’ONG, d’associations, d’églises ou encore des eurodéputés. 30 membres de la MTMG en provenance autant du Guatemala que du Mexique ont aussi accompagné cette mission.
La MODH a commencé le 10 novembre 2016. Elle s’est effectuée sur deux itinéraires différents ayant tous deux pour point de départ la capitale du Guatemala. 30 sites ont été visités et 2211 kilomètres ont été parcourus. Les deux itinéraires se sont rejoint le 15 novembre à San Cristóbal de las Casas, dans le Chiapas, et les observatrices et les observateurs y ont partagé leurs expériences et ont fait part de leurs réflexions. Le lendemain, des activités et des actions publiques à caractère politique et culturel, ont eu lieu, toujours à San Cristóbal de las Casas. Ces activités ont coïncidé avec la Caravane des Mères de familles d’Amérique Centrale “Nous recherchons la vie sur les chemins de la mort”, celles-ci étant, depuis plus de 12 ans, à la recherche de leurs enfants portés disparus au Mexique alors qu’ils émigraient vers les États-Unis.
Au total, les observatrices et observateurs se sont réunis avec plus de 70 organisations et collectifs, ce qui représente environ 1600 personnes. Ils ont eu l’opportunité d’entendre de nombreux témoignages quant aux problématiques de la région ainsi que toutes les formes de luttes qui ont été créées pour y faire face.
Ils se sont rendus sur des lieux connus pour leur grande richesse biologique, minérale, énergétique et socio-culturelle. Toutefois les populations qui y habitent subissent des conditions historiques de discrimination sociale, d’expropriation territoriale ainsi que la violence économique. De plus, avec l’imposition des politiques néolibérales en Amérique centrale, ces conditions se sont aggravées.
Parmi les programmes de développement régional imposés par les organismes financiers internationaux et exécutés par les gouvernements nationaux, on retrouve du côté du Mexique: la Stratégie de Développement Régional du Monde Maya de la Frontière Sud, le Programme Intégral de la Frontière Sud et les Zones Économiques Spéciales (ZEE). Du côté du Guatemala, du Honduras et du Salvador, le Plan de l’Alliance pour la Prospérité et le Projet d’Intégration et de Développement d’Amérique Centrale.
Une des conséquences de la réalisation de ces projets énergétiques, miniers, agro-industriels et d’infrastructure est l’expropriation accélérée du territoire qui va de pair avec les déplacements forcés de population, la perturbation des écosystèmes, l’apparition de divers troubles de la santé et la création de divisions et de changements du mode de vie des communautés paysannes et indigènes. Tous ces éléments constituent l’un des principaux motif détonateur de la migration. De plus, ils nuisent au maintien de l’identité, de la culture, du mode de vie et du langage des populations affectées.
Les témoignages des migrants font preuve d’une profonde crise de violations des droits de l’Homme avec entre autres des cas de menaces, de travail forcé, de disparition, d’enlèvement, de vol, de torture, d’assassinat, de viols et d’abus sexuels, de féminicide, de corruption… On remarque également un manque d’accès à la justice pour les victimes et ceux qui osent porter plainte font face à l’impunité systématique. D’autre part, “il y a beaucoup de personnes migrantes condamnées sans procès. Certaines se retrouvent en prison pour avoir commis un délit mineur alors que d’autres sont totalement innocentes mais on leur a « fabriqué» une culpabilité. Dans certains cas, leurs familles ne savent même pas qu’elles sont emprisonnées, car la communication avec leurs proche leur a été interdite.”
Malgré cela, depuis 2012, le nombre de personnes d’Amérique Centrale qui arrivent à la frontière entre le Guatemala et le Mexique augmente constamment. Le nombre de femmes qui migrent a aussi augmenté, elles représentent presque 20% du flux migratoire. La MODH a fait remarqué qu’il existe un «modèle commun de criminalisation, de persécution et de répression faites aux femmes migrantes et aux défenseures des droits humains et du territoire, pouvant se manifester par la privation de liberté voire d’assassinat.» Les membres de la MODH ont eux même été surveillés et harcelés en certains points du parcours par des agents de sécurité et des services secrets des deux pays.La migration des membres de la communauté LGBTTTIQ augmente de façon exponentielle en raison de la violence qu’ils subissent due à leur identité et orientation sexuelles. En chemin ils sont victimes du “paquet migratoire”, c’est-à-dire: maltraitance, viol, échanges de services contre abus sexuels et féminicides. On estime que 8 femmes migrantes sur 10 souffrent ce genre de violence, lesquelles demeurent généralement sous silence voire normalisées.
D’une manière générale, la MODH a averti qu’elle avait «observé le durcissement d’une approche centré sur une vision de sécurité répressive traditionnelle du phénomène migratoire qui se reflète par le processus d’externalisation de la frontière sud des États-Unis et qui, loin de répondre aux besoins de la population migrante, prévoit une stratégie de détection, de détention et de déportation des flux migratoires en provenance d’Amériques centrales et dans la moindre mesure d’autre pays d’Afrique et d’Asie. Sur les deux itinéraires on a remarqué que les infrastructures frontalières ont été renforcées afin de contrôler davantage les migrations. De plus, au niveau de ces postes de passage frontalier plusieurs acteurs interfèrent tels que l’Armée, la Police et les autorités migratoires municipales, régionales et nationales. De même, les organisations rencontrées ont dénoncé la présence active d’agents nord américains dans la région. Ils seraient en collaboration directe avec les institutions migratoires et les institutions de sécurité.»
C’est pourquoi il n’est pas surprenant que «dans plupart des témoignages de violations des droits humains écoutés durant la mission, on note la part de responsabilité directe des autorités publiques, en collusion avec le crime organisé et avec des entreprises nationales et transnationales. Ces dernières agissent par le biais de la cooptation et de la corruption du système de justice, en s’appuyant sur la présence d’entreprises de sécurité privée et de groupes civils armés.»
Devant cette situation, la MODH a conclu que la région doit renforcer ses liens sociaux et qu’il serait pertinent d’installer un “observatoire permanent des droits de l’Homme”. «Nous voulons que cet effort de convergence des luttes se transforment en un tissage multicolore, en un réseau des populations et communautés de la frontière du Guatemala et du Mexique pour construire peu à peu une vision critique, multi-facette et engagée de la réalité. Cette initiative doit pouvoir inclure les luttes d’Amérique Centrale, du sud et du sud est du Mexique.»
Pour plus d'informations: rapport préliminaire “Luchas que fluyen por los caminos transfronterizos” (décembre 2016)✕