ACTUALITE : Mexique – la thématique indigène de retour dans l’agenda politique ?
11/10/2017ARTICLE: « Contre la douleur et la peur – un cri d’espoir », Forum sur le thème de la disparition forcée.
11/10/2017On comptabilise aujourd’hui 80 villes ayant déclaré une Alerte de Violence de Genre (AVG), réparties dans 11 états du Mexique. L’objectif de ces Alertes est de favoriser la sécurité des femmes et de réduire le nombre de féminicides –7 femmes sont assassinées chaque jour dans le pays
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En août, le forum Nager à contre-courant : contexte et suivi des alertes de genre depuis la société civile, l’université et l’État a été organisée à Mexico. Il y a été de nouveau signalé le manque de volonté politique des autorités pour mettre en place des actions publiques qui protègent l’intégrité physique et la vie des femmes. Ceci se traduit par un manque de ressources et de personnel (formé et sensibilisé au problème), l’absence d’approche globale, l’opposition à la participation de la société civile dans la définition, la mise en œuvre et l’évaluation des mesures prises, ainsi que l’omission d’éléments théoriquement compris dans les AVG.
D’autres vont plus loin et indiquent qu’il s’agit purement d’une simulation politique afin de coopter les femmes. Dans la plupart des entrevues réalisées pour ce dossier, il a été dénoncé que le peu d’actions et la faiblesse des ressources engagées le sont avant tout à des fins électorales et politiques.
Comprendre le problème
Le concept de genre est une expression visant à décrire ce que la catégorisation féminin et masculin implique dans une société donnée. On peut donner pour exemples les rôles typiques assumés par les “hommes” et les “femmes” dans la famille, au travail ou à l’école, ainsi que les comportements, activités et attributs considérés comme appropriés pour chacune des catégories.
Pourquoi est-il important de penser cette différence ? Parce que toutes les personnes devraient bénéficier des mêmes opportunités, du même traitement, et de la même dignité humaine. On observe pourtant de fortes “différences et inégalités sociales entre les hommes et les femmes, qui sont apprises, ainsi que des stéréotypes, des préjugés et l’influence de relations de pouvoir dans la construction des genres” . C’est à cela que se réfère la violence de genre, qui dépasse très largement les violences physiques et leur expression extrême, le féminicide[2].
La Convention Interaméricaine sur la prévention, la sanction et l’élimination des violences contre les femmes, appelée “Convention de Belem do Para”, a été ratifiée par le Mexique en 1998. Le texte définit ce type de violence comme “tout acte ou comportement fondé sur la condition féminine qui cause la mort, des torts ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychiques à la femme, aussi bien dans sa vie publique que dans sa vie privée”. L’Observatoire citoyen des violences de genre, des disparitions et des féminicides va plus loin en incluant également les sphères économique et patrimoniale dans les violences de genre.
Les différentes expressions de la violence de genre
On a déjà évoqué le grand nombre de féminicides au Mexique. La fréquence des violences sexuelles est aussi inquiétante : chaque jour , 35 femmes portent plainte pour viol, selon la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH). De plus, selon des déclarations du Ministère de l’Intérieur en février dernier, 67% des femmes dans le pays ont déjà vécu au moins un incident violent, 47% d’entre elles ayant été victimes de leur conjoint ou ex-conjoint. Enfin, selon l’ONU, une femme mexicaine sur 5 a subi des violences dans le cadre professionnel.
Les chiffres réels sont d’ailleurs peut-être beaucoup plus élevés, plusieurs facteurs combinés pouvant minimiser les calculs : d’une part, les femmes ne connaissent et n’exercent donc pas pleinement leurs droits par manque d’information. Beaucoup d’entre elles ne savent comment demander et rendre effective leur application. Elles ne connaissent en effet pas les lois qui les protègent et les structures spécialisées auprès desquelles elles peuvent dénoncer toute forme de violence, ni les instances et organismes auxquels elles peuvent faire appel. D’autre part, un grand nombre de femmes ne sollicitent pas les autorités et les organismes de défense par crainte de représailles de l’agresseur, peur de se retrouver seules ou d’être rejetées par leur famille et leur communauté. Celles qui portent plainte peuvent obtenir des réponses qui leur impliquent une nouvelle forme de violence, ou bien elles se heurtent à l’impunité. Soulignons également le manque de préparation du système judiciaire lui-même. De façon générale, on observe un manque de personnel spécialisé et sensibilisé à la prise en charge des affaires de violence de genre. 25% seulement des 2 083 meurtres de femmes commis au Mexique entre juin 2015 et juillet 2016, ont été considérés comme des “féminicides” lors de l’enquête et de la procédure, selon l’Observatoire National Citoyen du Féminicide. Nombre d’agences du Ministère Public ne (re)connaissent pas la spécificité pénale du féminicide, un crime différent de l’assassinat, ni le protocole d’enquête propre à ces affaires. Par ailleurs, l’absence d’un registre spécifique aux violences de genre limite la possibilité de mettre en place des actions et politiques publiques pertinentes ou d’importance suffisante.
Il existe des façons plus subtiles d’empêcher les femmes d’accéder à leurs droits : elles sont plus nombreuses que les hommes parmi les 46,2% de personnes pauvres vivant aujourd’hui au Mexique[1]. Elles ont également moins accès à l’éducation (17% n’ont pas le niveau primaire et seuls 24% des femmes inscrites à l’université iront jusqu’à l’obtention de leur diplôme) ; elles n’ont pas non plus le même accès à la santé. L’éducation a un impact direct sur leurs possibilités d’accéder par la suite à un travail digne. Si elles en obtiennent un, elles seront payées, à poste équivalent, 30 à 40% de moins qu’un homme. 3,9% seulement de femmes occupent des fonctions de direction. Tout cela amène à une forte dépendance économique : 87% des femmes se consacrent à leur foyer quand elles sont en couple. Ce manque de revenus propres limite leurs possibilités de décisions, y compris en cas de maltraitance.
Normalisation des violences contre les femmes et culture machiste
La société mexicaine est extrêmement machiste, et l’homme et le masculin sont valorisés au détriment de la femme et du féminin. Ce système patriarcal existe dans tous les domaines de la vie quotidienne et dans tous les milieux, riches ou pauvres, indigènes ou métis, dans les villes comme en milieu rural. Ce qui prouve que la violence de genre est un problème structurel et culturel de grande envergure, qui historiquement s’est traduit par la normalisation d’une logique et d’une domination masculines à travers l’éducation, la culture, les médias et les institutions elles-mêmes.
Il faut reconnaître quelques progrès, perçus par la Coordination Diocésaine des Femmes du Chiapas, qui œuvre depuis 25 ans. Ces changements se sont faits dans les familles ce qui amène certaines participantes à raconter que : “Aujourd’hui mes enfants grandissent en apprenant qu’ils ne pourront pas faire comme avant, comme leurs papas, les enfants apprennent que [nous les femmes] nous avons les mêmes droits.”
Allant dans le même sens, l’Observatoire Féministe de Tuxtla nous a confié que “auparavant, la violence intra-familiale n’était pas vue comme un problème social, mais comme un droit de l’homme sur sa famille. Parce que c’était les hommes qui exerçaient leur autorité paternelle sur toutes les femmes chez lui -mères et filles-, y compris en les frappant. Avec le débat sur le droit des femmes à disposer de leur corps, les perceptions ont commencé à changer, et c’est devenu un problème public.”
Alertes à la Violence de Genre : une définition
La Loi générale d’accès des femmes à une vie sans violence a été approuvée au Mexique en 2009. La Commission Nationale de Prévention et Eradication des Violences faites aux Femmes (CONAVIM) a été créée, pour promouvoir les réformes au niveau des états. La Loi Générale définit dans son article 22 les Alertes de Genre comme un “ensemble d’actions d’urgence lancées par le gouvernement pour traiter et éradiquer la violence féminicide dans un territoire défini, et/ou l’existence d’injustices qui empêchent le plein exercice des Droits des femmes, sur un territoire donné (commune ou état fédéral); la violence à l’encontre des femmes peut provenir d’individus ou de la communauté”. Ce n’est toutefois qu’en 2015 que des actions ont commencé à être mises en place, en premier lieu par l’état de México au mois de juillet.
La plupart des organisations rencontrées l’ont souligné : les AVG sont en général lancées sous la pression exercée par la société civile de différentes manières : dénonces publiques, conférences de presse, manifestations, espaces d’information et de formation, etc… La Campagne Populaire contre les Violences faites aux Femmes a par exemple commencé à travailler en ce sens en 2013 ; l’Alerte de Genre a été déclarée en novembre 2016.
Les Alertes de Genre diffèrent selon les communes ou états dans lesquelles elles sont mises en œuvre. Elles suivent néanmoins généralement le même chronogramme : un collectif interinstitutionnel et multidisciplinaire avec une perspective de genre est mis en place pour le suivi des propositions. Des actions de prévention, de sécurité et de justice/réparation sont ensuite conçues, avec des indicateurs pour rendre compte des progrès. Enfin le programme est rendu public.
Chiapas – des “progrès dans la reconnaissance du problème”
Au Chiapas, la Déclaration d’Alerte de Violence de Genre a été obtenue en novembre 2016, mais le nombre restreint de communes concernées a interpellé les associations civiles. Des organisations comme Kinal Antsetik considèrent malgré tout que cette déclaration représente un “progrès dans la reconnaissance du problème”.
Depuis le lancement de l’alerte, des collectifs de femmes dénoncent “l’incapacité des institutions de l’état à réagir et prendre en compte l’urgence de l’Alerte.” Ils dénoncent entre autres l’“incapacité des institutions du gouvernement de l’état”, le “manque de progrès et des aggravations dans l’application de l’alerte de genre”, le “manque de transparence” pour ce qui est de rendre des comptes. En bref, le “manque de volonté politique” des autorités.
De manière générale, les alertes de genre ne révèlent pas tant une perspective critique de genre, qu’une dualité classique entre masculin et féminin comme le souligne le Centre des Droits des Femmes au Chiapas. “La femme” est considérée comme une victime et vue comme objet de protection, et non comme sujet indépendant. Le Centre dénonce les omissions des structures qui reçoivent les femmes victimes. Par exemple, les services de santé quand ils identifient des situations de maltraitances, ne s’adressent pas aux instances chargées des enquêtes. Malgré la législation en vigueur, des cas de victimes de viol, parfois mineures, à qui on a refusé une IVG ont été rapportés. Le protocole d’Alerte de Genre n’est pas respecté dans les enquêtes judiciaires, puisque les féminicides ne sont toujours pas différenciés des homicides. Le Centre des Droits des Femmes critique aussi le manque d’accès aux services pour les communautés éloignées des villes, ainsi que l’absence de traducteurs en langues indigènes et de personnel spécialisé.
Guerrero : l’appropriation du thème par les politiques pour noyer le poisson
Selon les enquêtes de l’Université Autonome de Guerrero, cet état compte depuis plus de 20 ans parmi les plus violents du pays pour les femmes. L’Observatoire des Violences Féminicides « Hannah Arendt » a comptabilisé 1 737 femmes assassinées entre 2013 et 2016, dont 47 % à Acapulco. Le Centre des Droits de l’Homme de la Montagne Tlachinollan rapporte quant à lui 269 cas de violations des Droits des femmes à une vie sans violence entre juin 2016 et 2017 ; il s’agit principalement de femmes indigènes et métisses de la région de la Montagne de Guerrero. Cette violence peut prendre différentes formes : psychologique, économique, physique, sexuelle, patrimoniale, et, jusqu’au féminicide.
En juin 2017, l’Association de Guerrero contre les Violences faites aux Femmes a demandé à la CONAVIM (Commission Nationale de Prévention et d’Eradication des Violences faites aux Femmes) qu’une Alerte soit lancée. En interview, Marina Reyna Aguilar, présidente de l’association, nous a confié que le gouverneur de l’état Héctor Astudillo Flores, ayant appris que la CONAVIM allait bientôt accepter une Alerte, a voulu prendre les devants pour s’en octroyer le crédit. Deux jours avant la déclaration officielle (par communiqué fédéral), il a organisé une rencontre intitulée “Le gouvernement de Guerrero engagé pour les droits des femmes”. Il a à cette occasion déclaré au nom du gouvernement de l’état une Alerte de Genre, indépendamment de l’avis du Ministère de l’Intérieur. Rappelons que le gouverneur avait jusqu’alors refusé de déclarer l’Alerte. Interrogé à ce propos en mai 2016, il avait avancé que cela nuirait à l’état en affectant le tourisme, principal source d’emplois et de revenus de la population.
Cependant, et malgré cette précipitation, l’état de Guerrero n’a encore engagé aucune action concrète pour prévenir ou combattre les violences faites aux femmes. Les délais fixés avec la CONAVIM pour rendre son plan d’action et un chronogramme n’ont en outre pas été respectés. Plusieurs défenseures des Droits des femmes au Guerrero ont dénoncé le manque d’engagement et d’intérêt de la part du gouvernement pour lancer l’Alerte de façon effective. “Ce qui se passe c’est que le gouvernement d’Astudillo refuse d’accepter la réalité de la situation en Guerrero, où la violence contre les femmes s’exerce quotidiennement, et que rien n’est fait pour éviter cela, encore moins pour punir les responsables », pointe Marina Reyna Aguilar.
Oaxaca – A-t-on raison d’espérer?
Il y a à peine quelques semaines, le Système National de prévention, prise en charge, sanction et éradication des violences faites aux femmes a déclaré une Alerte de violences de genre dans l’état de Oaxaca, suite à la demande du Comité de Défense des Droits de l’Homme du Peuple de Oaxaca. Ce dernier demandait que la sécurité des femmes soit garantie, alertant depuis 2013 sur l’augmentation des indicateurs de violence – elle a documenté 1 290 affaires en 18 ans, dont 70 sous le gouvernement actuel d u gouverneur Alejandro Murat. Le processus a débuté avec la formation d’un groupe interdisciplinaire qui devra rendre un rapport au Ministère de l’Intérieur. Celui-ci sera chargé de l’examiner et de transmettre au gouvernement de l’état ce qui a été défini, ce qui pourrait prendre jusqu’à quatre mois.
Le coordinateur du service juridique de l’Institut National des Femmes a reconnu que la complexité de l’état, qui compte plus de 570 communes, et sa grande diversité culturelle pourraient permettre de tirer des leçons utiles pour répliquer cette expérience à l’échelle du pays. “Dans certaines régions l’enracinement des violences à l’encontre des femmes est déterminant et lié à l’expression de conflits agraires, interethniques ou interreligieux”.
Les statistiques du Consortium pour le Dialogue Parlementaire et l’Equité proviennent de chiffres fournis par les gouverneurs des états. Les données montrent une corrélation entre féminicides, violence familiale, violences sexuelles, disparitions et suicides qui augmentent. L’organisation a attiré l’attention sur les facteurs qui contribuent à la violence de genre : ceux-ci dépendent fortement du contexte de chaque région et sont corrélés à d’autres phénomènes sociologiques (comme les migrations par exemple). Dans son rapport de 2016, le Consortium considère que “l’Etat travaille, crée des instances, signe des accords de collaboration pour traiter le problème, mais il ne s’agit pas de le traiter, mais de comprendre pour pouvoir le solutionner”.
Au Oaxaca comme dans les autres états ayant déclaré des alertes de genre, la mort des personnes d’un autre genre sont passées sous silence. En 2016, 160 morts violentes de personnes transsexuelles ont été rapportées. Plus encore que les femmes, elles sont victimes de violences physiques qui sont normalisées, de transphobie et d’homophobie – définies comme la “haine” à l’égard des personnes dont l’identité de genre diffère de celle assignée ou aux préférences sexuelles différentes, de la part de la société et des services publics.
Au Oaxaca toujours, les organisations civiles signalent un autre point important dans toutes les alertes de genre : la nécessité de travailler à la prévention, en particulier auprès des jeunes. Cela pour réduire les violences physiques et psychologiques, et aider les jeunes femmes à choisir la vie à laquelle elles aspirent malgré les pressions familiales et sociales. Toutefois, et comme le rappelle le Consortium : “parler des droits des femmes ne veut pas dire rendre les hommes invisibles”. Les hommes peuvent de fait être affectés par les violences de genre qui touchent les femmes, puisqu’elles peuvent être des membres de leur famille. Au niveau national, des organisations de femmes soulignent qu’il est important de travailler avec les hommes, de les inviter à inventer une nouvelle masculinité et à soutenir les droits des femmes.
Un outil de plus
Les Alertes ne sont pas la panacée, mais elles représentent un outil qui permet de poser des bases et de mesurer les progrès accomplis. Dans chaque état où elles sont lancées ou en cours, des questions sont débattues, qui pourront permettre d’élaborer des stratégies plus globales, et de reconnaître qu’il s’agit d’une problématique structurelle complexe, aux racines culturelles profondes. Etablir des diagnostics plus fins, des bases de données mises à jour, et construire des outils de suivi et évaluation ; sensibiliser les médias et imaginer des campagnes de communication visant la société dans son ensemble avec une perspective de genre et une approche interculturelle et basée sur les Droits humains (en mettant l’accent sur le milieu scolaire) ; former et professionnaliser le personnel des institutions chargées de prendre en charge, prévenir, enquêter et punir les violences contre les femmes ; garantir en outre que ces institutions disposent des fonds nécessaires à leur bon fonctionnement ; continuer d’adapter les lois, les codes civil et pénal, etc sont autant d’axes de travail pour que les femmes au Mexique accèdent vraiment à une vie sans violence et sans peur.
Comment contribuer à un Mexique sans violence de genre ?
Homme, femme, ou autre, quel que soit votre identité de genre, vous aussi vous pouvez faire la différence :
- en parlant si vous êtes touchée, ou si votre voisine ou une personne dans la rue l’est.
- en vous informant : grâce à des informations indépendantes comme les observatoires citoyens.
- en exigeant de la part de l’état qu’il fasse diminuer la violence, qu’il attribue les ressources nécessaires aux institutions de prévention, s’assure que les procédures empêchent l’impunité et forme les employé.es des services publics
- en vous solidarisant avec toutes les luttes contre la répression et la violence sous toutes leurs formes.