Activités de SIPAZ (Mai – Juillet 1999)
31/08/19991959-1993
03/01/2000DOSSIER : La zone Nord, violence à fleur de peau…
«Ma fille est avec eux [ceux de «Développement, Paix et Justice», DPJ]. Elle vient seulement me visiter en cachette pour m’informer que je suis encore menacé dans la communauté d’où je viens, que je ne peux pas y retourner, ni passer par-là»
Déplacé de la zone basse de Tila (1)
En 1994, le soulèvement zapatiste a attiré l’attention publique nationale et internationale, principalement sur les Gorges de la Forêt Lacandone, centre névralgique de l’EZLN. Mais, depuis les élections d’août 1994 et celles d’octobre 1995, la violence a également fait son apparition dans la zone Nord qui est ainsi devenue une des régions les plus conflictuelles de l’État du Chiapas.
Aujourd’hui, la zone Nord continue à être une région peu visitée, mais reste le siège d’une extrême tension et de fréquentes explosions de violence. La faible présence d’observateurs nationaux et internationaux se doit à des situations de violence à leur encontre par le passé. L’absence d’intérêt pour cette région peut s’expliquer par son isolement géographique, historique, politique et culturel .(2). SIPAZ est une des rares organisations qui visite la zone avec l’objectif de rencontrer les différents acteurs et de mieux comprendre le casse-tête que constitue cette région.
Les groupes en lutte
Les membres de l’opposition qui s’auto-définissent comme faisant partie du PRD (Parti de la révolution démocratique), de Abu Xú (Arrières Nocturnes), catholiques du diocèse, bases de soutien de l’EZLN, membres de la société civile, «L’organisation» ou «la Société civile organisée». Ils ont commencé à s’organiser à la fin des années 70, avec l’église catholique ou par eux-mêmes pour faire face aux désastres économiques (comme celui de la crise du café lors de la chute du prix mondial) et à la désillusion des dirigeants communautaires face à l’abandon et aux contradictions perçues dans la praxis gouvernementale(2). Depuis le soulèvement de 1994, quelques communautés ou une partie de celles-ci sont devenues (ou se sont publiquement reconnues) comme étant des bases de soutien zapatistes.
La multiple identité de l’opposition peut s’expliquer du fait même de son isolement. Tous ces groupes luttent pour le changement, mais, dans un contexte de guerre, ils ont choisi de ne pas déclarer publiquement leur appartenance à une organisation spécifique, pour éviter d’être victimes de plus grands harcèlements. Les membres de DPJ quant à eux affirment que leur organisation existe depuis 1994, «mais qu’elle s’appelait alors PRI» (indiquant ainsi leur adhésion inconditionnelle au parti officiel).
De nombreux témoignages de membres de DPJ indiquent qu’ils ont commencé à s’organiser, et notamment à prendre les armes, pour se défendre des attaques des Zapatistes. Comme ils l’expliquent dans «Ni droits, ni humains» (3): : «La terreur et la mort ont commencé à apparaître dans toute la région ch’ol. Personne ne pouvait travailler tranquillement. Il fallait dédier tout son temps à l’activisme politico-religieux. Tout était mouvement. Il fallait marcher de nuit, se masquer le visage, attaquer, voler, enlever et assassiner des dirigeants communautaires qui leur sont opposés, surtout ceux qui faisaient parties des «Arrières Nocturnes (Abu xu)», telle était la consigne».
A plusieurs occasions, on a voulu présenter le conflit du Chiapas, spécialement celui de la zone Nord, comme étant un conflit religieux. Cependant, ce que nous avons pu constater, c’est l’utilisation des divisions religieuses à des fins politiques. Dans quelques cas, les discours des dirigeants religieux ont conduit à une plus grande polarisation et une plus grande agressivité de la part des militants de base.
La violence a éclaté en 1995 (attaques, blocages de routes, assassinats et déplacements de la population), à mesure qu’avançait la campagne pour les élections locales. Il était possible que l’opposition politique puisse gagner, ce qui aurait été une première preuve de la perte de l’hégémonie du PRI dans la zone (qui avait déjà commencé dans les années 70).
The Role of the Government and of the Army
De nombreuses organisations des droits humains affirment catégoriquement que DPJ (enregistrée officiellement en mars 1995 comme «Développement, Paix et Justice» est la façade d’une organisation paramilitaire: ses relations avec le gouvernement du Chiapas répondent à une stratégie de guerre de basse intensité qui inclut l’appui de groupes de gens de la région qui sèment la terreur pour détruire les bases de l’opposition politique.
En mai 1999, le député Gilberto Lopez y Rivas (du PRD) a présenté une requête auprès du Bureau du Procureur Général de la République (PGR) concernant l’existence de groupes paramilitaires au Chiapas, et y a annexé des documents pour justifier ses déclarations. Le quatrième rapport du groupe parlementaire du PRD (4) fait mention de «l’application d’une tactique militaire de contre guérilla connue comme celle du «marteau et de l’enclume» ou l’armée et les institutions policières adoptent la fonction de force de contention (enclume) et permet aux groupes paramilitaires de jouer la fonction de force de frappe (marteau) contre l’EZLN et ses sympathisants». Il explique également que «le but principal est d’éviter aux forces armées le discrédit de mener une guerre inégale».
Pedro, un ancien dirigeant de DPJ dans la communauté de Cruz Palenque affirme que «les paramilitaires surveillent les chemins, perçoivent les impôts, font des embuscades, volent les biens des paysans de l’opposition, menacent et assassinent ceux qui ne les appuient pas. […] Il y a des paramilitaires qui travaillent en tant que policiers et patrouillent les communautés de la zone. Ils reçoivent un entraînement dans les campements militaires de la région». (Jornada 05-04-99)
Des milliers de témoins confirment la présence de l’armée mexicaine et de la police étatique aux côtés de ceux de DPJ lors des expulsions de 1996. Comme preuves, des personnes déplacées ont gardé des cartouches de balles qui sont d’usage exclusif de l’armée. Malgré ces éléments de preuves, les autorités ont toujours nié l’existence de groupes paramilitaires. Selon elles, il ne s’agit que «de groupes de civils qui se sont armés afin d’assurer leur propre sécurité».
Depuis les élections de 1995 (où ont été enregistrés des fraudes et un abstentionnisme de 63 %), de nombreux dirigeants de DPJ ont été élus comme fonctionnaires publics, ce qui paraissait légitimer leur contrôle sur la zone. Samuel Sanchez Sanchez, un des fondateurs de DPJ, a été élu député et de nombreux dirigeants sont parvenus à occuper un poste à la mairie de Tila.
Deux jours avant les élections de 1997, le gouvernement de l’État par le biais du Ministère de l’Intérieur, a signé un accord de développement productif avec DPJ pour un montant de 4 600 000 pesos (580 000.00 $US). Cet accord a été signé par des représentants du gouvernement de l’État et le commandant de la VII région militaire, Mario Renan Castillo était présent en tant que «témoin d’honneur». Le quatrième rapport du PRD indique également que : «Renan Castillo a été entraîné par l’armée américaine à Fort Bragg, en Caroline du Nord, qui est une des principales écoles de contre-insurgence. C’est à cause de cela que l’on peut penser qu’une de ces tâches principales sera d’appliquer au Chiapas ce qu’il a appris en matière de guerre de contre-insurgence». (4)
Situation actuelle
Il est assez difficile d’obtenir des chiffres exacts concernant la violence dans la zone Nord. Jusqu’à aujourd’hui, le nombre d’assassinats oscille entre une dizaine et une centaine. DPJ a été accusé d’avoir commis la grande majorité des actions violentes. Quelques membres des organisations d’opposition ont reconnu que parfois ils ont répondu par des embuscades aux attaques, aux blocages de routes, aux assassinats et aux déplacements qu’ils avaient subis de la part du DPJ. Par contre, ceux de DPJ se présentent en victimes : dans «Ni droits, ni humains», ils affirment qu’entre 1995 et 1997, il y a eu 89 assassinats dont 66 étaient des victimes appartenant à DPJ. (3)
Le témoignage d’un ancien opérateur radio de DPJ reste accablant : «Ici, il n’y a ni paix, ni justice, nous nous sommes tués entre frères, tout cela par la faute du gouvernement et des dirigeants de Paix et Justice qui profitent des gens pour leur propre bénéfice. […] Ils volent et tuent, personne ne les en empêche ; personne ne les contrôle, même pas leurs propres dirigeants». (Jornada, 05-04-99).
Depuis la mi-1997, la violence a diminué substantiellement bien que certains incidents aient été notés : assassinats, échanges de coups de feu, blocages de routes, incursions de l’armée. Une explication possible pourrait être que DPJ a réussi à prendre le contrôle de la zone. La peur engendrée entre 1995 et 1996 a été suffisante pour empêcher que les gens de l’opposition ou les observateurs puissent voyager librement. Les rumeurs ont été un des mécanismes les plus utilisés pour fomenter la peur. Cela a pour conséquences une plus grande polarisation des gens et dans plusieurs cas, empêche de possibles rapprochements.
Interrogé sur les derniers assassinats dans la zone, Diego Vazquez (membre fondateur de DPJ) répond : «s’il y a des personnes de DPJ impliquées, elles doivent être punies car les choses ne doivent plus continuer comme avant. Ici, à El Limar, ceux du PRD et de DPJ sèment ensemble. Il y a un début de cohabitation, et nous ne devons plus nous battre». (1) Ce type de déclarations surprenantes génère une certaine confusion.
La situation critique des déplacés
Le déplacement de plus de 4000 personnes, la majorité appartenant à l’opposition, est une des conséquences les plus visibles et les plus dramatiques de la violence qui a éclaté dans la zone. (1) DPJ parle «d’auto-déplacement», arguant qu’ils agissent sciemment pour générer plus de confusion.
De nombreux déplacés jugent que les conditions pour leur retour n’existent pas. Ils vivent sur des terres prêtées par d’autres paysans qui leur suffisent à peine pour pouvoir manger. Un déplacé de Ojo de Agua nous a dits : «Comme il y a peu de terre, personne ne veut accueillir les déplacés. Je crois que c’est parce qu’ils n’ont pas souffert, qu’ils n’ont aucune idée… Ils ne comprennent pas la souffrance d’un déplacé… Nous ne savons pas quoi faire, ni où aller… Je ne fais que penser durant la nuit. Et je me rends malade de penser autant». (1)
Ceux qui sont revenus entre 1996 et 1997 bénéficient d’une relative sécurité grâce à leurs récoltes. Cependant, ils ne sont pas à l’abri de tous problèmes. Ils subissent souvent des pressions de la part de ceux de DPJ pour se joindre à leur organisation, abandonner la religion catholique, les informer de leurs réunions et ils doivent demander la permission pour sortir de la communauté. (5)
Un des déplacés qui est revenu nous a dits : «Le 18 juillet 1996, l’armée, la police et ceux de DPJ ont réalisé une opération. Ils ont saccagé l’église, les images saintes, les maisons et ont volé les animaux. Nous nous sommes enfuis dans la montagne. Beaucoup de gens sont morts. Un de mes jeunes fils est mort, il est tombé malade et je n’ai pas pu l’emmener chez le médecin par peur des embuscades de Paix et Justice. Le 10 octobre 1996, nous avons pu rentrer chez nous. Mais il n’y a aucune garantie pour notre vie». (1)
La revendication d’une indemnisation pour la perte du bétail volé, des maisons détruites, des récoltes perdues lors des attaques de DPJ et des membres de la police au cours des dernières années est un autre des points critiques présentés au gouvernement du Chiapas par les délégués des 18 communautés de l’opposition dans la zone basse de Tila. Ils n’ont toujours pas reçu de réponse. Le gouvernement dit qu’il ne peut pas payer puisqu’il n’est pas responsable ; en échange, il leur offre des projets. Mais, selon Manuel de Jolnixtié : «Nous ne voulons pas de leurs projets, nous voulons la justice, nous voulons qu’ils nous rendent ce qu’ils nous ont volé que ce soit en argent ou en bétail. La police et l’armée ne dépendent-elles pas du gouvernement ? » (1)
La réconciliation et ses défis
Malgré ce qui a été dit auparavant, il existe quelques signes encourageants allant dans le sens de la réconciliation. Dans la communauté de Emiliano Zapata, dans la municipalité de Tila, malgré les divisions (40 familles de l’organisation de DPJ et 25 de l’opposition), les déplacements ont réussi a être évités. Un de leurs représentants nous a commentés que ceux de DPJ ont voulu les obliger à intégrer leurs rangs. «Nous avons dialogué avec eux et nous avons réussi à nous faire respecter. Nous sommes arrivés à un accord avec eux depuis le début pour que ceux des autres communautés nous respectent également. L’accord fut très difficile à obtenir, mais après trois mois de discussions, nous sommes arrivés à un accord avec le commissaire ejidal». (1)
Le 27 février 1999, 14 familles de déplacés sont retournées à Cruz Palenque où elles ont été accueillies par 20 des 26 familles de DPJ qui étaient restées dans la communauté. L’ancien dirigeant de DPJ s’est repenti et est allé chercher le coordinateur régional inter-institutionnel du gouvernement de l’État pour entamer des négociations. Cependant, six familles de cette communauté sont restées avec l’organisation DPJ et les tensions persistent. La radio communautaire qui est aux mains de DPJ et la mort d’un chien, tué par le fils d’un dirigeant de DPJ sont quelques-uns des conflits générés par ces tensions. Selon le fils, il a agi en légitime défense, selon Pedro (son oncle, propriétaire du chien et qui n’appartient plus à DPJ), il a tenté de le tuer. Une réunion a été convoquée avec le maire, le coordinateur régional inter-institutionnel et les dirigeants de DPJ. Mais jusqu’à maintenant, le problème n’a toujours pas été résolu car la réunion n’a pas eu lieu du fait de l’absence du maire et des représentants guvernementaux. Cet exemple de désaccord peut sembler insignifiant mais il est symptomatique de la polarisation, de la précarité, et du caractère explosif de la situation dans cette communauté et dans d’autres.
Un nouvel élément du casse-tête : les divisions internes au sein de DPJ
De supposées divisions internes au sein de l’organisation de DPJ ont commencé à apparaître au cours des derniers mois. Les dissidents (sous la houlette de Cristóbal Gómez Torres et Diego Vazquez) accusent les anciens dirigeants Samuel Sanchez, Marcos Albino et Raymundo Trujillo d’avoir volé plus de quatre millions de pesos qu’avait reçus l’organisation pour des projets productifs car, en plus de quatre ans, aucun résultat tangible n’a été obtenu.
Face à ces divisions, le gouvernement de l’État a montré une extrême diligence pour convoquer des réunions de réconciliation entre les deux factions. Les analystes expliquent une telle sollicitude par la nécessité de préparer le terrain électoral. Cependant, cette disponibilité face au DPJ contraste avec l’absence gouvernementale dans les réunions pour résoudre les conflits de Cruz Palenque comme nous l’avons déjà mentionné.
Comme on a pu le voir antérieurement, le gouvernement fédéral a lancé un appel à l’EZLN pour revenir à la table de dialogue. Cette initiative pourrait signifier un nouvel effort de distension dans la zone Nord, puisqu’il s’agit d’une des conditions posées par l’EZLN pour renouer le processus de paix.
Selon certains analystes, une autre explication à l’attitude gouvernementale dans la zone est que le gouvernement a intérêt a appuyer l’organisation de PJE pour éviter une nouvelle dégradation de la situation ou la victoire de l’opposition lors des prochaines élections.
Dans l’attente des élections
Certainement, la relative diminution de la violence dans la zone Nord durant les deux dernières années est un encouragement en comparaison des années 1995 et 1996. Cependant, elle est en grande partie une simple conséquence de l’instauration de la terreur. Dans le fond, la situation n’a pas changé : l’absence de confiance, la polarisation et une violence toujours sur le point d’éclater continuent à prévaloir. Combattre la peur de l’autre prend du temps, tout comme rompre des discours comme «nous ne leur parlons plus et nous n’allons pas leur parler parce que nous ne savons pas ce qu’il y a dans leur cœur.
Si cette situation ne change pas, la zone Nord pourrait à nouveau tenir de décor à un type de guerre qui, même si elle n’est pas ouverte, risque de s’avérer interminable et de générer plusieurs morts. Dans ce contexte, l’information sur ce qui se passe dans la zone peut aider à rompre le cercle de la peur et des préjugés.
Des deux côtés, nous entendons : «Nous sommes fatigués, nous ne voulons plus de violence. Nous voulons travailler, tout ce que nous voulons c’est travailler… ». Mais, qui sont réellement les dirigeants et quels intérêts servent-ils ? A qui servent ces divisions ?
Tristement, la conclusion de l’article du bulletin de SIPAZ d’avril 1997 a conservé sa pertinence : «D’autre part, le lancement de la campagne électorale et la proximité des élections […] représentent une nouvelle menace et un nouveau défi pour les acteurs politiques dans le Nord : réitérer les expériences de 1994 et 1995 qui ont presque amené les ch´ols à une guerre civile ou assumer la lutte politique légitime et respectueuse des différentes options électorales. Les gouvernements étatique et fédéral auront une grande part de responsabilité au cours des événements qui pourraient avoir lieu dans la zone».
- (1) Entrevues de SIPAZ entre mars et août 1999, dans la zone basse de Tila. (Return.)
- (2) BULLETIN DU SIPAZ, Avril 1997, Vol. II, No. 2 (Return)
- (3) Ni droits, ni humains dans la zone Nord du Chiapas : l’autre vérité de ce qui s’est passé dans la zone ch’ol, en réponse a la version publiée par le Centre de droits humains Fray Bartolomé de las Casas – janvier 1994 à septembre 1997, Développement, Paix et Justice, novembre 1997. (Return)
- (4) Quatrième rapport sur les forces armées mexicaines, Groupe parlementaire du Parti de la révolution démocratique, LVII Législature du Congrès fédéral, 30 avril 1999. Présenté par le député fédéral Gilberto Lopez y Rivas en tant que président en poste de la COCOPA auprès du Bureau du Procureur Général de la République. (Return)
- (5) Population déplacée du Chiapas, Onésimo Hidalgo y Gustavo Castro, du Centre de recherches économiques et politiques d’action communautaire (CIEPAC), juillet 1999. (Return)
Document consulté: Ni paix, ni justice ou le rapport général et vaste au sujet de la guerre civile que souffrent les ch’oles de la zone Nord du Chiapas – décembre 1994 à octobre 1996, Centre de droits humains Fray Bartolomé de las Casas, octobre 1996.