ACTUALITÉ: le Mexique, six mois après le changement de gouvernement
15/07/2019ARTICLE: #MeTooMX – Le cri des femmes contre les violences
15/07/2019Le 17 mai, le Comité contre la Torture de l’Organisation des Nations Unies (CAT) s’est prononcé sur le rapport que le Mexique a présenté devant lui au sujet de la torture au mois d’avril.
Il a émis pas moins de 98 recommandations que le gouvernement mexicain s’est engagé à étudier et à analyser en profondeur : “Respectueux des institutions internationales, le Mexique veillera à ce que la coopération à laquelle se prêtent avec lui les multiples agences, organismes et États étrangers, bénéficie à l’application et au perfectionnement du cadre juridique existant afin de garantir le respect intégral des droits humains dans le pays”. Les autorités mexicaines ont un an pour élaborer de nouvelles propositions allant dans ce sens.
Le Comité contre la Torture (CAT) est composé de 10 experts indépendants veillant à l’application par les États signataires de la Convention contre la Torture et autres Traitements Inhumains, Cruels et Dégradants (TPCID). Cette convention est entrée en vigueur en 1987. Tous les pays signataires doivent présenter au Comité des rapports réguliers sur les mesures qu’ils ont envisagées pour s’assurer du respect des droits mentionnés dans ce document. Dans un premier temps, les États signataires doivent rendre des comptes au Comité un an après leur adhésion à la Convention, puis tous les 4 ans. Le Comité examine ensuite chaque rapport, exprime ses préoccupations et formule ses recommandations aux États sous la forme d’”observations finales”(1).
À l’occasion de chacune des présentations des rapports de l’État mexicain, un grand nombre de réseaux, d’organisations et de collectifs de la société civile mexicaine ont présenté des rapports “alternatifs” sur la thématique de la torture qui sévit dans le pays, plus alarmistes. Parmi eux, le “Rapport alternatif des Organisations de la Société Civile du Mexique” a été présenté en avril 2019. Son diagnostic signale que la pratique de la torture est aujourd’hui “généralisée” et “endémique”. Par ailleurs, il souligne que, “de 2012 à aujourd’hui, le gouvernement mexicain a reçu plus de 12 000 plaintes pour actes de torture qui auraient été commis par la Police fédérale, le SEDENA (Ministère de la Défense nationale), le Ministère Public et l’Institut National de la Migration, entre autres institutions”.
Les résultats de l’Enquête Nationale sur les Personnes privées de liberté, publiés par l’État en 2017, vont dans le même sens. Ils montrent que le pays traverse une grave crise en matière de torture. “Réalisée dans la totalité des centres pénitentiaires du Mexique”, l’enquête permet de révéler en partie le recours à la torture au sein même du système judiciaire(2) : “75,6 % des personnes concernées ont subi des violences psychologiques alors que 63,8 % d’entre elles ont souffert physiquement durant leur arrestation(3). Par ailleurs, 49,4 % de ces individus ont été placés en isolement(4), 39,4 % ont reçu des coups et plus de 23 % se sont faits frapper avec un objet ou ont souffert de lésions suite à un écrasement au sol”[5].
De plus, selon Diego Rodríguez Pinzón, co-rapporteur de la Commission pour le Mexique, le dernier rapport montre qu’une véritable impunité règne : seulement 7 % des délits commis ont ainsi été dénoncés, et seulement 4,6 % des cas enquêtés ont donné lieu à des condamnations. De son côté, l’Unité spéciale d’Enquête sur le délit de torture du Bureau du Procureur Général de la République, créée en 2015, a spécifié en février 2018 avoir ouvert 8335 enquêtes liées à ce délit. Cependant, seulement 17 cas ont par la suite débouché sur des actions juridiques[6].
Dans le cadre du dernier rapport présenté au Comité contre la Torture, Marta Delgado Peralta, sous-secrétaire aux Affaires multilatérales et aux Droits Humains du Ministère des Affaires Étrangères du Mexique, a déclaré que le changement de gouvernement en décembre 2018 avait permis l’avènement d’un nouveau contexte politique, porteur d’”une nouvelle vision du pays, structurée autour du respect intégral des droits humains”. Elle a par ailleurs affirmé que le phénomène avait diminué au cours des deux dernières années grâce aux progrès réalisés par le pays en la matière, citant notamment la Loi Générale visant à Prévenir, Enquêter et Sanctionner la Torture et Autres Traitements Cruels, Inhumains et Dégradants (LGPIST), promulguée en juin 2017. Selon la sous-secrétaire, cette loi a vocation à mieux répartir les compétences entre les différentes autorités afin d’enquêter, de juger et de sanctionner les actes de torture, de définir correctement ce type de délit et d’établir des mesures de prévention, d’assistance, de protection et de réparations pour les victimes. Toutefois, le cinquième ensemble de dispositifs prévus par la Loi Générale n’a toujours pas été mis en place. La Loi signale pourtant que “le Bureau du Procureur Général de la République dispose d’un délai de 180 jours suivant la date d’entrée en vigueur de ce décret pour exécuter le Programme National pour la Prévention et la Sanction de la Torture et autres Traitements Cruels, Inhumains et Dégradants”. En outre, Delgado a reconnu que la situation reste critique en matière de torture (en particulier dans certains états), tout en réaffirmant la volonté du Mexique de mettre un terme à l’impunité et de s’assurer que ses institutions ne fassent plus usage de la torture.
Les peuples indigènes comptent parmi les plus vulnérables face au phénomène
Lors d’un entretien avec le SIPAZ, Gilberto Hernández, avocat du Centre des Droits Humains Fray Bartolomé de las Casas (Frayba) s’est exprimé au sujet de la torture : selon lui, le combat le plus dur à mener pour faire en sorte que les institutions mexicaines n’aient plus recours à la torture réside dans la lutte contre la corruption généralisée. Documents à l’appui, le Frayba a ainsi montré que, dans la quasi totalité des cas, les enquêtes sur les personnes suspectées d’avoir eu recours à la torture – la plupart du temps membres des différents corps de police ou du ministère public – sont menées par des individus appartenant aux mêmes institutions. Parmi de nombreuses préoccupations, le Frayba a notamment souligné qu’en novembre 2018, plus de 100 organisations de la société civile ont dénoncé la nomination de Jorge Luis Llaven Abarca comme nouveau procureur de l’état après avoir été Secrétaire à la Sécurité et à la Protection Citoyenne par l’ex-Gouverneur du Chiapas, Manuel Velasco Coello, et ce, malgré plusieurs plaintes à son encontre liées à l’usage de la torture. À cet égard, la Commission Nationale pour les Droits Humains (CNDH)[7] et la Commission de l’État pour les Droits Humains[8] ont d’ailleurs émis des recommandations le reliant à ces plaintes.
“Malgré les messages du gouvernement affirmant qu’il existe une réelle volonté politique de progrès, nous ne pensons que la situation s’améliore au Chiapas dans les années à venir”, a déclaré le Frayba. Depuis le 15 mars dernier, des prisonniers indigènes de cinq centres pénitentiaires de l’état, accompagnés de leurs proches et d’organisations de la société civile, ont entamé une série d’actions pour visibiliser leur cas. Par le biais d’une grève de la faim, ces détenus ont notamment exigé leur liberté, l’amélioration des conditions de leur incarcération, et que justice leur soit rendue suite aux actes de tortures commis à leur encontre. Certains d’entre eux sont incarcérés depuis plus de 15 ans sans avoir pour autant reçu aucune condamnation.
Gilberto Hernández a révisé les dossiers des prisonniers mobilisés pour protester contre leur propre situation. Selon lui, ces dossiers comportent plusieurs preuves de détentions arbitraires et d’usage de la torture comme moyen utilisé pour obtenir l’aveu de leur culpabilité pour des délits qu’ils n’ont probablement pas commis. Face aux revendications des prisonniers, le gouvernement du Chiapas a révisé plusieurs dossiers de l’enquête et a déclaré au Frayba qu’il n’y avait trouvé aucune preuve de torture. L’avocat Hernández a par ailleurs souligné qu’il ne s’agissait pas d’un cas unique, mais bien d’un problème à échelle nationale (et internationale). Il a confié ne pas savoir si cette réponse devait se comprendre comme un manque de volonté politique, une incapacité à faire face à la situation ou à une stratégie visant à lasser les victimes, leurs proches et leurs avocats afin qu’ils cessent d’exiger le respect de leurs droits. Dans tous les cas, les instances internationales et les organisations de la société civiles s’accordent sur le fait que le manque d’indépendance, d’impartialité et d’efficacité des institutions judiciaires chargées de mener les enquêtes sur les cas de torture font de ce phénomène un problème structurel[9].
En outre, beaucoup de personnes d’origine indigène privées de liberté ne dénoncent pas les actes de torture, n’étant pas au fait des procédures par lesquelles les dénoncer ou craignant les représailles éventuelles que cela pourrait générer à leur encontre et à celle de leur famille. La majorité de ceux qui décident de le faire est criminalisée ou subit des pressions afin qu’ils n’aillent pas plus loin. Par ailleurs, les enquêtes sur les cas de torture sont menées bien souvent sans tenir compte des standards internationaux en la matière.
Les limites à l’application des mécanismes de protection
Parmi ces textes internationaux fondamentaux figure le Protocole d’Istanbul, premier ensemble de normes internationales visant à documenter les multiples cas de torture et leurs conséquences. Il s’agit d’une sorte de manuel conçu pour aider les États à mettre en place un véritable système de documentation des cas de torture, un des aspects fondamentaux pour pouvoir assurer la protection des individus contre ce phénomène. Cette documentation doit mettre en évidence les preuves de torture et de mauvais traitements pour obliger les responsables à rendre compte de leurs actes et ainsi servir la justice. Selon plusieurs experts, ce mécanisme a cependant été “mexicanisé” et utilisé à mauvais escient “par les autorités du pays, qui l’ont transformé en véritable instrument au service de l’impunité”.
Selon le dernier rapport du CAT, les expertises médico-psychologiques constituent “un véritable obstacle aux investigations et aux sanctions contre les cas de torture et autres traitements cruels, inhumains et dégradants, dont les autorités chargées d’enquêter n’hésitent pas à se servir (qu’il s’agisse d’autorités ministérielles, judiciaires, voire même d’organismes publics de droits humains dirigés par l’État). En effet, les autorités en question réduisent souvent les enquêtes sur les cas de torture aux seuls résultats de ces expertises internes – appelées à tort “Protocoles d’Istanbul” -; expertises elles-mêmes réalisées de manière tardive par un personnel non-indépendant et sans connaissance réelle sur le véritable Protocole d’Istanbul »[10]. Cela créé ainsi un cercle vicieux : sans expertise, les autorités ont tendance à considérer qu’on ne peut avérer les faits de torture et, quand expertise il y a, elle est viciée et conduit ainsi à la même conclusion.
Dans la plupart des cas, les personnes déclarant avoir subi des traitements inhumains sont ainsi déclarées coupables suite aux aveux obtenues d’elles sous la torture, le juge admettant leur utilisation sous prétexte que la victime n’a pas pu prouver qu’il y avait eu torture[11]. Et tout cela, bien que le droit international établit clairement qu’une fois présentée une plainte pour torture ou mauvais traitements, il revient à l’État de prouver qu’il n’y a pas eu torture et aux juges de procéder à l’élimination immédiate de la preuve.
Un exemple concret illustre à merveille ces irrégularités. Il s’agit du cas des prisonniers du Conseil des Ejidos et des Communautés Opposées au Barrage Hydroélectrique la Parota (CECOP), défenseurs des droits humains de l’état du Guerrero, parmi lesquels au moins 8 d’entre eux ont été torturés suite à une opération policière en janvier 2018. Le Centre des Droits Humains La Montaña Tlachinollan considère que “c’est par le biais de la torture, des détentions arbitraires et de l’isolement que plusieurs preuves ont été obtenues ; elles ont servi à mettre les personnes concernées en examen”. Ces personnes ont souffert de multiples violences : coups, menaces de mort, simulation d’exécution extra-judiciaire, abus sexuels et torture physique… Bien que l’usage de la torture soit avéré depuis le début du procès, l’enquête ne connaît aucune avancée depuis lors[12].
L’utilisation du système judiciaire dans le processus de criminalisation des défenseur-e-s des droits humains
La criminalisation du mouvement social est une des autres préoccupations principales dans le cas des prisonniers du CECOP, dans la mesure où elle a conduit à l’incarcération de dizaines de personnes défenseures des droits humains au cours des dernières années.
Dans l’état de Oaxaca, marqué par un lourd passif en matière de criminalisation à l’encontre des activistes du mouvement social, au moins 141 personnes défenseures ont été incarcérées de manière arbitraire en 2017 et 2018, selon l’Association Civile Féministe pour le Dialogue Parlementaire et l’Équité de Oaxaca. Cette même organisation a par ailleurs recensé un total de 93 attaques à l’encontre de personnes défenseures et de journalistes au cours du premier trimestre 2019.
Le Groupe de Travail sur les Détentions Arbitraires de l’ONU (GTDA) a émis 8 recommandations sur les défenseur-e-s des droits humains au Mexique[13], dont six portent sur des cas de l’État de Oaxaca. “Dans son avis 56/2015[14], le Groupe de Travail identifie une tendance dans laquelle se succèdent les cas de détentions arbitraires à l’encontre des défenseur-e-s des droits au Mexique, la plupart du temps d’origine indigène. On documente pour chacun de ces cas un usage systématique de l’isolement, de la torture et d’autres violations des droits”[15].
Les organisations de la société civile ainsi que plusieurs institutions internationales se soucient également du problème de la sécurité publique, étant donné que “le gouvernement fédéral et le Congrès de l’Union ont récemment émis deux propositions qui auraient pour effet d’augmenter le risque d’être victime de torture et autres violations des droits humains : la création d’une Garde Nationale Militarisée” et l’augmentation du nombre de délits passibles de détention préventive. “Cette initiative est particulièrement alarmante en ce qu’elle compromet la présomption d’innocence et autres garanties judiciaires, mais aussi en raison de l’impact négatif prévisible qu’elle aura sur les populations déjà hautement exposées aux détentions arbitraires”.
Le cas des migrant-e-s : la peur de dénoncer à cause de leur statut migratoire
Le fait d’être migrant-e, en transit ou en demande d’asile, d’autant plus lorsqu’il s’agit des femmes, des personnes LGBTIQ, des victimes de traite, des enfants et des adolescent-e-s, augmente davantage la vulnérabilité des personnes face aux violations des droits de la part des autorités, du crime organisé ou d’autres sphères de la population mexicaine.
Après 15 années d’investigations, l’organisation Sin Fronteras (Sans Frontières) a remarqué que la torture, les mauvais traitements et la corruption de masse sont particulièrement présents dans les Centres Migratoires, notamment dans les deux plus grands du pays (Tapachula et Iztapalapa): “Au Mexique, la politique migratoire des dernières années s’est accompagnée de nombreuses violations des droits humains contre les personnes migrantes et les demandeurs d’asile, en particulier la privation de liberté pour motifs migratoires”.
C’est notamment pour cela que des organisations de la société civile ont sollicité l’État mexicain afin qu’il mette en place “des réformes législatives et structurelles en matière de politique migratoire afin d’élaborer des mécanismes qui n’impliquent pas de recourir systématiquement à la détention, usage qui devrait constituer l’exception et non la règle”.
Différences de traitements pour les femmes et les membres de la communauté LGBTIQ en situation de détention
Au Mexique, au moins 7 femmes sur 10 ont souffert d’une forme de violence machiste. Mais, à partir du moment où la “guerre contre la drogue” a été déclarée, les femmes ont commencé à faire face à une forme de violence létale supplémentaire avec l’augmentation des homicides par armes à feu dans des espaces publics. La guerre contre la drogue a également eu pour conséquence l’augmentation du nombre de femmes persécutées puis incarcérées pour des délits liés à la drogue, qu’il s’agisse de “production, détention, trafic ou apologie des narcotiques”. Aussi bien l’arrestation que l’incarcération débouchent sur des scénarios qui rendent constamment possibles les actes de torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants[16].
Selon les constats émis par les organisations civiles représentant, accompagnant et étudiant la situation des femmes privées de liberté, le système pénitentiaire mexicain est peu enclin à donner à sa politique une véritable perspective de genre, à en croire l’absence de propositions pour répondre aux nécessités propres au genre féminin[17]. Constituant par la même une forme de traitement cruel, inhumain et dégradant, cette négligence peut potentiellement être considérée comme alimentant les situations de torture pour les femmes[18].
À cet égard, la Commission Mexicaine pour la Défense et la Promotion des Droits Humains (CMDPDH) a souligné l’absence d’une véritable perspective de genre au sein des examens médico-psychologiques qui doivent être réalisés dans les signalements de cas de torture.
La Rapporteure sur la Torture a ainsi tiré la sonnette d’alarme face aux nombreuses plaintes pour torture et mauvais traitements à l’égard des femmes (violences sexuelles incluses). Elle a également déploré que la plupart des cas ne débouchent sur aucune enquête, qu’ils soient minimisés par les autorités ou qu’ils contribuent à la revictimisation des personnes concernées au moment où elles signalent les traitements qu’elles ont subies ou lorsqu’elles se soumettent à des examens médicaux[19].
La communauté de personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transsexuelles, intersexes et queers (LGBTIQ) doit affronter une situation d’autant plus grave du fait de l’homophobie et des stéréotypes incessants. “À l’intérieur des centre pénitentiaires mexicains, ces personnes sont constamment victimes de violence (…). La Commission d’État du District Fédéral a souligné la nécessité de mettre immédiatement en marche des dispositifs de protection pour les personnes LGBTIQ incarcérées, afin d’éviter toute agression et toute forme de discrimination à leur encontre”.
Il existe peut d’exceptions face à l’impunité généralisée qui règne au Mexique. Seuls les cas d’Inés Fernández Ortega et de Valentina Rosendo Cantú, deux femmes indigènes me‘phaa du Guerrero torturées sexuellement par des membres des forces armées en 2002, peuvent être cités à titre d’exemples. L’État mexicain a ainsi été condamné par la Cour Interaméricaine des Droits Humains et certains des responsables ont été jugés : en juin 2018, une sentence historique a été dictée contre l’un d’entre eux, dans la mesure où celle-ci a pour la première reconnu des membres des forces militaires coupables d’actes de torture sexuelle. Néanmoins, les inculpés ont sollicité une requête de contrôle direct des procédures par lesquelles s’est délivré la sentence (amparo) : en d’autres termes, la sentence peut potentiellement être révoquée. Dans tous les cas, les organisations de la société civile ont déclaré que la pression internationale a été décisive et a fortement contribué à ce que la sentence dictée soit dotée d’une véritable perspective de genre et marquée par une dimension interculturelle[20].
Le dur combat pour l’élimination de la torture : la participation des victimes, de leurs proches et de la société civile est déterminante
Au mois d’avril, 16 avocats de 10 organisations provenant du Guatemala, du Salvador, du Honduras, de la Colombie, du Venezuela, du Pérou, du Paraguay, du Chili, de l’Argentine et du Mexique ont créé le Groupe des Plaideurs contre la Torture en Amérique latine, avec l’ambition de “définir des objectifs communs, de surmonter les obstacles afin d’améliorer et de renforcer les dispositifs de lutte contre la torture”. Le groupe bénéficie de l’appui et de l’assistance de l’Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT) dont le siège est à Genève (Suisse).
Ils ont rappelé que la pratique de la torture est endémique et qu’elle prend des formes diverses dans tous les pays. C’est afin de pouvoir “réaliser des actions communes au nom d’un seul et même groupe”, que ces pays ont décidé de s’unir. Selon ce Groupe, c’est une grande première sur le continent : il espère être à l’avant-garde de la lutte contre la torture et l’impunité au niveau régional de l’ensemble latino-américain.
Gilberto Hernández, avocat du Frayba chargé de la coordination du groupe, a spécifié lors d’un entretien que les expert-e-s membres de cette toute nouvelle organisation coordonneront leurs efforts et leurs stratégies dans l’accompagnement juridique des victimes de torture et autres traitements de la sorte face à des instances aussi bien nationales et internationales. Une des stratégies envisagées consiste notamment à solliciter les Nations Unies afin qu’elles se prononcent sur des cas spécifiques qui pourraient par la suite faire pression sur l’État mexicain, étant donné la lenteur des procédures du côté de la Cour Interaméricaine des Droits Humains (CIDH) (voir l’exemple des cas d’Inés Fernández Ortega et de Valentina Rosendo Cantú).
En outre, la collaboration entre les victimes, les survivants, leurs proches et la société civile demeure essentielle dans le processus de lutte pour que les droits humains soient davantage respectés et garantis. Nous en avons pris d’autant plus conscience lorsque les diverses parties civiles ont contribué à la création de la Loi Générale sur la Torture, qui précise par ailleurs que la société civile participera au Programme National pour Prévenir et Sanctionner la Torture, en apportant ses diagnostics et ses recommandations (Art. 69). Actuellement, un grand nombre d’organisations marchant main dans la main avec les victimes travaillent en commun sur une proposition émise depuis la société civile pour ce même Programme. Il est important de rappeler que les changements légaux ne s’appliquent et ne demeurent que s’il existe un cadre assez solide qui puisse garantir leur pérennité[21].
Les sources
- Nations Unies: Septième rapport périodique que le Mexique devait présenter en 2016 en vertu de l’article 19 de la Convention.
- Enquête Nationale sur les Personnes privées de liberté (ENPOL 2016), principaux résultats, inegi.org.mx/contenidos/programas/enpol/2016/doc/2016_enpol_presentacion_ejecutiva.pdf.
- Ibid.
- Ibid.
- [Ibid.
- Centro ProDH: 10 questions clés sur la Loi Générale contre la Torture.
- CNDH, Recomendación 26/2002.
- Commission d’État pour les Droits Humains au Chiapas, “Recomendación 1/2002”. Non disponible en ligne. Commission d’État pour les Droits Humains au Chiapas, , “Recomendación 7/2005. Non disponible en ligne. Voir “Exigimos la destitución de Jorge Luis Llaven Abarca como Fiscal General del estado de Chiapas”, 11 décembre 2018.
- Rapport Alternatif des organisations de la société civile du Mexique au Comité contre la Torture des Nations Unies, 2012-2019.
- Comisión Interamericana de Derechos Humanos, Situación de derechos humanos en México (2016), párr. 308-310.
- Rapport du Rapporteur Spécial sur la Torture et Autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, Mission au Mexique, A/HRC/28/68/Add.3, 29 décembre 2014, 55-56.
- Rapport Alternatif des organisations de la société civile du Mexique au Comité contre la Torture des Nations Unies, 2012-2019.
- Opinión 23/2014 Damián Gallardo Martínez, opinión 18/2015: Pedro Canché Herrera, opinión 19/2015: Librado Baños Rodríguez, opinión 55/2015: Enrique Guerrero Aviña, opinión 56/2015: Nestora Salgado García, opinión 17/2016: 25 integrantes de Frente Popular Revolucionario (ahora Sol Rojo), opinión 23/2017: Pablo López Alavéz, y opinión: 24/ 2017 Mario Olivera Osorio.
- Opinión 56/2015: Nestora Salgado García, diciembre 2015,
- Ibid., paragraphe 42.
- Rapport Alternatif des organisations de la société civile du Mexique au Comité contre la Torture des Nations Unies, 2012-2019.
- Comprendre : des espaces, des infrastructures et un service médical approprié (surtout pour les femmes enceintes et devant nourrir leur enfant au sein) avec une possibilité de consultation régulière auprès de gynécologues et autres médecins spécialisés.
- La condition même des femmes se combine avec d’autres facteurs les rendant davantage vulnérables, si bien que la privation de liberté comporte pour elles un risque d’autant plus élevé de subir des mauvais traitements et de s’exposer à des cas de torture. Voir CAT, Observation générale n°2, 24 janvier 2008, Doc. CAT/C/GC/2, paragraphe 22.
- Rapport du Rapporteur Spécial sur la Torture et Autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, Mission au Mexique, A/HRC/28/68/Add.3, 29 décembre 2014, 28.
- Au cours de cette sentence, la juge de district reconnait que le simple fait de viol de la part des forces armées constitue en lui-même un acte de torture, dans la mesure où les responsables ont cherché à violer et humilier la victime de manière irréversible. De plus, la juge a reconnu que les militaires avaient ainsi créé un rapport de domination vis-à-vis de Valentina, rendue d’autant plus vulnérable en tant que femme, indigène et mineure, face à des militaires armés.
- Centre ProDH: 10 questions clés sur la Loi Générale contre la Torture.