
ACTUALITÉ : Mexique – un agenda politique profondément marqué par les décrets du président américain Donald Trump
18/03/2025
ARTICLE : « Ce sont les yeux des enfants qui illuminent notre chemin »
18/03/2025La fleur qui naît des mots ne mourra pas. La face cachée de celui qui la nomme aujourd’hui peut mourir, mais la parole venue du fond de l’histoire et de la terre ne peut être déracinée par l’orgueil du pouvoir (…). La lumière viendra demain pour la plupart de l’humanité, pour ceux qui pleurent aujourd’hui la nuit, pour ce qui nient le jour, pour qui la mort est un cadeau, pour qui la vie est interdite.
L e contexte international est marqué par l’instabilité et les conflits : la guerre en Ukraine, le massacre israélien à Gaza, les incursions israéliennes au Liban et en Syrie, la guerre civile au Soudan, les conflits armés en République Démocratique du Congo, au Myanmar, au Pakistan, en Iran, en Colombie, en Haïti et au Mexique, pour n’en citer que quelques-uns, génèrent la dévastation et un nombre important de morts, de disparus, de personnes déplacées et de personnes ayant besoin d’aide humanitaire ; un nombre de victimes qui a atteint son niveau le plus élevé depuis des dizaines d’années.
Bien que le Mexique ne connaisse pas de conflit armé reconnu comme tel ni de guerre ouverte, les niveaux de violence observés en raison de la lutte pour le contrôle territorial entre les grands cartels les plus présents sur le territoire, ont eu des conséquences similaires à celles observées dans ces contextes.
À cette réalité déjà volatile, le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis ne fait qu’accroitre la tension. Depuis son investiture, on assiste à un tumulte international, car, conformément à son idéologie « America First », il a publié une série de décrets qui ont suscité à la fois des attentes et des inquiétudes au niveau mondial. Certains affectent en particulier le Mexique.
En ce sens, la question de l’immigration, déjà controversée, a pris une importance particulière avec les nouvelles mesures et les décrets lancés depuis le premier jour de son administration, le Mexique étant particulièrement concerné en raison de sa proximité avec les États-Unis et du nombre considérable de Mexicains vivant sur le territoire américain (estimé à au moins 11 millions, dont 4 millions en situation irrégulière).
Coopération ou confrontation ?
Depuis sa première présidence, Trump a maintenu une relation compliquée avec le Mexique ainsi qu’un discours raciste et anti-immigrant accompagné de ses menaces de construire un mur frontalier qui aurait dû être payé par le Mexique, tout ceci dans le cadre de la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain.

Rassemblement de soutien aux migrants et contre les expulsions massives depuis les États-Unis, organisé à Mexico le 14 février 2025 © Yuri Cortez / Barrons.com
Si la coopération est essentielle, elle pose également des défis pour la souveraineté du Mexique et la gestion de ses politiques intérieures. Depuis l’investiture de Trump et jusqu’à aujourd’hui, plusieurs dialogues ont eu lieu entre celui -ciet la présidente Claudia Sheinbaum. L’accord le plus notable jusqu’à présent a été le report d’un mois de l’augmentation des droits de douane de 25 % en échange de l’envoi par le gouvernement mexicain de 10 000 membres des forces armées à la frontière avec les États-Unis pour empêcher le trafic illégal de drogue, et pour participer aux tâches de contrôle migratoire. « L’important, c’est le dialogue (…) Il s’agit de collaborer, de trouver des points d’accord, sans perdre la souveraineté, dans le respect de nos territoires », a déclaré Sheinbaum.
Entre décrets et absurdités
Au cours de ses premières 24 heures en tant que président, Donald Trump a publié une série de décrets, dont beaucoup sont centrés sur la transformation des politiques d’immigration. Par exemple, dès le 20 janvier, il a annulé l’utilisation de l’application mobile CBP One, qui permettait de planifier des rendez-vous aux points d’entrée de la frontière entre le Mexique et les États-Unis pour demander l’asile. Il a suspendu l’entrée des personnes sans papiers sur le territoire américain en toutes circonstances, sous prétexte qu’il s’agit d’une invasion. L’élimination de la citoyenneté de naissance a aussi fait l’objet d’un décret, mais celui-ci a immédiatement fait l’objet de nombreuses plaintes devant les tribunaux fédéraux, de sorte qu’un juge l’a temporairement bloqué. Des déportations massives ont également commencé, ainsi que des raids menés par les services américains de l’immigration et des douanes (ICE) dans différents états à travers le pays.
Un autre point inclu dans l’un des décrets de Trump est la réactivation du programme « Reste au Mexique », qui stipule que les demandeurs d’asile doivent attendre au Mexique leur date d’audience aux États-Unis. La question, qui se pose, est la suivante : s’il est à présent pratiquement impossible d’accéder au système d’asile américain, comment la nouvelle administration compte-t-elle mettre en œuvre un tel programme ? En outre, le Bureau de Washington sur l’Amérique latine (WOLA) a souligné que « pendant la première administration Trump, plus de 71 000 demandeurs d’asile ont dû “rester au Mexique”. Les organisations des droits de l’Homme ont documenté plus de 1 500 exemples de crimes violents que ces personnes ont subis pendant leur attente aux mains du crime organisé au Mexique et de fonctionnaires corrompus. Le programme a enrichi les cartels en leur fournissant une population vulnérable à kidnapper et à extorquer, et a de plus compliqué les relations entre les États-Unis et le Mexique.
La menace de déportations massives et le contrôle des frontières

Des migrants détenus attendent le décollage d’un vol de transfert C-17 Globemaster III de l’US Air Force à l’aéroport international de Tucson, Arizona, le 23 janvier 2025 © Reuters / Senior Airman Devlin Bishop/DoD
Lors de sa campagne, Donald Trump a promis de procéder à des déportations massives de migrants sans-papiers. Il a affirmé que les arrestations et les déportations se concentreraient sur les « criminels » et les personnes ayant un dossier judiciare, mais depuis les premières semaines de son mandat, lorsque les raids ont commencé, cela n’a pas été le cas. NBC rapporte qu’il n’est pas possible de trouver des données sur les premiers jours de son mandat, mais ils ont réussi à déterminer que « sur les 4 422 personnes détenues par l’ICE au cours des deux premières semaines de février, 1 800 (41 %) n’avaient pas de condamnation pénale ou d’inculpation pénale en cours ».
Cette situation a généré peur et incertitude parmi la population migrante, ce qui a même poussé de nombreuses personnes à se réfugier chez elles et à ne pas sortir pour réaliser leurs activités quotidiennes, telles que travailler, assister à l’école ou même acheter de nourriture. Elle a également accentué la polarisation de la population.
Alors que Sheinbaum a affirmé que le Mexique a reçu 4 094 déportés au cours de la première semaine de la présidence de Trump – principalement des Mexicains – selon les chiffres officiels. Cela ne représente pas un grand changement, car pendant l’administration d’Andrés Manuel López Obrador (2018-2024), le Mexique a reçu jusqu’à 6 500 migrants déportés par semaine. À la mi-février, ce chiffre atteignait presque 14 000, dont environ 3 000 étaient d’autres nationalités, ceci malgré la demande du gouvernement mexicain à Washington d’expulser les migrants vers leur pays d’origine, et non vers le Mexique.

Des migrants expulsés se reposent sur une plate-forme au port frontalier d’El Chaparral, à Tijuana, au Mexique, le 22 janvier 2025 © EFE/ Joebeth Terríquez
En termes de contrôle migratoire, selon Médecins sans Frontières (MSF), depuis la dernière administration de Trump, les autorités mexicaines empêchent activement les migrants et les demandeurs d’asile d’atteindre les villes proches de la frontière américaine. Rien qu’au cours du dernier trimestre 2024, elles auraient détenu plus de 475 000 migrants du côté mexicain, soit une augmentation de près de 68 % par rapport à la même période l’année dernière.
Ils soulignent en outre que « le gouvernement mexicain a mené une répression historique et soutenue contre les migrations, détenant un nombre record de migrants. En 2024, nous avons observé que les autorités mexicaines renvoyaient en bus de grands groupes de migrants du nord du pays vers le sud, les obligeant à recommencer un cycle sans fin de tentatives de traversée du Mexique, les exposant à maintes reprises à la violence et à l’extorsion ».
Les nouvelles mesures de Trump ont placé le Mexique dans une situation complexe, et de nouveaux problèmes risquent de surgir. Par exemple, avec les déportations massives, l’impact le plus important sera probablement observé au niveau local, lorsque les communautés essaieront d’assimiler les retours. Le manque de ressources et d’opportunités, associé au fait que de nombreuses familles ont maintenu un certain niveau de vie grâce aux envois de fonds de membres de leur famille travaillant aux États-Unis, pourrait accroître les conflits et placer les familles dans une situation de vulnérabilité encore plus grande et de risque de tomber dans les réseaux du crime organisé. Il pourrait en être de même pour les migrants bloqués au Mexique, qui pourraient également être plus exposés aux violations des droits humains.
En outre, la décision de l’administration de Trump de bloquer et de réduire drastiquement les programmes de coopération internationale de l’USAID a affecté directement le système d’hébergement et de protection des migrants, certains projets devant fermer ou se restructurer, ce qui réduit encore plus leur capacité de réaction.
Polarisation

Des migrants attendent au COMAR (Service argentin de migration et d’immigration) à Naucalpan, dans l’État de Mexico, pour finaliser leurs démarches, le 28 janvier 2025. Les États-Unis ont annulé les rendez-vous CBP One pour entrer dans le pays. © AFP/Alfredo Estrella
Depuis sa campagne et son mandat précédents, Trump s’est caractérisé par sa gestion d’un discours ouvertement raciste et anti-immigrant. La perception des immigrés de diverses nationalités aux États-Unis a été fortement affectée, ce qui a entraîné une augmentation de la xénophobie et de la discrimination.
Ce contexte a généré une forte polarisation dans le pays voisin, car si le gouvernement de Trump dispose d’un bon nombre de sympathisants et d’un large soutien de la part des fonctionnaires et des politiques, il est également vrai qu’une autre partie de la population et certains gouvernements ne partagent pas sa vision et ses discours de haine.
Nous avons vu comment, suite à la mise en œuvre de ses ordres et décrets, il y a eu diverses réactions. Dans certains états, des législateurs démocrates ont cherché des moyens de donner aux immigrés sans papiers des moyens de se défendre face à la nouvelle réalité et ont essayé de créer une sorte de « bouclier » pour protéger les écoles, les églises et d’autres espaces contre les raids des services d’immigration. De même, des chefs religieux tels que l’évêque Mariann Edgar Budde ont appelé Trump à faire preuve de clémence envers les personnes LGBTQ+ et les migrants, et ont exigé qu’il évite les arrestations de migrants dans les lieux de culte.
Il y a eu des cas d´employeurs qui ont protégé leurs travailleurs, en cachant des personnes sans-papiers chez eux ou même, lors de raids, leur ayant crié de ne pas sortir, qu’ils avaient le droit de le faire.
Il y a également eu une série de manifestations telles que la journée dite « sans migrants », au cours de laquelle des personnes principalement hispaniques ont été appelées à ne pas se rendre au travail ou à l’école. Un boycott international des marques américaines qui soutiennent Trump a également été lancé, afin de ne pas consommer leurs produits, et des manifestations ont eu lieu dans plusieurs états, où des milliers de personnes sont descendues dans la rue avec des slogans tels que : « Les immigrants paient plus d’impôts que Trump », « Arrêtez les déportations massives » et « Personne n’est illégal sur une terre volée ».
Impact sur le Sud-Est mexicain

Mexique, Tijuana : des demandeurs d’asile attendent leur rendez-vous au CBP One avant de traverser le port frontalier d’El Chaparral le 20 janvier 2025. L’administration Trump a fermé l’application CBP One comme réponse à ses projets d’expulsion massive de migrants. © Carlos A. Moreno/DPA via Europa Press/ Evangeline O’Regan.
Selon les statistiques de l’Unité de politique migratoire, d’enregistrement et d’identité des personnes du Ministère de l’Intérieur, basées sur les données des points de rapatriement officiels de l’Institut National de Migration (INM), en 2024, le Chiapas a enregistré le plus grand nombre d’expulsions des États-Unis, avec un total de 19 959 chiapanèques rapatriés, suivi du Guerrero avec 18 135 et du Oaxaca avec 15 912.
Jusqu’à présent, dans la nouvelle administration Trump, il n’y a pas encore de chiffres exacts, mais il est possible que ces trois états du sud-est maintiennent les chiffres les plus élevés, car en conséquence de leurs contextes de violence et de pauvreté, ils ont été caractérisés comme les états qui expulsent le plus grand nombre de migrants depuis des dizaines d’années.
Dernièrement, le gouvernement américain a décidé que les vols transportant des Mexicains expulsés de ce pays n’arriveraient qu’à la frontière sud du Mexique, plus précisément à Tapachula, ce qui, selon certains, pourrait avoir un impact à la fois social et économique sur la ville. « Tout semble indiquer que ceux qui ne parviendront pas à rentrer immédiatement devront rester dans la ville pendant au moins un jour ou deux, ce qui impliquera des dépenses en logement, nourriture et autres services de base, qui pourraient générer des retombées économiques dans des secteurs spécifiques », a déclaré le président de l’Association des Commerçants et Propriétaires établis de Tapachula (Acepitap).
Le premier vol est arrivé le 20 février avec un total de 122 personnes, 84 ont été renvoyées le lendemain, 157 sont arrivées le samedi et 107 ont été expulsées le mardi, soit un total de 470 personnes originaires de Puebla, Guerrero, Chiapas, Morelos, Oaxaca, Guanajuato, Veracruz et Mexico, entre autres. Les personnes expulsées reçoivent une carte de débit avec 2 500 pesos pour pouvoir rejoindre leur état d’origine et, dans certains cas, on les aide à acheter un ticket de bus pour retourner dans leur lieu d’origine.
Également au Chiapas, l’Institut National des Migrations (INM), la Garde Nationale et la Police Municipale ont intensifié leurs opérations, principalement à Tapachula et dans les couloirs migratoires, afin d’arrêter les migrants qui se trouvent sur le territoire national en situation irrégulière.
À cet égard, le Collectif de Surveillance-Frontière Sud a dénoncé l’augmentation des révisiones et des détentions de migrants sur les autoroutes et dans des villes telles que Comitán, San Cristóbal de las Casas et Tuxtla Gutiérrez, dans le cadre du déploiement des Forces de Réaction Immédiate Pakal (FRIP).
Ces opérations et arrestations, comme les raids qui ont lieu aux États-Unis, ont généré des tensions chez ceux qui cherchent à rester dans le pays ou à poursuivre leur voyage vers le nord. Elles les maintiennent dans la peur et l’incertitude.
On craint qu’avec les nouvelles exigences de Trump en matière de contrôle des flux migratoires, l’augmentation de la militarisation et la présence récente du FRIP, il y ait une augmentation des actions qui violent les droits humains des personnes et des familles en déplacement.
D’autres scénarios à venir

Des défenseurs des immigrés surveillent de près les shérifs de Californie pour voir comment ils défendront la loi sur le sanctuaire après le début de la nouvelle administration Trump. Ici, des demandeurs d’asile sont arrêtés par la Border Patrol près de Campo, le 3 juin 2024 © Robert Gauthier, Los Angeles Times via Getty Images
Il semble que chaque jour de nouvelles idées en matière de contrôle de l’immigration émergent de l’imagination du président des États-Unis. Rien qu’au cours de la dernière semaine de février, il a annoncé la création d’un registre des migrants sans papiers et a lancé une nouvelle campagne pour expulser les enfants migrants non accompagnés.
Concernant ce registre, il s indiqué qu’il serait obligatoire et a prévenu que ceux qui n’enverraient pas leurs informations pour être intégrées dans la nouvelle base de données pourraient s’exposer à des sanctions pénales. Ce système vise à contraindre les immigrés sans papiers à quitter « volontairement » les États-Unis.
Concernant l’offensive contre les mineurs non accompagnés, l’initiative établit que les agents de l’ICE doivent suivre la trace des mineurs non accompagnés pour déterminer s’ils sont convoqués au tribunal ou expulsés. Les organisations de défense des migrants dénoncent que cette campagne contre les enfants a pour véritable objectif les proches qui les accueillent.
Il est donc très probable que ce scénario de politiques, de décrets et de contradictions se poursuive dans les mois à venir. Quelle sera la position du gouvernement mexicain ? Les conditions sont-elles réunies pour faire face aux répercussions des politiques et des menaces du gouvernement de Donald Trump ? Bien que cet article se concentre sur les politiques d’immigration, de nombreux autres domaines seront touchés par les idées ou les caprices du président du pays voisin.