ACTUALITE: Droits de l’Homme au Mexique – les organisations civiles dénoncent la « marche en arrière », la « simulation » et « l’impunité »
05/09/2014ARTICLE: Tlachinollan, vingt ans de travail aux côtés des peuples autochtones de la Montagne du Guerrero
05/09/2014«Je ne voulais pas partir. Si ce n’était pas du fait de la violence et du manque de travail, je resterais dans mon pays. Je ne fais pas ça pour le plaisir, c’est qu’il n’y a pas d’autres options. Tous fuient le pays. Et le problème est lié à ceux qui sont au pouvoir, tous sont corrompus et ne se soucient que de leurs intérêts ».
Migrant hondurien interviewé à Palenque (Juillet 2014)
19 juillet 2014 : il y a peu de monde dans la Casa del Migrante (Maison des Migrants) de Palenque. « Le train est passé hier », explique sœur Nelly, membre de la Maison « jTatic Samuel Ruiz García » de Pakal-na. Ceux qui y sont se reposent ou bien lavent leur linge avant de quitter cette auberge qui, pour quelques jours, a été un refuge. Nous nous approchons pour parler avec un groupe qui prend le soleil. «Nous sommes inquiets», explique un migrant hondurien, « nous sommes arrivés avant-hier et aujourd’hui, nous devons nous en aller. Mais nous ne savons pas quoi faire. Nous avons peur de tout ce qu’on nous a dit qui peut arriver aux migrants au Mexique ». Certains disent qu’ils ne savaient pas que la situation était aussi dangereuse, et pour la plupart, c’est la première fois qu’ils quittent leur pays. « Mais nous ne pouvons pas y revenir : il n’y a pas de travail et c’est trop dangereux », déclare l’un d’eux.
La migration centroaméricaine à travers le Mexique
Le 17 juin, le Bureau de Washington sur l’Amérique latine (WOLA) a publié un rapport intitulé «L’autre frontière du Mexique ». Le document conclut que la situation des migrants centroaméricains au Mexique constitue une crise humanitaire : «La fréquence impressionnante d’enlèvements, extorsions, traite des personnes, viols et assassinats fait que le sort des migrants d’Amérique centrale au Mexique figure en tête de liste des pires crises humanitaires dans l’hémisphère occidental». Des dizaines de milliers de migrants traversent le Mexique chaque année de manière illégale pour aller au Nord, aux États-Unis (USA), à la poursuite du rêve américain. Au cours des dernières années, le nombre de migrants en provenance des pays d’Amérique centrale a considérablement augmenté. Il est difficile de trouver des statistiques précises, mais selon la Police frontalière des États-Unis, le nombre de migrants «non-mexicains » détenus par les autorités nord-américaines a triplé au cours des deux dernières années. Ils étaient « seulement » 54 098 en 2011 pour 153 055 en 2013. La grande majorité d’entre eux viennent du Honduras, du Guatemala et du Salvador.
Les raisons qui conduisent ces personnes à migrer varient. La violence généralisée, le manque d’offres d’emploi et l’extrême pauvreté dans leurs pays d’origine sont les motivations les plus courantes. Selon les statistiques de la Banque Mondiale, 60% de la population hondurienne, 53,7% de la population au Guatemala et 34,5% de la population d’El Salvador vit en dessous du seuil de pauvreté. En outre, dans ces pays, le crime organisé opère dans une impunité presque totale, créant un climat de violence et d’insécurité, notamment au Honduras qui, selon l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), présente le taux d’homicides le plus élevé au monde avec 90,4 homicides pour 100 000 habitants. Les menaces, extorsion, enlèvements, la traite de personnes, la peur d’être recrutés par les «maras» (bandes criminelles) ou le crime organisé font partie de la vie quotidienne en Amérique centrale. Pour beaucoup, la migration est devenue la seule alternative pour ne pas être tué ou converti en assassin. « Nous voulons juste vivre honnêtement», déclare un migrant à Palenque, « mais c’est impossible aujourd’hui au Honduras. »
Ces derniers mois, le thème des enfants migrants a fait la une des médias nationaux et internationaux. Leur nombre a augmenté de façon exponentielle. Selon le rapport de WOLA, « plus de 47 000 enfants migrants non accompagnés sont arrivés aux États-Unis au cours de la dernière année fiscale, près de 35 000 venant du Salvador, du Guatemala et du Honduras ». À propos de cette tendance, le 2 juin, le président Barack Obama a reconnu que la situation à la frontière entre les États-Unis et le Mexique constitue une «situation humanitaire urgente ». Un grand nombre de ces enfants voyagent pour rejoindre leurs parents aux États-Unis. Le gouvernement américain a déclaré que sa politique de contrôle de l’immigration n’a pas changé et qu’il continuera d’expulser les migrants et migrantes, qu’ils soient enfants ou adultes.
Que les politiques américaines se maintiennent ou pas, il est probable que ces personnes, chacune pour des raisons différentes, continueront à quitter leur pays et à entreprendre un voyage incertain, sans savoir quand, comment et si ils atteindront leur destination. Passer la frontière entre le Mexique et le Guatemala, dite « Frontière sud » n’est pas bien difficile. Les gouvernements du Guatemala, Honduras, El Salvador et Nicaragua ont ratifié un visa unique pour l’Amérique centrale qui permet la libre circulation des citoyen(ne)s de ces pays. Une fois au Mexique, la route la moins contrôlée par la police de l’immigration est la ligne de chemin de fer. Les migrants (abordent) montent à bord de « La Bestia » (la Bête), un train de marchandises circulant du sud au nord du pays. À partir de la frontière avec le Guatemala, il existe deux voies possibles : la « route des Caraïbes », au nord du Chiapas qui passe par Tenosique (Tabasco), Palenque (Chiapas) et continue le long du golfe du Mexique ; ou bien la « route du Pacifique » au sud, qui passe par Arriaga près de Tapachula, Chiapas, et suit la côte du Pacifique, en traversant l’état du Oaxaca. Accrochés au train pendant plusieurs jours, les migrants qui traversent ainsi l’ensemble du pays affrontent un certain nombre de risques. (C’est pour cela que ce voyage a été nommé) D’où l’appellation «route de l’enfer». La fatigue, la faim, les températures extrêmes et la possibilité de tomber ne sont que (seulement) quelques-uns des dangers auxquels ils font face. La peur la plus grande, cependant, est de devenir une victime de plus des bandes criminelles. Selon le rapport de WOLA: « Le long voyage à bord du train est (physiquement) dangereux, et le manque de sécurité laisse les immigrés à la merci des gangs d’Amérique centrale, des bandits, des kidnappeurs et des fonctionnaires corrompus ». Au cours de ce trajet, il est assez fréquent d’être victime de vol, d’enlèvement et d’extorsion, les migrants représentant pour le crime organisé une source importante de revenus. Selon l’association « Stop enlèvements », au cours du premier semestre 2014, il y a eu 1 766 enlèvements, soit une augmentation de 56% par rapport au premier semestre 2013. De nombreux migrants racontent que les bandes criminelles se font payer le passage dans le train et, dans le pire des cas, capturent les migrants qui sont contraints de révéler le numéro de téléphone d’un membre de leur famille en Amérique centrale ou aux USA, auquel/ à qui ils demandent une rançon s’il ne veut pas que la personne kidnappée soit torturée ou tuée.
(Au) Le long de cette route, les femmes et les enfants représentent les groupes les plus vulnérables. Pour les femmes, le risque d’être victimes d’abus, d’exploitation sexuelle travail forcé est très élevé, au point que nombre d’entre elles s’injectent une substance contraceptive avant de commencer le voyage, pour éviter de tomber enceinte. Selon le rapport d’Amnesty International de 2009 « Victimes invisibles. Les migrants au Mexique », « tous les migrants en situation irrégulière sont en danger de souffrir des abus, mais les femmes et les enfants – en particulier ceux qui ne sont pas accompagnés- sont particulièrement vulnérables. Ils courent un risque sérieux d’être victimes de la traite et de violences sexuelles aux mains de criminels, d’autres migrants et de fonctionnaires corrompus. Bien qu’il n’existe de plainte officielle que dans quelques cas, et que pratiquement aucune ne donne lieu à des poursuites, certaines organisations et défenseurs des droits de l’Homme experts en la matière estiment que jusqu’à six migrantes (femmes ou filles) sur dix sont victimes de violence sexuelle pendant le voyage ».
Dans ce contexte d’extrême violence, les membres des gangs opèrent dans une impunité presque totale, et de nombreux cas de collusion avec les autorités ont été signalés. Comme le Rapporteur spécial des Nations Unies (ONU) sur les droits des migrants, Jorge Bustamante, l’a souligné en juin 2008: «La migration internationale demeure une excellente affaire au Mexique, principalement gérée par les réseaux de gangs transnationaux impliqués dans la contrebande, la traite de personnes et le trafic de drogue, en collaboration avec les autorités locales, municipales, étatiques et fédérales. […] L’impunité pour les violations des droits (de l’Homme) des migrants est un phénomène généralisé. Du fait de l’omniprésence de la corruption à tous les niveaux du gouvernement et de la relation étroite de nombreuses autorités avec les réseaux criminels, l’extorsion, les viols et les agressions contre les migrants continuent ».
En outre, la politique migratoire du Mexique passe par l’arrestation et l’expulsion des personnes migrantes, des situations qui peuvent générer d’autres types de violations des droits de l’Homme. Une étude menée par l’organisation Sans Frontières remarque que «la détention n’est pas une exception, comme il se doit, mais bien plutôt la règle […] La migration semble un crime, pas un droit, puisque les gens sont arrêtés à tout moment en alléguant des raisons de sécurité nationale, et jusqu’à ce qu’ils puissent démontrer leur résidence légale dans notre pays ». Selon l’étude, en 2013, l’Institut National de Migration (INM) a enregistré 86 929 arrestations (81 394 de migrants d’Amérique centrale). En outre, 14 073 des personnes arrêtées étaient des femmes et 9893, des enfants.
La criminalisation des migrants
La tendance au Mexique et aux États-Unis est de criminaliser la migration. Les migrants et migrantes ne sont pas reconnus comme des sujets de droit, mais considérés comme des criminels qui doivent être tenus à l’écart des frontières. L’abandon (de la part) des institutions fait d’eux des proies faciles pour les gangs criminels. Dans la plupart des cas, les abus et les violations restent impunis. La pré-audience « Militarisation, criminalisation et disparition forcée des migrants » du Tribunal Permanent des Peuples (TPP) a déclaré que « ces crimes sont le résultat de la subordination des autorités mexicaines aux impératifs présumés de ‘sécurité nationale’ et de ‘libre-échange’ imposés par les États-Unis. Ces politiques impliquent nécessairement la militarisation de la frontière, la criminalisation des flux migratoires de sans-papiers et de leurs protagonistes, et la ‘marchandisation’ des migrants, ce qui les rend structurellement indispensables mais aussi jetables en fonction de la conjoncture ».
Face à ce contexte, le gouvernement du Mexique reste déterminé à endiguer le flux migratoire, en augmentant les contrôles à la frontière sud entre le Chiapas et le Guatemala. Le 11 juillet, le Ministre de l’Intérieur, Miguel Angel Osorio Chong, a déclaré: «le gouvernement mexicain a décidé de continuer à interdire aux migrants d’Amérique centrale et à ceux du Mexique de mettre leur vie en danger en voyageant au-dessus de ce train de marchandises et non pas de passagers ». Il a ajouté que « nous ne pouvons pas permettre la présence sur notre territoire de personnes ne possédant pas les papiers nécessaires pour y entrer et pour entrer aux États-Unis. Nous ne pouvons pas le leur permettre pour leur propre bien. […] Celui qui n’a pas de visa pour entrer dans notre pays sera expulsé». Le 30 juillet, à Huixtla, au Chiapas, des agents de l’INM ont réalisé l’une des premières opérations visant à empêcher les migrants de monter à bord du train. D’autres situations similaires se sont présentées le mois suivant et les autorités migratoires ont également procédé à des descentes et des arrestations dans les stations de bus et de train dans les états du sud du pays.
Ce qui se passe au Mexique se produit également aux États-Unis, où le gouvernement préfère investir des millions de dollars dans des patrouilles (de) aux frontières ou des centres de détention et de déportation pour empêcher l’entrée des migrants en situation irrégulière. L’augmentation des contrôles le long des routes migratoires traditionnelles a contraint les migrants à prendre d’autres chemins, certes moins militarisés mais plus dangereux, comme le désert de Sonora entre le Mexique et les USA.
Selon le TPP, la situation de pauvreté et de violence qui existe en Amérique centrale et l’accroissement migratoire au Mexique et aux États-Unis au cours des dernières années sont les conséquences des politiques néolibérales imposées depuis 20 ans, avec l’Accord de Libre-Échange d’Amérique du Nord (ALENA). «L’ALENA et ses annexes […] ont aggravé la pauvreté, l’inégalité, la discrimination et la dépossession des terres et des ressources. […] Ceci passe forcément par des violations généralisées des droits de l’Homme, des droits civils, politiques, économiques, sociaux, culturels et environnementaux. Cela inclut aussi l’imposition de conditions structurelles et matérielles qui empêchent le libre exercice du droit de migrer ou de ne pas le faire. Ces conditions produisent à la fois la migration forcée et les déplacements forcés, des expressions convergentes d’un exode massif ou d’exil ». Depuis l’entrée en vigueur de l’ALENA, on estime qu’environ 6000 personnes sont mortes à la frontière entre le Mexique et les États-Unis.
La migration comme droit
De nombreux activistes affirment que la migration continue et continuera, même si les gouvernements persistent à militariser les routes frontalières et migratoires. Il est nécessaire, soulignent-ils, de reconnaître la migration, non pas comme une situation d’urgence en matière de sécurité, mais comme une situation d’urgence humanitaire. Dans la « Lettre ouverte sur la crise humanitaire des enfants migrants», publiée en juillet 2014, et adressée aux gouvernements des États-Unis, du Mexique, du Honduras, du Salvador et du Guatemala, de nombreuses organisations civiles, des groupes et des réseaux sociaux déclarent : « un autre facteur clé (supplémentaire) a été la complicité (décisive) des gouvernements des pays d’origine, de transit et de destination dans ses causes et sa régionalisation. Tous ces facteurs réunis expliquent le besoin immédiat d’un couloir humanitaire régional qui reconnaisse le droit au libre passage de ces jeunes et de leurs familles, ainsi que (y compris) des mesures temporaires spéciales de protection et la reconnaissance de leur droit de refuge ou d’asile, au nom du droit des familles à être réunies ». Le document pose comme prioritaire le droit au libre transit pour les migrants afin qu’ils traversent le Mexique légalement, et évitent de d’être victimes de violences. Les membres du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés ont appelé les gouvernements des États-Unis et du Mexique à reconnaître ces personnes comme des réfugiés : Les deux pays « doivent reconnaître qu’il s’agit d’une situation de réfugiés, ce qui implique que ces personnes ne devraient pas être automatiquement renvoyées dans leur pays d’origine, mais recevoir une protection internationale ».
De manière plus générale, certaines organisations telles que Voces Mesoamericanas (Voix mésoaméricaines) mettent l’accent sur la nécessité de reconnaître une citoyenneté internationale , avec des droits et des devoirs, qui ne soit pas exclusivement liée à un espace national. Reconnaître la migration comme un droit est essentiel car, comme le souligne Amnesty International , «l’absence de statut juridique des migrants en situation irrégulière signifie qu’ils sont privés de recours effectif à la justice, ce qui les soumet (les migrants en situation irrégulière) à un plus grand risque d’abus ». De ce fait, comme le Pape Francisco l’a déclaré en août 2013, dans son message pour la Journée mondiale des migrants et des réfugiés : « un changement d’attitude envers les immigrants et les réfugiés est nécessaire, le passage d’une attitude défensive et méfiante, de désintérêt ou d’exclusion qui, de fait, correspond à la «culture du refus» – à une attitude qui se fonde sur la «culture de la rencontre», le seul moyen de construire un monde plus juste et plus fraternel ».
Favoriser une «culture de la rencontre» permettrait aux personnes de migrer librement, et au lieu d’investir dans les expulsions ou la sécurité des frontières, il s’agirait de promouvoir des politiques dans les pays d’origine afin de lutter contre la violence, la pauvreté et la corruption, en limitant ainsi les facteurs d’incitation à la migration. Aux États-Unis, certaines associations de migrants partagent ce point de vue. Par exemple, l’Alliance nationale des communautés d’Amérique latine et des Caraïbes (NALACC) a déclaré que «les organisations des communautés d’immigrés basées aux États-Unis reconnaissent le caractère transnational de ce défi : tout en travaillant pour des changements aux États-Unis, nous ne pouvons pas oublier combien il est important de promouvoir de plus grandes conditions de stabilité, une meilleure santé, une meilleure éducation, plus de démocratie et de sécurité dans les pays d’origine. Ces conditions pourraient réduire les facteurs qui influent sur la migration et rendre les pays plus attrayants pour un éventuel retour de nombreux migrants en provenance de ces pays qui vivent désormais à l’étranger ».
De fait, les migrants interviewés à la Casa del Migrante de Palenque nous ont avoué qu’ils ne veulent pas vivre toute leur vie aux États-Unis: «Ce n’est pas notre terre, nous voulons juste y travailler un an ou deux, juste assez longtemps pour économiser de l’argent, pour payer les frais de scolarité pour nos enfants, pour construire une maison et rien d’autre. Nous voulons juste avoir le droit de rester pendant un certain temps, puis revenir dans notre pays ».